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"Wilhelm Dilthey:
Der Aufbau der geschichtlichen Welt in den Geisteswissenschaften. III. Allgemeine Stze ber den Zusammenhang der Geisteswissenschaften,
2. Die Struktur der Geisteswissenschaften,
iv. Die geistige Welt als Wirkungszusammenhang,
1,2 und 3; pp.185-196.
(Ldification du monde historique dans les sciences de lesprit. III. Propositions gnrales sur lensemble des sciences de lesprit,
2. La structure des sciences de lesprit,
iv. Le monde spirituel en tant quensemble interactif,
1,2 et 3; pp.105-112.)"
Andr Ourednik
Sminaire dAnalyse de texte
Philosophie, 2e certificat, branche secondaire
UNIL, novembre 2003
lattention de
Prof. Ada Neschke-Hentschke
http://ourednik.info/
1
Table des Matires Introduction ................................................................................................................................ 2
1. Traduction du terme principal ................................................................................................ 4
2. Rsum du texte jusquau point o lanalyse commence ...................................................... 4
2.1. Le cadre gnral .............................................................................................................. 4
2.2. Largument en cours ........................................................................................................ 6
3. Plan, dcoupage du texte et structure logique ........................................................................ 7
4. Analyse et Interprtation ........................................................................................................ 9
4.1. Caractre gnral de lensemble interactif du monde spirituel (Allegemeiner Charakter
des Wirkungszusammenhangs der geistigen Welt) ................................................................ 9
4.1.1. Les productions durables de lensemble interactif ................................................... 9
4.1.2. Le caractre tlologico-immanent des ensembles interactifs: lensemble interactif
en tant que producteur de valeurs ..................................................................................... 10
4.1.3. Les units spirituelles plus vastes de production de valeurs: lhorizon plus ou
moins clos dunits plus ou moins vastes. ........................................................................ 12
4.1.4. Rsum du premier chapitre qui dmontre en quoi ce dveloppement mne une
"histoire objective" Affirmation inversant le processus de comprhension de lhistoire
de Hegel. ........................................................................................................................... 13
4.1.5. Le rle cl de lindividu et de son Lebensverlauf. ................................................. 14
4.1.6. Les Zusammenhnge contenus dans les uvres. ................................................... 14
4.2. Lensemble interactif comme concept fondamental des sciences de lesprit
(Wirkungszusammenhang als Grundbegriff der Geisteswissenschaften) ............................ 14
4.2.1. Flux du monde, constance du concept ................................................................... 15
4.2.2. Opposition Hegel qui se dessine partir de cette position .................................. 16
4.3. La mthode dlaboration des divers ensembles interactifs (Das Verfahren in der
Feststellung von einzelnen Wirkungszusammenhngen) .................................................... 16
4.3.1. Elaboration densembles interactifs laide linduction, de la synthse, de
lanalyse et de la comparaison. ........................................................................................ 16
4.3.2. La diffrence entre les sciences de lesprit et les sciences de la nature fonde dans
cette mthode. Les units vitales du monde historique. ................................................... 18
4.3.3. Rejet du holisme et de latomise: Lunit vitale non retranchable de la dimension
collective de ce qui est humain. Lhumanit comme entit vivante non retranchable de
ses units vitales, donc indtermine. Premire raison de limpossibilit, pour les
sciences de lesprit, dtablir des chanes causales. ......................................................... 19
4.3.4. Systmes homognes des sciences de la nature. Leur absence dans les sciences de
lesprit. Deuxime raison de limpossibilit, pour les sciences de lesprit, dtablir des
chanes causales. Diffrence entre les sciences de la nature et les sciences de lesprit qui
en dcoule. ........................................................................................................................ 20
4.3.5. Frontires mthodologiques des diverses sciences de lesprit qui drivent de cette
diffrence. ......................................................................................................................... 21
5. Conclusion: Critique et Perspectives .................................................................................... 22
Bibliographie ............................................................................................................................ 24
2
Introduction 1Wilhelm Dilthey, fils de pasteur, est n en 1833 Biebrich-Mosbach. Il suit des tudes en
thologie Heidelberg puis Berlin, o il commence sintresser la philosophie,
lhistoire il suit les cours de Ranke et de Trendelenburg et la vie musicale. Entre 1859 et
1879, il publie une srie darticles anonymes sur lhistoire et la philosophie des sciences.
Dans ces annes, il montre un grand intrt pour Schleiermacher, fondateur de ce que
Gadamer appellera plus tard une hermneutique universelle2. Il participe dabord ldition
de ses lettres, qui donnera naissance une publication en 1861 puis en 1863 de "Aus
Schleirmachers Leben in Briefen". En 1864, il publie "De principii ethices Schleiermacheri"
et la version latine de "Das Leben Schleiermachers", publi entre 1867 et 1870. Plus tard, il
participera galement la publication des uvres compltes de cet auteur.
Toujours en 1864, il soutient sa thse dhabilitation intitule "Essai danalyse de la conscience
morale". En 1867, il est nomm professeur lUniversit de Ble quil quitte en 1868 pour
Kiel puis pour Bresslaw. A partir de cette poque, il se consacre ses recherches sur la nature
et les mthodes des sciences de lesprit. En 1882, il reprend la chaire de Lotze Berlin o il
enseignera jusqu sa mort en 1911. En 1883, il publie son "Einleitung in die Geistes-
wissenschaften. Versuch einer Grundlegung fr das Studium der Gesellschaft und
Geschichte"3. Quatre ans plus tard, il est reu lAcadmie des Sciences. En 1888, parat de
lui un important article sur la possibilit dune science pdagogique valeur universelle.
"Der Aufbau der geschichtlichen Welt in den Geisteswissenschaften"4 enchane sur le
"Einleitung", dont il tente de systmatiser les acquis, tout en introduisant les modifications
que lavancement de ses recherches sur la connaissance historique imposent. Llaboration du
"Monde Historique" se situe entre 1905 et 1910. Il va sans dire que la bonne comprhension
de cet ouvrage culminant prsuppose la connaissance du "Einleitung". Bien que publi du
vivant de Dilthey, le "Monde Historique" conserve un caractre inachev, certaines de ses
parties tant uniquement prsentes sous forme de plan.
Luvre de Dilthey constitue une vritable pistmologie de lensemble des ce quon entend
aujourdhui sous le terme de sciences humaines. Cest la possibilit dune objectivit cest
dire, dune communicabilit relle du savoir de ces sciences ainsi que de sa vrit que
Dilthey consacrera la partie principale de son travail philosophique. Linterrogation sur cette
objectivit passe chez lui par celle sur la spcificit de ces sciences qui viennent, en son
poque, de natre sous le nom, aujourdhui rvolu, de sciences de lesprit.
Nous savons quen corrlation avec la division du travail au sein de la socit bourgeoise,
lpoque de Dilthey assiste un clatement des sciences, jadis unies sous leffigie de la
philosophie. Concrtement, en Allemagne, depuis linauguration en 1810 de lUniversit de
Humboldt Berlin, les sciences de lesprit sautonomisent et occupent dsormais une facult
distincte de celle des sciences de la nature. Ayant not ce Tatbestand (tat de choses), Dilthey
entend clairer en quoi consiste cette diffrence entre les sciences de lesprit et les sciences de
la nature qui les empche de fonctionner de la mme faon, cest dire, de recourir une
mme mthodologie. Sous-jacente cette interrogation, le tche bien plus fondamentale que
se propose Dilthey nest autre que comme fut dit dlaborer une critique des possibilits-
mmes dune science de lesprit objective. Il sagit, pour lui, de dvelopper une rponse
satisfaisante la question "Comment une individualit peut-elle transformer en connaissance
1 En absence dautre indications, ce qui suit est daprs Merle, Riedel ou Kremer-Marietti. 2 Gadamer, 182, 188 etc. 3 "Einleitung" dans les rfrences ultrieures. 4 "Monde Historique" dans les rfrences ultrieures.
3
objective ayant une valeur gnrale la donne sensible quest pour elle une manifestation
vitale dune autre subjectivit?"5
La tche, tant donne lpoque de Dilthey, nest pas aise. Nous savons que vers la fin du
dix-neuvime sicle, labsolu tait tomb en disgrce. A lpoque de Dilthey, la connaissance
comme telle, est au bord de labdication devant une skepsis gnralise. Lobjectivit ne peut
tre conue comme absolue, il sagit de lui faire une place plus modeste, nanmoins plus
solide. Dilthey se voit confront dun ct une tendance voulant rtablir lobjectivit des
sciences de lesprit en apprhendant le monde de lesprit de la mme faon que le monde
naturel, cest dire, en essayant dtablir en son sein des lois causales. De lautre il fait face
un rejet total de la possibilit dune connaissance objective. Son dfi est donc dviter la fois
un positivisme naf, quon retrouvera chez Comte et Mill, sans pour autant tomber dans
lautre extrme qui sont le subjectivisme et le relativisme historique6 parmi les reprsentants
les plus influents duquel on peut citer Nietzsche.
Sur ce chemin troit, Dilthey se propose dlaborer une critique de la connaissance dont
linterrogation se place dans le sillage de Kant tout en sen dtachant. Dilthey nlabore pas
lpistmologie de sciences de la nature mais celle de sciences de lesprit. Il ne peut plus,
comme Kant, laborer la critique dune raison pure. La raison pure prsuppose lexistence
dune nature immuable, contenant des choses en soi qui se rvlerait lapprhension dun
sujet dtach du monde selon les rgles dapprhension aprioritiques inhrentes la structure-
mme de ce sujet. Or, lhistoricit du monde est tablie, le monde est irrmdiablement
dynamique et le sujet ne saurait plus en tre spar par un cran perceptif. Pour Dilthey le
"Ding an sich" nexiste plus. On assiste, son poque, la fin de la dichotomie du monde
naturel et du monde de lhomme qui a marqu la philosophie occidentale depuis le 17e sicle.
Lhomme nest plus un sujet transcendantal et abstrait mais un sujet vivant vivant un monde
et une poque. Cest dans cette vie que la connaissance est ancre, par cette vie que la
connaissance se construit et peut tre comprise. Cest par cette vie quelle acquiert un sens et
une valeur. Si la raison prtend, ds lors, une connaissance objective, cette connaissance
doit tre ancre dans lhistoricit du monde qui a la vie du sujet pour lment constituant. Si
Kant laborait donc une critique de la raison pure, Dilthey se propose dlaborer une critique
de la raison historique, dinvestiguer ce quest la raison dans son historicit.
