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Elena Neuroni Naef/Francesco Naef AJP/PJA 11/2008 1396 Droit suisse de la faillite internationale: la faillite d’un système? FRANCESCO NAEF avvocato e notaio, Lugano Plan I. Introduction A. Territorialité ou universalité de la faillite? B. Critiques au principe de la territorialité C. La jurisprudence du Tribunal fédéral D. Le Chapitre XI de la LDIP II. Quelques questions controversées A. Jurisprudence récente B. Opinions de doctrine récentes C. Perspectives III. Le principe de territorialité A. Sources B. Les actes relevant de la puissance publique C. Application du principe de territorialité à la faillite internationale IV. Les effets internationaux du jugement A. La reconnaissance du jugement étranger B. Effets procéduraux et effets matériels du jugement étranger V. Le jugement de faillite A. Les effets typiques de la décision de faillite B. Les effets atypiques ou matériels VI. Les pouvoirs de l’administration de faillite étrangère A. Opinion traditionnelle B. Opinions récentes C. Discussion D. Personnes physiques? VII. Reconnaissance à titre préjudiciel A. Intérêt de la question B. Opinion majoritaire C. Opinions dissidentes D. Le Tribunal fédéral a tranché E. Discussion et critique F. Effets de la reconnaissance VIII. L’action révocatoire IX. Conclusions A. Une jurisprudence erronée B. Un système encore viable I. Introduction A. Territorialité ou universalité de la faillite? Le droit international de la faillite a été longtemps dominé en Suisse – sans une base légale explicite – par un strict principe de territorialité, selon lequel une faillite ouverte à l’étranger ne déploie – en général – pas d’effets en Suisse; le failli ne perd donc pas le droit d’administrer et de disposer des biens localisés en Suisse, et des poursuites – notamment le séques- tre – restent possibles en Suisse sur les biens du failli 1 . Le principe de territorialité s’oppose à celui de l’univer- salité de la faillite, principe selon lequel la faillite – même prononcée à l’étranger – déploie ses effets dans tous les pays où le failli possède des biens; ceux-ci rentrent dans une seule masse, les poursuites particulières ne sont plus possibles dès que la faillite a été prononcée dans un Etat, et un seul ad- ministrateur de la faillite (celui du pays où la faillite à été ouverte) conduit la procédure, administre et réalise les biens du failli, en distribuant les deniers aux créanciers. C’est le système que le droit suisse applique à la faillite interne 2 (art. 197 al. 1 LP et 27 al. 1 OAOF), qui prévoit que tous les biens saisissables du failli au moment de l’ouverture de la faillite forment une seule masse – quel que soit le lieu où ils se trouvent – et sont affectés au paiement des créanciers. C’est aussi, en principe, le système adopté au niveau euro- péen par le Règlement 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité de l’Union Européenne d’après lequel la décision de faillite prononcée dans un Etat mem- bre où se trouve le centre des intérêts principaux du débiteur est reconnue dans tous les Etats membres sans procédure d’exequatur ou d’autres formalités. 3 La procédure porte sur ELENA NEURONI NAEF avvocato, Lugano 1 ATF 35 I 811 c.1 (poursuite en réalisation de gage: non applica- tion de l’art. 206 LP en cas de faillite ouverte aux Etats Unis), 37 II 587 c.4 (séquestre en Suisse de créances du failli en Alle- magne: non application de l’art. 206 LP), 54 III 25 (dividende de faillite suisse revenant à un failli au Danemark: en vertu du principe de territorialité de la faillite, le failli à l’étranger garde la libre disposition des biens sis en Suisse et le dividende ne doit donc pas être délivré à l’administration de la faillite da- noise); Alain Hirsch, Aspects internationaux du droit suisse de la faillite, in: Recueil de travaux publié à l’occasion de l’as- semblée de la société suisse des juristes à Genève du 3 au 5 octobre 1969, Genève 1969, p. 74 ss.; Daniel Staehelin, Die Anerkennung ausländischer Konkurse und Nachlassverträge in der Schweiz, Bâle 1989, p. 3. 2 C’est à dire pour une faillite ouverte en Suisse. 3 François Mélin, La faillite internationale, Paris 2004, p. 126 et 167.

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Droit suisse de la faillite internationale: la faillite d’un système?

Francesco naeF

avvocato e notaio, Lugano

Plan

I. IntroductionA. Territorialité ou universalité de la faillite?B. Critiques au principe de la territorialitéC. La jurisprudence du Tribunal fédéralD. Le Chapitre XI de la LDIP

II. Quelques questions controverséesA. Jurisprudence récenteB. Opinions de doctrine récentesC. Perspectives

III. Le principe de territorialitéA. SourcesB. Les actes relevant de la puissance publiqueC. Application du principe de territorialité à la faillite

internationaleIV. Les effets internationaux du jugement

A. La reconnaissance du jugement étrangerB. Effets procéduraux et effets matériels du jugement étranger

V. Le jugement de failliteA. Les effets typiques de la décision de failliteB. Les effets atypiques ou matériels

VI. Les pouvoirs de l’administration de faillite étrangèreA. Opinion traditionnelleB. Opinions récentesC. DiscussionD. Personnes physiques?

VII. Reconnaissance à titre préjudicielA. Intérêt de la questionB. Opinion majoritaireC. Opinions dissidentesD. Le Tribunal fédéral a tranchéE. Discussion et critiqueF. Effets de la reconnaissance

VIII. L’action révocatoireIX. Conclusions

A. Une jurisprudence erronéeB. Un système encore viable

I. Introduction

A. Territorialité ou universalité de la faillite?

Le droit international de la faillite a été longtemps dominé en Suisse – sans une base légale explicite – par un strict principe de territorialité, selon lequel une faillite ouverte à l’étranger ne déploie – en général – pas d’effets en Suisse; le failli ne perd donc pas le droit d’administrer et de disposer des biens localisés en Suisse, et des poursuites – notamment le séques-tre – restent possibles en Suisse sur les biens du failli1.

Le principe de territorialité s’oppose à celui de l’univer-salité de la faillite, principe selon lequel la faillite – même prononcée à l’étranger – déploie ses effets dans tous les pays où le failli possède des biens; ceux-ci rentrent dans une seule masse, les poursuites particulières ne sont plus possibles dès que la faillite a été prononcée dans un Etat, et un seul ad-ministrateur de la faillite (celui du pays où la faillite à été ouverte) conduit la procédure, administre et réalise les biens du failli, en distribuant les deniers aux créanciers. C’est le système que le droit suisse applique à la faillite interne2 (art. 197 al. 1 LP et 27 al. 1 OAOF), qui prévoit que tous les biens saisissables du failli au moment de l’ouverture de la faillite forment une seule masse – quel que soit le lieu où ils se trouvent – et sont affectés au paiement des créanciers.

C’est aussi, en principe, le système adopté au niveau euro-péen par le Règlement 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité de l’Union Européenne d’après lequel la décision de faillite prononcée dans un Etat mem-bre où se trouve le centre des intérêts principaux du débiteur est reconnue dans tous les Etats membres sans procédure d’exequatur ou d’autres formalités.3 La procédure porte sur

elena neuroni naeF

avvocato, Lugano

1 ATF 35 I 811 c.1 (poursuite en réalisation de gage: non applica-tion de l’art. 206 LP en cas de faillite ouverte aux Etats Unis), 37 II 587 c.4 (séquestre en Suisse de créances du failli en Alle-magne: non application de l’art. 206 LP), 54 III 25 (dividende de faillite suisse revenant à un failli au Danemark: en vertu du principe de territorialité de la faillite, le failli à l’étranger garde la libre disposition des biens sis en Suisse et le dividende ne doit donc pas être délivré à l’administration de la faillite da-noise); Alain Hirsch, Aspects internationaux du droit suisse de la faillite, in: Recueil de travaux publié à l’occasion de l’as-semblée de la société suisse des juristes à Genève du 3 au 5 octobre 1969, Genève 1969, p. 74 ss.; Daniel Staehelin, Die Anerkennung ausländischer Konkurse und Nachlassverträge in der Schweiz, Bâle 1989, p. 3.

2 C’est à dire pour une faillite ouverte en Suisse.3 François Mélin, La faillite internationale, Paris 2004, p. 126

et 167.

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l’ensemble des biens du débiteur sis dans les Etats membres et le syndic ou administrateur de la faillite voit ses pouvoirs reconnus dans tous les Etats de l’Union; il doit toutefois res-pecter la loi de l’Etat membre sur le territoire duquel il en-tend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens. Le Règlement réserve la possibilité d’ouvrir des procédures secondaires ou territoriales au lieu où le débiteur a un établissement, qui sont cependant subordonnées à la procédure principale4.

B. Critiques au principe de la territorialité

La doctrine avait critiqué le principe de la territorialité en mettant en évidence que celui-ci ne découlait pas de la loi et qu’il avait pour conséquence de rompre l’égalité entre créan-ciers – qui constitue pourtant une des normes essentielles de la faillite – sans pour autant sauvegarder au mieux les droits des créanciers locaux qui ne sont pas nécessairement les mieux informés sur l’existence des biens du failli en Suisse ou les plus rapides à agir à l’encontre du failli. En outre ce système invitait le failli à soustraire à la mainmise des créan-ciers des biens, en les cachant à l’étranger.5

C. La jurisprudence du Tribunal fédéral

Dans sa jurisprudence, le Tribunal Fédéral n’avait pas man-qué de retenir les critiques formulées par la doctrine favo-rable à la reconnaissance de la faillite étrangère, et il avait quelque peu atténué le principe de territorialité, en admettant la qualité pour agir de la masse en faillite étrangère dans une action de contestation de l’état de collocation de la faillite suisse du débiteur principal; il avait ainsi reconnu à titre préalable un des effets du prononcé de faillite étranger, c’est-à-dire le dessaisissement du failli6. La possibilité pour l’ad-ministration de faillite étrangère d’agir en Suisse par la voie judiciaire et de poursuites, pour faire valoir en lieu et place du failli ses créances contre un débiteur domicilié en Suisse, avait d’ailleurs déjà été réservée dans un arrêt de 19147.

Cette jurisprudence avait été favorablement saluée par la doctrine qui admettait – avant l’entrée en vigueur du chapi-tre XI de la LDIP – que l’administrateur de la faillite étran-gère pouvait faire valoir les créances du failli, puis en pour-suivre le recouvrement en suivant les voies de la LP, et qu’il pouvait s’opposer aux prétentions élevées contre le failli, comme le ferait un simple particulier. Il n’était par contre pas possible d’admettre la suspension des poursuites particuliè-

res, notamment le séquestre, puisque cela impliquait l’usage d’un pouvoir de coercition sur les créanciers8.

D. Le Chapitre XI de la LDIP

Le chapitre XI de la LDIP, dans le courant des opinions doctrinales favorables à la reconnaissance des décisions de faillite étrangères, a reconnu à l’administration de la faillite étrangère (ou à l’un des créanciers) le droit de requérir en Suisse la reconnaissance d’une faillite prononcée à l’étran-ger et en a réglé les conditions.

Une décision de faillite étrangère rendue dans l’Etat du domicile du débiteur est reconnue en Suisse si la décision est exécutoire, si elle n’est pas contraire à l’ordre public au sens de l’art. 27 LDIP et si la réciprocité est accordée par l’Etat où la décision a été rendue (art. 166 LDIP). La procédure de reconnaissance est réglée, par analogie, par l’art. 29 LDIP (art. 167 LDIP).

Pour le patrimoine du failli sis en Suisse, la reconnaissan-ce de la décision de faillite rendue à l’étranger a, sauf dispo-sitions contraires de la loi, les effets de la faillite tels que les prévoit le droit suisse. Il n’y a ni assemblée des créanciers ni commission de surveillance (art. 170 LDIP). Une mini-fail-lite suisse a lieu, et dans le cadre de celle-ci, l’administration suisse de la faillite dresse l’inventaire des biens du failli sis en Suisse ainsi que l’état de collocation, réalise les biens et distribue les deniers. Sont seuls admis à l’état de collocation de la mini-faillite les créanciers gagistes désignés à l’art. 219 LP ainsi que les créanciers privilégiés au sens de l’art. 219 al. 4 LP domiciliés en Suisse (art. 172 LDIP).

Un solde éventuel – après distribution des derniers – est remis à l’administration de la masse en faillite étrangère, après la reconnaissance de l’état de collocation étranger qui doit admettre équitablement les créanciers domiciliés en Suisse, faute de quoi il ne peut pas être reconnu. Si l’état de collocation étranger ne peut pas être reconnu, le solde est ré-parti entre les créanciers de la troisième classe, soit les créan-ciers chirographaires.

