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DANS LA MÊME SÉRIE

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DANS LA MÊME SÉRIE

Cléo et le mystère du miel indigo

Sophie Adriansen

Illustré par Benjamin Strickler

Illustrations : Benjamin Strickler

Direction éditoriale : Paola GriecoConception graphique de la série : Tiphaine Rautureau et Florence BoudetLigne graphique de la collection : Florence Boudet et Marie RébulardRelecture éditoriale et maquette : Caroline MerceronCorrection : Romain Allais

www.gulfstream.fr© Gulf stream éditeur, Nantes, 2019ISBN : 978-2-35488-682-0

Loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse

Thomas n’aime pasle chocolat

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Pour les amateurs de chocolat blanc,

noir ou au lait, avec gourmandise…

et aussi pour ceux qui n’aiment

pas le chocolat : rien n’est définitif !

À Gabriel.

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Proposer aux jeunes lecteurs de pénétrer dans les coulisses de la création d’une histoire. C’est cette idée, à la fois simple et novatrice, qui est à l’origine du Feuilleton des Incorruptibles1.

Pendant plus de douze semaines, des groupes de lecteurs ont entretenu une cor-respondance personnalisée avec un auteur. L’objet de ces échanges ? Un texte posté tous les quinze jours chapitre par chapitre par un écri-vain, passablement anxieux à l’idée d’être sou-mis aux jugements décomplexés des jeunes. Le résultat ? Une histoire commentée et ques-tionnée par deux cent cinquante lecteurs, aussi

1 L’objectif de l’association (créé en 1988) est de susciter l’envie et le désir de lire des plus jeunes grâce au Feuilleton des Incorruptibles, ainsi qu’à des actions lecture autour d’une sélection de qualité.

curieux qu’impitoyables, et autant de débats et échanges, questions existentielles et interro-gations futiles, mots doux et bons mots…

Avec la complicité des éditions Gulf stream éditeur, le texte a été travaillé comme un manuscrit traditionnel avant de prendre le che-min des presses. C’est une aventure où l’intime et le collectif se conjuguent et se répondent pour désacraliser l’acte d’écriture, comprendre le processus de publication d’un texte, inciter à la lecture, encourager la réflexion, tisser des liens privilégiés avec un auteur et, pourquoi pas, susciter des vocations…

Association le Prix des Incorruptibles101, rue Saint-Lazare 75009 Paris01 44 41 97 20www.lesincos.com

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LISTE DES GROUPES DE LECTEURS

Lecteurs des Maurilloux niveau CE2/CM1 de Trélissac (24)

Groupe Léonard de Vinci de l’école Mathieu-Dumoulin à Saint-Jean-d’Ardières (69)

Les Buveurs d’encre du collège Pierre-Brossolette à La Chapelle-Saint-Luc (10)

Les Pirates radieux de Canet-en-Roussillon (66)

Les Chouettes de l’école Louis-Pasteur de Rueil-Malmaison (92)

Les lecteurs de la bibliothèque de Gouvieux (60)

Les lecteurs du prieuré avec Christine Willefert à Montdidier (80)

La classe de CE1/CE2 de l’école Ker Anna à Ploeren (56)

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CHAPITRE 6À l’usine

p. 55

CHAPITRE 7Chez mamie

p. 61

MÉMENTO À CROQUER Le chocolat : où, quand, qui, comment ?

Le savais-tu ? À ton tour !

p. 67

SOMMAIRE

LES PERSONNAGES p. 8

CHAPITRE 1Chez Anatole

p. 13

CHAPITRE 2Chez Thomas

p. 19

CHAPITRE 3Chez mamie

p. 31

CHAPITRE 4Chez Anatole

p. 39

CHAPITRE 5Chez Thomas

p. 47

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LES PERSONNAGES

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ThomasThomas, le héros de cette histoire, n’aime pas le chocolat. Mais il ne sait pas trop pourquoi. Tous les samedis, il fait du jonglage. Il aime fouiller dans la bibliothèque de ses grands-parents.

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LES PERSONNAGESLES PERSONNAGES

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JulietteLa petite sœur de Thomas adore se déguiser (notamment en plant de tomates) et faire des spectacles, même sans occasion particulière. Elle a beaucoup d’imagination.

AnatoleSurnommé « Ana » par sa maman, Anatole est le meilleur copain de Thomas. Il est passionné par les chevaliers, les fléchettes et… les gâteaux que confectionne son papa, qui est pâtissier.

Les parents de ThomasMaman est chef du personnel à l’usine Caraïbes… et elle travaille beaucoup, parfois même le week-end. Du coup, c’est papa qui emmène le plus souvent Thomas au jonglage et Juliette au poney.

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LES PERSONNAGESLES PERSONNAGES

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Les grands-parents de ThomasCostumière pour le théâtre, mamie réalise des déguisements originaux pour ses petits-enfants… ainsi que de délicieux desserts, dont se régale ce gourmand de papi. Leur maison est en face de celle de Thomas.

AstridSpectatrice privilégiée des spectacles qu’imaginent Thomas et Juliette, la tortue de la famille apprécie le chocolat, mais ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est… faire la sieste.

FossileFossile est le chien d’Anatole. Tout comme son maître, il raffole des balades à la campagne ou en forêt et… du chocolat (blanc !).

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Thomas n'aime pas le chocolat.

Pourquoi ?

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Avant de découvrir la réponse, voici quelques hypothèses :

Il ne connaît que le goût du chocolat noir amer, celui qui fait faire une

grimace quand on le goûte.

Quand il était petit, Thomas a fait tomber sa glace au chocolat

dans le sable et il a essayé de la manger ensuite ! Pour lui, chocolat rime avec horribles

grains dégoûtants qui craquent sous la dent…

Il est allergique, le chocolat lui donne

des boutons.

Il en a un jour mangé jusqu’à l’indigestion, depuis il ne veut plus entendre parler

de chocolat !

Il ne veut pas en manger car le chocolat, ça tache,

et Thomas déteste se salir.

La première fois qu’on lui a parlé de chocolat, on lui a fait manger un gâteau qui était en fait à la réglisse ; ou au poivre ; voire aux pruneaux – ou pire : aux salsifis trop cuits ! Depuis,

Thomas se méfie…

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CHAPITRE 1Chez Anatole

— Les enfants ! Venez, on va goûter !— On arrive, répond Anatole, tout en

continuant à se concentrer pour lancer sa mini-fléchette dans la cible.

En plein dans le mille ! Il est vraiment fort. Je n’arrive même pas à en vouloir à mon meil-leur copain. Aujourd’hui, on fête son anni-versaire et, comme cadeau, Anatole a reçu le jeu de fléchettes électronique qu’il souhaitait. Alors, si un seul d’entre nous est autorisé à faire son crâneur, c’est bien lui.