Pour ramener la raison dans le champ de la vie et de lhistoire dont elle merge, Dilthey
ramne les conditions de la connaissance dans lunit du Erkennen - Vorstellen, Bewerten
Fhlen et du Handeln - Wollen regroups sous lErlebnis (le vcu). La distinction du champ
daction de lhomme, de celui de lhistoire et de celui de lordre naturel disparat, par ce
mouvement, dans le champ indivisible du vcu. Dans ce champ, le sujet diltheyen, non plus
transcendantal et abstrait mais vivant, nest plus uniquement rationnel mais toujours motif.
Tout objet quil se constitue nest jamais un objet neutre mais toujours investi dune valeur
motionnelle. Le dualisme du monde sensible et du monde intelligible se fond en un ensemble
interactif dont les dynamiques ne sauraient plus tre divises en catgories distinctes. Il en va
de mme pour le dualisme de la libert et de la ncessit.
Lensemble de ces constats place Dilthey face un grand nombre de sujets mis dcouvert et
systmatiss dans la philosophie du 20e sicle. Pour les investiguer, Dilthey se sert cependant
encore dune terminologie no-kantienne qui rend lexpression de ses intuitions
philosophiques complexe et souvent difficile interprter.
Dans le travail qui suit, nous nous consacrerons justement lexercice de comprhension dun
passage du "Monde Historique", ouvrage de Dilthey qui reprsente sa tentative ultime de
systmatiser sa riche pense.
5 Mesure, 24 6 Aussi appel "historisme"
4
1. Traduction du terme principal
Le terme central du passage choisi est le mot allemand "Wirkungszusammenhang", dont la
traduction franaise savre fort dlicate. Le terme en soi est tout fait comprhensible un
germanophone mais aucune de ses composantes na malheureusement dquivalent franais
fidle. Etant donn que la possibilit-mme dune analyse repose sur la bonne comprhension
de ce terme, nous voulons lui consacrer un chapitre prliminaire.
Commenons par une dcomposition allemande:
Le dictionnaire Wahrig donne deux sens pour le mot "Wirkung". Le terme a dabord pour
synonyme "das Wirken", que lon peut traduire par "laction" ou mieux, par "le fait dagir".
Dans un deuxime sens, toutefois, le mot se rfre au rsultat de laction, "die Folge". Il est
important de garder lesprit cette bipolarit.
Le mot "Zusammenhang" est lquivalent de "Verbindung einzelner Teile", cest dire, de
"connexion de parties individuelles". Mais le terme et plus fin encore car par "Verbindung",
on entend pas, ici, une connexion quelconque mais une connexion au sein dun "sinngemsse
Beziehung", cest dire, au sein dune relation qui donne aux parties de lensemble un sens.
En plus, le mot dsigne la fois cette relation et lensemble form par les parties. Le
"Zusammenhang", que lon a tendance traduire par "ensemble" est un ensemble structur,
interconnect et non pas une simple addition de parties. Le mot franais "ensemble", plus
limit, correspond plutt aux termes allemands "Menge", "Zusammansetzung" ou
"Gesammtheit".
Procdons, prsent, une recomposition franaise du terme.
En rsumant ce qui fut rvl par les deux traductions prcdentes nous pouvons traduire
"Wirkungszusammenhang" par "un ensemble structur dactions et de rsultats dactions
qui, dans leur relation rciproque, donnent un sens". Cette traduction serait la plus fidle
mais il est vident quelle rendrait le texte illisible. Cela dautant plus que le Dilthey du
"Monde historique" prend moins soin de construire des phrases lisses que dans ses uvres
antrieures. Nous adoptons donc labrg "ensemble interactif", propos par Sylvie Mesure,
tout en gardant lesprit le contenu complexe du terme quil dsigne.
2. Rsum du texte jusquau point o lanalyse commence
2.1. Le cadre gnral
Ds le premier chapitre du "Monde Historique", Dilthey se lance dans la dlimitation des
sciences de lesprit par rapport aux sciences de la nature. Il insiste sur le fait que ces sciences
ne se distinguent pas en premier lieu par leur objet mais par leur mthode ou plutt par leur
tendance. Tout en partageant le mme objet comme, par exemple, lhumain les deux types
de sciences ont un intrt pistmique divergent. Si les sciences de la nature soumettent le
monde extrieur des rgles hypothtiques qui, si avres, peuvent rendre compte
denchanements causals, la procdure des sciences de lesprit relve non pas de cet acte
explicatif mais de la comprhension (Verstehen). Elle peut tre compare la procdure
philologique du "Wiedererkennen de Erkannten"7, de la reproduction de la connaissance
partir du tmoignage laiss par un sujet historique. Dans les sciences de lesprit, il sagit, de
7 Le terme, en fait absent du texte trait nest pas de Dilthey mais de Boeckh.
5
manire gnrale, de reconstruire partir dobjets le Zusammenhang qui a rendu leur cration
possible, voir ncessaire. Les sciences historiques procdent ainsi partir dextriorisations
du vcu humain vers une connaissance de lhistoire.8
Suivant cet ordre dides, Dilthey insiste sur le fait que lapproche historique lhistoire tant
la science de lesprit qui retient son attention principale est toujours une approche
intresse. Il existe toujours un rapport vital entre le sujet comprenant et lobjet. La notion cl,
comme nous avons dj pu mentionner dans lintroduction est celle de la vie. Pour les
sciences de lesprit, il sagira donc dapprhender lunit de la ralit comme lunit de la
finalit perue travers le sujet. La ralit sera toujours construite partir du rapport vital du
sujet au monde. Le phnomne extrieur est reconduit lintrieur du sujet humain, vers le
sens et les fins intrieurs de ce sujet. Ceci est ce que Dilthey dsigne comme tendance des
sciences de lesprit.
Cette tendance soppose celle des sciences de la nature qui, dans un mouvement inverse,
sloignent de notre vcu, de lintriorit psychique, pour formuler des lois abstraites.
Remarquons que lorsque Dilthey parle du psychique, il na pas lesprit un appareil
psychique au sens freudien, mais uniquement le conscient de lhumain.
Dans le deuxime chapitre, Dilthey sadonne une reconstruction historique de llaboration
des sciences de lesprit. Il dsire montrer en quoi une llaboration dune pistmologique des
sciences de lesprit trouve sa place au sein de lhistoire, cest dire, en quoi elle intervient
comme une ncessit historique dans la deuxime moiti du dix-neuvime sicle. Dans la
deuxime partie du chapitre, il reconstruit, cette fin, lhistoire des sciences de la nature et de
leurs thories; dans les troisime et quatrime partie, celle des sciences de lesprit et de leurs
thories. Dans la cinquime et dernire partie du chapitre, il se consacre, enfin, la diffrence
entre les sciences de lesprit et celles de la nature du point de vue de leur objet dpassant la
diffrence ancre uniquement dans leur tendance prsente dans le premier chapitre. Il conclut
que les sciences de la nature ont pour objet des phnomnes trangers au vcu tandis que les
sciences de lesprit ont pour objet les objectivations extrieures de la vie de lesprit.
Dans le troisime chapitre, cest la structure gnrale des sciences de lesprit que Dilthey se
propose de prsenter. Il commence par traiter la question de lapprhension de lobjet,
tablissant une logique gnrale de la connaissance avant daborder la logique spcifique de la
connaissance dans les sciences de lesprit. Son argument le conduit reconnatre la vie
comme condition de cette connaissance. Il montre comment la vie, au travers de lexprience
vcue (Erleben9) et des objectivation de la vie, offre la connaissance deux bases distinctes.
Au point du texte o nous nous trouvons, Dilthey se propose de donner le fondement
recherch dune objectivit des sciences de lesprit dans la notion de Wirkungs-
zusammenhang10
, densemble interactif que constitue le monde historique. De cette notion, il
drive une mthodologie des sciences de lesprit quil prsente dans la troisime partie du
chapitre.
La quatrime partie du troisime chapitre est entirement consacre aux dtails des mthodes
systmatiques dlaboration du savoir historique.
8 Voir Gadamer, 191: "Verstehen [] ist eine auf eine ursprngliche Produktion bezogene Reproduktion, ein
Erkennen des Erkannten [], eine Nachkonstruktion, die von dem lebendigen Moment der Konzeption, dem
Keimentschluss als dem Organisationspunkt der Komposition ausgeht." 9 Chez Dilthey fondement psychologique de lhermneutique 10 Voir point 1
6
Etant donn que Dilthey donne lui-mme une synthse11
de son argumentation du chapitre
trois et que cette synthse intgre les notions fondamentales pour llaboration de la notion de
Wirkungszusammenhang, nous reproduisions celle-ci dans le point suivant.
2.2. Largument en cours
Selon Dilthey, lensemble des sciences des lesprit repose sur le rapport entre lexprience
vcue (Erleben) et de la comprhension (Verstehen). A partir de cette relation, et de la tension
quelle implique, se constitue un cercle hermneutique (hermeneutischer Zirkel12
),
mouvement circulaire ou plutt spiral, qui permet ce que Dilthey appelle le "allmhliche
Aufklrung", un dvoilement progressif du monde spirituel. Dilthey retient trois formes
principales de cette interrelation qui permet la progression.
Une premire forme de cercle hermneutique est celle de linterrelation progressive entre
lextension de lexprience vcue et lextension de la comprhension, de lexplication13
des
objectivations de la vie. Par objectivations, Dilthey entend des ensembles comme lArt, la
Religion et la Philosophie ou encore les objets physiques comme des uvres dart ou des
crits.
Une deuxime forme est celle de la progression interdpendante de la comprhension du
singulier et du savoir gnral.
Enfin, une troisime forme est celle de la progression interdpendante de comprhension
dune partie de lhistoire et celle de lhistoire universelle.
De manire gnrale, il y a, dans les sciences systmatiques de lesprit, une dpendance
rciproque entre lapprhension de chaque fait singulier qui fait partie dun Tout collectif et
historique14
et la reprsentation conceptuelle de ce Tout collectif et historique15
.
