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Wilhelm von Gloeden… · 2013. 12. 26. · Gloeden, Peyrefitte put connaître les noms des célèbres visi-teurs du baron-photographe qui illustrent cette biographie. En 1959, Pietro

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    Wilhelm von Gloeden

    Biographie

    Roger Peyrefitte

    Éditions Textes Gais31 rue Bayen75017 Paris

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    Du même auteur, aux Éditions T. G.

    Les Amitiés particulières.Roy.

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    Préface d’Alexandre de Villiers,exécuteur testamentaire de Roger Peyrefitte

    « L’Italien encule », écrit Stendhal dans ses carnets secrets ; et Roger Peyrefitte disait que « les Italiennes sont les femmes les plus épanouies de la Terre car elles sont fêtées des deux côtés ». Il a pu le vérifier au cours de ses escapades transal-pines, car il n’était pas insensible au charme féminin.

    C’est cette ouverture des esprits — et des corps —, cette nonchalance, cette insouciance délicieuse des Italiens qui font qu’il y a plus d’un siècle, le jeune baron Wilhelm von Gloeden a pu, assez sereinement, photographier chez maints garçons, dans l’innocence de leur corps, la partie la plus charnue de leur individu aussi bien que leur virilité et ce, en Sicile — du latin Trinacria, la Triangulaire.

    C’est dans une librairie du Palais-Royal, sous l’apparte-ment de son amie Colette, que Roger Peyrefitte a la révélation de ces photographies, pour paraphraser Milton, du Paradis retrouvé. La veille de la débâcle de 1940, cette libraire lui dit : « Monsieur Peyrefitte, un Américain qui s’en va de Paris, comme tous ses compatriotes en ont reçu l’ordre, m’a laissé une valise où vous trouverez peut-être des choses qui vous intéresseront. »

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    Elle le conduit dans l’arrière-boutique et lui ouvre une petite valise de fibre d’où il voit surgir « les plus beaux garçons de la Terre : c’étaient des épreuves anciennes, sur papier violacé, tirées des plaques photographiques où, pendant près de trente ans, Gloeden, le réinventeur de Taormina, avait fixé les images qui sont, grâce à moi, redevenues tellement à la mode — les images que le vieux Gide était venu contempler dans mon appartement de l’avenue Hoche, à Paris. En les retournant, j’avais lu le cachet : ‘‘ W. V. Gloeden, Taormina, Sicile. ’’ Et pendant que les chars allemands roulaient vers Paris d’où j’allais partir bientôt comme l’Américain, mais pour une autre direction, je jurais qu’aussitôt la guerre finie, j’irais à Taormina, Sicile. À cause de la raison que j’ai dite, ce ne fut qu’en 1947 ».

    À cette date, c’est bien à Taormina que Peyrefitte décide de se fixer, séduit par l’incomparable beauté du lieu. Il y rencontre le vieux pêcheur Pancrazio Bucini, dit Moro, ancien valet de chambre de Gloeden qui lui avait laissé toutes ses lourdes plaques photographiques. Peyrefitte est saisi par le contraste entre ce couple de braves travailleurs et leur fils et ces jeunes garçons souvent couronnés de fleurs...

    Sous le fascisme, après la mort de Gloeden, le père Bucini eut des ennuis avec la police qui détruisit plusieurs de ses négatifs ; c’est pourquoi il avait caché les plaques dans une soupente au-dessus de son lit. On y accédait par une échelle. Peyrefitte se régala en découvrant ces plaques par transpa-rence.

    L’ancien valet — de cœur... — avait aussi quelques tirages sur papier violacé comme ceux que l’écrivain avait achetés sept ans auparavant à Paris.

    En 1947, avec le concours d’un commerçant de Taormina, le sieur Raia, Peyrefitte put faire exécuter des clichés pour les plaques dont il n’avait pas de reproductions.

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    Lorsqu’il rentra à Paris, cette moisson émerveilla ses amis et provoqua tant de voyages, au point que le Club Méditerranée en est sorti...

    Il y a trois siècles, un voyageur français, Jean-Jacques Blanchard, aurait pu dire comme Cocteau que « les Italiens sont des Français de bonne humeur », et il aurait pu ajouter qu’ils ne sont pas très farouches. En effet, il note dans son journal une phrase de la plus infinie délicatesse en relevant qu’à Capri « les garçons faisaient volontiers la courtoisie ».

    Grâce au baron balte Karl Stempel, qui fut un ami de Gloeden, Peyrefitte put connaître les noms des célèbres visi-teurs du baron-photographe qui illustrent cette biographie.

    En 1959, Pietro Nicolosi a publié, chez l’éditeur Flaccovio, Baroni di Taormina. C’est l’histoire de tous les personnages connus, Gloeden le tout premier, qui ont séjourné dans cette ville enchanteresse. Nicolosi demande à Peyrefitte d’ho-norer son ouvrage d’une préface et l’y fait figurer comme le dernier véritable baron de Taormina. Il faut dire que l’écrivain s’y rendit aussi pour des raisons littéraires puisqu’il y écrira, pendant dix-sept hivers, dix-sept de ses œuvres.