Nous prenons place autour de la table déco-rée d’une nappe à motifs de châteaux forts. Nous sommes dix. Dix garçons déguisés sur le thème des chevaliers, selon la consigne donnée

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Chez AnAtoleBONS BECS

par Anatole. Son costume est plutôt réussi : un tissu rouge brillant avec des armoiries dorées, une grande cape, une épée et une couronne qui trône sur ses frisettes blondes – évidemment, c’est lui le roi de la fête. En toute honnêteté, le mien est le plus beau : je porte une tunique blanche par-dessus laquelle j’ai enfilé une cotte de mailles et une cagoule en laine tricotées par mamie. Ma grand-mère travaille dans un théâtre, elle est costumière, elle réalise toujours des déguisements incroyables. Par exemple, pour cet anniversaire, elle m’a aussi fabriqué un bouclier qui se fixe à l’avant-bras. Astucieux ! Les autres costumes n’ont rien d’exceptionnels ; sauf celui de Gaspard, dont la maman n’en fait qu’à sa tête question déguisements. Du coup, aujourd’hui, Gaspard porte le costume noir et vert d’un bouf-fon, avec toque et souliers assortis.

— C’est pile dans le thème, les chevaliers fai-saient toujours venir des bouffons pour s’amu-ser ! s’est exclamée sa maman en l’amenant.

À mon avis, Gaspard aurait préféré être habillé en chevalier comme nous tous. Mais ça ne l’empêche pas de s’amuser ni de goûter.

— Ç’aurait pu être pire ! fait celui-ci en ten-dant le bras pour attraper un verre. J’ai échappé à la robe de princesse que ma grande sœur por-tait au carnaval, il y a trois ans. Maman m’avait même proposé une perruque avec une natte ! Je m’en sors bien en bouffon…

Devant chaque assiette ont été disposés des verres : certains contiennent du jus de fruits, d’autres des bonbons. La maman d’Ana-tole dépose sur la table un gâteau tout rond. Dessus est reproduite la cible dans laquelle nous venons de lancer nos mini-fléchettes. En bas de celle-ci, le prénom de mon copain est inscrit en lettres de sucre. Un cercle de bougies et de mini-fléchettes complète la décoration.

— Waouh ! nous exclamons-nous en chœur.Même Fossile, le chien d’Anatole, s’est

approché pour voir la chose. J’ai rarement vu

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Chez AnAtoleBONS BECS

un gâteau d’anniversaire aussi beau. Mais je ne suis pas complètement étonné : le papa d’Anatole est pâtissier. Faire des gâteaux non seulement bons, mais aussi beaux et joliment décorés, c’est son métier. Je me demande à quoi est celui-ci.

Anatole souffle ses dix bougies d’un coup, nous l’applaudissons, et sa maman coupe le gâteau en larges parts après avoir mis de côté les bougies encore tièdes et les mini-fléchettes. Le couteau dans une main, la pelle à tarte dans l’autre, elle tend le premier morceau à son fils.

— Anatole, je commence par toi !Du chocolat. Flûte ! Noir, blanc et au lait,

vu la couleur des couches qui composent le gâteau. Et, à tous les coups, la cible du dessus n’est rien d’autre qu’une plaque de chocolat, elle aussi.

C’est moi que la maman d’Anatole désigne ensuite :

— Thomas, ton assiette !

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BONS BECS

— Euh… non merci. Je n’aime pas trop le chocolat.

J’ai bien pensé à donner discrètement mon morceau à Fossile, mais le chocolat noir est dangereux pour les chiens, et autant ne pas priver les copains qui adorent ça.

— Ah, dommage ! Tu voudrais que j’aille te chercher une banane ? Ou un yaourt ? Je n’ai pas grand-chose d’autre…

J’ai beau avoir enlevé ma cagoule, j’ai l’im-pression que ma gorge est toujours prisonnière de la laine. Je réponds à la maman en me grat-tant le cou :

— Ça ira, merci, les bonbons me suffisent.Je me doutais qu’il n’y aurait pas d’autre

gâteau car c’est toujours la même histoire : on ne prévoit rien en remplacement d’un goûter au chocolat. Parce que le chocolat, en principe, tout le monde aime ça. Tous les enfants, en tout cas. Et même certains animaux, comme Fossile ou Astrid, ma tortue.

Je ne connais personne d’autre que moi qui n’aime pas. Autour de la table, je suis le seul à ne pas dévorer le gâteau confectionné par le papa d’Anatole. Ce glouton de Gaspard a déjà quasiment fini son assiette. Les grelots qui ornent son bonnet de fou tintent joyeusement à chacun de ses mouvements de tête.

— Désolé, chevalier, dit Anatole en dépo-sant dans mon assiette les deux A en sucre de son prénom.

J’avais raison, pour la cible : 100 % chocolat croquant.

— Pas grave, je n’ai pas vraiment faim, tu sais.C’est la vérité. Avec tous les bonbons que nous

avons avalés depuis le début de l’après-midi, j’ai déjà l’estomac bien rempli. Et puis, il ne faut pas que je sois trop lourd si je veux tenter de battre Anatole aux mini-fléchettes tout à l’heure…

Tandis que les visages réunis autour de la table se parent de moustaches chocolatées, je croque dans un A en sucre. Je suis sûr que c’est le meilleur morceau de ce gâteau !

Chez AnAtole

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CHAPITRE 2Chez Thomas

C’est samedi, et je tourne en rond. Anatole est parti à la campagne avec Fossile.

Gaspard fait des courses avec ses parents.Ma petite sœur Juliette joue dans sa chambre. Astrid est en plein dans son activité favo-

rite : la sieste.Papa s’occupe sur la terrasse.Quant à maman, elle est à l’usine pour une

de ses exceptionnelles réunions du samedi – « exceptionnelles », façon de parler d’ailleurs, puisqu’elles ont lieu presque toutes les semaines.

J’ai même fini mes devoirs.Alors je tourne en rond.Je finis par m’allonger sur mon lit et regarde

le plafond.

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Chez thomAsBONS BECS

Juliette entre soudain dans la pièce.— Tu veux pas mettre ton costume d’arro-

soir, qu’on joue à la pousse des tomates ?Le dernier carnaval de l’école avait pour

thème « le jardin ». Les enfants sont arri-vés dans la cour parée de végétaux dégui-sés en arbres, en fleurs ou en jardiniers : il y avait des marguerites et des roses, des jardi-niers en tablier vert, et au moins dix sapins. Quelques originaux étaient en carotte. Moi, mamie m’avait fait un inoubliable costume d’arrosoir. Et pour Juliette, une combinaison verte surmontée d’une collerette d’où partent des tomates de tailles diverses – qu’elle porte en ce moment même. Car, depuis le carnaval, c’est son jeu préféré : je fais l’arrosoir, et elle se déplie petit à petit avant de se mettre à dan-ser et à faire valser les tomates de sa collerette, de préférence devant du public (Astrid a vu le spectacle au moins dix fois). Parfois, je dis oui, mais aujourd’hui je n’ai pas envie.