Les reprsentations conceptuelles (begriffliche Reprsentationen), cest dire, les
reprsentations qui sexpriment dans un "Begriff" sont des concepts tels que "philosophie",
"art" ou "histoire". Plus prcisment, Dilthey dsigne de tels concepts comme concepts
dlimitant un sujet (Subjektbegriffe). Ces concepts dsignent des ensembles interactifs dans
lesquels se runissent plusieurs personnes. A titre dexemple, on peut dire que la philosophie
est un ensemble interactif qui runit plusieurs personnes autour dune opration commune. Le
concept "philosophie" ne dsigne pas une ide abstraite mais cet ensemble interactif lui-
mme. Le point de vue adopt ici est lune des grandes innovations diltheyennes.
Dilthey procde dans la synthse du troisime chapitre en disant quil y a une dpendance
rciproque entre ltablissement de faits singuliers (Tatbestnde) qui peuvent tre rassembls
sous un Subjektbegriff et les Subjektbegriffe eux-mmes. En clair, pour avoir un
Subjektbegriff, on doit avoir tabli les faits qui peuvent tre rassembls sous ce Subjektbegriff
car on ne construit pas densembles vides le tout dsign par un Subjektbegriff nest jamais
pralablement donn mais il est construit partir des faits quil incorpore. Cependant, pour
dterminer si un fait peut tre incorpor un Subjektbegriff, nous avons besoin de critres de
slection. Ces critres de slection font leur tour partie du Subjektbegriff! A titre dexemple,
Dilthey dit:
11 pp. 185-186 (105-106) 12 Helferich, Christoph. Geschichte der Philosophie, p. 362 13 (dans le sens de "interprtation", Auslegung) 14 (Auffassung jedes einzelnen Tatbestandes, als Teil eines gemeinscahftlichen, geschichtlichen Ganzen) 15 (der begrifflichen Reprsentation dieses Ganzen in den systematischen Geisteswissenschaften)
7
"Pour dfinir le concept de la posie, je dois abstraire des faits qui constituent lextension de ce
concept [mais] pour tablir quelles uvres appartiennent la posie, je dois dj possder un
signe distinctif grce quoi luvre peut tre reconnue comme potique"
Rappelons en ce point que chaque Subjektbegriff est une objectivation de lesprit, mais,
contrairement Hegel, ces objectivations ne se limitent pas aux constructions idales de la
raison mais ils ont leur fondement dans lhistoire, dans la vie elle-mme, dans le
"Strukturzusammenhang der Lebenseinheiten". On ne retrouve pas chez Dilthey une
distinction entre lesprit absolu et lesprit objectif.
La relation de dpendance rciproque dcrite ici, le cercle hermneutique quelle constitue est
le trait le plus gnral des sciences de lesprit. Etant donn que cette interrelation ce cercle
constitue un ensemble interactif (Wirkungszusammenhang), Dilthey dtermine cet ensemble
interactif en tant que lessence (Wesen) du monde de lesprit, cest dire, du monde
historique et social. Dterminer les caractristiques de cet ensemble interactif revient
dterminer dans son essence (ihrem Wesen nach), le monde de lesprit. Tel est justement le
but dclar dans le premier paragraphe du chapitre IV. Rappelons, cependant, que pour
apprhender le texte qui suit, il est ncessaire de garder lesprit le but global de Dilthey qui
est celui de rsoudre la contradiction qui existe entre les deux tendances des sciences de
lesprit qui sont, dun ct, leur ancrage dans la vie et de lautre, leur dsir dobjectivit16
. Le
principe de solution esquiss dans le passage suivant objet de notre analyse est de
comprendre le monde historique "en tant quensemble interactif qui trouve son centre en lui-
mme".17
3. Plan, dcoupage du texte et structure logique18
Nous avons dcoup le passage analys et intitul les sections obtenues selon le schma
suivant:
1. Caractre gnral de lensemble interactif du monde spirituel
1.1. Les productions durables de lensemble interactif [ 1, p.186 (106)]19
1.2. Le caractre tlologico-immanent des ensembles interactifs: lensemble interactif
en tant que producteur de valeurs [ 2, p.187 (106)]
1.2.1. Les supports de ces valeurs [ 3, p.187 (106)]:
1.2.1.1. Les individus et les collectifs dindividus [ 3, p.187 (106)]
1.2.1.2. Lexistence de ces collectifs explique par le rapport vital qui
relie les individus les uns aux autres [ 3, p.187 ligne 21 (107 ligne 1)]
1.2.1.3. Apparition de valeurs collectives au sein densembles forms
du au rapport vital. Dimension de Unbedigtheit de ces valeurs. [ 3, p.187 ligne 33 (107 ligne 10)]
16 p. 166 (92) 17 p. 167 (92) 18 des parties 1. 2. et 3. du chapitre 4 de la deuxime section du chapitre III. 19 Le systme de lidentification des passages est construit comme suit: [paragraphe, page dans loriginal (page
dans la traduction de S. Mesure)]. Les paragraphes sont numrots chaque fois partir du dbut des sections 1,
2 et 3. Seul le dbut des passages est indiqu. Les numros de ligne du dbut de phrase, si indiqus en cas de
coupure de paragraphe, sont compts partir du haut de la page.
8
1.2.1.4. La possibilit, pour cet ensemble, de se comprendre soi-mme
au travers des sciences de lesprit [ 2, p.187 ligne 6 (107 ligne 19)]
1.2.2. Centration en soi-mme de toute unit spirituelle [ 4, p. 188 (107)]
1.3. Les units spirituelles plus vastes de production de valeurs: lhorizon plus ou
moins clos dunits plus ou moins vastes. [ 5, p. 188 (107)]
1.3.1. Diffrence du degr dindpendance dunits plus ou moins vastes qui
apparat au travers de la synthse de lhistorien. [ 5, p. 188 ligne 28 (107 ligne 38)]
1.4. Synthse du premier chapitre qui dmontre en quoi ce dveloppement mne une
"histoire objective" Affirmation inversant le processus de comprhension de
lhistoire de Hegel. [ 6, p. 189 (108)]
1.5. Le rle cl de lindividu et de son Lebensverlauf. [ 7, p. 190 (108)]
1.6. Les Zusammenhnge contenus dans les uvres [ 8, p. 190 (108)]
2. Lensemble interactif comme concept fondamental des sciences de lesprit
2.1. Flux du monde, constance du concept [ 1 p. 191 (109)]
2.2. Opposition Hegel qui se dessine partir de cette position [ 3, p. 192 (109)]
3. La mthode dlaboration des divers ensembles interactifs
3.1. Mthode dlaboration densembles interactifs laide de linduction, de la
synthse, de lanalyse et de la comparaison [ 1, p. 192 (110)]
3.1.1. Ltude des crations durables et la dpendance rciproque de la
synthse et de lanalyse dans la recherche de vrits universelles [ 2, p. 193 ligne 21 (110 ligne 38)]
3.2. La diffrence entre les sciences de lesprit et les sciences de la nature fonde dans
cette mthode [ 3, p. 194 (111)]
3.2.1. Absence dlments ultimes dans les sciences de la nature [ 2, p. 194, ligne 5 (110, ligne 9)] 3.2.2. Les units vitales du monde historique [ 2, p. 194 ligne 11 (110, ligne 14)]
3.3. Rejet du holisme et de latomise: Lunit vitale non retranchable de la dimension
collective de ce qui est humain. Lhumanit comme entit vivante non retranchable de
ses units vitales, donc indtermine. Premire raison de limpossibilit, pour les
sciences de lesprit, dtablir des chanes causales. [ 4, p. 194 (110)]
3.4. Systmes homognes des sciences de la nature. Leur absence dans les sciences de
lesprit. Deuxime raison de limpossibilit, pour les sciences de lesprit, dtablir des
chanes causales. Diffrence entre les sciences de la nature et les sciences de lesprit
qui en dcoule. [4 p. 195 ligne 11 (111 ligne 44)]:
3.4.1. Recherche de causalit dans les sciences de la nature. Apprhension de
lindividualit et mthode comparative dans les sciences de lesprit [4 p. 195, ligne 29 (112 ligne 15)]
3.5. Frontires mthodologiques des diverses sciences de lesprit qui drivent de cette
diffrence. [ 5 p. 195 (112)]
9
4. Analyse et Interprtation
4.1. Caractre gnral de lensemble interactif du monde spirituel (Allegemeiner Charakter des Wirkungszusammenhangs der geistigen Welt)
Dans cette premire partie, Dilthey remontera, des productions durables du monde historique
et de ce qui va plus loin se rvler tre des units vitales, vers des ensembles plus grands, des
ensembles interactifs proprement dits. Pour expliquer cette agglomration en units de plus en
plus grandes, il introduira le principe de rapport vital, un trait immanent de ltre humain qui
le lie ses semblables.
Il tablira demble la possibilit dune connaissance objective des sciences de lesprit dans
lexistence des ensembles interactifs avant de mettre laccent sur le rle de lindividu et de
son Lebensverlauf dans ltablissement de cette connaissance. Une opposition lholisme
hglien se dressera partir de ce constat.
4.1.1. Les productions durables de lensemble interactif
"Lopration qui est ainsi apparue [cest dire, lensemble doprations hermneutiques de
constitution de savoir historique que nous avons prsentes dans le point 2.2.] consiste
apprhender le monde de lesprit comme un ensemble interactif, cest dire comme un
ensemble inscrit dans le productions durables qui sont siennes"20
. La notion de
Wirkungszusammenhang est introduite et dfinie demble dans la premire partie du
chapitre.21
Chaque ensemble interactif sinscrit dans des productions durables tels de codes de
loi, des statues ou des ouvrages littraires. Cest par le fait quil est inscrit dans ces (ses)
productions quil sagit dun Wirkungs-Zusammenhang. Lensemble quil est se concrtise
dans ses effets.22
Par consquent, en tudiant ces effets ces produits les sciences de lesprit
tudient le Wirkungszusammenhang lui-mme. Lobjet des sciences de lesprit est donc
double, dune certaine manire: ces sciences tudient en un mme mouvement les ensembles
interactifs et les productions durables qui surgissent de ces ensembles.