Pour les biens du débiteur failli sis en Suisse, l’effet di-rect de la reconnaissance n’est pas celui d’étendre au terri-toire suisse les effets de la faillite tels qu’ils sont connus du droit étranger de l’Etat où la faillite a été déclarée, puisque elle déclenche plutôt les effets typiques du droit suisse de la faillite (art. 170 al. 1 LDIP)9. Il faut pourtant admettre qu’in-

4 Melin (n. 3), p. 176 et 194.5 Hirsch (n. 1), p. 83; Hans Hanisch, Aktuelle Probleme des

internationalen Insolvenzrechts, ASDI 1980, p. 113 ss.; Louis Dallèves, Faillites internationales et droit suisse, BlSchK 1982, p. 86; Staehelin (n. 1), p. 3.

6 ATF 109 III 112 c. 2b.7 ATF 40 III 365 c. 2.

8 Philippe Junod, Tendances actuelles de la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de faillite prononcée à l’étranger avec des biens situés en Suisse, in: Le droit de la faillite interna-tionale, Zurich 1986, p.13.

9 Hans Hanisch, Die Vollstreckung von ausländischen Konkur-serkentnissen in der Schweiz, AJP/PJA 1999, p. 27; Paul Vol-ken, IPRG Kommentar, Zurich 2004, n. 10 ad Art. 170; Kurt Siehr, Grundfragen des internationalen Konkursrechts, SJZ/RSJ 1999, p. 87; Charles Jaques, La réconnaissance et les ef-

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directement les effets de la décision étrangère de faillite sont étendus au territoire suisse, puisque le solde éventuel de li-quidation après distributions des derniers est remis à l’admi-nistration étrangère de la faillite et non au failli.

II. Quelques questions controversées

De nombreuses questions controversées ont surgi après l’en-trée en vigueur de la LDIP, à propos surtout des domaines qui n’étaient pas explicitement réglés par la loi, comme celui des effets atypiques d’une faillite étrangère, ou des effets sur les biens sis hors de Suisse, ou celui des effets en cas de non-reconnaissance.

Une des questions controversées en doctrine et juris-prudence est celle relative aux droits de l’administration de faillite étrangère d’une personne morale dans le cas où la reconnaissance au sens du chapitre XI LDIP n’est pas ou ne peut pas être requise, par exemple faute de réciprocité. Il s’agit notamment de déterminer si l’administration de faillite étrangère peut valablement représenter le failli, respective-ment si elle peut disposer de ses biens en Suisse.

Une autre question controversée est celle relative à la pos-sibilité pour l’administration de la faillite étrangère d’ouvrir action révocatoire en Suisse, notamment pour des biens qui ne font pas partie de la masse de la mini-faillite suisse.

De plus, les auteurs ne sont pas unanimes sur la question à savoir si une faillite étrangère peut être reconnue à titre inci-dent aux sens de l’art. 29 al. 3 LDIP.

A. Jurisprudence récente

Deux ans après l’entrée en vigueur de la LDIP, le Tribunal fédéral avait précisé qu’après l’ouverture de la mini-faillite suisse l’administration étrangère de faillite n’a plus la qualité pour agir en relation aux biens localisés en Suisse10.

Dans un arrêt de mai 2003 il a confirmé sa jurisprudence antérieure à la LDIP, en rappelant que la capacité d’une masse en faillite étrangère d’ester en justice est réglée par le statut personnel de celle-ci11.

En juin 2003 il semble au contraire avoir dénié à une masse étrangère (ou à son administration ou à la personne morale faillie elle-même) toute capacité d’agir en Suisse, en dehors de la procédure de reconnaissance à titre principal des articles 166 ss. LDIP. Dans un arrêt sur un recours de droit public interjeté par l’administration de faillite d’une personne morale autrichienne contre la décision de ne pas

accorder la mainlevée de l’opposition dans une poursuite intentée contre son débiteur suisse, le Tribunal fédéral a affirmé: «Die Beschwerdeführerin (wie auch das Oberge-richt) verkennt sodann die Bedeutung des 11. Kapitels des IPRG, welches die zwischenstaatliche Rechtshilfe in Kon-kurssachen – und insoweit die Auflockerung des Territoria-litätsgrundsatzes – regelt (BBl 1983 I 450). Danach ist eine ausländische Konkursmasse nur zum Antrag auf Anerken-nung des ausländischen Konkursdekretes und Anordnung sichernder Massnahmen aktivlegitimiert (Art. 166 und 168 SchKG) sowie, falls das ausländische Konkursdekret in der Schweiz anerkannt worden ist, zur Abhebung der An-fechtungsklage nach Art. 285 ff. SchKG (Art 171 IPRG). Andere Rechtshandlungen kann sie nicht vornehmen (Ur-teil 1P.161/1991, Jdt 1993 II S. 215, E. 2b mit Hinweis auf Pierre-Robert Gilliéron, Les dispositions de la nouvelle loi fédérale de droit international privé sur la faillite interna-tionale, Lausanne 1991, S. 55). Da die Beschwerdeführerin als ausländische Konkursmasse nicht aktivlegitimiert ist, in der Schweiz ihr zustehende Forderungen in Betreibung zu setzen, kann der angefochtene Entscheid, d.h. die Nicht-erteilung der Rechtsöffnung, in seinem Ergebnis nicht als willkürlich bezeichnet werden»12.

Pourtant, en avril 2004, le Tribunal fédéral a admis la qua-lité pour interjeter un recours de droit public à une société faillie en Italie, représentée par l’administrateur italien de la faillite, sans se demander si cette faillite pouvait être recon-nue aux sens des articles 166 ss. LDIP13.

Un mois plus tard, il a rappelé que le conjoint du failli à l’étranger garde la qualité pour agir en Suisse contre la ban-que auprès de laquelle il a un compte, aussi longtemps que la faillite étrangère n’a pas été reconnue en Suisse sur requête de l’administration étrangère14.

Puis, en août 2004, il a confirmé que la capacité d’être par-tie et celle d’ester en justice d’une masse en faillite étrangère étaient régis par la loi du pays d’ouverture de la faillite; il a laissé ouverte la question à savoir si la masse peut – sans ou avant l’ouverture d’une mini-faillite suisse – agir en Suisse contre un tiers débiteur et le poursuivre comme le ferait un privé15.

Finalement, dans un arrêt de mars 2008, le Tribunal fédéral semble avoir voulu trancher d’un seul coup toutes les ques-tions controversées, en affirmant qu’un concordat étranger ou une faillite étrangère ne peuvent pas être reconnus à titre préalable aux sens de l’art. 29 al. 3 LDIP, et qu’une masse en faillite d’une société italienne (ou la société elle-même) n’est pas légitimée à introduire en Suisse une action (ni une

fets en Suisse d’une faillite ouverte à l’étranger, Lugano 2006, p. 60.

10 Arrêt du Tribunal fédéral 1P.161/1991 du 24.7.1991, in: JdT 1993 II 125 c. 2d.

11 Arrêt du Tribunal fédéral 5P.369/2002 du 20.5.2003 c. 2.2.

12 ATF 129 III 683 c. 5.3. 13 Arrêt du Tribunal fédéral 4P.270/2003 du 21.4.2004 c. 2.1.14 ATF 130 III 620 ss. 15 Arrêt du Tribunal fédéral 7B.109/2004 du 17.8.2004, in: ZZZ/

PCEF 2004, p. 256 c. 3.

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poursuite) contre son débiteur sans préalablement (sic) faire reconnaître en Suisse la faillite prononcée à l’étranger16.

B. Opinions de doctrine récentes

Dans un récent article Daniel Staehelin, se référant à l’ar-rêt du Tribunal fédéral de juin 200317, affirme que, dans le cas d’une personne morale en faillite à l’étranger qui serait titu-laire d’un compte bancaire auprès d’une banque en Suisse, faute d’une reconnaissance à titre principal du jugement étranger, la banque ne peut pas remettre les avoirs en compte ni aux anciens organes, qui ont perdu leurs pouvoirs à raison de la faillite, ni à l’administration étrangère de la faillite, qui en application du principe de territorialité n’a pas le pouvoir de disposer de ces biens. Il suggère donc de nommer un cura-teur pour ce patrimoine, qui pourra requérir la reconnaissan-ce à titre principal de la décision de faillite en application des articles 166 ss. LDIP. En effet, selon cet auteur, la possibilité de demander la reconnaissance de la décision de faillite doit être reconnue aussi bien au failli qu’à ses organes.

Pour le cas où la reconnaissance de la décision étrangère ne pouvait pas être obtenue, il suggère que le curateur liquide le patrimoine de la société pour le partager entre les créan-ciers suisses et ensuite, s’il est convaincu de la régularité de la procédure de faillite étrangère, remettre le solde éventuel à l’administration de la faillite étrangère.

Staehelin soutient en outre que il n’est pas possible de reconnaître à titre préalable la décision de faillite étrangère et qu’il n’y a pas lieu de permettre à l’administration étrangère de la faillite d’ouvrir l’action révocatoire.

Il en déduit que la jurisprudence du Tribunal fédéral précé-dente à la LDIP n’est pas compatible avec les articles 166 ss. LDIP, qui ont introduit un système fermé sur lui-même («ein in sich geschlossenes System»); en estimant insatisfaisante cette situation, il considère indispensable de la résoudre par le biais d’une révision de la loi18.

Sylvain Marchand estime aussi que la masse en faillite étrangère d’une personne morale ne peut pas agir en Suisse pour encaisser des créances, sans passer par la procédure des articles 166 ss. LDIP. Il critique en outre le fait que seule la décision de faillite étrangère rendue dans l’Etat du domicile (et donc du siège formel) du débiteur puisse être reconnue, et que la reconnaissance soit subordonnée à la condition de réciprocité; il estime inutile l’ouverture (pourtant impérative de lege lata) d’une procédure secondaire en Suisse lorsque le failli n’y a pas d’établissement, et il dénonce le traite-

ment discriminatoire des créanciers privilégiés domiciliés à l’étranger.

Lui aussi propose donc une révision urgente de la loi, pour éliminer les frilosités du droit suisse de la faillite internatio-nale – qui serait devenu un système poussiéreux, tatillon et protectionniste – et éviter ainsi que la Suisse ne devienne le coffre-fort des sociétés insolvables19.

En outre, Patricia Jucker affirme aussi qu’une recon-naissance à titre préjudiciel du jugement de faillite étranger est exclue par la LDIP, et que par conséquent l’administra-tion de faillite étrangère ne peut exercer (à titre subsidiaire, et après la reconnaissance formelle prévue par l’art. 166 LDIP) que l’action révocatoire du droit suisse prévue à l’art. 171 LDIP, donc celle qui a pour but de réintégrer à la masse de la mini-faillite suisse les biens qui lui ont été soustraits: les actions révocatoires, fondées sur la lex fori concursus, ayant pour but de sauvegarder la consistance de la masse principale étrangère seraient exclues.

Elle souligne que ce système profite au débiteur et au bé-néficiaire d’un acte révocable – si des biens ont été soustrait à la masse étrangère en faveur d’un bénéficiaire domicilié en Suisse – et pénalise les créanciers; elle souhaite une révision de la loi pour remédier à cette incohérence20.

C. Perspectives

Si les trois derniers arrêts du Tribunal fédéral hostiles aux faillites étrangères et les déductions que la doctrine en a tiré étaient fondés, alors il faudrait admettre que le droit suisse de la faillite internationale n’est qu’un système fermé sur lui-même et poussiéreux, qui fait de la Suisse le coffre-fort des débiteurs malhonnêtes: en d’autres mots, le législateur n’aurait pas eu les idées très claires sur le sujet21. En effet, il aurait – entre autres – ainsi limité les pouvoirs de l’adminis-tration étrangère de faillite par rapport à la jurisprudence an-térieure à la LDIP, tout en ayant l’intention contraire, c’est-à-dire d’améliorer la situation. Il aurait en outre conçu un droit de la révocation pratiquement inutile, en prévoyant unique-ment l’action révocatoire pour reconstituer la masse de la mini-faillite suisse, et en permettant ainsi au failli étranger de soustraire ses biens à la masse principale, par des donations à des bénéficiaires domiciliés en Suisse.

Il est dès lors légitime de se demander si, à la lumière de la jurisprudence du Tribunal fédéral antérieure à l'ATF 129 III 683 et de la doctrine qui s’est exprimée à ce sujet, il ne faudrait pas parvenir à une autre solution et donc admettre

16 ATF 134 II 366 c. 5.1.2 et 9. Francesco Naef (co-auteur de cet article) était un des représentants des récourantes déboutées par le Tribunal fédéral.