— Bof.Ma sœur s’en va, déçue.C’est au tour de papa de faire irruption.— Tu t’ennuies ? me demande-t-il.— Un peu.— Pourquoi tu ne t’entraînerais pas à jongler

avant que je t’emmène à ton cours, tout à l’heure ?Tous les samedis après-midi, je vais à mon

cours de jonglage. Nous utilisons des balles, des anneaux, des foulards et parfois des mas-sues. Les plus grands jonglent aussi avec un bâton de feu et des assiettes chinoises.

Pour que je puisse m’entraîner à la maison, papa et maman m’ont offert trois balles : elles sont en cuir vert, rouge et jaune, et emplies de sable.

Je demande :— C’est toi qui m’emmènes ? Maman avait

dit qu’elle le ferait.— Je crains que sa réunion ne soit pas ter-

minée à temps. Mais ça ne change rien.

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BONS BECS Chez thomAs

L’important, c’est que l’un de nous t’y conduise ! Alors, tu ne veux pas t’entraîner un peu ?

Je regarde mes balles posées sur ma table de nuit et j’attrape la jaune. Je la presse un peu, le sable crisse, je la lance en l’air. Mais c’est difficile de lancer droit quand on est allongé. La balle part de travers et atterrit sur mon bureau en faisant un bruit sourd. Elle vient heurter mon pot de crayons de couleur. Le pot roule, entraînant avec lui la balle, et tous les crayons se retrouvent par terre. Papa observe le spectacle, amusé.

— Quelle précision ! Tu es doué, applaudit-il.— Je n’ai pas fait exprès. De toute façon,

elles commencent à s’user, à force, mes balles.Ce qui est vrai.Mais ce n’est pas le problème.Aujourd’hui, je n’ai envie de rien. C’est

comme ça.

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CHAPITRE 3Chez mamie

— Quels parfums, vos glaces, mes ché-ris ? Fraise ? Chocolat ? Une boule de chaque ? demande mamie.

Ma grand-mère fabrique ses vêtements elle-même. Aujourd’hui, elle porte une longue robe sur laquelle sont cousues de grosses fleurs de laine de toutes les couleurs. Avec ses lunettes aux verres teintés de bleu, le mélange est explosif. Elle tricote aussi des vêtements pour papi, comme ce gilet qu’il arbore cet après-midi, décoré d’un chien marron dont les oreilles pendent à la place des poches de devant, et dont la queue se balance dans le dos. Ce chien me fait penser à Fossile. Mais le chien d’Anatole, papi ne le connaît pas.

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Chez mAmieBONS BECS

Je me demande si mamie lui laisse le choix de s’habiller comme il l’entend.

— Une de chaque ! s’exclame Juliette.Ma sœur adore manger chez mes grands-

parents. Ça tombe bien : ils habitent la maison en face de la nôtre. Enfin, c’est nous qui avons emménagé dans la maison en face de la leur. Ils habitent ici depuis plus longtemps que nous.

— La même chose que Juliette, commente papa.

Je réponds à mamie :— Double fraise pour moi. Tu sais bien que

je n’aime pas le chocolat.— Oh, je sais surtout que tu en mangeais

beaucoup à un moment donné, commente ma grand-mère en allant explorer son congélateur.

J’adore ma mamie, mais parfois elle perd un peu la boule. Je mangeais beaucoup de cho-colat à un moment donné, moi ? Ça m’éton-nerait bien, puisque je n’aime pas ça… Mamie revient avec un plateau garni de cinq coupes :

fraise-chocolat pour Juliette et pour papa, double chocolat pour papi (à qui elle n’a pas demandé son avis tant elle connaît ses goûts par cœur), double fraise pour elle et pour moi. Sur chaque dessert il y a un supplément chan-tilly, et une cigarette russe est plantée dans la crème. Je plonge ma cuillère à long manche dans ma coupe et je ferme les yeux. Vous vous imaginez la fraise la plus goûteuse que la terre ait jamais fait pousser, son parfum entêtant, sa saveur puissante ? Eh bien, si vous multipliez cette saveur par mille, vous serez encore en dessous du goût du sorbet que fait ma mamie avec les fraises de son jardin.

Après le déjeuner, je vais passer un peu de temps à l’étage, dans la bibliothèque, pendant que papa discute avec papi et mamie, et que Juliette part fouiller dans le coffre à déguisements. La bibliothèque est ma pièce préférée dans la maison de mes grands-parents : de part et d’autre de la porte, les murs

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Chez mAmieBONS BECS

sont tapissés de livres. Il y a des rayonnages du sol au plafond ! Garnis de romans compliqués et d’ouvrages de voyages, de bandes dessinées et de livres de photos, d’albums en tous genres et de lectures pour enfants de tous âges… Une échelle permet d’accéder aux volumes placés sur les étagères les plus hautes.

Le mur d’en face ressemble quant à lui à une exposition : sur toute la hauteur s’affichent des cadres dans lesquels la vie familiale se raconte dans le désordre. J’ai deux oncles, deux tantes et six cousins, ce qui fait un paquet de mariages, de naissances, de voyages et d’anni-versaires à encadrer. Sans parler des innom-brables soirées déguisements et des péripéties d’Astrid !

Il n’y a pas de fenêtre dans cette pièce. Seule une ouverture dans le plafond permet de ne pas allumer à certaines heures de la journée. On appelle ça un puits de lumière, m’a dit papi. Il m’a aussi expliqué que la lumière du soleil

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Chez mAmieBONS BECS

abîme les photos, mais surtout les livres : elle décolore les tranches, fane les couleurs et fait vieillir les ouvrages plus vite. Au milieu, sur la table carrée où l’on peut poser sa sélection tranquillement (et où papi joue souvent aux cartes avec trois camarades), une vraie lampe de bibliothèque permet de lire ce qu’on veut sans se fatiguer les yeux.

Comme d’habitude, je choisis la banquette installée contre le mur, à côté de la porte, et, après avoir tiré d’une étagère basse une vieille édition de Tintin en Amérique, je m’y allonge comme j’aime tant le faire. J’adore lire ces édi-tions anciennes et m’amuser à repérer les dif-férences avec les plus récentes, que j’ai à la maison. Quand ses albums ont été réédités, Hergé a changé de nombreux détails et redes-siné plein de choses pour s’adapter à l’époque. Je fais de nouvelles découvertes à chaque fois.