En ce point, il faut noter un fait complexe. Mme si le monde de lesprit dans sa totalit est un
ensemble interactif, chacun des domaines chaque science de lesprit, par exemple
constitue son tour un ensemble interactif. Les sciences de lesprit tant elles-mme des
ensembles interactifs, elles et leurs produits sont, par consquence, leur propres objets. Elles
apprennent se connatre au travers de leurs propres productions durables, cest dire, au
travers des objectivations de leur esprit, au travers de leurs extriorisations de soi-mme que
sont les uvres les textes issus de ces sciences.
La notion de lensemble interactif nest videmment pas totalement circonscrite par la courte
dfinition donne. Cest la spcification de la notion que Dilthey va consacrer le reste de la
premire partie.
20 "Die so entstehende Leistung besteht in der Auffassung der geistigen Welt als eines
Wirkungszusammenhanges, oder eines Zusammenhanges, der in dessen dauernden Produkten enthalten ist" 21 Cette dfinition se superpose lesquisse de la notion dresse dans la section III.1.6., p. 167 (92) dont nous
avons parl dans le point 2.2. 22 On pourrait dire: Er hngt zusammen in seinen Wirkungen. Seine Wirkungen sind es, in was sein
"Zusammenhngen" besteht.
10
4.1.2. Le caractre tlologico-immanent des ensembles interactifs: lensemble interactif en
tant que producteur de valeurs
Dilthey tablit, ici, une premire distinction entre ensemble interactif et ensemble causal
(Kausalzusammenhang). Contrairement lensemble causal qui est lobjet des sciences de la
nature, lensemble interactif des sciences de lesprit produit des valeurs (Werte) et ralise des
fins (Zwecke) concrets. En cette production consiste le caractre absolument fondamental de
lensemble interactif. En regard de cette production, Dilthey assigne aux ensembles interactifs
un caractre tlologico-immanent. Il dit entendre par-l "un ensemble doprations
(Zusammenhang von Leistungen) qui est fond dans la structure (Struktur) dun ensemble
interactif". Ce quil semble plutt entendre par lexpression est le caractre tlologico-
immanent de cet ensemble doprations fond dans la structure de lensemble interactif. Il
appellera plus bas cet ensemble doprations lui-mme ensemble structurel
(Strukturzusammenhang)23
. Lensemble structurel est un ensemble interactif anim par la
tlologie interne de lunit vitale. Ce qui donne cette unit le caractre dunit est lunit de
la finalit perue travers un sujet, cest dire, perue travers lunit vitale.24
Comment nous expliquer, prsent, le terme tlologico-immanent?
Tout ensemble interactif a un caractre tlologique parce que, comme il fut dit, il produit des
valeurs et ralise des fins. (Plus loin, nous verrons que lindividu et les ensembles dindividus
sont les "supports" de ces valeurs.) Tout ensemble interactif a un caractre immanent parce
quil accomplit cette production en et par soi mme. Lensemble interactif cre de valeurs par
un ensemble structur doprations qui est fond dans la structure-mme de lensemble
interactif. Cette cration de valeurs est produite sur la base de lapprhension de ceux qui
participent lensemble interactif, de ceux dont lapprhension est dun ct dveloppe par
cet ensemble et qui, de lautre, contribue son tour dvelopper cet ensemble.
Rappelons ici que la relation qua un sujet un objet est immdiatement signifiante25
,
lassignement de valeur et de sens fait immdiatement partie de lapprhension. Nous ne
retrouvons pas, chez Dilthey, de valeurs transcendantes ou extrinsques mais une production
de valeurs immanente lapprhension des objets.
Etant donn que cest lensemble interactif lui-mme qui produit ses objets, la production de
valeurs est une activit rflexive. Lensemble interactif se rflchit dans les objets en les
apprhendant et leur assignant des valeurs, par la mme occasion. La vie historique en tant
quensemble interactif est ainsi cratrice dobjets et de leur valeurs.
Comme nous avons vu, lapprhension des objets est faite par les individus qui participent
un ensemble interactif. Dilthey dit que ces individus sont des supports (Trger) de la cration
constante de valeurs et de biens.
Ici, le terme individu peut tre compris dans un sens plus large. Les valeurs peuvent aussi tre
cres par des communauts et des systmes culturels. Dilthey rappelle, cependant, que mme
des individus plus larges sont uniquement des collaborations dindividus particuliers. Cette
collaboration dans la cration de valeurs nest possible que dans la mesure o chaque
particulier qui y prend part se soumet des rgles dune communaut ou dun systme
culturel.
La question qui se pose alors est pourquoi lindividu se soumet-il ces rgles?
23 Sous-entendant "Strukturzusammenhang von Leistungen" ou encore "Strukturzusammenhang der Lebens-
einheiten", deux notions synonymes, malgr les apparences. 24 Voir point 2.1. 25 Mesure
11
Pour rpondre cette question, Dilthey fait intervenir le concept de rapport vital (Bezug des
Lebens). Le rapport vital est un noyau prsent dans lessence de chaque tre humain, que lon
ne peut saisir psychologiquement mais qui sexprime dans tous les systmes de relations
humaines. Il est un trait intrinsque chaque tre humain qui fait que les hommes sont lis les
uns aux autres. Le principe du rapport vital ne fait pas appel une laboration
transcendantale, il na pas pour fondement un systme mtaphysique mais est solidement
ancr dans la praxis. Il sagit bien dun principe spculatif, mais ce principe trouve son
fondement solide dans lvidence du rsultat de son agissement, cest dire, dans lexistence
observable de manire omniprsente dun lien entre les tre humains.
Ayant tabli lexistence de ce rapport vital, Dilthey procde par largumentation suivante:
Chaque ensemble interactif a pour porteur principal lindividu singulier. Ce sont des individus
dans lesquels se produisent des tats psychiques qui sexpriment dans la valorisation ou
lassignement de sens des objets. Ceci veut dire que "tout phnomne historique est le
rsultat de comportements dactions, de motivations et dtats de conscience individuels"26
.
Cependant, de par les rapports vitaux qui les lient dautres, les individus singuliers se situent
chaque fois lentrecroisement de systmes de relations (Beziehungssystemen) au sein
desquels ils partagent leur valorisation des objets. Cette valorisation se soustrait donc, dune
certaine manire, au pouvoir exclusif de dcision du seul individu et devient par-l une
valorisation gnrale, une valorisation propre un ensemble dindividus. Ceci, tout
simplement, parce que lindividu fait partie dun systme de relations.
Notons que lon peut percevoir, dj en ce point, un fondement solide de la possibilit dune
connaissance historique objective. De par le rapport vital, un individu historique nest pas un
individu quelconque il ne se dtache pas du monde au sein duquel il agit. Lindividu
historique est un tre dont lindividualit, tout en restant individuelle, est solidement ancre
dans une poque et dans un champ social..
Les systmes de relations tablis ainsi entre les individus sont des porteurs durables
dactivits (Trger von Wirken)27
. Vu que lon se trouve, ici, au niveau de la Gemeinsamkeit,
ce Wirken ces activits et leurs effets transcendent le champ daction de lactivit
individuelle. Les valeurs, les rgles et les buts qui mergent de ces activits acquirent ainsi
une dimension dabsoluit (es wird ihnen eine Unbedigtheit der Geltung verlegt28
). Chaque
relation durable entre des individus produit de telles valeurs.
Que ces valeurs soient produites par un individu ou par un groupe dindividus, leur production
est perptuelle parce quintgre la nature qui, elle, est en volution perptuelle. Dilthey
annonce dj ici la problmatique du devenir du monde de lesprit qui sera traite dans la
section suivante. Il remarque aussi dj en ce point que ce sont justement les sciences de
lesprit qui donnent cette production perptuelle une possibilit dautorflexion.
Dans le paragraphe suivant29
, Dilthey introduit pour la premire fois le terme de unit
spirituelle (geistige Einheit), qui sert, de toute vidence, dsigner tout ensemble agissant, de
lindividu jusqu la nation. Il affirme que "[chacune de ces] unit[s] spirituelle[s] est centre
en elle-mme"30
. Sachant que tout ensemble structurel est un ensemble interactif anim par la
tlologie interne de lunit vitale, nous pouvons interprter cette phrase en disant que chaque
unit vitale, quil sagisse dun individu, dun systme culturel ou dune communaut,
26 3 p. 187 (107) 27 Nous renvoyons au point 1 pour peser la porte smantique multiple du terme "Wirken", traduit simplement
par "activit" dans ce paragraphe. 28 3, p. 188 (107) Notons que la traduction de "Unbedingtheit" par "absoluit" est quelque peu malheureuse
dans le sens o elle est ncessaire mais peut facilement porter confusion. Il est ici ncessaire de garder pour
rfrence le terme allemand. 29 4 p. 188 (107) 30 "jede geistige Einheit [ist] in sich selbst zentriert"
12
possde une tlologie interne propre qui ramne les objets et les vnements qui lui sont
propres lintrieur delle, vers son centre. Dans ce centre, lapprhension de la ralit
(Wirklichkeitsauffassen), la valorisation (Wertung) et la production de valeurs31
(Erzeugung
von Gtern) forment un tout. Dans le paragraphe suivant, Dilthey dmontrera que la force de
gravit de tels centres varie en fonction de la taille des units spirituelles.
4.1.3. Les units spirituelles plus vastes de production de valeurs: lhorizon plus ou moins
clos dunits plus ou moins vastes.
Dilthey continue un mouvement dascension des plus petit au plus grands ensembles en
menant sa description au-del des systmes culturels et des communauts. Il note quil existe
des ensembles plus grands dans lesquels sont interconnects ces supports de lactivit
cratrice. Ces ensembles historico-sociaux sont des nations ou des poques. Comme les
ensembles plus petits, ces ensembles plus vastes forment des units centres sur elles-mmes
qui produisent des valeurs et des fins qui leur sont propres. Le travail de lhistorien est
prcisment lanalyse et la synthse de ces ensembles plus grands.
Cest justement au travers du travail de lhistorien quapparat un trait essentiel des diverses
formes dunit spirituelle. Son travail dvoile les diffrents degrs dindpendance dans
lesquels vivent des units diffrant par leur ampleur. En termes peut-tre un peu physiques
que Dilthey nemploie pas tels quels mais auxquels son vocabulaire fait en ce point penser
cette indpendance peut tre assimile la masse du centre (de gravit) de lunit en question.