17 ATF 129 III 683.18 Daniel Staehelin, Konkurs im Ausland – Drittschuldner in

der Schweiz, in: Schweizerisches und Internationales Zwangs-vollstreckungsrecht – FS für Karl Spühler zum 70. Geburtstag, Zurich 2005, p. 407 ss.

19 Sylvain Marchand, Les règles du droit suisse de la faillite internationale à l’heure des faillites européennes, in: Mélanges en l’honneur de François Knoepfler, Bâle 2005, p. 111 ss.

20 Patricia Jucker, Der internationale Gerichtstand der schwei-zerischen paulianischen Anfechtungsklage, Zurich 2007, p. 322, 328–331.

21 Jaques (n. 9), p. 87.

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qu’une reconnaissance de la faillite peut intervenir à titre préjudiciel, et que l’administration étrangère de faillite a cer-tains pouvoirs, même en l’absence d’une reconnaissance; la question est d’importance parce que pour différents motifs – notamment d’économie de procédure – l’administration étrangère de faillite pourrait considérer disproportionnée la demande de reconnaissance à titre principal de la décision de faillite et néanmoins considérer la nécessité d’ouvrir action en Suisse, par exemple pour encaisser des créances du failli.

Il faut en somme se demander si la loi n’est pas si insensée qu’elle ne le semble, et si sa révision n’est par conséquent pas indispensable.

III. Le principe de territorialité

A. Sources

Le principe de la territorialité de la faillite n’est qu’un cas d’application du principe de la territorialité des actes relevant de la puissance publique, qui à son tour découle du principe de souveraineté.22

La souveraineté territoriale implique en effet le droit ex-clusif d’exercer les activités étatiques23: chaque Etat a donc le monopole de l’exercice des pouvoirs de législation, d’admi-nistration, de juridiction et de contrainte sur son territoire24.

Puisque chaque Etat doit respecter la souveraineté terri-toriale de tout autre Etat, le principe de non intervention et l’interdiction d’accomplir des actes relevant de la puissance publique sur le territoire d’un autre Etat souverain s’appli-quent: «La limitation primordiale qu’impose le droit inter-national à l’Etat est celle d’exclure, sauf l’existence d’une règle permissive contraire, tout exercice de sa puissance sur le territoire d’un autre Etat. Dans ce sens, la juridiction est certainement territoriale; elle ne pourrait être exercée hors du territoire sinon en vertu d’une règle permissive découlant du droit international coutumier ou d’une convention»25.

Toujours en raison du principe de la souveraineté territo-riale, les effets des actes relevant de la puissance publique sont limités au territoire de l’Etat qui les adopte: ils ne sau-raient avoir – directement et donc «aus eigener Kraft» – des effets sur le territoire d’un autre Etat souverain. Aucun Etat ne peut régler les effets de ses actes sur le territoire d’un autre Etat26.

B. Les actes relevant de la puissance publique

Sont des actes relevant de la puissance publique les actes du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire accomplis dans l’exercice des pouvoirs publiques, soit iure imperii, par op-position à des actes de ces mêmes autorités qui seraient ef-fectués à titre privé, soit iure gestionis27.

Dans sa jurisprudence relative à l’art 271 du Code pénal suisse, qui punit celui qui procède en Suisse à des actes rele-vant des autorités ou d’un fonctionnaire sans y être autorisé, le Tribunal Fédéral considère comme acte relevant de la puis-sance publique tout acte qui, compte tenu de sa nature et de son but, relève de l’activité étatique peut importe la qualité de la personne, fonctionnaire ou personne privée, qui l’aurait accompli28.

C. Application du principe de territorialité à la faillite internationale

Le Message du Conseil fédéral sur la LDIP indique que le projet de loi n’a pas voulu abandonner le principe de terri-torialité mais seulement l’assouplir29, sans pourtant qu’on y trouve une définition du contenu exact du principe: de toute évidence il s’agit donc d’un concept qui doit être interprété par le juge, à lumière des principes internationaux susmen-tionnés.

Appliqué à la faillite internationale, le principe de territo-rialité signifie par conséquent que l’administration étrangère de la faillite ne saurait accomplir en Suisse des actes relevant de la puissance publique: en effet, l’art. 170 LDIP en réserve le monopole à l’administration suisse de la mini-faillite.

Quant aux effets en Suisse de la décision de faillite étran-gère, le principe de territorialité empêche uniquement qu’ils

22 Ivo Schwander, Entwicklungen im Internationalen Konkurs- und Sanierungsrecht, Jusletter 25. Oktober 2004, Rz 2; Jaques (n. 9), p. 7.

23 «Soveregnity in the relations between States signifies indepen-dence. Independence in regard to a portion of the globe is the right to exercice therein, to the exclusion of any other State, the functions of a State», Sentence de la Cour permanente d’arbi-trage du 4.4.1928 dans l’affaire des Îles de Palmas, RIAA vol II, p. 838.

24 Jörg Paul Müller/Luzius Wildhaber, Praxis des Völ-kerrechts, Berne 2001, p. 373; Quoc Dinh Nguyen/Patrick Dailler/Alain Pellet, Droit international public, Paris 2002, n. 308.

25 Arrêt de la Cour permanente de Justice internationale du 7.9.1927 dans l’affaire du Lotus, CPJI série A, no. 10, p. 18–19; Georg Dahm/Jost Delbrück/Rüdiger Wolfrum, Völkerrecht, Berlin 1989, Bd. I/1, p. 326; Dieter Martiny, Handuch des Internationalen Zivilverfahrensrechts, Tübingen

1984, Bd. III/1, n. 150; Reinhold Geimer, Internationales Zi-vilprozessrecht, Cologne 2005, n. 119 et 120.

26 Martiny (n. 25), n. 152; Haimo Schack, Internationales Zi-vilverfahrensrecht, Munich 2006, n. 775.

27 Karl Strupp/Hans-Jürgen Schlochauer, Wörterbuch des Völkerrechts, Berlin 1960, Bd I, p. 795; Dave Siegrist, Ho-heitsakte auf fremdem Staatsgebiet, Zurich 1987, p. 2.

28 ATF 114 IV 128 c. 2; arrêt du Tribunal fédéral 9x.1/1999 du 7.7.2000 c. 6b.

29 Message du Conseil fédéral 82.072 du 10 novembre 1982 concernant une loi fédérale sur le droit international privé, FF 1983, p. 436.

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puissent se produire directement et automatiquement en vertu du droit étranger: seul le droit suisse peut décider si, à quel-les conditions et selon quelles modalités la faillite étrangère peut produire des effets. Par exemple, en ce qui concerne la perte du pouvoir de disposer du failli – qui est l’effet le plus typique d’une décision de faillite – son extension au territoire suisse ne viole manifestement pas le principe de territorialité (ou de souveraineté) puisque la LDIP prévoit explicitement la reconnaissance du jugement étranger, sous réserve de réci-procité, et donc la possibilité d’incorporer au droit suisse la faillite étrangère.

IV. Les effets internationaux du jugement

En tant qu’acte relevant de la puissance publique un juge-ment rendu par un tribunal d’un Etat souverain ne peut donc pas avoir automatiquement des effets sur le territoire d’un autre Etat souverain. Du point de vue du droit international public, en l’absence de convention bi- ou multilatérale, il n’y a aucune obligation, respectivement aucun droit, à ce que les effets extraterritoriaux d’un jugement soient reconnus par un autre Etat. Chaque Etat est libre de décider s’il veut ou non reconnaître et exécuter les jugements rendus par les autorités judiciaires d’un autre Etat.30 La doctrine fait une réserve pour les jugements en matière d’état civil des personnes.31

A. La reconnaissance du jugement étranger

Par la procédure de reconnaissance les effets du jugement rendu par un tribunal d’un Etat souverain sont étendus au ter-ritoire d’un autre Etat souverain à l’exception du caractère exécutoire du jugement; celui-ci est acquis ex novo par ce jugement formateur qui est l’exequatur32.

Quant à savoir quels sont les effets qu’un jugement étran-ger peut déployer en Suisse, plusieurs théories sont envisa-geables33.

Selon la théorie de l’extension des effets, la reconnais-sance permet au jugement étranger de déployer en Suisse les effets que lui attribue l’Etat d’origine.

Pour la théorie de l’assimilation, la reconnaissance permet au jugement étranger de déployer en Suisse les effets prévus par le droit suisse pour une décision analogue.

Quant à la théorie de l’extension contrôlée des effets, la reconnaissance permet au jugement étranger de déployer en Suisse les effets qui lui sont attribués par l’Etat d’origine à l’exception des effets inconnus par l’ordre juridique suisse.

Jurisprudence et doctrine majoritaire suisses ont opté pour cette dernière théorie. Grâce à la procédure de reconnais-sance, le jugement étranger est donc assimilé à un jugement suisse. En premier lieu ne sont étendus au territoire suisse que les effets que le droit de l’Etat d’origine du jugement confère au jugement: la décision étrangère ne peut acquérir par le biais de la reconnaissance des effets qu’elle n’aurait pas dans l’Etat d’origine. En outre le jugement étranger ne saurait avoir en Suisse des effets qui seraient inconnus par l'ordre juridique suisse.34

B. Effets procéduraux et effets matériels du jugement étranger

Les principaux effets procéduraux d’un jugement sont l’auto-rité de chose jugée et l’effet formateur.

Il faut distinguer les effets procéduraux du jugement, qui exigent une procédure de reconnaissance avant de s’étendre au territoire suisse, des effets matériels (materiellrechtliche Urteilswirkungen ou Tatbestandswirkungen35).

Il se peut qu’une disposition de loi fasse dépendre une conséquence de l’existence d’un jugement: par exemple le mandat finit par la faillite soit du mandant soit du mandataire (art 405 CO). Cette conséquence est ce qu’on appelle effet matériel.

L’effet matériel du jugement n’est pas l’objet du jugement mais il est l’effet direct de la loi. L’effet matériel du jugement n’est indiqué ni dans les conclusions ni dans le dispositif36.

30 Gerhard Walter, Internationales Zivilprozessrecht der Schweiz, Berne 2007, p. 375; Martiny (n. 25), n. 153 et 156; Reinhold Geimer/Rolf A. Schütze, Internationale Urteils-anerkennung, Bd. I/2, Munich 1984, § 175 p. 1359; Schack (n. 26.), n. 775.

31 Martiny (n. 25), n. 158; Geimer/Schütze (n. 30), § 175 p. 1359.

32 ATF 118 Ia 118 c. 1b; Walter (n. 30), p. 378; Ivo Schwan-der, Einführung in das internationale Privatrecht, St. Gall 2000, Bd I, n. 693.

33 Monique Jametti Greiner, Der Begriff der Entscheidung im schweizerischen internationalen Zivilverfahrensrecht, Bâle 1998, p. 21; Schack (n. 26), n. 791–796.

34 ATF 130 III 336 consid. 2.5, 129 III 626 c. 5.2.3, Walter (n. 30), p. 379–380; Volken (n. 9), n. 34 ad Art 25; Schwan-der (n. 32), n. 694; Stephen V. Berti/Robert Däppen, IPRG Kommentar, Bâle 2007, n. 40 ad Art 25; Geimer/Schütze (n. 30), p. 1391.

35 Dans ces cas, certains auteurs parlent de «kollisionsrechtliche Anerkennung», par opposition à la «prozessrechtliche Aner-kennung», Ivo Schwander, Anerkennung ausländischer Ent-scheidungen auf prozessrechtlicher und auf kollisionsrechtlicher Grundlage, in: Internationales Zivilprozess-und Verfahrensrecht IV, Zurich 2005, p. 38–47; Jametti Greiner (n. 33), p. 12.

36 Martiny (n. 25), n. 427; Geimer/Schütze (n. 30), p. 1410; Domenico Acocella, Internationale Zuständigkeit sowie Anerkennung und Vollstreckung ausländischer Entscheidungen in Zivilsachen im schweizerisch-italienischen Rechtsverkehr, St. Gall 1989, p. 157.

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La question qui se pose est alors de savoir si la loi attache des conséquences à l’existence d’un jugement étranger. La réponse à cette question ne doit pas être recherchée dans la procédure de reconnaissance, qui ne régit pas cette matière. Il faut plutôt déterminer, par application de la règle de conflit de droit international privé, l’ordre juridique (lex causae) qui règle le rapport juridique en question, dans l’exemple le mandat; cette loi dira si elle attache la même conséquence à l’existence du jugement étranger37.