Que ferait le dessinateur aujourd’hui s’il était toujours en vie ? Est-ce qu’il glisserait dans ses

histoires des ordinateurs avec accès à Internet, des téléphones portables, des baladeurs mp3, des oreillettes, des vélos électriques ? Mais alors il faudrait qu’il revoie aussi les scénarios, car Tintin se déplacerait différemment, avan-cerait plus vite dans ses enquêtes…

Je lève la tête de l’ouvrage pour mieux réfléchir.Et là, dans la masse de photos encadrées

accrochées en face de moi, à la septième posi-tion en partant du haut et à la troisième en partant du mur de gauche, je la vois.

La photo qui confirme les dires de mamie. La photo qui balaie d’un revers de main toutes mes certitudes. La photo qui prouve que j’ai déjà mangé du chocolat, et que j’ai aimé ça.

Je suis assis sur un banc avec Juliette, au bord de la mer. Nous tenons chacun à la main un cornet et rions aux éclats. Ce qui nous fait rire ? Les moustaches que nous avons l’un et l’autre entre le nez et la bouche – à vrai dire plus proches du maquillage d’un clown au

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BONS BECS

cirque que des poils gris qu’a papi au-dessus de la lèvre supérieure. Le pourtour de la bouche de Juliette est aussi blanc que la glace qu’elle mange – je soupçonne fortement qu’il s’agisse de vanille – tandis que, moi, j’ai les lèvres, un peu des joues et même le bout du nez colorés de… marron. De toute évidence, la glace que j’ai choisie ce jour-là était au chocolat.

Ça alors…

CHAPITRE 4Chez Anatole

Je passe le week-end chez mon meilleur copain. On a un programme chargé. Cet après-midi, c’était tournoi de fléchettes avec le jeu qu’Anatole a reçu pour son anniversaire, puis hurlements de rire en regardant les photos prises ce jour-là : Gaspard qui triche aux fléchettes, Anatole qui souffle ses bougies, les copains aux visages barbouillés du chocolat du gâteau, puis Anatole étalé par terre après s’être pris les pieds dans sa cape, quelques combats armés entre chevaliers, Gaspard essayant de jongler avec des bonbons, Fossile portant sur la tête ma cagoule en laine, la photo souvenir de la journée avec neuf chevaliers et un bouffon…

Demain, on ira promener Fossile dans la

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Chez AnAtoleBONS BECS

forêt. Et, pour ce soir, on a prévu un concours d’ombres chinoises à la lampe de poche. Mais pour l’instant on dîne. J’ai pris deux fois des nouilles chinoises aux crevettes, Anatole a été plus raisonnable. Et pour le dessert, son pâtis-sier de papa a fait des profiteroles.

— Qui ne seraient pas de vraies profiteroles sans leur sauce au chocolat ! déclare la maman d’Anatole en remuant le liquide brun et épais qui emplit le grand bol qu’elle vient d’apporter. Tout le monde en prend ?

Je m’exclame :— Pas moi, je n’aime pas le chocolat !— Ah oui, c’est vrai, se souvient la maman

d’Anatole. Tu n’avais pas goûté au gâteau-cible pour l’anniversaire d’Ana !

Anatole grimace, comme chaque fois que sa mère le désigne par ce diminutif ridicule. Au pied de la table, Fossile lèche ses énormes babines.

— Comment ça, tu n’aimes pas le chocolat ? s’étonne le papa de mon copain. C’est bien la

première fois que j’entends un enfant dire ça. Tu as déjà goûté, au moins ?

— Oui, bien sûr. J’en mangeais quand j’étais petit. Je crois même que j’aimais ça, ajouté-je en repensant à la photo affichée au mur chez papi et mamie, et aux paroles de ma grand-mère. Mais voilà, depuis que j’ai grandi, je n’aime plus.

— Et pourquoi ?Quelle drôle de question ! Sait-on pourquoi

on aime ou on n’aime pas les choses ? Ça ne se décide pas !

— Je ne sais pas. C’est comme ça. — Mais depuis quand précisément as-tu

cessé d’aimer ça ? C’est tout de même étrange… insiste le papâtissier d’Anatole.

Je réfléchis. Quand est-ce que j’ai cessé d’ai-mer le chocolat ? Je ne vois pas comment je pourrais m’en souvenir puisque je ne me rap-pelais même pas en avoir mangé avec plaisir avant de voir cette photo…

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Chez AnAtoleBONS BECS

Pourtant cette photo, justement, je crois savoir de quand elle date. Cet été, ce banc, cette mer à l’arrière-plan, c’était en vacances à la mer, l’an-née de mes six ans. Des super vacances, à sauter dans les vagues, à construire dans le sable d’im-menses forteresses que la marée nettoyait dès que nous avions le dos tourné et à manger des cornets achetés au glacier ambulant. Du bon-heur 100 % pur sucre. Et je crois bien que c’est précisément à partir de ces vacances-là que tout a commencé à changer. À la rentrée, je suis arrivé dans une nouvelle maison, dans une nouvelle école, dans une nouvelle ville, je ne connaissais plus personne, j’avais laissé tous mes copains en déménageant, et plus rien n’a été comme avant. Des copains, il a fallu un moment avant que je m’en fasse de nouveaux. C’est d’ailleurs pour ça que papa et maman m’ont offert Astrid : pour que je me sente moins seul. Une tortue en atten-dant d’avoir des amis. Heureusement, j’ai fini par rencontrer Anatole, Gaspard et toute la bande.

Comme tout était bouleversé, c’est sûrement à ce moment-là aussi que j’ai cessé d’aimer le chocolat. Et que j’ai arrêté d’en manger.

Je finis par répondre au père d’Anatole :— Depuis l’entrée au CP, je pense.— Depuis qu’on se connaît, alors ! fait

remarquer Anatole.— Alors que toi, justement, tu adores ça, dit

la mère d’Anatole à son fils.— Qu’est-ce qui s’est passé à ton entrée au

CP ? demande encore le papa de mon pote.Ça, c’est bien un pâtissier ! Même quand

il ne travaille pas, il cherche absolument à convaincre les gens de manger du chocolat…

— Tu n’étais pas avec Anatole en maternelle, souligne sa maman.

— Non. On a déménagé l’été d’avant le CP parce que maman a trouvé un nouveau travail ici.

— Et ça t’a plu, de déménager ? interroge le papa d’Anatole.

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Chez AnAtoleBONS BECS

Il en pose, des questions ! On dirait un ins-pecteur de police. C’est si grave de ne pas man-ger de chocolat ?