Ainsi, les units plus petites, tels des individus, des systmes culturels ou des communauts,
compltent mutuellement leur vie propre. Chacune dentre elles complte sa vie propre grce
la vie dautrui et se dmarque ainsi moins clairement de cet autrui.
Les units plus vastes, comme des nations, dmontrent plus dindpendance ("[sie] leben in
strkerer Abgeschlossenheit"). Cest ici que Dilthey introduit la notion dhorizon. En effet,
lindpendance relative des ensembles plus vastes se traduit par le fait que ces ensembles ont
dj un horizon spcifique marqu. Le centre, que ces units ont en elles-mme, est plus fixe
et il a une force attractive plus forte.
Des units trs vastes que constituent des poques historiques comme le moyen ge sont
totalement dlimites par rapport aux autres poques, "ihr Gesichtskreis [ist] von dem
frherer Perioden getrennt". Elles ont un horizon clos (abgeschlossener Horizont). Cet
horizon est si bien clos que mme un vnement qui dcoule de ces poques renvoie cette
poque et est ainsi attach son centre, mme sil en est temporellement distant. Reprenant
les termes de S. Mesure, nous pouvons dire que "chaque poque, centre sur elle-mme,
constitue un horizon clos lintrieur duquel les individus de cette poque trouvent la
mesure de leur action dans une communaut de rfrence"32
. Pour tout individu singulier ou
pluriel rattach une poque, lapprhension des objets (gegenstndliches Auffassen) cest
dire, sa faon de ressentir les choses, son vcu affectif ou ses lans ressembleront ceux
dautres individus de la mme poque. De mme, la volont des individus dune mme
poque se choisit des buts comparables.
31 Ici, on aurait peut-tre d traduire "Gter" par "biens" pour viter la confusion avec "Werte". Les biens sont
des produits matriels concrets qui ont une valeur et qui ont t produits par la main humaine. Les biens doivent
tre crs (er-zeugt). Les valeurs, en tant que telles, peuvent tre assignes par valorisation (Werten) mme des
choses non crs par la main humaine. Il est intressant de noter que Dilthey prend en compte lactivit
derzeugen uniquement en parlant densembles moins vastes. Pense-t-il au fait que seule une communaut
restreinte peut collaborer la cration dun bien matriel prcis? La rflexion que pourrait tre dveloppe ici
mnerait directement un autre contemporain clbre de Dilthey quest Karl Marx (1818-1883). 32 Mesure, 186
13
Cest prcisment la tche de lhistorien de dlimiter une poque, cest dire, de trouver la
dimension commune de toutes les apprhensions individuelles qui y sont rattaches. Il se doit
de trouver le centre vers lequel toutes ces choses convergent, de dterminer lhorizon dune
poque. Cette tche implique que, lorsquun historien juge laction dun individu, il ne la juge
pas en elle-mme mais uniquement par rapport ce qui se trouve lintrieur de lhorizon de
lpoque dans laquelle cette action sinscrit. Lorsque lhistorien dtermine, par exemple, en
quoi tel ou tel auteur a dj dpass la pense de son poque il doit garder lesprit que
"Chaque lment de cette totalit tient son importance [ou plutt "signifiance"] de sa relation la
totalit de lpoque ou du sicle."33
Remarquons que ce qui peut apparatre, ici, comme un point de vue holistique nen est pas. Le
sens de laction de lindividu se construit effectivement lintrieur du sens que peut lui
lguer lensemble dans lequel cet individu se meut, mais lindividu est porteur de ce sens. Il a
donc sur lui une emprise dcisive. La relation entre lindividu et son poque dont merge le
sens ne se construit pas dans une seule direction, elle est rciproque. Nous aurons loccasion
de revenir plu bas sur ce point dcisif de la philosophie de Dilthey.
4.1.4. Synthse du premier chapitre qui dmontre en quoi ce dveloppement mne une
"histoire objective" Affirmation inversant le processus de comprhension de lhistoire de
Hegel.
Dans le sixime paragraphe de la premire partie, Dilthey dresse une synthse de
largumentation dveloppe dans la section jusqu ce point. Il relve les points suivants:
Partant du constat que le monde historique est une totalit (ein Ganzes) on peut dfinir cette
totalit en tant ensemble interactif. Cet ensemble produit des valeurs et des fins. Cet ensemble
peut galement se comprendre partir de lui-mme, ce quil fait au travers des sciences de
lesprit. A chaque chelle, tout ensemble toute totalit a un centre en soi-mme, cette
centration (Zentrierung) tant celle de valeurs (Werte) et de fins (Zwecke) dans chaque
ensemble. Cette centration est dautant plus forte que lensemble est grand.
Par ce mouvement, Dilthey passe du rapport immdiat de la vie cest dire, du Bezug des
Lebens qui, comme nous lavons vu34
, est le principe luvre dans la constitution
densembles plus petits la possibilit dune science historique, fonde sur lexprience
de relations immanentes (Erfahrung der immanenten Beziehungen) du monde historique
relations qui interviennent entre force agissante (Kraft), valeurs, fins, signification (Be-
deutung) et sens (Sinn). Comme nous lavons vu dans le point prcdent, cest
uniquement dans la totalit dune poque que ces relation viennent jour. Cest donc
uniquement par ce changement dchelle que les dcouvertes des sciences de lesprit
peuvent prtendre une validit universelle.35
Afin datteindre lobjectivit, on remonte de
lindividu des ensembles plus grands.
Dilthey note, ici, que cest uniquement sur lhistoire objective ainsi forme que lon peut
construire une interrogation sur les possibilits de la prdiction davenir et sur lexistence de
buts communs de lhumanit. Implicitement, il prend ainsi position contre Hegel qui fait le
raisonnement inverse: la comprhension de lindividu se ferait, chez ce-dernier, partir des
vises venir et des buts de lhumanit absolus.
33 "Jeder Teil dieses historischen Ganzen [hat] seine Bedeutsamkeit durch sein Verhltnis zu dem Ganzen der
Epoche oder des Zeitalters" 34 Voir point 4.1.2. 35 Point dexclamation et soulign par Neschke. Commentaire: "oui, les vrits scinetifiques universelles"
14
4.1.5. Le rle cl de lindividu et de son Lebensverlauf.
La position adopte dans le paragraphe prcdent trouve sa justification ici, dans le
paragraphe sept, avec lintroduction de la notion du cours de la vie (Lebensverlauf) dont
lindividu est le porteur, devenant par cette fonction llment dernier de lhistoire.
"La forme fondamentale de lensemble prend [] naissance chez lindividu qui rassemble dans le
cours de sa vie le prsent, le pass et les possibilits de lavenir"36
De par son vcu, lindividu a ainsi une place privilgie dans laccs de lhistorien une
connaissance de lhistoire.
Malgr les apparences, il serait ici aussi incorrect daligner la pense de Dilthey sur un
atomisme individuel quil et t de laligner sur le holisme dans le paragraphe prcdent. Les
units vitales dans ce cas, les individus tant subordonnes lhistoire, cette dernire
rintgre leur vcu dans sa tlologie propre. Cest le temps qui joue un rle cl dans cette
rintgration:
"Comme les divers faits occupent une place dans le cours du temps, et ainsi en chaque point
prsupposent leur gense partir du pass, comme leurs consquences stendent en outre dans
lavenir, chaque vnement requiert un processus plus ample et le prsent conduit donc, au-del
de lui-mme, vers le futur."37
4.1.6. Les Zusammenhnge contenus dans les uvres.
Dans le dernier paragraphe de la section, Dilthey fait remarquer que les uvres dart
constituent un cas particulier densembles structurs (Zusammenhnge). Les uvres tant
dtaches de leur crateur de nouveau par laction du temps leur analyse commence par la
mise au jour de leur logique interne, cest dire, de leur logique propre. La reconstruction de
cette logique relve de la comprhension (Verstehen).
Cette remarque ntant pas dveloppe plus en profondeur, nous allons la laisser de ct pour
passer au chapitre suivant.
4.2. Lensemble interactif comme concept fondamental des sciences de lesprit (Wirkungszusammenhang als Grundbegriff der Geisteswissenschaften)
Cette courte deuxime section est consacre la notion de "concept" dans les sciences de
lesprit, plus prcisment la preuve de la possibilit dlaboration de concepts dans ces
sciences. Largument dvelopp a pour but de renverser largumentation de Helgel, selon
lequel les concepts ne sont applicables au monde de lesprit de par le Werden de celui-ci,
oppos au Bestehen du concept.
Bien quimportante, la deuxime section constitue ainsi plutt une parenthse dans
llaboration diltheyenne du concept densemble interactif. Elle na, en fin de compte, pas
36"Die Grundform des Zusammenhangs entsteht so im Individuum, das Gegenwart, Vergangenheit und
Mglichkeiten der Zukunft zu einem Lebensverlauf zusammennimmt." 37 "Da nun die einzelnen Begebenheiten eine Stelle im Zeitverlauf einnehmen und so an jedem Punkte Erwirken
aus der Vergangenheit voraussetzen und ihre Folgen ferner in die Zukunft hineinreichen, so fordert jedes
Geschehnis einen weiteren Fortgang und die Gegenwart fhrt daher hinber in die Zukunft."
15
dautre but que celui de montrer que l"ensemble interactif" peut tre un concept des sciences
de lesprit.
4.2.1. Flux du monde, constance du concept
"Nous saisissons le monde spirituel sous la forme densembles interactifs qui se forment dans
le cours du temps"38
Lobjet des sciences de lesprit sont des choses changeantes, soumises au
cours du temps. Toutefois, nous parlons de ces ensembles laide de concepts (Begriffe) et le
concept, de manire gnrale, a une fonction universelle dans les sciences de lesprit. Cette
fonction est indpendante du devenir.
Toute fonction de concept est dtermine et constante travers tous les jugements. Il en va de
mme pour le concept lui-mme cest dire, pour le concept du concept. Le concept a pour
contenu la liaison, plus spcifiquement une liaison particulire soumise aux rgles
immanentes du concept. En accord avec ces rgles, les noncs reliant des concepts ne
peuvent, ni en soi, ni entre eux, contenir des contradictions.