V. Le jugement de faillite

Le jugement de faillite est un jugement formateur, c’est-à-dire qu’il modifie des rapports juridiques avec effet erga om-nes; la modification en question ne peut intervenir que par effet du jugement.38

Mais la doctrine et la jurisprudence qui se sont occupées de la faillite internationale distinguent entre les effets typi-ques et les effets atypiques ou matériels de la décision de faillite (materiellrechtliche Wirkungen). Cette distinction semble avoir son origine dans la théorie générale sur la re-connaissance des jugements, et en particulier sur la distinc-tion entre effets procéduraux et effets matériels que nous ve-nons de mentionner.

A. Les effets typiques de la décision de faillite

Les effets typiques de la décision de faillite sont ceux qui sont déterminés par les buts de la procédure de faillite c’est-à-dire désintéresser les créanciers d’un débiteur insolvable tout en sauvegardant le principe d’égalité entre créanciers39.

Les effets typiques de la faillite sont ceux qui résultent des articles 197 ss. et 208 ss. LP, notamment le dessaisis-sement du débiteur (art. 204 LP), l’exclusion des poursui-tes individuelles (art. 206 LP), la suspension des procès en cours (art. 207 LP), l’exigibilité des créances contre le failli (art. 208 LP), la suspension du cours des intérêts (art. 209 LP), la transformation de toutes les prétentions contre le failli en créances d’argent (art. 211 LP), la limitation de la qualité pour agir (Prozessführungsbefugnis) dans les procès du failli, les limitations à la compensation selon l’art. 213 LP, et l’action révocatoire (art. 285 ss. LP)40.

B. Les effets atypiques ou matériels

Sont atypiques les effets que certaines normes de loi atta-chent à l’existence d’une décision de faillite considérée en tant que simple fait (Tatbestand). Ces effets atypiques ou matériels ne sont pas la conséquence directe du prononcé de faillite mais dépendent de l’application d’autres disposi-tions de loi. Ils ne constituent pas le contenu de l’acte rele-vant de la puissance publique qu’est la décision de faillite et donc il n’existe pas de problème de reconnaissance au sens procédural: il ne s’agit pas de décider s’il faut étendre les effets du prononcé de faillite au territoire suisse. C’est la lex causae, déterminée par la LDIP, qui doit être interprétée pour savoir si la conséquence que la norme attache à l’exis-tence du prononcé de faillite se vérifie aussi en cas de déci-sion de faillite étrangère. Dans l’exemple donné c’est la loi qui règle le contrat de mandat qui dira si le contrat prend fin aussi par le prononcé de faillite du mandant ou du manda-taire à l’étranger: il n’y a aucun problème de souveraineté violée ou de territorialité à respecter. Les conséquences de loi se manifestent en l’absence de toute décision de recon-naissance de la décision de faillite, pour autant que telle soit l’interprétation correcte de la loi qui régit le contrat de mandat.

Sont des effets atypiques ou matériels: la séparation des biens selon l’art. 188 CCS, les effets de la faillite sur les contrats avec des tiers (art. 83, 250, 266h, 316, 337a, 392, 405, 418, 495, 518, 545 chiffre 3 CO), la révocation de l’as-signation ex art. 470 chiffre 3 CO, la dissolution de la société (art. 574 al. 1, 736 al. 3, 820 al. 3, 911 al. 3 CO), la modi-fication des pouvoirs de représentation d’une société étran-gère41.

VI. Les pouvoirs de l’administration de faillite étrangère

Comme on l’a vu auparavant, une des questions centrales est celle à savoir si l’administration de la faillite étrangère (d’une personne morale) peut agir en Suisse en tant que re-présentante de la faillie, avant ou en dehors de toute recon-naissance.

A. Opinion traditionnelle

De nombreux auteurs ont répondu par l’affirmative, en par-tant de l’idée que la modification des pouvoirs de représen-tation d’une société déclarée en faillite à l’étranger qui serait prévue par la lex societatis constitue un effet atypique ou ma-

37 Geimer/Schütze (n. 30), p. 1410; Martiny (n. 25), n. 428; Jan Kropholler, Internationales Privatrecht, Tübingen 1997, p. 570; Acocella (n. 36), p. 157; contra Walter (n. 30), p. 383.

38 Max Guldener, Schweizerisches Zivilprozessrecht, Zurich 1979, p. 212.

39 Jaques (n. 9), p. 19.40 Staehelin (n. 1), p. 15. 41 Staehelin (n. 1), p. 16.

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tériel de la faillite, qui peut donc se produire en dehors de toute procédure de reconnaissance42.

C’était la position de la jurisprudence allemande du Reichsgericht et du Bundesgerichtshof. Confirmant la juris-prudence du Reichsgericht, le Bundesgerichtshof – dans sa jurisprudence antécédente à l’arrêt par lequel il a abandonné le principe de la territorialité pour celui de l’universalité de la faillite – avait reconnu que la modification des pouvoirs de représentation de la société faillie à l’étranger était une ques-tion relevant de la représentation et non de la perte du pou-voir de disposer de la faillie sur les biens qui rentrent dans la masse: cette question devait donc être résolue en application du droit qui règle la société43.

Le Tribunal fédéral s’était aussi exprimé dans se sens au moins une fois. Il avait en effet réservé, dans un obiter dic-tum, la question de savoir si la décision de faillite étrangère devait être reconnue pour ce qui est de ses effets matériels, notamment de la modification des pouvoirs de représentation de la société44.

B. Opinions récentes

Daniel Staehelin soutient qu’il n’est plus possible de re-connaître la modification des pouvoirs de représentation de la personne morale faillie à l’étranger en application de la LDIP – et donc du droit de l’incorporation – parce que le chapitre XI de la LDIP constitue un système fermé dont le but est de protéger les créanciers privilégiés qui ont leur do-micile en Suisse – qui doivent être désintéressés par la réali-sation des biens sis en Suisse – et de protéger les créanciers non privilégiés ayant leur domicile en Suisse par le biais de

la reconnaissance de l’état de collocation étranger qui ne doit pas être discriminatoire45.

Charles Jaques considère que la modification des pou-voirs de représentation d’une personne morale en faillite est un effet typique de la faillite, puisque la masse (la commu-nauté des créanciers) et l’administration de la faillite (son organe) ne peuvent par définition exister qu’ensuite de son ouverture: en tant qu’effet typique, il ne peut se produire que si la faillite est reconnue à titre principal46.

Franco Lorandi semble aussi admettre que, reconnais-sance formelle au sens des articles 166 ss. LDIP ou pas, l’ad-ministration de faillite étrangère ne peut pas agir en Suisse pour faire valoir et encaisser les créances du failli47. Vu tou-tefois que les anciens organes de la faillie ne sont plus légi-timés à agir, il propose – si une reconnaissance au sens des articles 166 ss. LDIP n’est pas possible – de demander au juge suisse de nommer un commissaire (art. 713b CO) à la société; celui-ci pourrait agir et poursuivre pour encaisser les actifs de la société en Suisse, dans le but de les transférer à la masse étrangère48.

Au contraire, selon Isaak Meier, il n’est pas détermi-nant de savoir quelle est l’origine du pouvoir de disposer de l’administration de la faillite sur les biens du débiteur, ni de savoir si l’administration de la faillite étrangère agit iure im-perii ou comme un privé. Selon cet auteur, il s’agit de déter-miner si les articles 166 ss. LDIP permettent à l’administra-tion de faillite étrangère d’ouvrir action ou commencer une procédure de poursuite pour faire valoir les droits du failli, même en l’absence d’une procédure de reconnaissance de la décision faillite. Selon Meier il faut répondre par l’affirma-tive et en conclure que la Suisse, en vertu du droit non écrit, admet des actes relevant de la puissance publique sur son ter-ritoire.49

Le Tribunal fédéral semble avoir voulu trancher défini-tivement la question dans l’ATF 134 III 366 c. 9.2.5, dans le cas d’une personne morale faillie en Italie: «la masse en faillite étrangère recourante, à défaut d’avoir fait reconnaî-tre au préalable en Suisse le jugement de faillite prononcé à l’étranger, n’a pas qualité pour poursuivre directement en Suisse le recouvrement des créances du failli contre un pré-tendu débiteur». Il a motivé sa décision en se référant aux ATF 129 III 683 c. 5.3 et 130 III 620 c. 3.4.2, en rappelant que le dessaisissement du débiteur est un effet typique de la faillite et que par conséquent la transmission de la qua-lité pour agir (Prozessführungsbefugnis) à la masse étran-gère doit dépendre de la reconnaissance préalable au sens de l’art. 166 LDIP50. En outre, cette solution s’imposerait pour

42 Carl Jaeger/Robert Petimermet/Henry Bovay, Commen-taire de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite, Lausanne 1920, n. 2 in fine ad Art. 207; Max Guldener, Das internatio-nale und interkantonale Zivilprozessrecht der Schweiz, Zurich 1951, p. 181; Hirsch (n. 1), p. 79; Louis Dallèves, Faillites internationales, FJS 987, Genève 1991, p. 4; Hans Ulrich Walder, Internationales Vollstreckungs- und Konkursrecht in der Schweiz, in: Carl Jaeger/Hans Ulrich Walder/Thomas M. Kull/Martin Kottmann, Bundesgesetz über Schuldbe-treibung und Konkurs, Zurich 1997–2001, Bd. III, Anhang D, p. 366; Schwander (n. 32), n. 686; Gabrielle Kaufmann Kohler/Antonio Rigozzi, Commentaire romand-Poursuite et faillite, Bâle 2005, n. 1 ad Art. 166 LDIP; Isaak Meier, Inter-nationales Zivilprozessrecht und Zwangsvollstreckungsrecht, Zurich 2005, p. 205–206; Francesco Naef, La legittimazione del fallimento estero a procedere in Svizzera, NRCP 2005, p. 143–145.

43 Arrêt du Bundesgerichtshof du 11.7.1985 in: JZ 1986, p. 93; Ernst Jaeger/Gunther Jahr, Konkursordnung, Berlin 1973, n. 24 et 174 ad § 237 KO; Michael Pielorz, Auslandskonkurs und Disposition über das Inlandsvermögen, Berlin 1977, p. 18 avec réf.

44 ATF 35 I 813.

45 Staehelin (n. 18), p. 412.46 Jaques (n. 9), p. 26–27.47 Franco Lorandi, Handlungsspielraum ausländischer Insol-

venzmassen in der Schweiz, AJP/PJA 2008, p. 562–563.48 Lorandi (n. 47), p. 566.49 Meier (n. 42), p. 205.50 ATF 134 III 366 c. 9.2.3.

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des motifs de cohérence du droit international privé suisse de la faillite internationale: «si l’on accordait à l’administra-tion de la masse en faillite étrangère les mêmes pouvoirs qui compètent à l’administration d’une masse en faillite suisse, et en particulier celui d’ouvrir action directement contre le prétendu débiteur suisse du failli, l’admission (éventuelle) de l’action en paiement aurait pour effet de soustraire des ac-tifs aux créanciers admis à l’état de collocation de la mini-faillite d’après l’art. 172 LDIP, ce qui serait clairement con-traire au sens et au but du système instauré par les art. 166 ss. LDIP»51.

Pourtant, il faut se demander si cet arrêt est vraiment dé-cisif, car il semble avoir tranché une fausse question. Appa-remment il ne fallait pas décider de la qualité pour agir d’une masse en faillite (ou de son administration), mais plutôt de celle de la société faillie elle-même; le titre de l’arrêt indique en effet une «X. SpA en faillite», et dans la motivation le Tri-bunal fédéral affirme explicitement que «il faut donc déter-miner si la société faillie est légitimée à introduire en Suisse une action de pur droit matériel contre le prétendu débiteur de faillie, sans préalablement faire reconnaître en Suisse la faillite prononcée à l’étranger»52.

C. Discussion

L’opinion traditionnelle nous semble de loin la plus convain-cante.

Pour répondre à l’objection de Staehelin, au sujet de la protection des créanciers ayant leur domicile en Suisse, il suffit de remarquer que, s’ils ont à craindre un préjudice par l’intervention en Suisse de l’administration de la faillite étrangère en tant que organe de la société faillie, ils peuvent en tout temps requérir l’ouverture de la procédure de recon-naissance formelle au sens de l’art 166 LDIP, et ainsi bloquer toute activité de l’administration étrangère en Suisse. Ils peu-vent donc déterminer l’ouverture de cette mini-faillite, qui sera le meilleur instrument pour protéger leurs intérêts53.

D’ailleurs, Staehelin lui-même reconnaît que les cas de faillites internationales avec des créanciers privilégiés ayant leur domicile en Suisse sont extrêmement rares54; on pour-rait même penser qu’ils n’aient jamais existé. Pour le cas des créanciers ayant des prétentions salariales, il y aura en plus, avec toute probabilité, un cas de faillite (principale suisse) de la succursale au sens de l’art. 50 al. 2 LP, avec toute la pro-tection des privilèges de ces créanciers prévue par la LP.