— Pas tellement… J’aimais beaucoup ma chambre, dans mon ancienne maison, et le reste aussi… Surtout, je voyais beaucoup plus maman. Depuis qu’elle a ce travail, elle a bien moins de temps. J’ai Astrid, mais ce n’est pas la même chose.

— Que fait-elle, comme travail, ta maman ? questionne celle d’Anatole.

— Elle est chef du personnel dans une usine. C’est un travail important ! réponds-je fièrement.

J’attrape mon verre et je bois une gorgée d’eau. J’ai soudain un goût bizarre dans la bouche. Un goût qui n’a rien à voir avec les nouilles aux crevettes, ni avec la profiterole dont je viens de manger une bouchée.

Le travail de maman est tellement important qu’elle part tôt le matin, rentre souvent tard le

soir – et il y a les réunions exceptionnelles du samedi.

— Et qu’est-ce qu’on y fait, dans l’usine de ta maman ?

Cette fois, c’est Anatole qui me pose la ques-tion. Je croyais le lui avoir dit. Mais peut-être pas, en fait ; le travail de maman, je n’en parle presque jamais. Quand je prononce le mot « usine », je ne précise pas usine de quoi.

— Du chocolat. Elle travaille pour les chocolats Caraïbes.

Trois paires d’yeux aussi grands et immo-biles que des œufs de Pâques remplis de pois-sons, de lapins et de petits œufs à la liqueur se posent sur moi. Ils ne connaissent pas ou quoi ? Pas possible…

— Vous savez, la marque qui a pour emblème une tortue… précisé-je en ayant une pensée pour Astrid.

— Bien sûr, tout le monde connaît les cho-colats Caraïbes, confirme la maman d’Anatole.

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BONS BECS Chez AnAtole

Évidemment ! Les incontournables chocolats Caraïbes, leurs tablettes sur lesquelles la célèbre tortue, plus grosse qu’Astrid, mais bien moins élégante, pose sous tous les angles comme un mannequin, les tablettes que les enfants collec-tionnent pour les images de tortues exotiques glissées dans l’emballage, leur chocolat en poudre pour le petit déjeuner, leur Neige Caraïbe au cho-colat blanc, leur Amour de Caraïbe au chocolat au lait, leur Petit Caraïbe au praliné, leur Caraïbe extra au chocolat noir super fort, leur Caraïbococo à la noix de coco, leur Caraïbocaramel, leur Caraïbonoisette, leurs Rochers des Caraïbes, et bien d’autres recettes à base de cacao…

— J’utilise leurs produits à la pâtisserie, pré-cise le papa d’Anatole.

— J’adore le Caraïbonougat ! ajoute mon copain.

Même Fossile aboie. Incontournables, disais-je…

— Ce n’est pas du Caraïbes, mais est-ce que

tu veux goûter celui que je fais moi ? me pro-pose le papa d’Anatole.

Il dépose un petit peu de sauce brune sur le bord de mon assiette en faisant bien attention à ce qu’elle ne touche pas les profiteroles.

Je ne réponds rien et je trempe le bout de ma cuillère dans la sauce.

— C’est le meilleur chocolat du monde ! s’exclame Anatole.

— C’est pour ça que tout ce qui est au cho-colat marche aussi bien, à la pâtisserie, com-mente sa maman.

Plus personne ne mange. Ils sont tous les trois tournés vers moi, les yeux-œufs toujours grands ouverts. Ils semblent décidés à ne pas bouger tant que je n’aurai pas essayé. Je n’ai pas le choix.

Je porte la cuillère à mes lèvres et je goûte.Hum.Ça n’est pas si atroce.C’est même… À vrai dire, je crois bien que j’aime encore ça.

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BONS BECS

CHAPITRE 5Chez Thomas

— Qu’est-ce qui ne va pas, Thomas ?Après le dîner, je monte m’allonger sur mon

lit. Maman avait promis qu’elle viendrait me chercher au jonglage et elle ne l’a pas fait. C’est le visage de papa que j’ai vu en sortant de la salle ce samedi. Une fois de plus.

— Tu avais dit que tu viendrais voir mes progrès ! lui rappelé-je.

— Oui, je sais, mais j’ai beaucoup de travail en ce moment, explique maman.

Je me fiche de ses excuses. Je m’énerve :— C’est chaque fois la même chose… On dirait

que tu aimes ton travail plus que moi.— Thomas ! Ne dis pas n’importe quoi. J’aime

mon travail, en effet, mais pas plus que notre

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Chez thomAsBONS BECS

famille. Et tu sais, si je travaille beaucoup, c’est aussi pour que je puisse par exemple t’offrir… de nouvelles balles de jonglage ! Qu’en penses-tu ? Papa m’a dit que les tiennes commençaient à être usées. Ça te ferait plaisir d’en avoir des neuves ?

Je me redresse pour m’asseoir à côté de maman.

— Tu sais ce qui me ferait encore plus plaisir que des nouvelles balles ? lui demandé-je.

— Non, dis-moi. Des massues ? Un lot d’an-neaux ?

— Que ce soit toi qui viennes toujours me chercher au jonglage. Et même que tu m’y conduises de temps en temps. Voilà ce que j’ai-merais vraiment.

Maman me regarde longuement sans rien dire. Puis elle me serre contre elle et dépose un bisou en plein milieu de mon front.

Je poursuis :— Et puis aussi… Je crois que j’aimerais bien

voir l’endroit où tu travailles. Découvrir l’usine,

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BONS BECS Chez thomAs

ton bureau… pour mieux imaginer ce que tu fais quand tu n’es pas avec nous.

— Mais il flotte dans toute l’usine un très fort parfum de chocolat, et tu détestes ça !

— Je ferai un effort, je me pincerai le nez !Maman réfléchit en se grattant l’oreille.— Que dirais-tu de m’accompagner mer-

credi prochain ?Mercredi prochain, Gaspard a proposé que je

vienne chez lui avec Anatole, et qu’on joue aux petits escargots (c’est l’inverse du jeu des petits chevaux : il faut avancer le plus lentement possible). Je pourrai toujours y aller le mer-credi d’après. Parce que j’ai très, très envie de visiter l’usine de maman. C’est devenu urgent.

— D’accord pour mercredi.Maman lève la main, et je tape dedans.— Nom d’une grue, marché conclu !

chantons-nous en chœur.Maman m’embrasse encore, sur la joue cette

fois.

— Tu ne veux pas tout de même me montrer tes progrès en jonglage ? me demande-t-elle.