Ces caractristiques du concept sont indpendantes du temps. Elles ont leur validit dans la
cohrence de la pense et elles dterminent la forme du concept (Form der Begriffe). Ce nest
que le contenu (Inhalt) des concepts qui reprsente des choses non constates comme le cours
du temps, laction, lnergie et le devenir. Les concepts peuvent reprsenter ces choses non-
constantes tout en tant eux-mme constants. En ceci est leur particularit importante.
Dilthey insiste sur lomniprsence dune dynamique toutes les chelles du monde de
lesprit. "Dans chaque structure de lindividu agit une tendance ou une force motrice qui se
communique tous les produits du monde de lesprit"39
. Cest en cette tendance qui part de
lindividu et qui se propage travers tous les ensembles interactifs, que consiste la dynamique
du monde de lesprit. Elle est propre tout ce qui est vivant, cest dire, tout ce qui fait
objet des sciences de lesprit. Pour autant quelles ont pour champ dexploration la vie, la
construction de concepts qui dcrivent cette dynamique est donc la tche principale de ces
sciences.
Tous les concepts des sciences de lesprit peuvent et doivent exprimer cette dynamique. Il
sen suit avec vidence que leur concept fondamental, celui densemble interactif, doit
galement lexprimer en tout temps il ne renvoie jamais quelque chose de fixe. Mme
lorsque les sciences de lesprit analysent des objectivations closes de la vie (Objektivationen
des Lebens als ein Fertiges, [] Ruhendes) comme des uvres dart, il leur faut saisir
lensemble interactif duquel ces uvres ont surgi, donc une dynamique particulire. Ceci
mme aprs avoir saisi la logique interne de luvre premire tape ncessaire mais
insuffisante de la comprhension.
Dans ce sens, tout concept des sciences de lesprit nest quune reprsentation fixe de quelque
chose de non fixe, de quelque chose qui change perptuellement.
Ainsi, le rle des sciences systmatiques de lesprit est la conceptualisation de la tendance et
surtout de la finalit des ensembles interactifs qui sexprime par lorientation de la dynamique
conceptualise.
38 "[Wir] erfassen [] die geistige Welt in der Form von Wirkungszusammenhngen, wie sie sich im Zeitverlauf
bilden." 39 "Wir sehen in der Struktur des Individuums eine Tendenz oder Triebkraft wirksam, die sich allen
zusammengesetzteren Gebilden der Geistigen Welt mitteilt.
16
4.2.2. Opposition Hegel qui se dessine partir de cette position
A partir de cette affirmation, Dilthey dmarque explicitement sa position par rapport Hegel.
Il laisse ce dernier le mrite davoir dmontr que tout tait flux40
mais lui reproche lerreur
dopposer le fait de lexistence de ce flux une possibilit de conceptualisation systmatique
de lhistoire. Pour Dilthey, cette opposition nexiste pas quand on essaie de comprendre
(verstehen) ce flux, elle apparat seulement quand on essaie de lexpliquer (erklren).
Cette distinction entre la comprhension et lexplication, sinscrit dans diffrence
fondamentale entre les sciences de lesprit et les sciences de la nature tablie par Dilthey en
maints autres endroits de son uvre.
Cest Fichte que Dilthey assigne le mrite davoir forg de vritables premiers "concepts
dynamiques" de lhistoire.
4.3. La mthode dlaboration des divers ensembles interactifs (Das Verfahren in der Feststellung von einzelnen Wirkungszusammenhngen)
Cette troisime section est la cl de vote entre le concept densemble interactif et la mthode
dacquisition de savoir historique qui y est fonde.
Dilthey y distinguera deux groupes de mthodes, deux tendances des sciences de lesprit
procdant du singulier au gnral dun ct, du gnral au singulier de lautre. Les mthodes
particulires de la premire tendance seront linduction et la synthse, celles de la deuxime
lanalyse et la comparaison. La premire tendance sera celle de la gnralisation, la deuxime
celle de lanalyse.
Dilthey comparera par la suite les dmarches tablies celles des sciences de la nature. Il ne
sattardera pas trop sur ces dernires mais la description de ces dmarches peut tre
reconstruite partir de ses ouvrages plus anciens dont il prsuppose la connaissance ainsi que
qu partir de passages antrieurs du "Monde historique". Le point important quil dgagera
de cette comparaison sera labsence dunits dernires concrtes dans les sciences de la nature
oppose leur prsence immdiatement donne dans les sciences de lesprit. Il assignera ces
units dernires ainsi le terme dunits vitales.
Il dmontrera ce qui, dans le rapport quil tablira entre ces units et lensemble du monde de
lesprit, empche les sciences de lesprit de formuler des rgles de causalit. La diffrence
mthodologique entre les sciences de lesprit et les sciences de la nature qui drive de cette
impossibilit sera prsente la fin de la troisime partie. Dilthey y fera galement le point
sur les mthodes privilgier dans les sciences de lesprit. Il conclura son expos en
renvoyant dautres de ses ouvrages labors entre 1883 et 1894, qui prsentent plus en
profondeur la nature et lapplication de ces mthodes dans les diverses disciplines
systmatiques des sciences de lesprit.
4.3.1. Elaboration densembles interactifs laide linduction, de la synthse, de lanalyse et
de la comparaison.
Dilthey constate que pour laborer un ensemble interactif, nous partons toujours dun point
dancrage, dun effet particulier qui a merg de cet ensemble. Nous navons pas une
connaissance aprioritique dun ensemble interactif partir duquel nous tenterions de saisir ses
40 En fait, cette dmonstration remonte plutt Hraclite, selon les dires propres de Hegel.
17
productions. Lensemble interactif est ainsi toujours tabli a posteriori partir de ses produits.
Les dmarches dlaboration dun ensemble interactif partir dun effet particulier sont
linduction, la synthse, lanalyse, et la comparaison. Dilthey classe ceux-ci en deux groupes
dapproches.
Selon une premire approche, nous mettons en relief un ensemble interactif dlimit afin de
saisir un moment de lhistoire. Nous appliquons, cette fin, les mthodes de linduction et de
la synthse linduction tablissant des faits et des chanes causales qui les relient, la synthse
runissant des ensembles de causes. Les deux sont complmentaires dans lexplication dun
enchanement de causes et deffets. Remarquons que, de manire trange, Dilthey parle ici
dexpliquer (erklren) un fait historique et de dlimiter de chanes de causes (urschlicher
Konnex). Il semble entrer en cela en contradiction avec son systme, particulirement avec la
conclusion de la partie 3 que nous aborderons dans le point 4.3.4. Il semble que cette
contradiction peut partiellement tre leve en considrant que les ensembles ne sont pas "des
ralits ontologiques donnes telles quelles dans lexprience, mais des crations du sujet
reflchissant cette exprience"41
. Lensemble interactif serait ainsi cr par lhistorien, avec
ses chanes causales, qui ne seraient alors que des constructions utiles pour la tche de la
comprhension mais dnues de ralit. Toutefois, le point faible dune telle explication
consiste dans trop douverture un relativisme historique que Dilthey rejette.
Selon une deuxime approche, il est possible disoler, dans un ensemble interactif concret, des
ensembles particuliers. En cela consiste la tche de lanalyse. Par ensemble interactif concret
(konkreter Wirkungszusammenhang), Dilthey entend un ensemble qui a dj t extrait par
lhistorien hors du grand jeu de lhistoire et constitu en objet historique.
Procdant, enfin, la comparaison on compare des ensembles interactifs particuliers entre
eux. La comparaison peut tre considre comme une troisime approche mais vu quelle
traite toujours plusieurs ensembles particuliers et tablit ce qui les distingue, nous pouvons la
placer dans la mme catgorie que lanalyse.
Ces mmes dmarches sappliquent aussi bien aux faits historiques quaux crations durables
(dauernden Schpfungen) qui rsultent de lensemble interactif. Comme nous avons dj vu
dans le point 4.1.1., de telles crations peuvent tre des tableaux, des systmes
philosophiques, religieux ou lgaux, des statues, des pices de thtre etc. Ltude de chacune
de ces crations en tant que totalit emprunte les mmes dmarches que ltude dun
ensemble interactif. En tudiant une uvre, on articule lanalyse de sa totalit la
reconstruction de cette totalit partir de la relation entre ses parties, en se servant de vrits
gnrales comme guides.
Comme pour les ensembles interactifs, nous pouvons constater deux tendances
mthodologiques des sciences de lesprit. Suivant une premire tendance, ces sciences
procdent par gnralisation (Verallgemeinerung) cest dire, par induction/synthse
pour tablir des Zusammenhnge. Suivant une deuxime tendance, elles procdent par
analyse du Zusammenhang concret et universel, afin dtablir des vrits universelles42
(allgemeine Wahrheiten). Remarquons que nous retrouvons, ici, lapproche hermneutique
qui procde de la partie au tout et vice versa que nous avons traite sous le point 2.2. Les deux
tendances et toutes leurs dmarches sont ainsi lies rciproquement dans un cercle
hermneutique qui tend vers la formulation de vrits universelles.
41 Mesure, 192 42 Ou plutt vrits "gnrales" ou "communes", ce qui conviendrait peut-tre mieux, ici, pour traduire le mot
"allgemeine". La traduction par "universelle" est correcte mais pourrait prter confusion.
18
4.3.2. La diffrence entre les sciences de lesprit et les sciences de la nature fonde dans cette
mthode. Les units vitales du monde historique.
Ayant, prsent, rendu apparentes les tendances mthodologiques des sciences de lesprit,
Dilthey peut les distinguer clairement des sciences de la nature. En effet, les dmarches de ces
dernires ne ressemblent en rien un dvoilement progressif du monde spirituel (allmhliche
Aufklrung) qui merge des tendances de gnralisation et danalyse.
