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Trafalgar (Sur un volcan)Opérette /

Comédie en ariettes en un acte

Livret de censureParis

– Première édition provisoire –

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© 2003 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin.Eigentum für alle Länder: Boosey & Hawkes · Bote & Bock

ISMN M-2025-3110-5 ISBN 3-7931-3110-6

Sur un volcan – Livret de Censure 1

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Sur un volcan

Operette

Comédie à Ariettes

en un acte

Bouffes parisiens

Revue pour être jouée au théâtre des Bouffesparisiens dans la salle Choiseul le 10

Jacques Offenbach

Sur un Volcan

Comédie à ariettes

operette

en un acte

Personnages

Pierre dit TrafalgarSt Elme, enseigne de vaisseauMiss Katrina, actrice du théâtre royal de Dublin

_______________________

La scène se passe à Dublinen 1806

Une petite chambre, porte barricadée au fond, unenatte déroulée avec un oreiller, à gauche une petiteporte, à droite sur le premier plan une fenêtre avecbalcon très bas, une poulie et une corde servant àfaire descendre et remonter une corbeille. Unsonnette extérieure dont le cordon tombe dans la rue.Devant la fenêtre un baril noir presque en entiercaché par le parquet, une petite table sur laquellebrûle une veilleuse, meubles grossiers.

Scène 1eSt Elme, Trafalgar (endormi assis devant la fenêtremèche allumée à la main

St ElmeBon œil et bonne oreilleEcoutonsObservonsQuand l’un sort, l’autre veilleTour à tourNuit et jourMalheur à qui provoqueHasardeurL’un des deuxCar celui qui se moqueDe la mortEst bien fort.Me voilà veillant sur le feu sacré, àDublin, comme un Vestal de 1806. Sije le laissais éteindre, nous serions pen-dus vifs, à deux toises au-dessus duniveau de la terre … triste mort pourdeux marins ! veillons toujours, à côtéde ce baril de poudre, notre Palladium !(il a désigné le baril de poudre Plus jeréfléchis et plus je trouve ces expédientssuperbe. Nous étions tous les deuxprisonniers à Dublin, sans ressour-ces et sans avenir. Nous achetonsà crédit ce volcan domestique etavec cette mèche nous faisons laloi à Dublin qui nous connaîtbien et qui nous croit capablesde jouer avec la vie aussi gaimentqu’avec la mort.

Trafalgar (il se réveille en sursautSauté !

St ElmePas du tout, nous sommes toujours àl’ancre.

Trafalgar (se frottant les yeuxC’est un maudit rêve ! en dormant,j’étais au bord de mon beau vaisseaule formidable ; on nous l’avait rasé

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comme un ponton. Nous allions êtrepris par trois frégates, le capitaine m’afait un signe avec sa pipe ; j’ai com-pris ; je me suis précipité à la SteBarbe, j’ai mis le feu aux poudres,et cent tonerres nous ont envoyéspromener dans la lune … Sauté !

St ElmeEh ! bien, mon cher Trafalgar,Ce n’est pas un rêve, il n’y a quela lune de trop … C’est bien ce quetu as fait devant l’ennemi … nousvoyons souvent la nuit, en rêve,ce qui nous est arrivé pendantle jour en réalité. Toute cetteville de Dublin connaît ton héroï-que exploit, et t’a même donnéle surnom de Trafalgar.

TrafalgarAussi toute cette ville de Dublintremble, et ne dort plus, il y a troisjours, j’étais prisonnier de Dublinet aujourd’hui, c’est Dublin qui estmon prisonnier de guerre. Malheurà lui, s’il ne m’obéit pas ! je le couleà fond comme une coquille de noix,je me suis embossé devant l’hôteldes assurances contre l’incendieet si le moindre constable touchema porte avec sa baguette, je prendsle Vésuve, l’Etna, le Mara-api, tousles volcans de l’enfer que j’ai dansma poche, et je les lance à latête de Dublin comme un simplepetard ! tant pis ! (s’avançant vers lafenêtre y a t-il toujours beaucoupde curieux dans Sakeville-Street ?

St ElmeDes curieux, non … il y a des voisinsintéressés … le fabricant de cristauxde glace de Venise, Mr Grave, lefabricant de porcelaine de Chine,monsieur Luxton, le fabricant decristaux de Bohême, monsieur Hodgeset tous les directeurs et employés descompagnies contre l’incendie … à pro-pos, on vient de m’envoyer un exem-plaire des nouvelles affiches revues etcorrigées que tu as commandées àl’imprimerie voisine.