De plus, cette exigence de protection des créanciers domi-ciliés en Suisse semble – de manière contradictoire – soudai-nement disparaître pour les auteurs qui, en cas de non-recon-

naissance de la faillite étrangère, suggèrent de faire nommer un curateur ou un commissaire pour la société faillie étran-gère, avec le mandat de réaliser le patrimoine sis en Suisse et de le transférer à la masse étrangère55.

Quant à l’objection de Jaques – qui affirme que l’exis-tence même de la masse et de son administration est l’effet le plus typique du jugement de faillite – nous pourrions ré-pondre que la masse des créanciers existe en Suisse en tant que patrimoine organisé au sens des art. 150 et 154 LDIP, et non en vertu d’une reconnaissance du jugement de faillite. C’est la jurisprudence constante du Tribunal fédéral – même postérieure à l’adoption de la LDIP – selon laquelle capa-cité civile et exercice des droits civils d’une masse en faillite étrangère sont régis par le statut personnel de la masse, c’est-à-dire par le droit de l’Etat dans lequel la faillite a été ouver-te, sans égard à une procédure de reconnaissance de la déci-sion de faillite56. En effet, comme Jaques lui-même l’admet, la masse peut être titulaire de certains droits et créances en Suisse en dehors de toute reconnaissance de la faillite étran-gère57, et donc existe.

En outre, même les auteurs qui nient les pouvoirs de re-présentation et de disposition du nouvel organe de la société faillie en application du droit de l’incorporation ex art. 154 LDIP admettent que l’administration de la faillite étrangère peut agir en Suisse par procuration de la faillie58: pour ces auteurs aussi l’administration de la faillite existe donc sans égard à la procédure de reconnaissance.

Nous ne saurions toutefois nous rallier à Meier, lorsqu’il admet des actes relevant de la puissance publique sur terri-toire suisse. Selon le Message du Conseil fédéral le projet de loi n’a pas voulu abandonner59 le principe de territorialité, d’après lequel sont prohibés en Suisse les actes relevant de la puissance publique accomplis sans autorisation par une per-sonne étrangère. L’administration étrangère de faillite d’une personne morale peut donc agir en Suisse, pour autant qu’il ne s’agisse pas d’actes impliquant l’exercice des pouvoirs publics.

C’est là la question centrale. Admettre la modification des pouvoirs de représentation de la personne morale faillie qui intervient ex lege ne viole pas le principe de territoria-lité, puisqu’il ne s’agit pas d’un effet procédural de la faillite étrangère.

L’administration de faillite étrangère qui intervient en qua-lité d’organe de la société faillie n’accomplit manifestement

51 ATF 134 III 366 c. 9.2.4.52 ATF 134 III 366 c. 9.2.53 Cour des poursuites et faillites (VD), arrêt du 7.2.2000, in: JdT

2000 III 125 c. 3b/aa; Meier (n. 42), p. 205.54 Staehelin (n. 18), p. 417.

55 Staehelin (n. 18), p. 413; Lorandi (n. 47), p. 566.56 ATF 109 III 112, 100 Ia 21, 37 II 359; Arrêt 7B.109/2004 du

17.8.2004 in: ZZZ/PCEF 2004 p. 256; arrêt 5P.369/2002 du 20.5.2003 c. 2.2.

57 Jaques (n. 9), p. 28.58 Jaques (n. 9), p. 25; Lorandi (n. 47), p. 564; Fabiana Theus

Simoni, Englische, walisische und französische Konkursver-walter in der Schweiz, Zurich 1997, p. 341; Staehelin (n. 18), p. 415.

59 Message (n. 29), p. 436.

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pas des actes relevant de la puissance publique, mais se situe au niveau des relations de droit privé, lorsqu’elle ouvre – au nom de la faillie – action devant les tribunaux suisses ou de-mande l’exécution des ses prétentions contractuelles. Elle ne trouble pas le monopole des actes relevant de la puissance publique, qui reste du ressort des autorités suisses, seules chargées de la procédure de réalisation des biens.

Si l’ordre juridique de l’Etat d’incorporation de la société déclarée en faillite prévoit, comme le droit suisse (art. 740 al 5 CO), la perte presque totale des pouvoirs de ses anciens organes (qui ne peuvent plus que recourir contre le prononcé de faillite, proposer un concordat ou recourir contre les déci-sions de l’administration de la faillite), le pouvoir de repré-senter la société étant pour le surplus délégué à la administra-tion de la faillite, cette modification se produit par effet de loi sans besoin d’une procédure de reconnaissance. Tel est le cas pour les sociétés de capitaux italiennes, allemandes, françai-ses, autrichiennes et du Liechtenstein60.

En effet, selon l’art 154 LDIP les sociétés sont régies par le droit de l’Etat en vertu duquel elles sont organisées. Ce droit détermine notamment les causes de dissolution de la société, son organisation et la représentation des personnes agissant pour elle. En application de ces principes les pou-voirs de représentation des personnes agissant pour la société faillite doivent être examinés exclusivement sur la base du droit étranger auquel renvoie la LDIP. Il ne s’agit pas d’un effet de la faillite mais d’un cas d’application des normes de conflit des lois.

Et si l’on reconnaît à l’administration de la faillite étran-gère la qualité de nouvel organe de la société en faillite, il est illogique de ne pas lui reconnaître la faculté de disposer – en tant qu’organe – des biens de la société au nom de celle-ci. Il est vrai que le dessaisissement du failli est un effet typi-que de la faillite. Néanmoins, dans le cas de la société de capitaux, le droit de disposer des biens de la société revient à l’administration de la faillite qui a aussi la qualité d’organe et non seulement en vertu du dessaisissement provoqué par le jugement de faillite61.

Le principe de territorialité n’est pas violé par la recon-naissance du pouvoir de l’administration de faillite étrangère de représenter la société en liquidation, puisqu’il s’agit d’un effet matériel de la faillite. De même l’administration de faillite étrangère qui donne des instructions à la banque débi-trice de payer ou qui ouvre une action en paiement ne viole pas le principe de territorialité puisqu’il ne s’agit pas d’actes relevant de la puissance publique. En effet, l’administration de faillite agit en qualité d’organe de la société et elle se li-mite ainsi à faire valoir des prétentions contractuelles – au nom de la société faillie – vis-à-vis des tiers débiteurs, ou à les poursuivre en justice comme le ferait un privé: elle n’uti-

lise pas de pouvoirs relevant de la puissance publique, puis-qu’elle se limite à se prévaloir des voies judiciaires suisses, et n’agit donc pas iure imperii.

Il est en outre contradictoire62 de nier les pouvoirs de repré-sentation et disposition du nouvel organe et en même temps ceux des anciens organes, comme le font les auteurs qui sou-tiennent la nécessité de nommer à la société faillie (restée sans organes) un curateur ou un commissaire suisse63. Si l’on reconnaît que les anciens organes ont perdu leurs pouvoirs, cela signifie qu’on considère le prononcé de faillite. Il est donc nécessaire, par cohérence, d’admettre l’effet de substi-tution voulu par la loi d’incorporation de la société faillie.

Finalement, pour en venir à la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, que faut-il déduire des ATF 134 III 366 c. 9.2.5 et ATF 129 III 683 c. 5.3? Qu’une masse en faillite étrangère n’a pas la qualité pour agir64 pour poursuivre di-rectement en Suisse le recouvrement des créances du failli contre un prétendu débiteur, avant (ou sans) la reconnais-sance au sens de l’art. 166 LDIP, ainsi qu’après l’ouverture de la mini-faillite suisse.

Le principe est évident, et il ne méritait pas deux arrêts pu-bliés au recueil officiel. Avant la reconnaissance, la dissocia-tion65 entre la légitimation active quant à la créance (qui reste au failli) et la qualité pour agir (qui passe à la masse) étant un effet typique du dessaisissement provoqué par la faillite, elle ne peut pas se produire automatiquement en Suisse: le failli gardant tant la première que la seconde, la masse étran-gère ne peut pas agir ni poursuivre. Après l’ouverture de la mini-faillite suisse, l’effet de dessaisissement du droit suisse se produit sur les actifs sis en Suisse (art. 170 al. 1 LDIP, art. 204 LP) et la qualité pour agir contre les tiers débiteurs du failli en Suisse passe à l’administration suisse de la mini-faillite: la masse étrangère ne peut pas agir ni poursuivre ces débiteurs66.

La question centrale n’est pas celle-là, mais plutôt celle de savoir si l’administration de la faillite étrangère (d’une personne morale) peut agir en Suisse en tant que représen-tante de la faillie et poursuivre au nom de la faillie67 des tiers débiteurs en Suisse, avant ou en dehors de toute reconnais-sance. Apparemment, cette question n’a pas été tranchée par le Tribunal fédéral, mais elle méritait de l’être par l’affirma-tive, pour les motifs indiqués ci-dessus, et en application de l’art. 154 LDIP.

Le Tribunal fédéral n’a certainement pas voulu dire68 que la société tombée en faillite à l’étranger doit, avant d’intro-

60 Obergericht (ZH), arrêt du 4.8.1999, in: ZR 99, n. 63 p. 173 c. 2.3; Naef (n. 42), p. 144.

61 ATF 90 II 247 c. 2.

62 Jaques (n. 9), p. 27.63 Staehelin (n. 18), p. 412; Lorandi (n. 47), p. 566.64 Prozessführungsbefugnis, comme le souligne le Tribunal fédé-

ral au c. 9.2.3.65 ATF 121 III 28 c. 3.66 Naef (n. 42), p. 142–143.67 Et donc pas au nom de la masse.68 Comme, cependant, la deuxième phrase du c. 9.2 de l’ATF 134

III 366 le laisserait entendre.

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duire une action ou une poursuite contre son propre débiteur en Suisse, y faire reconnaître le jugement de faillite étranger. Si tel était le cas, il s’agirait d’une affirmation incompréhen-sible.

On ne voit pas pourquoi une société étrangère devrait per-dre la qualité pour agir (voir même la légitimation active) pour faire valoir en Suisse ses créances, à cause d’un juge-ment de faillite étranger qui, en vertu du principe de territo-rialité, ne peut justement pas produire d’effets typiques en Suisse. Et la perte de la qualité pour agir est l’effet le plus typique du dessaisissement provoqué par le jugement de faillite; sans reconnaissance ex art. 166 LDIP de la faillite étrangère, la faillie garde par conséquent la pleine légitima-tion active ainsi que la qualité pour agir relatives à ses créan-ces sises en Suisse. Toute autre question est celle à savoir qui est l’organe qui peut représenter la société: pour répondre à cette question il faut appliquer l’art. 154 LDIP, et non pas l’art. 166 LDIP.

D’ailleurs, la prise en compte du transfert des pouvoirs de représentation de la société faillie à l’administration de fail-lite étrangère avant toute reconnaissance ex art. 166 LDIP ne dérange aucunement la cohérence du système de droit inter-national privé suisse de la faillite internationale, et la protec-tion des droits des créanciers domiciliés en Suisse n’est pas mise en péril. Ceux-ci pourront sauvegarder leurs intérêts par des poursuites individuelles (séquestres) sur les biens de la faillie en Suisse, ou en demandant l’ouverture de la faillite de l’établissement secondaire (art. 50 al. 2 LP), ou en requé-rant l’ouverture de la mini-faillite suisse (art. 166 LDIP), en bloquant ainsi toutes les démarches entreprises en Suisse par l’administration étrangère pour l’encaissement des actifs de la faillie.

Finalement, si la protection des créanciers domiciliés en Suisse était vraiment l’élément déterminant et inévitable du système suisse, il est peu logique d’admettre que la société faillie peut – avant ou sans aucune reconnaissance ex art. 166 LDIP – donner procuration à l’administration étrangère pour encaisser ses actifs et poursuivre ses débiteurs en Suisse, ou reconnaître la faculté pour le juge suisse de nommer un cura-teur ou un commissaire avec le mandat d’encaisser les actifs pour les transférer à l’étranger à la masse: la masse étrangère pourrait de cette manière entrer en possession du patrimoine du débiteur en Suisse sans se soucier des créanciers suisses et des conditions posées à la reconnaissance par l’art. 166 LDIP. Pourtant, la doctrine admet ce mode «alternatif» de procéder69, tout comme la jurisprudence du Tribunal fédé-ral70.

Une précision de jurisprudence sur ce point par le Tribu-nal fédéral serait donc la bienvenue, car il n’y a aucune rai-son de nier que l’administration de la faillite d’une personne

morale est l’interlocuteur valide des débiteurs de la faillie, même avant la reconnaissance ex art. 166 LDIP.