Les sciences de la nature ont pour fondement un ensemble de phnomnes spatiaux. Ceci leur
permet de formuler immdiatement des lois universelles exactes, car tout ce qui se trouve
dans lespace a un caractre immdiatement dmontrable et mesurable. Mais lensemble
interactif auquel participent les lments spatiaux est uniquement une construction de la
pense, le rsultat dune connexion dhypothses43
. Les lments derniers des sciences de la
nature ne peuvent pas tre exhibs, ils ne peuvent tre que construits en tant quabstractions
dans une tude analytique de lespace.44
Les sciences de la nature travaillent avec un nombre
limit de ces lments objectivement45
dtermins. En effet, aujourdhui on dira que les
sciences de la nature travaillent avec les objets mathmatiques que sont les variables. Ces
variables nont pas de ralit observable, ancre dans lexprience, mais existent uniquement
in abstractum, en tant qulments constitutifs de lexplication dun phnomne spatial, en
tant que synthses numriques dune abstraction de la ralit. Ces variables sont toujours
hypothtiques. Elles peuvent tre assembles ou dissolues en variables plus ou moins larges
il existe dailleurs des variables synthtiques dont la plus connue dj au temps de Dilthey est
probablement celle de la vitesse46
. Pour les sciences de la nature, les liens abstraits qui lient
ces variables jouent le rle conceptuel quivalent de celui densembles interactifs dans les
sciences de lesprit. Dans le contexte de sciences de la nature, ces ensembles sont appels
ensembles causals. Ces ensembles causals sont trs diffrents des ensembles interactifs des
sciences de lesprit.
Dans les ensembles interactifs du monde historique, au contraire, les units dernires peuvent
tre exhibes. Elles sont immdiatement donnes dans lexprience vcue et dans la
comprhension. Plus prcisment, ce qui y est immdiatement donn (ursprnglich
gegeben)47
est le "Strukturzusammenhang der Lebenseinheiten"48
: Lapprhension objective
(gegenstndliches Auffassen), les valeurs et les fins, rciproquement lies (aufeinender
bezogen) dans un Strukturzusammenhang, forment des units concrtes, des units dernires
du monde historique que Dilthey dnomme units vitales (Lebenseinheiten).
"Seul ce qui est pos dans [la] volont mme [de cette unit vitale] peut tre une fin, seul ce dont
sa pense constate la vrit est vrai et seul ce qui a une relation positive son sentiment possde
pour elle de la valeur"49
43 Ideen ber eine beschreibende und zergliedernde Psychologie, p.143 44 Dj dans le chapitre II.2., p.103, Dilthey parlait de ces concepts abstraits dont les sciences de la nature se
servent pour expliquer les phnomnes: "Die Begriffe, durch welche dies geschieht, sind Hilfskonstruktionen,
welche das Denken zu diesem Zweck schafft. So ist die Natur uns fremd, dem auffassenden Subjekt transzenden,
in Hilfskonstruktionen vermittels des phnomenal Gegebenen zu diesem hinzugedacht." 45 La notion dobjectivit prend dailleurs une autre tournure dans les sciences de la nature. 46
tsv
t 0lim , avec v pour vitesse, s pour distance et t pour temps. Il est intressant de noter que, depuis la
formulation de la thorie de la relativit gnrale, s et t peuvent en effet tre exprimes en fonction lune de
lautre, voire dcomposes en dautres variables. Ceci montre le caractre totalement abstrait des lments
derniers des sciences de la nature. 47 Ideen ber eine beschreibende und zergliedernde Psychologie, p.143 48 Voir point 2.2. et point 1.2.1., en particulier 1.2.1.1. 49 "Nur das in ihrem eigenen Willen Gesetzte Zweck sein kann, nur was in ihrem Denken sich bewhrt wahr ist
und nur, was zu ihrem Fhlen ein positives Verhltnis hat, Wert fr sie besitzt"
19
Le corrlat concret de ces units dernires est le corps agissant daprs une impulsion interne.
Elles portent donc galement parfois le nom dunits psychophysiques. La volont, la pense,
la sensation sont toutes lies ces units. Les fins, la vrit des choses et leur valeur
nexistent pas en dehors delles. Parce que le procd analytique appliqu au sein des sciences
de lesprit ne peut dcomposer au-del de lexprience vcue de lunit psychophysique,
Dilthey peut affirmer que ces units sont les units dernires du monde humain, social et
historique (meschlich-gesellschaftlich-geschichtliche Welt) sont un "acquis certain de la
dmarche analytique"50
.
4.3.3. Rejet du holisme et de latomise: Lunit vitale non retranchable de la dimension
collective de ce qui est humain. Lhumanit comme entit vivante non retranchable de ses
units vitales, donc indtermine. Premire raison de limpossibilit, pour les sciences de
lesprit, dtablir des chanes causales.
Trois choses distinguent lunit vitale dans le monde de lesprit par rapport aux ensembles
perus par les sciences de la nature:
Premirement, lunit vitale est un ensemble interactif qui sinscrit dans le vcu.
Deuximement, les units vitales ne peuvent tre mesures quant une intensit mais
uniquement values (abgeschtzt). Elles ne peuvent tre analyses quantitativement mais
uniquement de manire qualitative.
Troisimement, on ne peut, dans le cas dunits vitales, faire une distinction entre ce qui en
constitue lindividualit et ce qui en elles est gnralement humain, cest dire, commun
toutes les units. "Ihre Individualitt ist nicht vom Gemeinschaftlich-Menschlichen loslsbar".
Lhumanit est ainsi un type indtermin (unbestimmter Typus) parce quelle ne peut tre,
son tour, retranche des units vitales individuelles qui la portent.
Lhumanit forme donc un ensemble multiple et dynamique. Chaque tat psychique
particulier dune unit vitale modifie le rapport de sa totalit aux choses et cette modification
se propage aux units plus larges. Mme si les tats psychiques des individus sont en partie
dtermins par les intentions de lensemble structurel auquel ils participent, ils ne le sont pas
exclusivement - du moins pas toujours. Lindividu intervient dans lensemble interactif par le
poids de sa totalit. "Das Individuum [] greift als Lebenseinheit in den Wirkungs-
zusammengang ein; in seiner usserung ist es als Ganzes wirksam".
Les causalits qui peuvent tre tablies au niveau des ensembles interactifs ne rgissent que
de faon approximative les actes dun individu. On peut dire quils ne les dterminent pas
mais quils les balisent. La structure de lindividu, qui ralise les intentions de lensemble,
codtermine ces intentions. Vu dans lautre sens, les tendances de lhistoire, bien quelles se
propagent partir des individus, restent tendances de lhistoire.
De ce fait qui sinscrit dans ce que nous avons dj mentionn par rapport la position de
Dilthey vis vis du holisme51
et de latomisme52
le holisme, qui efface limportance de
lindividu, ainsi que latomisme qui efface limportance de lensemble peuvent tre rejets.
Dans le systme ainsi tabli, une causalit dterministe, telle quon la connat dans les
sciences de la nature, nest pas observable.53
Elle nest donc pas observable dans les sciences
de lesprit qui ont de tels systmes pour objet.
50 "der sichere analytische Befund" 51 Voir point 4.1.4. 52 Voir point 4.1.5. 53 Notons que cette rciprocit entre lensemble et lindividu peut se dployer mme au sein dun systme
dterministe, condition que ce systme ne soit linaire, comme ltaient la majorit des systmes des sciences
20
Dilthey prsente cependant un argument plus fort encore en faveur de limpossibilit, pour les
sciences de lesprit, dtablir des chanes causales dans la deuxime moiti du paragraphe 4. Il
sagit de largument de labsence de systmes homognes dans les sciences de lesprit.
4.3.4. Systmes homognes des sciences de la nature. Leur absence dans les sciences de
lesprit. Deuxime raison de limpossibilit, pour les sciences de lesprit, dtablir des
chanes causales. Diffrence entre les sciences de la nature et les sciences de lesprit qui en
dcoule.
"La nature est divise en des systmes diffrents dont chacun est en soi de mme texture"54
.
Ces systmes homognes existent du fait de la diffrenciation des sens de chaque individu.
Chacun des sens dun individu peroit un autre systme, et chacun de ces systmes est un
systme complet. Dilthey donne lexemple dune cloche que lon peut diviser en duret,
couleur, son etc., chacune de ces proprits occupant une place dtermine dans un systme
dapprhension sensible (System sinnlichen Auffassens). Au-del du domaine des
phnomnes spatiaux55
, cest lensemble de tels systmes clos dapprhension sensible que
Dilthey tend ici le champ dtude des sciences de la nature. Cest dans de tels systmes que
ces sciences peuvent tablir des lois du changement qui rgissent lenchanement des chanes
causales.
Cependant, du point de vue de lindividu et de son exprience vcue (Erleben), une cohsion
interne (innerer Zusammenhang) de tels systmes, ni mme de telles proprits, nest donne.
Lindividu na pas accs ces systmes sparment car il est donn lui-mme comme un
tout. "Cest en tant quensemble cohrent que je suis prsent moi-mme dans lexprience
vcue"56
. Que ce soit dans lexprience vcue de lindividu ou dans la comprhension dune
collectivit, chaque fois, la moindre chose que cet individu ou cette collectivit apprhende
apporte une nouvelle disposition la vie entire, au Zusammenhang que cet individu ou cette
collectivit est soi-mme. De mme dans chaque expression de la vie qui accde la
comprhension, cest la vie entire qui est agissante. Ceci veut dire que ni lexprience vcue
de lindividu, ni la comprhension dune collectivit ne permettent laccs des systmes
homognes lintrieur desquels on saurait dlimiter des lois causales, cest dire, lesquels
on saurait expliquer. Ltablissement des lois causales est donc exclu dans le monde de
lesprit et, par l-mme, dans les sciences de lesprit.
A partir de cette rflexion, Dilthey arrive une conclusion sur la diffrence entre les deux
types de sciences. Les sciences de la nature soccupent des transformations, elles expliquent
de la nature lpoque de Dilthey. Lexemple des automates cellulaires, mthode de modlisation mathmatique
labore par von Neumann dans les annes 60, montre comment des individus champ daction totalement
dtermin peuvent faire merger des formes et des ensembles dots dune tlologie rellement inexistante,
pourtant observable. La prsence de ces ensembles rtroagit son tour sur le champ daction des individus que
ces derniers exploitent faisant voluer lensemble et ainsi de suite. Ainsi, par chaque itration du systme,
merge une dynamique globale dtermine autant par chacun des individus que par lensemble que la totalit des
individus forme. Voir, ce sujet, p.ex., EPSTEIN et AXTELL. Growing Artificial Societies: Social Science from
the Bottom Up, Washington, D.C.: Brookings Institution Press, 1996. 54 "Die Natur ist durch die Differenzierung der Sinne, deren jeder einen Sinneskreis von homogener
Beschaffenheit enthlt, in verschiedene Systeme gesondert, deren jedes gleichartig ist." 55 Voir point 4.3.2. 56 "Im Erleben bin ich mir selbst als Zusammenhang da". La traduction (S. Mesure) de cette phrase par "Cest
dans lexprience vcue que je suis prsent moi-mme comme un ensemble cohrent" nous parat inapproprie.