TrafalgarDéjà prêtes ! parbleu ! nous n’avonsqu’à parler pour être obéis … (prenantl’exemplaire et lisant« Au moindre refus, la rue saute« en l’air et tout le quartier est« en enfer. Au moindre signe d’at-

« taque contre la maison, la« rue saute etc … lorsque le« jeune marin St Elme se promé-« nera dans la ville, la plus« vigilante protection doit lui« être accordée, s’il ne rentre« pas, la maison saute etc …« Signé Pierre dit Trafalgar« né sur l’Océan à bord de la fré-« gate la Junon, sans père ni« mère, et pilote du formidable« qui a sauté dans les eaux de« Cadix etc … etc … 2 juin 1806 …« arrêté à Dublin, devant un« baril contenant deux quin-« taux de poudre anglaise« sous une mèche qui ne« s’éteint pas …Cette affiche est menaçante commeun nuage noir … (il crie par la fenêtremessieurs les constables, faites pla-carder ces nouvelles affiches àtous les coins de Dublin, etfaites les traduire aux irlandais quine savent pas l’anglais …(à Elme Les constables s’incli-nent avec respect et me fontsigne qu’ils obéiront.

St ElmeJe crois bien … il ne faut doncque deux hommes résolus pourmettre une ville en état de siège.

TrafalgarEt j’espère bien que nous rentreronsdans les trésors que la guerre nousa pris.

St ElmeMoi la guerre m’a dépuoillé d’unepièce de 24 sous.

TrafalgarTu étais le plus riche de nous deuxmais mon vaisseau le formidableque j’ai brulé vif, pour ne pasle perdre, il faut bien qu’on mele paie ! C’est deux millions auplus juste, pas un sous de moins.

St ElmeNous tirerons à vue un petit man-dat de deux millions sur la caissede la compagnie d’assurances …notre voisine, j’ai mon projet …

TrafalgarA propos, je viens de rêver queje buvais du champagne (il criepar la fenêtre Allons, dépêche-toi,

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Dublin, je suis altéré comme uneéponge de mer. Servez nous duchampagne. (il regarde la corbeille

St ElmeTais toi donc, ils t’avaient deviné,regarde !

TrafalgarOh ! oh ! je leur sais gré de l’atten-tion.

St ElmeComme s’est beau d’avoir Dublinpour domestique.(pendant que Trafalgar déboucheSt Elme regarde par la fenêtre et s’é-crie La voilà ! (il se met en contemplation. Trafalgars’assoit

TrafalgarEh bien ! que fais-tu là, St Elme,allongé comme un canon dansun sabord ?

St Elme (à TrafalgarElle est là !

TrafalgarAh ! pas de bêtise, mon petit ! ne gâ-tons pas notre affaire par des amou-rettes. Quand tu auras un millionpour ta part, tu iras à Paris, laville des femmes, la ville où l’amourse fait en grand, et tu choisira unamour les yeux fermés ; c’est le seulmoyen d’y voir clair avec les femmes.

St ElmeMais je ne trouverai pas cette bellevoisine à Paris.

TrafalgarIl ya des voisines partout, Paris enest plein de voisines. Allons viensdonc boire un verre de champagne.(St Elme s’assoit tu es amoureux debonne heure, il me semble. Quelâge as-tu ?

St ElmeAh ! qui le sait ! mon acte denaissance a été emporté par unboulet de canon avec l’état civilde mon vaisseau natal le Jupiter.

TrafalgarC’est juste, tu es un enfant d’occa-sion comme moi. Le feu d’Elmea été ton parrain, sur le grandmat … laisse-moi bien te regarder

en face … je l’estime dix huit ans.

St ElmeMettons en vingt.

TrafalgarNon ; c’est un prife fixe ; je nete donnerai pas 24 heures de plus …Ainsi, ne marchande pas avec moi.

St ElmeMais j’ai au cœur un amourde trente ans.

Trafalgar (montrant le barilAh ! mon petit St Elme, si tucontraries mes projets, je te faissauter au plafond du ciel, toi etton amour.

St Elme (l’appaisant avec douceurNe te fache pas, mon vieux requin …Si tu l’avais vue une seule fois, monAngela.

TrafalgarTu sais son nom ?

St ElmeElle doit s’appeler Angela … unebrune Irlandaise qui a oublié d’êtreblonde, un œil noir doux commele bleu ; une figure d’ange démon ;une grâce de palmier nain ; en unmot une jeune fille qui a été miseau monde tout exprès pour moitrois ans après ma naissance. Sicelle-là n’est pas ma femme, j’em-brasse le célibat, ou je vais dansles Indes avec mon million etje me fais sultan.

TrafalgarUn verre de champagne t’a rendufou !

St Elme (il se lève unverre de champagne à la mainJe vais lui porter un toast en panto-mime, c’est l’usage du pays. (àla fenêtre, il s’incline et boit

TrafalgarEh ! mon petit St Elme, ne nousgrisons pas ! ça serait dangereux.On se grise aussi avec l’amour.Moi, je garde ma tête froide, etje boirai toutes les vignes de laChampagne, en détail, sans perdreune syllabe de ma raison … je vaiste faire chanter pour t’empêcher

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d’être amoureux.