— D’accord.Je me lève et j’attrape mes trois balles un

peu usées. Deux balles dans la main droite, une balle dans la main gauche, et je me lance. Les trois balles montent de plus en plus haut. Maman applaudit.

— Bravo !Je me garde bien de dire à maman que c’est

moins difficile quand les balles sont un peu râpées. Si le cuir est trop neuf, ça glisse. Chut…

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CHAPITRE 6À l’usine

C’est un gros bloc marron entouré d’un par-king. De loin, on pourrait croire qu’on a posé un chocolat géant au milieu de voitures minia-tures. Maman passe un badge devant un boî-tier, et les portes s’ouvrent. Dans l’entrée, une fausse tortue géante, environ cent fois plus grosse qu’Astrid, sourit aux visiteurs.

— Figure-toi que cette tortue n’a pas eu de nom pendant très longtemps, me raconte maman. Et puis, l’an dernier, on a lancé un sondage dans l’usine pour la baptiser. J’avais suggéré « Astrid », et c’est ma proposition qui a eu le plus de voix !

— Donc, cette tortue-là s’appelle Astrid ? Comme la mienne ?

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à l’usineBONS BECS

— Tout à fait ! dit maman en me faisant un clin d’œil.

Ça alors ! La tortue des chocolats Caraïbes, celle que l’on voit sur tous les emballages, que tout le monde connaît, porte le même nom que la mienne. Et personne ou presque ne le sait.

Maman me conduit à son bureau. En che-min, elle me présente à tous les gens que l’on croise en annonçant fièrement :

— Voici Thomas, mon fils !Les gens répondent en disant des choses

agréables, que je suis un beau jeune homme, que c’est gentil à moi de leur rendre visite, que maman doit être contente d’avoir un fils comme moi.

Moi aussi, je suis fier.Tous les gens connaissent maman et

l’appellent par son prénom. Ça me fait bizarre. Parfois, j’oublie que maman se prénomme Carole.

Maman me présente à sa collègue Sylvie,

qui partage son bureau. À côté de l’ordinateur, je vois une photo de Juliette et moi déguisés en plant de tomates et en arrosoir. Ça me fait drô-lement plaisir de savoir que maman voit nos visages tout au long de la journée.

— Prêt pour la visite ? me demande-t-elle après avoir accroché nos manteaux derrière la porte.

Je hoche la tête.— Alors c’est parti !Nous retraversons le couloir et franchissons

une mystérieuse porte à hublot. De l’autre côté, c’est un vestiaire.

— Déguisement obligatoire, m’annonce maman.

Nous enfilons chacun une blouse avant de glisser nos chaussures dans des petits chaus-sons en tissu blanc.

— Et une charlotte sur la tête ! Ici, on fabrique des produits que les gens vont manger, alors on ne plaisante pas avec l’hygiène.

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à l’usineBONS BECS

Lorsque nous sommes équipés, maman pousse une deuxième porte à hublot. Nous y sommes ! Devant nous, ça s’agite dans tous les sens. Sans compter le bruit ! Un vacarme d’ap-pareils en mouvement, les voix des hommes qui les surveillent, parlant fort pour se faire entendre malgré le fracas… Ils nous adressent des signes de la main.

Maman m’explique les différentes étapes de la fabrication du chocolat. D’abord, la torréfac-tion. Un énorme tuyau crache à toute vitesse des milliers de fèves de cacao qui atterrissent dans un grand récipient avec une hélice.

— Les fèves sont brassées dans le tambour, puis elles partent dans le casse-cacao où elles sont concassées.

Maman s’approche de l’étonnante machine et récupère dans sa paume un peu de cette pluie marron. Elle tend la main vers moi. J’observe les éclats de fèves irréguliers.

— Les fèves ont été débarrassées de leur

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à l’usineBONS BECS

peau. Elles sont prêtes à être broyées.Elle m’entraîne vers l’appareil suivant d’où

sort, d’un tuyau carré cette fois, une étonnante pâte épaisse et très brune, pleine de grumeaux. Je plisse le nez. L’odeur est très forte, maman m’avait prévenu. Mais je ne me bouche pas les narines, au contraire, je me lèche les babines. C’est fascinant de découvrir ce qu’on arrive à fabriquer à partir de petits grains qu’on pour-rait prendre pour d’inutiles pépins. Et ça com-mence à sentir vraiment bon…

— Le mélange broyé est ensuite pétri dans…— … le pétrin ! m’exclamé-je en me souve-

nant de la visite de la boulangerie-pâtisserie du papa d’Anatole que nous avons faite l’an-née dernière avec l’école, et dont nous sommes repartis avec des baguettes que nous avions nous-mêmes fabriquées.

— Exactement. On obtient ainsi une pâte homogène, et ce qui sort là-bas, c’est déjà du chocolat.

« Là-bas », c’est l’endroit où se déverse une poudre fine, à la sortie d’un parcours de gros cylindres entre lesquels passe le mélange pétri.

— Ensuite, on mélange… continue maman en m’emmenant devant une machine dont on peut apercevoir, au travers d’une vitre, les hélices qui brassent la belle pâte brune. Viens voir ici !

Sur le côté de la machine, une sorte de gros robinet crache un jet continu de chocolat. C’est tellement appétissant que je songe un instant à glisser ma tête dessous pour boire directement…

— Il est temps de mettre tout ça en forme !Un peu plus loin, des jets plus petits rem-

plissent des moules en cadence. Je reconnais l’apparence des tablettes, des fausses pièces en chocolat, des carrés de chocolat individuels, tous creusés de la silhouette de la célèbre tor-tue… Il y a des rangées de chocolat noir, d’autres de chocolat au lait, d’autres encore de choco-lat blanc… Un conduit souffle de la poudre de

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BONS BECS à l’usine

coco, un autre verse du caramel, un troisième sème des éclats de nougat… Quel spectacle incroyable !

— Et enfin, c’est l’emballage. C’est à cette dernière étape que les images de tortues sont glissées dans les tablettes.

Les feuilles d’aluminium sont pliées auto-matiquement par un bras articulé, les papiers colorés aussi, les pièces en chocolat sont réu-nies dans des petits filets dorés, les carrés enfermés dans des boîtes en carton, les rochers empilés dans des cloches transparentes… Je suis fasciné.

Et, au bout de la chaîne, je découvre un grand bac plein de morceaux de chocolat de toutes les tailles, de toutes les formes et de toutes les couleurs…

— Dommage que tu n’aimes pas ça, sinon tu pourrais goûter, me dit maman.

Je suis surpris.— Mais ce ne sont pas des chocolats que

vous devez vendre ?— Ceux que l’on vend partent par cette porte

que tu vois là-bas. Les chocolats que tu vois ici, ce sont les ratés.