Le sens principal de la phrase sige dans le fait que je suis un ensemble indivisible moi-mme et non dans le
fait que je le suis dans lexprience vcue. Le retournement de la phrase permet de remettre laccent l o il
devrait tre.
21
les causalits. Au sein des sciences de lesprit, cest lapprhension de lindividualit qui
domine. Cette apprhension slve de lunit vitale, de la personne singulire, jusqu
lindividu "humanit". Si les sciences de la nature appliquent donc une mthode dhypothses
linaire que lon connat, cest dire, une mthode qui relve de lexprimentation et de
lvaluation statistique de cette exprimentation57
, les sciences de lesprit doivent recourir
une mthode comparative qui seule permet dordonner conceptuellement la diversit
individuelle du monde de lesprit.
4.3.5. Frontires mthodologiques des diverses sciences de lesprit qui drivent de cette
diffrence.
Dans le dernier paragraphe de la troisime partie, Dilthey cre une double ouverture. Une
ouverture, dabord, sur la quatrime partie du chapitre quatre consacre aux dtails
mthodologiques dune science de lhistoire. Un ouverture, encore, sur quelques uns de ses
ouvrages antrieurs, consacrs la psychologie et aux disciplines systmatiques de lesprit.
Dans les deux cas, les textes ainsi relis ce point de son argumentation mettent en uvre les
principes mthodologiques quil vient dlaborer.
Raffirmant que toutes les disciplines des sciences de lesprit ont de faon prpondrante un
caractre descriptif et analytique, Dilthey pense particulirement son ouvrage "Ideen ber
eine beschreibende und zergliedernde Psychologie"58
. Il renvoie toutefois aussi deux autres
de ses ouvrages, nommment "Studien zur Grundlegung" et l"Einleitung in den
Geisteswisseschaften." En utilisant la tournure "aussi bien la psychologie que les diverses
disciplines systmatiques"59
, il montre que les dveloppements de lensemble de ces ouvrages
reposent sur le mme principe mthodologique.
Pour faire le point sur ces mthodes, prenons les principes dvelopps dans les "Ideen".
Pour Dilthey les frontires mthodologiques des sciences de lesprit sarrtent la
comprhension, les sciences de lesprit nexpliquent pas. Elles tudient les ressemblances
(Gemeinsamkeiten) et les liens daffinit (Verwandschaften) qui se dessinent parmi les
"individus" historico-sociaux plus ou moins grands.
Partant de cette position Dilthey ne peut que rejeter lenseignement dune psychologie
mcaniste et explicative dont il dsigne, comme reprsentants, Herbert, Spencer, Taine ainsi
que lensemble des matrialistes de son poque. Il ne peut que leur reprocher dappliquer
tort les mmes mthodes de recherche de causalit dans les sciences de lesprit que dans la
physique des atomes.
En effet, la mthode hypothtique est utile et tout fait justifie dans le cadre des sciences de
la nature, o lon peut concevoir des expriences au sein dun systme homogne. Ces
expriences permettent de rejeter des hypothses formules, ne retenant que des hypothses
probables. Un progrs constant des sciences de la nature est ainsi garanti.
Dans les sciences de lesprit comme la psychologie, toutefois, la mme mthode hypothtique
empche tout progrs. En labsence dun systme homogne, en absence dun champ
dexprimentation, aucune hypothse ny a le pouvoir den exclure une autre60
. Les
hypothses plus ou moins saugrenues peuvent ainsi samasser au point de rendre impossible
toute comprhension des phnomnes de lesprit (seellishen Erscheinungen). Voulant se poser
en principes dont tous les phnomnes de lesprit sauraient tre dduits, ces hypothses
57 Ideen ber eine beschreibende und zergliedernde Psychologie, p.140 58 Ides pour une psychologie descriptive et analytique 59 "sowohl Psychologie als die einzelnen systematischen Disziplinen" 60 Ideen ber eine beschreibende und zergliedernde Psychologie, p.142
22
effacent toute comprhension de ces phnomnes derrire la multitude de leur possibles
explications. Cest ce quexprime Dilthey avec loquence dans les "Ideen":
"Hypothesen, berall nur Hypothesen! Und zwar nicht als untergeordnete Bestandteile, welche
einzeln dem Wissenschaftlichen Gedankenweg eingeordnet sind [...] vielmehr Hypothesen,
welche als Elemente der Psychologischen Kausalerklrung die Ableitung aller seelischen
Erscheinungen ermglichen und an ihnen sich bewhren sollen"61
:
De nos jours, Dilthey rejetterait probablement lapplication de statistiques dans les sciences
humaines daujourdhui car ces dernires nont pas rellement de variables dlimites, pas
plus que des systmes homognes lintrieur desquels les valeurs de ces variables seraient
lies selon une formule prcise.
5. Conclusion: Critique et Perspectives
Lobjection la plus vidente que lon peut faire Dilthey est le fait que le rle des mots du
langage dans les sciences de lesprit peut tre considr de la mme faon que celui des
variables dans les sciences de la nature. Ce fait rapproche nouveau les sciences de lesprit
des sciences de la nature. Ce rapprochement sopre galement dans lautre sens: ltude du
langage rvle quel point la construction dobjets abstraits dans les sciences de la nature est
porteuse dune intentionnalit du sujet pensant tout aussi marque que lintentionnalit avec
laquelle le sujet historique apprhende son monde. Dilthey naccorde cependant pas au
langage lattention qui lui sera donne par la suite. Il ne se doute pas encore que cette
thmatique sera destine devenir une vritable obsession de la pense du vingtime sicle.
Non seulement chez les linguistes comme Saussure, Barthes et aujourdhui Eco et Chomsky
mais galement chez les successeurs directs de Dilthey comme Heidegger et Gadamer.
A cela sajoute le fait que des ensembles causals essentiellement non linaires, labors dans
les sciences de la nature actuelles, ressemblent bien plus des ensembles interactifs qu ce
quon comprenait sous le terme densemble causal lpoque de Dilthey.
Une deuxime objection peut lui tre faite par rapport son exclusion trop htive dune tche
explicative des sciences de lesprit. Ceci est limitant au point, dailleurs, que cette exclusion
fait tomber Dilthey lui-mme dans une contradiction apparente releve dans le point 4.3.1.
Cette critique peut, cependant et comme nous lavons dj vu, tre leve par le fait que le
terme expliquer ne revt pas le mme sens dans le contexte des sciences de lesprit que dans
celui des sciences de la nature.
Ceci nous amne cependant une troisime critique. De manire gnrale, on peut reprocher
Dilthey dutiliser une terminologie incertaine, qui nest pas niveau avec sa problmatique.
Dilthey semble chercher ses mots. Nous assistons ainsi une profusion de termes relis entre
eux de faon souvent peu claire. La notion dexplication est un exemple flagrant, mais
dautres confusions peuvent tre releves comme la proximit non explicite des notions
dindividu et dunit psychophysique ou encore le caractre presque polysmique de la notion
de Strukturzusammenhang.
A cela sajoute le fait que le chemin troit que Dilthey se fraye entre le positivisme et
lhistorisme, entre lidalisme et le matrialisme, entre le holisme et latomisme, entre la
philosophie kantienne et hglienne et les nouveaux acquis de la phnomnologie savre
61 Ideen ber eine beschreibende und zergliedernde Psychologie, p.143
23
encore glissant et sem de dtours. Dilthey emprunte son vocabulaire et son argumentation
tantt lun ou lautre bord de son chemin.
Ces critiques et objections doivent cependant tre attnus par le contexte historique dans
lequel Dilthey se trouve. Bien quil nait pas encore eu les moyens terminologiques et
conceptuels pour formuler certaines de ses ides, Dilthey a le mrite inestimable davoir
ouvert la brche menant la possibilit dune objectivit dans les sciences de lesprit. Le
mrite particulier de cette ouverture est quelle mne une forme dobjectivit qui ne
prsuppose pas la rduction de lhumain un appareil physiologique. Bien quen retard sur
limportante notion de linconscient dj largement labore chez Nietzsche, Dilthey est dj
en avance sur Freud dans linterprtation de ltre humain. A la fin du dix-neuvime sicle, il
montre lintuition dune pense et dune critique qui sera, plus dun demi-sicle plus tard,
releve par le fondateur de la Daseinsanalyse lorsquil dit:
"[] das Bild, das sich die Naturwissenschaft vom Menschen macht, [vermag] zwar alle Bezirke
des Menschseins zu umspannen, es vermag aber nicht diese Bezirke in ihren eigenen Vernunft-
und Sprachformen unmittelbar, d.h. so wie der Mensch in ihnen leibt und lebt, zu Worte
kommen zu lassen (wie es Aufgabe der Anthropologie als der Gesamterfahrung des Menschen
vom Menschen in allen seinen Existenzweisen ist). Daran hindert die Naturwissenschaft ja allein
schon ihre Methode, die wahrgenommenen Phnomene hinter den angenommenen Strebungen
zurcktreten zu lassen. [] Wissenschaft, Kunst, Sitte, Religion sind keine Abstraktionen, sondern
faktische Arten und Weisen, in denen das menschliche Dasein existiert, sich selbst versteht,
auslegt und ausspricht. In der Tatsache der Mglichkeit all dieser Daseinsformen erblicken wir
die Geschichtlichkeit des menschlichen Daseins, in ihren tatschlichen Verwirklichungen seine
Geschichte." 62
Labstraction des sciences de la nature ne peut permettre une vritable science de lhistoire.
Dilthey montre quon ne peut construire une comprhension de lhistoire quen partant de
lhumain. Lhumain quon ne peut comprendre quen le considrant en tant qutre vivant et
complexe, en considrant sa vie qui se dploie est se construit dans le t