D. Personnes physiques?

Il n’est en revanche pas possible de soutenir la même théorie pour le cas d’une personne physique faillie à l’étranger.

Dans le cas de la faillite d’une personne physique il ne se produit pas ex lege un transfert des pouvoirs de représen-tation du failli à l’administration de la faillite71. L’adminis-tration de faillite acquiert le droit d’administrer les biens du failli ainsi que la qualité pour agir en justice pour les droits patrimoniaux – dont le failli est (et reste) propriétaire – uni-quement grâce au jugement formateur de faillite, qui a l’effet typique de dessaisissement du failli sur les biens qui rentrent dans la masse. En tant qu’effet typique il ne peut se produire en Suisse sans aucune reconnaissance ex art. 166 LDIP. Dans ce sens, l’ATF 130 III 620 nous semble correct.

Cela ne signifie pas encore que, pour produire des effets sur le patrimoine suisse du failli, une reconnaissance à titre principal de la faillite étrangère avec ouverture d’une mini-faillite suisse soit indispensable.

VII. Reconnaissance à titre préjudiciel

A. Intérêt de la question

Il s’agit notamment de déterminer s’il est possible de recon-naître à titre préjudiciel – donc sans ouvrir une procédure de mini-faillite suisse – certains effets typiques de la faillite étrangère.

Si l’on voulait nier la qualification d’effet atypique au changement des pouvoirs de représentation d’une société en faillite – qui jouit pourtant une longue tradition – il faut se demander si une reconnaissance à titre préjudiciel de la dé-cision de faillite étrangère reste possible. Le résultat serait le même: l’admission de l’administration de faillite étrangère à agir en Suisse au nom d’une personne morale faillie étran-gère (ou de sa masse) contre ses débiteurs.

La question pourrait avoir un intérêt pour le cas d’une personne physique faillie à l’étranger aussi: par la recon-naissance à titre préjudiciel du dessaisissement du failli et du transfert de la qualité pour agir à l’administration de fail-lite étrangère, celle-ci pourrait encaisser les actifs suisses et poursuivre au nom de la masse les débiteurs du failli.

En outre, il faut déterminer s’il est possible de reconnaître à titre préjudiciel une décision de faillite étrangère dans le cadre d’un action révocatoire introduite en Suisse par l’ad-ministration de la faillite étrangère.

Enfin, la reconnaissance à titre préjudiciel pourrait per-mettre de régler le sort suisse des décisions annexes émises

69 Jaques (n. 9), p. 25; Lorandi (n. 47), p. 564, 566; Theus Simoni (n. 58), p. 341; Staehelin (n. 18), p. 413, 415.

70 ATF 111 III 38 c. 1, 103 III 54 c. 3e, 102 III 71 c. 3c. 71 Naef (n. 42), p. 143.

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dans le cadre de la procédure de faillite principale (revendi-cation, révocation, adjudication, clôture, …)72, ainsi que le sort suisse des créances du failli localisées à l’étranger mais pour lesquelles il y a un for (p. ex. du séquestre) en Suisse, et celui des créances qui ne peuvent pas participer à la mini-faillite suisse73.

B. Opinion majoritaire

La doctrine majoritaire est d’avis qu’il est possible d’obtenir la reconnaissance en Suisse d’une décision de faillite étran-gère à titre incident ou préalable; par exemple dans le cadre d’une action en paiement ouverte par l’administration de la faillite contre un débiteur du failli domicilié en Suisse74. Cer-tains tribunaux cantonaux se sont ralliés à cet avis75.

Avant l’entrée en vigueur de la LDIP, le Tribunal fédéral a partagé ce point de vue; il a en effet reconnu à titre préju-diciel la qualité pour agir d’une masse en faillite étrangère dans une action de contestation de l’état de collocation de la faillite suisse du débiteur principal76.

C. Opinions dissidentes

Selon Daniel Staehelin le chapitre XI de la LDIP consti-tue un système fermé et il n’est donc pas possible pour l’ad-ministration de faillite étrangère de demander la reconnais-sance à titre préjudiciel de la décision de faillite au juge de l’action ouverte contre un débiteur du failli.

Cet auteur soutient que le chapitre XI de la LDIP ne contient aucun renvoi direct à l’art. 29 al. 3 LDIP (relatif à la reconnaissance à titre préjudiciel des décisions étrangères), de sorte que cet article pourrait tout au plus s’appliquer à titre subsidiaire.

En outre il ne serait pas possible de reconnaître à titre pré-judiciel la décision de faillite parce que la mini-faillite prévue par l’art 170 LDIP doit avoir lieu obligatoirement, puisque

l’on ne saurait modifier le système de la loi qui a pour but de protéger les créanciers privilégiés domiciliés en Suisse, ainsi que ceux non privilégiés par l’examen de la reconnaissance de l’état de collocation étranger, qui doit admettre équitable-ment les créanciers domiciliés en Suisse77.

Stephen V. Berti est du même avis, mais s’il semble ad-mettre la possibilité de «considérer» l’existence du jugement de faillite étranger78.

Selon Fridolin Walther, la reconnaissance à titre préju-diciel pose des problèmes pratiques, puisqu’elle est réservée aux autorités judiciaires et ne peut pas être l’œuvre d’un pri-vé, notamment d’une banque. La sûreté des relations juridi-ques s’opposerait donc à la reconnaissance à titre préjudiciel du jugement de faillite étranger79.

Charles Jaques nie la possibilité de reconnaître à titre préjudiciel les effets typiques d’une faillite étrangère, en af-firmant que la loi sous-entend qu’ils peuvent se produire uni-quement au moment de la reconnaissance à titre principal; la protection des créanciers privilégiés et des créanciers chiro-graphaires domiciliés en Suisse exigerait d’ailleurs l’ouver-ture de la mini-faillite suisse. Il l’admet toutefois pour les ef-fets atypiques, ainsi que pour les effets typiques sur la masse principale80.

D. Le Tribunal fédéral a tranché

Dans l’ATF 130 III 620 le Tribunal fédéral n’avait pas exa-miné la possibilité de reconnaître à titre préjudiciel le des-saisissement du failli (personne physique) et le transfert à la masse étrangère de la qualité pour agir contre son débiteur en Suisse.

Dans l’ATF 134 III 366 c. 9.2.5 il a, au contraire, tranché.Dans ce cas, la société italienne A avait demandé au juge

suisse, au cours d’une action en paiement contre un tiers débiteur, de reconnaître à titre préjudiciel la décision d’ho-mologation du concordat italien dans la faillite de B, par la-quelle la créance objet du litige avait été cédée à A en tant que tiers repreneur du concordat (cf. art. 318 al. 1 n. 3 LP): elle demandait en somme la reconnaissance du transfert de la titularité de la créance provoqué par l’homologation du concordat étranger.

Le Tribunal fédéral a généralisé la question, en examinant si une reconnaissance à titre préjudiciel d’une décision de faillite étrangère peut être demandée en Suisse à titre préju-diciel, et il a répondu négativement en se référant à la doc-trine dissidente précitée. À son avis, la protection des créan-

72 Jaques (n. 9), p. 63.73 Jaques (n. 9), p. 22.74 Bernard Dutoit, Droit international privé suisse: commen-

taire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, Bâle 2005, n. 1 ad Art. 167 et n. 4 ad Art. 171; Volken (n. 9) n. 66 ad Art. 166 et n. 6 ad Art. 167; Kaufmann-Kohler/Rigozzi (n. 42), n. 11 ad Art. 167 LDIP; Lukas Bopp, Sanierung im Internationalen Insolvenzrecht der Schweiz, Bâle 2004, p. 231–232; Hans Hanisch, Die Vollstreckung von ausländischen Konkurser-kenntnissen in der Schweiz, AJP/PJA 1999, p. 26; Pierre-Ro-bert Gilliéron, Le chapitre 11 de la loi fédérale sur le droit international privé et le droit international suisse de l’exécution forcée générale et collective, BlSchK 1988, p. 167; Stefan Breitenstein, Internationales Insolvenzrecht der Schweiz und der Vereinigten Staaten, Zurich 1990, n. 271.

75 II Camera civile d’appello (TI), arrêt du 28.4.1998, in: Rep 1998, n. 84 p. 295; Obergericht (SH), arrêt du 31.12.2001, in: ABSH 2001, p. 78 c. 2c.

76 ATF 109 III 112 c. 2b.

77 Staehelin (n. 18), p. 410.78 Stephen V. Berti, IPRG Kommentar, Bâle 2007, n. 10 ad

Art. 167.79 Fridolin Walther, Allgemeiner Überblick: Grundlagen und

Probleme des internationalen Konkursrechts, in: Aktuelle Pro-bleme des Internationalen Insolvenzrechtes, Zurich 2003, p. 12 n. 27.

80 Jaques (n. 9), p. 47–48.

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ciers gagistes et privilégiés domiciliés en Suisse exigerait qu’on applique sans exception le mécanisme particulier de la mini-faillite; les droits des créanciers précités ne seraient plus sauvegardés s’il était possible de faire reconnaître, à ti-tre préalable dans un procès civil, un jugement de faillite ou un jugement homologuant un concordat par abandon d’ac-tif rendu à l’étranger. Il appartient en conséquence à celui qui veut se prévaloir en Suisse en particulier d’un concordat homologué à l’étranger de requérir sa reconnaissance à titre principal, selon la procédure instaurée par les art. 167 à 169 LDIP, ce qui a en principe pour effet d’ouvrir une faillite an-cillaire en Suisse, avec les conséquences évoquées ci-dessus.

E. Discussion et critique

Sur cette question aussi, nous partageons l’opinion majori-taire et traditionnelle.

Tout d’abord nous observons que nier la possibilité de la reconnaissance à titre préjudiciel d’une faillite étrangère – en doutant de l’applicabilité de l’art. 29 al. 3 LDIP (comme le fait Staehelin) ou en prétendant que la loi sous-entend que l’ouverture d’une mini-faillite est obligatoire dans tous les cas (comme le font Jaques et le Tribunal fédéral) – signifie déroger à la lettre de la loi. L’art 167 al. 1 LDIP, qui pose quelques principes essentiels de la procédure de reconnais-sance, renvoie explicitement à l’art 29 LDIP qui, en son alinéa 3, prévoit la reconnaissance à titre préjudiciel des dé-cisions étrangères: «Lorsqu’une décision étrangère est invo-quée à titre préalable, l’autorité saisie peut statuer elle-même sur la reconnaissance». Le texte légal est donc très clair, et il ne faut déroger au sens littéral d’un texte clair par voie d’in-terprétation que lorsque des raisons objectives – découlant des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi – permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. Tel n’est pas le cas.

L’avant-projet de la commission d’experts se fondait déjà sur l’idée que les décisions de faillite devaient être reconnues aux mêmes conditions que les autres décisions. L’art. 162 al. 1 de l’avant-projet prévoyait que: «La faillite déclarée à l’étranger est, aux conditions régissant la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers, reconnue en Suisse et, le cas échéant, déclarée exécutoire à la réquisition de la masse en faillite étrangère ou d’un créancier». Déterminants étaient donc, dans l’esprit de l’avant-projet, les art. 23 à 30 (correspondant aux art. 25 à 32 LDIP)81, et en particulier aussi l’al. 3 de l’art. 28 de l’avant-projet, correspondant à l’art. 29 al. 3 LDIP relatif à la reconnaissance à titre préjudi-ciel des décisions étrangères. L’avant-projet prévoyait ainsi la possibilité de reconnaître à titre incident une décision de

faillite; d’ailleurs, en matière de concordat, les experts par-taient de l’idée que la question de la reconnaissance se serait posée uniquement à titre incident82. Dans le cadre de la pro-cédure de consultation, Hanisch s’est exprimé explicitement dans le sens que, vu le renvoi aux dispositions générales en matière de reconnaissance des décisions étrangères, une re-connaissance à titre préjudiciel de la décision de faillite était possible83.

Dans le projet du Conseil fédéral, l’art. 162 de l’avant-projet est devenu l’art. 159 (correspondant à l’art. 166 LDIP) qui, au lieu de renvoyer à la partie générale sur la reconnais-sance des décisions, énumère toutes les conditions de la re-connaissance d’une décision de faillite. Selon le Message, l’art. 159 a donc une prééminence sur les règles générales en matière de reconnaissance prévues aux art. 23 ss., et on peut tout au plus accorder à celles-ci une importance subsidiaire dans le droit de la faillite internationale; malgré cela, la vo-lonté du Conseil fédéral n’était pas de modifier l’idée prin-cipale de l’avant-projet, car il affirmait que «selon l’art. 159 al. 1 une décision de faillite étrangère est reconnue et décla-rée exécutoire en Suisse aux mêmes conditions qu’un juge-ment étranger»84.