Et des ratés, il y en a beaucoup. Enfin, moins que des réussis, mais quand même…

— Vous avez le droit d’en manger toute la journée, alors ?

— Oui, mais on ne le fait pas, sinon, à force, on aurait mal au ventre. En revanche, les visi-teurs n’hésitent pas à se servir. Enfin, ceux qui aiment le chocolat, bien entendu.

Je n’ai pas dit à maman que j’avais goûté au chocolat du papa d’Anatole. Je m’approche du bac. Je profite d’un instant où maman a le dos tourné pour attraper un morceau marron clair et me le fourrer dans la bouche.

C’est mille fois meilleur que le chocolat du père de mon meilleur copain.

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CHAPITRE 7Chez mamie

— La famille au complet ! s’exclame mamie en nous voyant débarquer. Entrez donc.

C’est samedi, et aujourd’hui maman n’a pas de réunion à l’usine, alors c’est tous les quatre que nous avons traversé la rue pour aller rendre visite à mes grands-parents.

— Ça devrait arriver de plus en plus souvent, annonce papa fièrement.

— Tant mieux ! applaudit mamie. Et pour-quoi ça ? demande-t-elle en s’adressant à papa, puis en se tournant vers maman. Il y a du changement, à l’usine ?

— Les réunions du samedi sont devenues des réunions du vendredi, explique maman. Je n’y suis pas pour rien.

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Chez mAmieBONS BECS

Elle me fait un discret clin d’œil. — Et si j’ai vraiment trop de travail, désor-

mais je préfère rapporter un dossier ou deux à la maison plutôt que de rester enfermée au bureau. Ça me permet de passer plus de temps avec les enfants, ajoute-t-elle en me regardant.

— Et avec moi, non ? interroge papa, fausse-ment inquiet.

— C’est maman qui m’emmènera au poney, maintenant, dit Juliette triomphalement tandis qu’elle dessine des formes abstraites dans les airs avec sa baguette magique.

Elle est venue avec le déguisement de fée bleue que mamie lui a offert il y a peu de temps. Je me suis déjà pris deux fois les pieds dans l’interminable traîne de son chapeau pointu.

— Et c’est aussi maman qui me conduira au jonglage, ajouté-je.

— Bravo, bravo ! sourit papi. Bon, qu’est-ce qu’on mange ?

Il porte un gilet orné de canards dont les

ailes bougent au moindre mouvement. Ça ne m’étonnerait pas qu’on entende « coin-coin » si on presse sur leur bec.

Mamie nous propose de passer au jardin. Quand elle lève les bras, les rubans cousus à ses manches s’envolent comme des papillons colorés. Elle file à la cuisine préparer un pla-teau avec du thé et des meringues tout juste sorties du four. Je la suis pour l’aider.

— J’ai pensé à toi en préparant les merin-gues, Thomas, dit-elle. J’ai failli faire des bis-cuits au chocolat ! Heureusement que je me suis reprise à temps, tu n’aurais rien eu à gri-gnoter…

Parfois, ma mamie perd un peu la boule, et parfois aussi elle démontre que sa mémoire est excellente. Sauf que les choses peuvent changer. Comme Tintin, je peux m’adapter à l’époque.

— Tu sais quoi ? lui réponds-je. Moi aussi j’ai cuisiné quelque chose…

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Chez mAmieBONS BECS

Je sors de son sac en papier, puis de son emballage en aluminium, le gâteau que maman et moi avons préparé ce matin pour ce goûter. C’est maman qui a proposé de faire le gâteau, et moi qui ai choisi les ingrédients. Et devinez pour quel parfum j’ai opté ?

En revenant de l’usine, j’ai confié à maman que j’étais heureux de savoir ce qu’elle faisait et qui elle était au travail. Et je lui ai avoué que, si le chocolat n’était plus un obstacle entre elle et moi, alors je pouvais me remettre à aimer ça… à condition qu’elle me parle de temps en temps de ce qui se passe à l’usine !

Maman a promis de faire plus de choses avec moi. Et ça a commencé par cet atelier pâtisse-rie ! Nous avons suivi la recette, et j’ai léché le fond du moule. Un régal ! Et je ne vous parle pas de l’odeur qui a envahi la cuisine quand on a mis le plat au four…

— Tiens donc ! s’étonne mamie en obser-vant le gâteau marron, puis en me dévisageant

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par-dessus ses lunettes aux verres teintés de bleu. Tu as décidé d’aimer à nouveau le cho-colat ? J’aurais pu faire mes biscuits alors ! Ce sera pour la prochaine fois.

Je ne réponds rien et j’embrasse ma grand-mère sur la joue. Tout à l’heure, je lui raconte-rai le super bon moment qu’on a passé dans la cuisine ce matin, maman et moi. Je lui racon-terai aussi ma visite à l’usine, les rêves d’Astrid tombant dans un bac plein de pâte brune que je fais depuis, et je lui parlerai des machines à cacao que je m’entraîne à dessiner entre deux entraînements de jonglage. Je lui dirai égale-ment comment s’appelle la tortue de la marque Caraïbes. Elle n’en reviendra pas, de tout ça.

J’attrape le plateau et je fais un deuxième bisou à mamie. J’en profite, avant d’avoir les lèvres toutes chocolatées.

Faim Fin

Mémentoà croquer

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Le chocolat : où ?L’entreprise de chocolat pour laquelle

travaille la maman de Thomas s’appelle Caraïbes. Destination touristique paradi-siaque, les îles Caraïbes sont aussi connues pour l’activité de culture du cacaoyer, cet arbre tropical qui ne pousse que dans les pays où le climat est chaud et humide.

Il existe trois principales variétés de cacaoyers  : le criollo, que l’on trouve notam-ment aux îles Caraïbes, dont le cacao, fin et rare, est privilégié par les chocolatiers de luxe ; le forastero, qui assure la majorité de la production mondiale de fèves ; et le trinitario, issu du mélange des deux autres variétés.

Le cacao a été découvert au Mexique. Actuellement, le premier pays producteur de cacao est la Côte d’Ivoire, qui fournit plus d’un tiers du cacao mondial. Viennent ensuite le Ghana, l’Indonésie, le Brésil…

Le chocolat : quand ?L’histoire du chocolat trouve son origine

au xviiie siècle av. J.-C. en Amérique centrale. À  l’époque de la civilisation précolombienne, les fèves de cacao sont utilisées comme mon-naie. Ce principe d’échange dure longtemps  : chez les Aztèques, au xiiie siècle, une dinde coûte cent fèves.

Mais, depuis les Mayas, on boit aussi le cacao en le mélangeant à de l’eau avant de le faire chauffer et de fouetter le tout avec un peu de piment : le chocolat est né ! Il est pour l’instant réservé aux nobles et aux cérémonies religieuses.