____

Duo____

TrafalgarBien boire et ne rien savoirQuel destin plus charmant !L’homme sage préfèreLe buveur à l’amantLorsque l’amour commenceIl dure peu de jours ;Vive le vin de FranceOn en boirait toujours.

St ElmeAimer et ne rien faireQuel destin plus charmant !A tout moi je préfèreLe nom si doux d’amour.Mon amour qui commenceNe compte pas les jours ;Vive l’amour de FranceC’est le roi des amours.

TrafalgarVieux amour, gai champagne,Tu le sauras demainLorsque l’un t’accompagneL’autre reste en chemin.Ces deux vertus humainesN’ont pas le même sortOn aime deux semainesOn boit jusqu’à la mort.

St ElmeJeune amour, vieux champagneHier comme demain,Quand l’un nous accompagne,L’autre reste en chemin.Ces deux vertus humainesN’ont pas le même sort ;Je boirai deux semainesJ’aime jusqu’à la mort !

TrafalgarTu parles comme un enfant dedix-huit ans.

St ElmeEt toi comme un homme de cin-quante.

TrafalgarNous avons peut-être raisontous les deux.

St ElmeCela met fin à notre discussion …

voici l’heure de ma promenade, jevais me montrer à notre bon peu-ple de Dublin.

TrafalgarJe te donne un quart d’heure.

St ElmeAh ! sois plus généreux, Trafalgar, ilme faut déjà cinq minutes pour des-cendre de notre deuxième étage.

TrafalgarPas une minute de plus … à la seizièmeminute, feu aux poudres, je saute ettu es pendu, toi, comme coupable d’a-voir attenté à la vie de Dublin …allons, voyons, dépêche-toi, pars etremonte … dis à notre sommeillerMr Chipson, que son d’hierm’a paru suspect, et qu’au moin-dre symptôme d’empoisonnementnous sautons tous et lui aussi avecsa cave et ses tonneaux … ah ! encoreune commission : dis à l’horlogervoisin de me vendre sa meilleuremontre gratis. J’en ai besoin pourrégler le soleil d’Irlande qui oublietous les matins de se lever et quise couche à chaque instant. Onne sait jamais l’heure qu’il estUne bonne montre qui ne s’enrhumepas.(il donne cet ordre pendant que St Elme descend

Scène 2e

TrafalgarCe pauvre enfant s’ennuie …C’est naturel … Et moi, je nem’amuse pas ! … mais je nepeux pas rester éternellementà l’ancre, dans une rue deDublin ! … j’ai une maîtresse aussi,moi, une maîtresse que j’adore,et qui m’attend depuis quarantecinq ans, assise au bord de lamer … c’est ma belle Bretagne !ma Bretagne chérie ! On dit queje suis né là ; c’est possible. Onest toujours obligé de naîtrequelque part. Va pour laBretagne … Ô Bretagne !

AirBercé sur l’onde amère,A la chanson du vent,Je t’adopte pour mèreAcueille ton enfant !Tu seras ma patrieDans mes vieux jours sereins

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Ô Bretagne chérieBeau pays des marinsVivant à tous âgeSans souciJusqu’iciJe vais au villageY chercherMon clocherC’est là que j’espèreMe choisirMon loisirExcepté mon pèreJ’ai tout vuTout revu.(on entend sonnerLe voilà ! … je tremble toujours quandil est absent.(il tire la corde en achevant le refrainBercé sur l’onde amèreA la chanson du ventEtc. etc.(avant la fin de l’air, paraît au balcon, aulieu de St Elme, miss Katrina, enveloppée d’unmanteau et coiffée d’une toque écossaise. Tra-falgar se retourne et embrasse miss Katrinaen s’écriant avec une émotion paternelle

TrafalgarMon cher enfant ! (il recule épouvantéen reconnaissant son erreur, saisit la mècheet se place devant le baril Qui vive ?

Miss Katrina (quittantle manteau et la toqueFrance !

TrafalgarQuel régiment ?

Miss KatrinaArtillerie légère.

TrafalgarAvancez, avancez à l’ordreAvec un pas beaucoup moins lentVenez, on ne vient pas vous mordreLe marin français est galant.

KatrinaDe cet accueil je suis charméeJ’arrive le cœur sur la main,Et puisque la porte est ferméeLa fenêtre est mon seul chemin.

TrafalgarQu’exigez-vous, belle et charmante ?A tout service je suis prêt.

KatrinaUn secret profond me tourmente.

TrafalgarDites-le moi, je suis discret.

KatrinaC’est un secret.

TrafalgarJe suis discret.