D’ailleurs, pour ce qui a trait à la procédure de reconnais-sance, il faut souligner que le texte du projet a été ensuite modifié. Un renvoi explicite (dans le texte de l’art. 167 al. 1 LDIP) à l’art. 29 LDIP a été spécialement ajouté par le Par-lement, sur proposition de la Commission du Conseil des Etats85.

Rien n’indique donc que le renvoi concernant la recon-naissance à titre préjudiciel n’ait pas été voulu par le légis-lateur. Au contraire, sa volonté de renvoyer aux règles géné-rales de procédure pour la reconnaissance des décisions est claire et doit être respectée.

D’ailleurs affirmer, comme le fait Staehelin, que le cha-pitre XI de la LDIP constitue un système fermé signifie mé-connaître la volonté du législateur et la portée qu’il a voulu donner au chapitre XI de la LDIP. En effet, le législateur n’a pas voulu introduire une réglementation exhaustive du droit suisse de la faillite internationale, mais il s’est limité à poser quelques principes en la matière86, et à fixer les conditions de reconnaissance des décisions étrangères en matière de faillite87. La réglementation du concordat étranger (art. 175 LDIP) constitue un bon exemple de la volonté du législateur

81 Loi fédérale sur le droit international privé, Projet de loi de la commission d’experts et Rapport explicatif, Zurich 1978, p. 356.

82 Bundesgesetz über das internationale Privatrecht, Schluss-bericht der Expertenkommission zum Gesetzentwurf, Zurich 1979, p. 286.

83 Hans Hanisch, in: Loi fédérale sur le droit international privé, Présentations des réponses à la procédure de consultation rela-tive au projet de loi de la commission d’experts et au rapport explicatif, Berne 1980, p. 556.

84 Message (n. 29), p. 437.85 BO CE 1985, p. 171.86 Dutoit (n. 74) n. 4, ad art 166 LDIP.87 Pascal Couchepin, in: BO CN 1986, p. 1361.

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de ne pas être exhaustif: par un seul article il a simplement renvoyé à l’application analogique des dispositions sur la faillite. C’est la démonstration qu’il a laissé aux juges de ré-gler les détails, et qu’il ne s’agit pas d’un «in sich geschlos-senes System».

Son silence sur les questions non réglées par la loi consti-tue une lacune au sens propre, que le juge peut et doit (art. 1 al. 2 CCS) combler88.

Pour ce qui concerne l’objection sur la cohérence du système avec la volonté de protéger les créanciers domici-liés en Suisse – invoquée par Staehelin, Berti, Jaques et le Tribunal fédéral – nous avons déjà démontré auparavant qu’il s’agit d’un argument erroné et contradictoire, puisqu’il n’empêche pas la masse étrangère d’agir en Suisse avec pro-curation du failli, ou de nommer un curateur ou commissaire suisse avec les mêmes pouvoirs. Si le système de protection des droits de ces créancier est compatible avec la faculté de l’administration étrangère de procéder en Suisse (sans au-cune reconnaissance de la faillite) par le biais d’une procura-tion du failli, il en va de même pour la reconnaissance à titre incident. Par ailleurs, même en cas de reconnaissance à titre préjudiciel, les créanciers suisses pourront sauvegarder leurs intérêts par des poursuites individuelles, par l’ouverture de la faillite de l’établissement secondaire (art. 50 al. 2 LP), ou en requérant l’ouverture de la mini-faillite suisse (art. 166 LDIP), en bloquant ainsi toutes les démarches entreprises en Suisse par l’administration étrangère pour l’encaissement des actifs du failli89.

En outre, l’interprétation téléologique aussi confirme que la reconnaissance à titre préjudiciel est prévue par la LDIP. Par la nouvelle réglementation le législateur n’a en effet pas voulu introduire en Suisse des changements révolutionnaires, mais plutôt garder le contact avec l’évolution internationale en matière de faillite, en faisant un pas en direction de l’éli-mination du principe de territorialité 90. Or, comme on l’a vu, avant l’entrée en vigueur de la LDIP, le Tribunal fédéral avait reconnu à titre préjudiciel la qualité pour agir d’une masse en faillite étrangère dans une action de contestation de l’état de collocation de la faillite suisse du débiteur principal91. Le législateur n’ayant pas voulu rompre avec la jurisprudence existante, mais plutôt apporter quelques améliorations92, la possibilité de reconnaissance à titre préjudiciel doit exis-ter après l’entrée en vigueur de la LDIP aussi, car elle est conforme aux buts poursuivis par la loi.

Finalement, la reconnaissance à titre préjudiciel n’est pas en contradiction avec le principe de territorialité de la faillite. En application du principe selon lequel aucun Etat n’est tenu

de tolérer sur son territoire des actes relevant de la puissance publiques d’un autre Etat, le législateur a réservé à l’auto-rité suisse le monopole de la coërcition et de tous les actes qui impliquent l’usage des pouvoirs publics: c’est à l’admi-nistration suisse de la mini-faillite qu’il échoit de procéder à l’inventaire et à la réalisation des biens du failli. Pour le surplus des actes de l’administration étrangère de faillite qui n’impliquent pas l’usage de pouvoirs publics, comme l’in-troduction d’une action en recouvrement de créances devant les tribunaux suisses, sont compatibles avec le système de la loi.

Quant à l’objection de Walther sur l’impossibilité pour les privés (banques) de reconnaître à titre préjudiciel une faillite étrangère, elle ne nous semble pas décisive. Si la ban-que auprès de laquelle le failli a un compte reçoit une requête de paiement de l’administration de faillite étrangère, mais elle doute de sa légitimation ou qualité pour agir, elle peut procéder à la consignation de sa prestation (art. 96, 168 al. 1 CO), et ainsi se libérer sans courir le risque de s’exécuter en main d’un faux créancier. Ou bien, elle peut refuser le paie-ment en renvoyant l’administration de faillite étrangère soit à la procédure de reconnaissance à titre principal, soit à la procédure de reconnaissance à titre préjudiciel dans le cadre d’une action en paiement. Ayant la possibilité de provoquer l’intervention d’un juge, on ne voit pas en quoi la sûreté des relations juridiques serait touchée par la possibilité de recon-naître une faillite étrangère à titre préjudiciel.

La nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral sur ce point nous semble donc erronée.

F. Effets de la reconnaissance

Nous croyons donc – contre l’opinion du Tribunal fédé-ral – que la reconnaissance à titre préjudiciel est possible, et qu’elle est un élément cohérent du système suisse de la faillite internationale. Les effets de cette reconnaissance à ti-tre préjudiciel sont différents, selon qu’ils se réfèrent à des biens de la masse localisés en Suisse ou à l’étranger.

Pour les biens localisés en Suisse, la règle de l’art. 170 al. 1 LDIP est claire: le législateur ayant opté pour l’applica-tion des effets prévus par le droit suisse, il faudra recourir à la théorie de l’assimilation. Suite à la reconnaissance à titre préjudiciel le jugement étranger produira les effets d’un ju-gement suisse semblable93, pour autant qu’ils ne soient pas incompatibles avec le principe de territorialité. Il serait donc envisageable, par exemple, de reconnaître à titre incident la qualité pour agir en recouvrement de créances en Suisse de la masse en faillite d’une personne physique étrangère; la re-connaissance à titre préjudiciel ne pourrait toutefois jamais permettre à l’administration de la masse d’agir iure imperii en Suisse, par exemple en organisant une vente aux enchè-

88 Dans ce sens Pierre-Robert Gilliéron, Les dispositions de la nouvelle loi fédérale de droit international privé sur la faillite internationale, Lausanne 1991, p. 31, 39, 60–61.

89 Meier (n. 42), p. 205.90 Message (n. 29), p. 436–437.91 ATF 109 III 112 c. 2b.92 Meier (n. 42), p. 204. 93 Bopp (n. 74), p. 252.

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res de biens sis en Suisse94. La reconnaissance préjudicielle de certains pouvoirs de l’administration de faillite étrangère ne devrait en outre pas entrer en conflit avec les pouvoirs de l’administration suisse; dès que la faillite étrangère est re-connue à titre principal, toutes démarches et pouvoirs de l’administration étrangère sur les biens localisés en Suisse deviendraient caducs.

Pour les biens qui ne sont pas localisés en Suisse, au contraire, il y a une lacune de la loi. Il faudra donc appli-quer le règle générale de l’extension contrôlée des effets95, et considérer que les effets à étendre devraient être, en bonne lo-gique, ceux de la lex fori concursus étrangère96, pourvu qu’il ne s’agisse pas d’accomplir en Suisse des actes relevant de la puissance publique. Si la faillite devait être par la suite re-connue à titre principal, l’ouverture de la mini-faillite suisse ne devrait pas avoir d’influence sur les démarches entreprises par le biais de la reconnaissance à titre préjudiciel concernant des biens qui ne tombent pas dans la masse suisse.

VIII. L’action révocatoire

La reconnaissance à titre préjudiciel de la faillite étrangère permet aussi de résoudre certains problèmes liés à l’action révocatoire qui, manifestement, est un effet typique de la faillite et ne peut donc se produire en Suisse sans une re-connaissance (à titre principal ou préjudiciel) au sens de l’art. 166 LDIP.

L’art. 171 LDIP dispose que l’action révocatoire est régie par les art. 285 à 292 LP. Selon la doctrine majoritaire, cette action révocatoire fondée sur le droit suisse ne vise que les biens qui rentrent dans la masse de la mini-faillite suisse. Puisque l’action révocatoire a pour but de reconstituer la masse active, rentrent dans la masse active de la mini-faillite suisse les prétentions qui ont pour objet des biens qui, sans l’acte révocable, seraient localisés en Suisse; en sont exclues les prétentions révocatoires relatives à des biens qui sont ar-rivés en Suisse à raison de l’acte révocable. Déterminant est donc le lieu de situation des biens avant l’acte révocable 97.

L’art 171 DIP étend la légitimation active à l’adminis-tration de la faillite étrangère ou aux créanciers de la faillite étrangère admis à l’état de collocation étranger et dûment légitimés, mais cet élargissement du cercle des ayants droit n’est que subsidiaire: l’administration de faillite ou les créan-ciers étrangers ne peuvent agir en révocation que si l’admi-nistration de la mini-faillite suisse et les créanciers admis à l’état de collocation de celle-ci y ont renoncé98. Cela signi-fie que la légitimation dépend de l’issue de la procédure de mini-faillite, dont l’ouverture est par conséquent indispensa-ble; l’administration étrangère ne saurait ainsi exercer cette action révocatoire (suisse) de l’art. 171 LDIP sans avoir ob-tenu la reconnaissance de la faillite à titre principal99.

Quid des biens qui ont été emmenés en Suisse suite à un acte révocable? L’action révocatoire pour ces actes ne ren-tre pas dans la masse de la mini-faillite suisse, et il ne s’agit donc pas de l’action révocatoire de l’art 171 LDIP.

Certains auteurs estiment que qu’il serait impossible d’exercer des actions révocatoires différentes de celle prévue à l’art. 171 LDIP, et qui auraient pour but de sauvegarder la consistance de la masse principale étrangère en y réintégrant par exemple des biens que le failli aurait déplacé en Suisse par des actes révocables selon la lex fori concursus. Cela dé-coulerait justement de l’impossibilité de reconnaître à titre préjudiciel une faillite étrangère ou du principe de territoria-lité100.

Ces opinions ne nous semblent pas convaincantes. Nous avons déjà démontré auparavant que la possibilité de

reconnaître à titre préjudiciel une faillite étrangère existe et n’est pas en contradiction avec le système des articles 166 ss. LDIP. Cela d’autant plus qu’il ne peut y avoir aucun conflit entre cette démarche et l’action révocatoire de l’art. 171 LDIP qui, justement, n’est pas concernée par des actes qui ont distrait des biens appartenant à la seule masse étrangère: il ne s’agit pas de reconstituer la masse active de la mini-faillite suisse puisque ces biens n’en font pas partie.

Par ailleurs, le principe de territorialité ne s’oppose pas à l’exercice d’une action révocatoire étrangère en Suisse, si la faillite a été reconnue à titre préjudiciel. L’administration de la faillite étrangère qui ouvre un procès en révocation en Suisse n’exerce pas de pouvoirs relevant de la puissance pu-blique. Certes, l’action révocatoire est un effet typique de la faillite étrangère qui, pour le principe de territorialité, ne 94 Dans ce sens Jaques (n. 9), p. 30.