Les conquérants européens découvrent le chocolat en même temps que l’Amérique. Christophe Colomb est le premier à le goûter. C’est bien trop amer pour lui  ! Il jette par-dessus bord les fèves que les indigènes lui ont offertes. Un autre explorateur, Hernán Cortés,

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aurait rapporté des fèves à la cour d’Espagne vers 1528. La découverte de la canne à sucre permet d’adoucir le goût de la boisson, bientôt largement adoptée par le clergé et la noblesse.

Il faut attendre la révolution industrielle pour que le peuple accède au chocolat…

Le chocolat : qui ?En 1828, le Hollandais Coenraad Johannes

van Houten, chimiste et fils de chocolatier, parvient à séparer le beurre de cacao de la pou-dre : il vient d’inventer le chocolat en poudre. Sa trouvaille conquiert l’Europe, puis les États-Unis. À la même époque, les Suisses Philippe Suchard et Rudolf Lindt fondent leurs usines de chocolat. En France, c’est Victor-Auguste Poulain qui popularise le chocolat en poudre.

Si les Espagnols ont été les premiers Eu-ropéens à déguster du chocolat, les Allemands en sont aujourd’hui les plus gourmands, avec

plus de 12  kilos consommés par habitant et par an ; les Français en mangent moitié moins (6 kilos tout de même !).

Bouchées, tablettes, œufs, barres, crèmes, bonbons… Le chocolat se dévore dans des formes variées et tout au long de l’année, même si les Français en achètent plus encore à Noël et à Pâques.

Le chocolat : comment ?La récolte

Les fèves sont le plus souvent cultivées dans de petites exploitations familiales. On récolte les cabosses lorsqu’elles sont mûres. Il faut alors les ouvrir afin d’en extraire les fèves (on appelle ça l’écabossage). On trouve entre 20 et 80 fèves à l’intérieur d’une cabosse.

La fermentationLes fèves sont regroupées dans des caisses de bois ou sur des feuilles de bananier, et

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brassées pour en diminuer l’amertume et libérer les précurseurs d’arôme. Cette étape nécessite un savoir-faire dont dépendra la saveur du chocolat.

Le séchageLes fèves sèchent au soleil pendant plusieurs semaines, ce qui stoppe la fermentation. Les fèves sont régulièrement brassées afin d’empêcher toute moisissure de se former. Le producteur les met ensuite en sac pour les vendre.

Le concassageLes fèves achetées par le chocolatier sont triées et décortiquées. Ce qui reste, une fois enlevés la coque et le germe, est réduit en grains très fins.

La torréfactionOn nettoie les grains avant de les faire griller pendant une demi-heure environ.

Le broyage et le pressageBroyés, les grains donnent une pâte liquide : la « masse de cacao ». En pressant cette pâte, on obtient le beurre de cacao.

Le malaxage À la pâte de cacao sont ajoutées les matières premières nécessaires : sucre, lait en poudre… Le tout est de nouveau broyé pour que la pâte retrouve son homogénéité.

Le conchage et le tempérageAfin de devenir parfaitement onctueuse, la pâte est brassée à 80 °C pendant plusieurs heures dans des cuves rotatives (les conches), puis successivement refroidie et de nouveau chauffée à 32 °C pour cristalliser le beurre de cacao.

La recette finaleSelon la recette, on ajoute noisettes, amandes, fruits secs, caramel… et on verse la pâte ainsi enrichie dans les moules. Le chocolat refroidi formera des tablettes.

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1) la récolte des cabosses

2) la fermentation des fèves de cacao

5) après le broyage, le pressage

6) après le malaxage, le conchage, puis le tempérage

3) le séchage

4) après le concassage, la torréfaction

7) le moulage 8) la tablette (prête à être dégustée !)

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Le savais-tu ?

Pour que le consommateur sache ce qu’il croque, la loi impose des teneurs minimales :

— le chocolat noir doit contenir au moins 43 % de cacao ;

— le chocolat au lait doit contenir au moins 25 % de cacao et au moins 14 % de lait en poudre ;

— le chocolat blanc doit contenir au moins 20 % de beurre de cacao… en revanche, il ne contient pas de cacao.

Le chocolat est sensible aux variations de température (sinon il peut blanchir), à l’humidité et aux odeurs extérieures. Il doit être conservé dans un endroit sec et aéré,

idéalement entre 15 et 20 °C.

En 1945, un ingénieur américain du nom de Percy Spencer passe à proximité d’un tube à ondes électromagnétiques alors qu’il a une barre chocolatée dans sa poche. Il sent que celle-ci se met à fondre… et décide d’inventer un appareil qui permettra de réchauffer des

aliments. Ce sera le micro-ondes !

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À ton tour !Les fleurs aussi peuvent se parer de chocolat ! Régale-toi et régale tes amis avec ces roses des sables…Il te faut : • 1 paquet de céréales corn flakes • 1 tablette de chocolat pâtissier • 4 à 5 cuillères à soupe de lait • l’indispensable tablier de petit chef

Étape 1 Casse le chocolat en morceaux et fais-le fondre au micro-ondes ou au bain-marie après y avoir ajouté le lait (fais-toi aider d’un adulte).

Étape 2Verse les corn flakes dans un saladier et ajoute le chocolat fondu. Mélange le tout avec une spatule afin de bien enrober les céréales de chocolat.

Étape 3Forme les roses en assemblant les céréales chocolatées en petits tas serrés.

Étape 4Dispose les roses sur une plaque recouverte de papier cuisson. Laisse-les refroidir une heure ou deux au réfrigérateur ou sur le bord de la fenêtre.

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Pour varier, tu peux utiliser des céréales au riz soufflé plutôt que des corn flakes.

Ces roses sont un plaisir aussi pour les yeux ! Tu peux les décorer de vermicelles colorés (à saupoudrer avant refroidissement), et les présenter dans des petits moules à gâteaux en papier.

Bon appétit !

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Comme à chaque fois, Cléo et son copain Marin sont impatients de découvrir une nouvelle sucrerie chez l’épicier. Sauf que ce n’est pas un bonbon que leur montre le commerçant, mais un étonnant miel de couleur… indigo. Comment est-ce possible ? L’apiculteur lui-même ne semble au courant de rien. Cléo et Marin décident d’enquêter...

Résoudras-tu avec Cléo, le mystère du miel indigo ?

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Reproduit et achevé d’imprimer en novembre 2018,par Perfekt, en Pologne,

pour le compte de Gulf stream éditeur31, rue Alfred-Riom,

44100 Nantes

Dépôt légal 1re édition : avril 2019

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