    J’ai eu moi-même l’honneur de l’y accompagner par deux fois. En 1991, il fut le seul écrivain français invité par le gouvernement autonome de Sicile pour une conférence inter-nationale. En dehors de cet événement, il est reçu à la fonda-tion Whitaker par le Président du Parlement autonome de Sicile qui lui dit : « Signor Peyrefitte, il ne me sera malheureu-sement pas possible d’écouter votre réponse au discours que je viens de prononcer en votre honneur car, pour être auprès de vous en ce moment, il m’a fallu suspendre la séance à la Chambre... »

    Le 9 mars 1992, il est l’hôte du club Rotary qui donne une somptueuse réception en son honneur à l’hôtel Excelsior de Palerme.

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    Le lendemain, dans l’ancienne salle de l’Inquisition de l’imposant Palazzo Steri, on lui remet la toge de docteur honoris causa de l’université de Palerme. Le jeudi 12 mars, je l’accompagne à la mairie de Taormina où il reçoit des mains du maire la citoyenneté d’honneur de cette ville, en somme, la clef du Paradis. Cet événement est fêté au San Domenico où nous logions. Hélas, au moment où nous arrivons aux portes du palace avec la délégation officielle au grand complet, nous apprenons que le représentant du gouvernement italien en Sicile vient tout juste d’être assassiné. Cette affaire Érignac à l’italienne jeta un froid sur le banquet.

    Au cours de cette visite, nous sommes invités par les nouveaux propriétaires du Café Saint-Georges, à Castelmola, sur les hauteurs de Taormina. Cet établissement est célère depuis que Peyrefitte, dans Du Vésuve à l’Etna*, a relaté une amusante anecdote entre le Signor Blandano et la richissime famille Vanderbilt.

    Nous sommes donc en route pour fêter le centenaire de Blandano, dans le café qui fut sien. En chemin, je ne sais quelle mouche — du coche — m’a piqué. Comme nous étions en avance, j’ai eu l’heureuse inspiration de prier notre chauffeur de nous arrêter dans une rue pour y contempler le paysage avant la longue montée vers Castelmola.

    Nous faisons quelques pas et je suis frappé de stupéfac-tion.

    — Savez-vous, Roger, où nous sommes ?— Mais, mon cher, nous sommes à Taormina, quelle

    curieuse question.— Certes, mais encore...

    * Prix de la ville de Palerme (1953).

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    Et, de la dextre, je lui désigne la plaque au nom de la rue sur laquelle il peut lire, non sans émotion : « Via Wilhelm Von Glöden. »

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    À notre arrivée à Castelmola — au son d’un Orphéon —, le centenaire Signor Blandano fondit en larmes dans les bras de Peyrefitte. Ils n’avaient nul besoin de se parler pour que défilassent devant leurs yeux tant de souvenirs d’un temps béni des dieux.

    À cette époque-là, il y avait une équipe de télévision italienne (RAI) qui faisait un grand reportage sur le tourisme en Italie et singulièrement en Sicile. Comme on n’avait pas oublié la trattoria des frères Intelisano — successeurs de Blandano —, les frères demandèrent à Peyrefitte si, le lende-main, au San Domenico, il accepterait de prendre la parole pour parler de leur maison et pour vanter leur fameux vin aux amandes. Peyrefitte prêta volontiers sa renommée pour promouvoir le vin sicilien.

    Outre le vin, les Intelisano nous offrirent à chacun un album de photographies d’éphèbes édité par la maison Malabri à Taormina : L’Album Wilhelm von Gloeden, qui désormais rivalisait avec l’autre album intitulé Souvenirs de Taormina, on s’en doute, beaucoup plus conventionnel...

    Ces albums nous furent offerts dans une pochette trans-parente sur laquelle on voyait des hommes nus portant des verres et l’inscription Café Saint-Georges depuis 1907, l’année de naissance de Peyrefitte... Et Georges et Alexandre sont les prénoms des deux jeunes héros des Amitiés particulières.

    Je suis quelque peu embarrassé devant cette avalanche de marmousets, mais il me souvient qu’on demandait à un philo-sophe grec s’il était permis d’aimer de beaux garçons. Il eut cette réponse admirable : « Question d’aveugle. »

    Quelle revanche pour Gloeden qui avait désormais sa rue à Taormina et pour Peyrefitte qui l’avait fait reparaître aux yeux du monde entier... À sa mort, en novembre 2000, à sa demande, je ferai graver sur sa tombe ce simple mot : Taorminese.

    Dans un ouvrage récent, Portrait du siècle dernier, l’excellent

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    journaliste et écrivain Giuseppe Quatriglio, grand spécialiste de l’histoire de la Sicile et de la littérature qu’elle a inspirée, suggère que soit la ville de Palerme ou celle de Taormina — ou toutes deux — devraient dédier une rue importante à Roger Peyrefitte qui a tant agi pour faire mieux connaître et aimer le Sud de l’Italie et qui, en publiant Du Vésuve à l’Etna, voulait « rouvrir le chemin de l’Italie aux Français qui n’y allaient plus depuis la fin de la guerre ».