95 ATF 130 III 336 c. 2.5.96 Jaques (n. 9), p. 22, 30.97 Gabrielle Kaufmann-Kohler/Michael Schöll, Commen-

taire romand-Poursuite et faillite, Bâle 2005, n. 9 ad Art. 171 LDIP; Schwander (n. 22), Rz 45; Staehelin (n. 1), p. 145–146; Gilliéron (n. 74), p. 206; Dallèves (n. 42), p. 13; Florian Bommer, Die Zuständigkeit für Widerspruchs- und Anfechtungsklagen im internationalen Verhältnis, Zurich 2001, p. 153; Volken (n. 9), n. 5 ad art. 171 LDIP; Dutoit (n. 74), n. 2 ad Art 171; Jaques (n. 9), p. 74; Jolanta Kren Kostie-wicz, Internationales Konkursrecht: Anerkennung ausländi-scher Konkursdekrete und Durchführung eines Sekundärkon-kurses in der Schweiz, BlSchK 1993 p. 19; Flavio Cometta, Assistenza giudiziaria internazionale in materia esecutiva – Fal-

limento e concordato internazionali, in: Assistenza giudiziaria internazionale in materia civile, penale, amministrativa ed ese-cutiva, Lugano 1999, p. 212.

98 Kaufmann-Kohler/Schöll (n. 97), n. 15 ad Art. 171 LDIP; Cometta (n. 97), p. 213.

99 Jaques (n. 9), p. 74.100 Jucker (n. 20), p. 322, 328–331; Berti (n. 78), n. 10a ad

Art. 167 et n. 12 ad Art. 171; Fridolin Walther, Paulianische Anfechtungsansprüche im internationalen Verhältnis – aus-gewählte Probleme, in: Internationales Zivilprozess- und Verfah-rensrecht V, Zurich 2005, p. 95, 101.

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peut pas se produire automatiquement en Suisse; mais par la reconnaissance à titre préjudiciel ces effets sont acceptés par le juge suisse: nous ne voyons en quoi cette libre accepta-tion (fondée sur les conditions des art. 166 ss. LDIP) pourrait troubler notre souveraineté.

Finalement, l’interprétation téléologique de la LDIP nous paraît démentir les auteurs susmentionnés. En suivant leur thèse, il n’y aurait aucun moyen pour réintégrer à la masse étrangère des biens que le failli aurait déplacé en Suisse par des actes révocables; en effet, ne faisant pas partie de la mini-masse suisse, l’action de l’art. 171 LDIP est exclue, et selon la jurisprudence du Tribunal fédéral un jugement révocatoire prononcé à l’étranger ne peut pas être reconnu en Suisse101. En outre, l’action révocatoire de l’art. 171 LDIP serait sou-vent pratiquement inutile pour sauvegarder la consistance de la masse principale étrangère, car les «périodes suspectes» sont calculées à partir de la publication de la décision de re-connaissance (art. 170 al. 2 LDIP), et non pas de la date de l’ouverture de la faillite étrangère. Cela ferait vraiment de la Suisse le coffre-fort des sociétés insolvables, ce qui n’était certainement pas le but de la réglementation102.

Nous nous rallions ainsi aux auteurs qui admettent la pos-sibilité pour l’administration de faillite étrangère d’exercer une action révocatoire en Suisse, pour reconstituer la masse étrangère, à condition que la faillite soit reconnue à titre in-cident103.

Cette action révocatoire ne pourra être régie, en bonne lo-gique, que par la lex fori concursus étrangère104, sauf si celle-ci devait prévoir un cas de révocation totalement inconnu du droit suisse (art. 17 LDIP)105.

IX. Conclusions

A. Une jurisprudence erronée

La jurisprudence du Tribunal fédéral s’est égarée sur une fausse piste, qui porte tout droit à la faillite du système suisse prévu par la LDIP.

La situation de l’administration d’une faillite étrangère, de la masse et celle de la société faillie sont incohérentes et elle sont péjorées par rapport au début du siècle passé. Tout d’un coup, à cause de la faillite prononcée à l’étranger – qui pourtant devrait être inexistante, selon le strict principe de territorialité – et pour protéger des créanciers suisses qui n’existent presque jamais, elles ne semblent avoir plus d’existence, de jouissance et d’exercice des droits civils en Suisse, où elles peuvent uniquement demander l’ouverture d’une mini-faillite; cette démarche est obligatoire même si elles n’ont qu’une seule créance contre un tiers débiteur do-micilié en Suisse, et l’ouverture de la mini-faillite apparaît par conséquent anti-économique. Tous les effets matériels du jugement de faillite étranger, dont les règles de conflit suisses imposent la reconnaissance, sont mis à néant.

La jurisprudence refusant la reconnaissance à titre préju-diciel, les décisions annexes émises dans le cadre de la procé-dure de faillite principale sont pour la Suisse inexistantes; de même, la masse étrangère ne peut rien entreprendre en Suisse pour des actifs qui ne tombent pas dans la mini-masse suisse. Aussi la reconnaissance en Suisse des effets d’un concordat étranger nécessite toujours de l’ouverture d’une procédure à titre principal; paradoxalement, même si le concordat ne né-cessite pas d’actes positifs ou d’exécution en Suisse.

Les actifs distraits de la masse étrangère par des actes ré-vocables et cachés en Suisse ne peuvent pas être réintégrés, ni par une action révocatoire introduite en Suisse, ni par une action exercée au for de la faillite principale, ce jugement n’étant pas reconnaissable en Suisse.

Si le système suisse était vraiment celui-là, une révision complète de la loi s’imposerait.

B. Un système encore viable

Au contraire, en oubliant les ATF 134 III 366, 130 III 620 et 129 III 683, le système serait encore viable. Il ne serait d’ailleurs pas très éloigné du nouveau droit européen de la faillite internationale.

D’une part, à travers une reconnaissance – imposée par l’art. 154 LDIP – du changement des organes de la société étrangère faillie, l’administrateur de faillite pourrait agir et poursuivre au nom de la faillie ses débiteurs en Suisse et ap-préhender ces biens. D’autre part, une reconnaissance à ti-tre préjudiciel de la faillite étrangère et du dessaisissement permettrait à l’administrateur d’agir d’une façon semblable (mais au nom de la masse, seule détentrice de la qualité pour agir) contre des tiers débiteurs suisses d’une personne physi-que faillie à l’étranger. L’administrateur de faillite étranger aurait ainsi des pouvoirs similaires à ceux prévus par l’art. 18 du Règlement CE 1346/2000.

De même, il pourrait obtenir des séquestres (art. 271 LP) sur des biens sis en Suisses appartenant à des tiers débiteurs du failli qui ne seraient pas domiciliés en Suisse (et qui ne rentrent donc pas dans le domaine d’application de la mini-faillite suisse).

101 ATF 129 III 683 c. 5.2.102 Message (n. 29), p. 437: «En s’en tenant au strict principe de

le territorialité, la Suisse doit se garder de se trouver subite-ment confrontée à des mesures de rétorsion étrangères. Enfin, la règlementation du projet devrait aussi contribuer à atténuer certaines attaques financières et de politique économique aux-quelles la Suisse est exposée aujourd’hui».

103 Hans Hanisch, Wirkungen deutscher Insolvenzverfahren auf in der Schweiz befindliches Schuldnervermögen, JZ 1988, p. 742; Bommer (n. 97), p.154–157; Jaques (n. 9), p. 76; Jean-Luc Chenaux, Un survol de l’action révocatoire en droit internatio-nal privé suisse, SJZ/RSJ 1996, p. 236–237.

104 ATF 59 III 254, 257; Jaques (n. 9), p. 76; Bommer (n. 97), p. 207.

105 Hanisch (n. 103), p. 742; Bommer (n. 97), p. 204.

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En outre, les décisions annexes émises dans la faillite principale pourraient être reconnues à titre incident, comme c’est le cas pour l’art. 25 du Règlement CE 1346/2000.

Quant au concordat étranger, tous ses effets ne nécessi-tant pas d’action positive d’exécution pourraient se produire en Suisse par une reconnaissance à titre incident. Le résultat serait semblable à celui prévu par l’art. 25 du Règlement CE 1346/2000.

Finalement, par une reconnaissance à titre préjudiciel de la faillite, le représentant de la masse principale pourrait exercer en Suisse l’action révocatoire de la lex fori concursus (sous réserve de l’art. 17 LDIP), pour les biens qui ne ren-trent pas dans le champ d’application de la révocation suisse au sens de l’art. 171 LDIP. En évitant ainsi que la Suisse ne devienne le coffre-fort des sociétés insolvables. L’effet serait similaire à celui produit par l’application des articles 4 par. 2 let. m, 13 et 18 du Règlement CE 1346/2000.

Par ailleurs, l’administration de faillite étrangère pourra demander l’ouverture de la procédure ancillaire suisse; tout comme le prévoit l’art. 29 du Règlement CE 1346/2000.

Pouvons-nous encore espérer dans un changement de ju-risprudence en ce sens?

Nach Inkrafttreten des IPR-Gesetzes haben zahlreiche Fragen des Internationalen Konkursrechts zu Kontroversen geführt. Welches sind die Rechte der ausländischen Konkursverwal-tung einer juristischen Person in Fällen, in denen eine Aner-kennung des Konkursdekrets nach dem Kapitel 11 des IPRG nicht verlangt wird bzw. gar nicht verlangt werden kann? Hat die ausländische Konkursverwaltung die Möglichkeit, in der Schweiz eine Anfechtungsklage hängig zu machen, insbeson-dere hinsichtlich Vermögenswerte, welche nicht zur Masse des schweizerischen «Minikonkurses» (Anschlusskonkurses) gehö-ren? Können ausländische Konkursdekrete oder Nachlassver-träge vorfraglich im Sinne des Art. 29 Abs. 3 IPRG anerkannt werden?

Als Folge eines Bundesgerichtsentscheides aus dem Jah-re 2003 haben einige Autoren die Auffassung vertreten, dass eine ausländische Konkursverwaltung in der Schweiz einzig die Eröffnung eines Anschlusskonkurses (Art. 166 ff., 170 ff. IPRG) beantragen kann, dass eine vorfragliche Anerkennung eines ausländischen Konkurses nicht möglich sei und dass jede Anfechtungsklage im Interesse der ausländischen Masse (im zuerst eröffneten Konkurs) ausgeschlossen sei. Diese Au-toren schlossen daraus, dass das Internationale Konkursrecht der Schweiz ein in sich geschlossenes System sei, das im Er-gebnis die Schweiz zu einem Panzerschrank für insolvente Ge-sellschaften mache; daraus leiten diese Autoren einen Bedarf für eine Gesetzesrevision ab. Zwei weitere Bundesgerichtsent-scheide aus den Jahren 2004 und 2008 bestärken diese Beden-ken der Doktrin.

Eine vertiefte Untersuchung des Territorialitätsprinzips, der internationalen Wirkungen ausländischer Entscheidungen und des Willens des Gesetzgebers zeigt allerdings, dass es nicht notwendig ist, das Gesetz zu ändern; es ist vielmehr die Rechtsprechung des Bundesgerichts, welche auf ein falsches Gleis gekommen ist, und welche geändert werden sollte. Der Gesetzgeber wollte nämlich im IPRG keine abschliessende Re-gelung des Internationalen Konkursrechts der Schweiz treffen; sein Schweigen in Bezug auf manche Fragen bildet eine echte Lücke, die vom Richter gefüllt werden kann und gefüllt wer-den muss. Im Weiteren hat er ausdrücklich gewollt, dass eine vorfragliche Anerkennung des ausländischen Konkurses mög-lich sein solle.

Sieht man von den Entscheidungen BGE 134 III 366, 130 III 620 und 129 III 683 ab, könnte man mit dem bestehenden System des Internationalen Konkursrechts der Schweiz leben; dieses würde (ohne die drei genannten BGE) dem neuen eu-ropäischen Internationalen Konkursrecht nahe kommen. Über eine – von Art. 154 IPRG vorgeschriebene – Anerkennung des Organwechsels der ausländischen konkursiten Gesellschaft könnte der ausländische Konkursverwalter im Namen der Konkursitin handeln und gegen ihre Schuldner in der Schweiz klagen. Eine vorfragliche Anerkennung des ausländischen Konkurses könnte auch ein entsprechendes Vorgehen bei Konkursen von natürlichen Personen ermöglichen, und in der Schweiz eine Anfechtungsklage auf Grund des ausländischen Konkursgesetzes bezüglich der Vermögenswerte gestatten, die von der Anfechtungsklage nach Art. 171 des schweizerischen SchKG nicht erfasst werden, oder in der Schweiz alle jene Wir-kungen eines ausländischen Nachlassvertrags zuzulassen, wel-che keine eigentlichen Vollstreckungshandlungen erfordern.