    Je ne résiste pas au plaisir de conter ici une anecdote cocasse qui touche un Taorminais devenu célèbre à Paris dès qu’il a été nommé directeur général de l’hôtel Plaza Athénée, ce qui lui valut bientôt le titre de « meilleur directeur d’hôtel de l’année en cours ».

    Pour couronner le tout, le comité Best, présidé par Massimo Gargia et dont Peyrefitte était un des membres fondateurs, allait lui décerner un autre titre en l’élisant comme l’un des dix hommes les plus élégants du monde.

    Or donc, pour en venir au fait, ce 19 avril 1990, nous sommes impatients de faire la connaissance de ce Taorminais, M. Franco C., qui a eu l’heureuse idée de donner une fête en l’honneur des « Parfums et des saveurs de Sicile » en invitant, pour préparer ces agapes, le chef du plus célèbre restaurant de Sicile, La Scuderia, à Palerme.

    Ce dîner de gala était présidé par le comte Attolico, ambassadeur d’Italie à Paris, à la table duquel nous étions.

    Je garai ma voiture devant ce palace, à la place qui nous avait été réservée. En sortant de mon véhicule, Peyrefitte eut la surprise de ne pas se voir mitrailler par des photographes, comme à l’accoutumée, alors qu’il y en avait une trentaine de l’autre côté de la rue.

    — C’est, lui dis-je, que l’Ange bleu — qui habitait en face du Plaza — est monté au ciel cet après-midi.

    Le directeur nous attendait sur le pas de la porte en exha-lant une joie et une émotion réelles en saluant l’écrivain qui

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    représentait un pan de l’histoire de sa ville natale. Il lui fit force sourires en nous conduisant jusqu’à notre table. Devant cet assaut d’amabilités, à peine fut-il assis que Peyrefitte fit un décompte savant :

    — Voyons, quel âge pouvait-il avoir lors de mon dernier séjour en Sicile, il y a vingt-sept ans ?

    Puis il se pencha vers moi pour me glisser dans le creux de l’oreille :

    — Tu comprends, je les ai tous fabriqués !…J’étais si certain que l’affable et beau directeur n’avait pas

    été un « Taor-minet » de Peyrefitte que je n’ai pas hésité, long-temps après, à rapporter l’anecdote à M. Franco C. qui m’a autorisé à la répéter à son épouse. C’était bien la preuve que je ne me trompais pas. Madame Franco C., en Italienne fine et épanouie, en a ri aux éclats.

    Grâces en soient rendues à Roger Peyrefitte d’avoir relancé l’œuvre de Wilhelm von Gloeden et ce faisant, en rendant les esprits moins obtus, d’avoir émoussé les angles de la Triangulaire.

    Ces corps d’éphèbes, d’une grâce rustique, sont mis en scène avec un sens esthétique si certain que Le Caravage ne les aurait pas reniés, lui qui faisait poser, pour figurer des saints, des ragazzi di vita.

    Oui, ces photographies sont souvent composées avec délicatesse, comme des toiles de maîtres anciens, et c’est en cela qu’elles ne sont jamais vulgaires. Comme n’est jamais prosaïque la nature du peuple italien. C’est un prélat français qui, d’un trait de plume, a fait le plus bel éloge de ces gens-là.

    À la fin du xViiie siècle, l’abbé de Saint-Non, dans son Voyage pittoresque ou description des royaumes de Naples et de Sicile, a une formule saisissante pour faire comprendre et aimer le carac-tère de ce peuple unique :

    « En Italie, les enfants rient en mangeant du pain. »

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    Quand je songe au jeune valétudinaire Wilhelm débar-quant en Sicile avec pour premiers outils sa palette, ses pinceaux et ses tubes de couleurs, et en pensant à ce qu’il est devenu, il me vient à l’esprit le titre d’une comédie en un acte de Molière, que ce dernier a insérée dans le Ballet des Muses (1667) : Le Sicilien ou l’Amour peintre.

    alexandre de VilliersExécuteur testamentaire de Roger Peyrefitte.

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    Aujourd’hui, 16 septembre 1926, j’ai l’âge respectable de soixante-dix ans et, comme je suis arrivé à Taormina le jour de ma vingtième année, il y a un demi-siècle que je me trouve dans le plus sûr des paradis. J’y ai été si heureux, j’y ai fait de telles choses et ce lieu béni me doit tant, que j’ai voulu marquer ce jubilé en commençant d’écrire mon histoire.

    Elle n’est pas faite pour les historiens. Elle n’intéresse que les voluptueux et les artistes. Elle est le témoignage d’une existence vouée au culte de la beauté, un acte de gratitude envers un pays et un peuple.

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