KatrinaJe suis femme, mais je vanteDe garder un secret longtemps ;Je suis une énigme vivante,A m’expliquer on perd son temps.A seize ans, un instinct précoce,Me dit de voiler tous mes pas ;Je suis le trilby de l’EcosseJe suis le sphinx, ne cherchez pas.~~~Ah ! vous voilà déjà courbé comme unpoint muet d’interrogation. Je ne répon-drai pas même à votre silence. Taisez-vous.

TrafalgarMais il me semble que je me tais unpeu trop.

KatrinaVotre œil est curieux.

TrafalgarJe le fermerai.

KatrinaTrès bien, maintenant allons au but.Je viens vous demander l’hospitalité.

TrafalgarSi cette chambre dégarnie vous convientelle est à vous.

KatrinaJe la prends.

Trafalgar (à partC’est le ciel qui m’envoie une compagne commeau premier homme Adolphe Adam !

KatrinaEtes-vous garçon ?

TrafalgarOui … à peu près … Je vis en garçon ! Dansmes voyages, je n’ai jamais trouvé cinqminutes, pour me marier, il n’y a pasde mairie d’arrondissement sur la mer.Robinson Crusoe a été célibataire soixateet quinze ans, faute d’un état civil, etil n’a jamais pu épouser légitimementmademoiselle Samedi, la fille de Vendredi.

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KatrinaVous êtes seul, au moins ?

TrafalgarOui … seulement … je reçois, de temps entemps la visite …

KatrinaD’une femme ?

TrafalgarNon.

KatrinaD’un homme !

TrafalgarNon … d’un adolescent, mon fils adoptif …mais je le mettrai au collège … (on entendsonner, à part Ah ! mon Dieu ! C’estlui !

KatrinaQui sonne chez moi d’une façon siimpertinente ? …

Trafalgar (regardantau balconC’est l’enfant et il escalade sanscorbeille.

Katrina (jouant l’effroiCiel ! me voilà compromise ! Derobez-moiau regard d’un enfant indiscret, ne meperdez pas.

Trafalgar (effaréOu trouver une armoire ? une cage àpoule, une pendule ? un entrepont ?

KatrinaCe tonneau ?

TrafalgarN’approchez pas, vous l’incendieriezavec vos yeux.

Katrina (montrant la porte àà gaucheCette porte ?

TrafalgarEt s’il entre, il vous verra, et je suiscompromis ! songez à mon honneur !

KatrinaIl n’entrera pas.(elle ouvre la porte et entre

Trafalgar

Sois bénie, charmante inconnue ! Tum’as rendu mes vingt cinq ans ! Qu’ilest doux d’être veuf, quand on veut semarier ! ombre de ma première femme,pardonne-moi ! à ma place, tu m’auraisdéjà sonné trois successeurs ! Je te connais !

Scène 3e

Trafalgar St Elme

Trafalgar (au balconC’est St Elme ! … très bien, mon enfant !tu es exact … Quinze minutes et demie …il économise la poulie, lui … il grimpecomme un écureuil … donne-moi la main.C’est cela …

St Elme (entrantOuf’ … l’échelle est dure et le mât est droitcomme un I … voilà la montre demandée,un bijou sans prix.

Trafalgar (prenant la montreAussi, je ne la paie pas … Il ne t’esrien arrivé de fâcheux ?

St ElmeAu contraire … jamais le vice-roi d’Irlanden’a été accompagné comme moi, dansles rues de Dublin. J’avais à ma droitenotre voisin le fabricant de cristaux deBohême, et à ma gauche notre voisinle fabricant de porcelaine de Chine,ils écartaient les pierres, les passants,les chevaux, les chiens, les maçons,tous les dangers enfin ; jamais deuxanges gardiens de profession ne se sontmieux conduits. Quatre commis de lacompagnie d’assurances marchaient de-vant moi, en priant toutes les jolies Ir-landaises de vouloir bien m’embrasser,ce dont elles s’acquittaient avec unegrâce infinie.

TrafalgarJe crois bien ; on leur en donnera desfrançais. De cette tournure pour se distrai-re de leurs Irlandais. le sucre après l’ab-sinthe.

St ElmeTrois maris ont voulu faire de l’oppo-sition, ils ont été arrêtés et conduitsà la prison de Saint Patrick.

TrafalgarEn voilà des maris stupides ! c’est-à-diredes maris.

St Elme

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Ils prétendaient qu’ils étaient dansleur droit.

TrafalgarAllons donc ! ils sont bien heureuxde s’en tirer à si bon compte !

St ElmeTiens ! Tu me donnes une idée, sans ysonger.

TrafalgarVoyons l’idée !

St ElmeJe veux me marier.

TrafalgarTu appelles ça une idée ?

St ElmeDonne-lui le nom que tu voudras.

TrafalgarUn caprice d’enfant.

St ElmeUne passion d’homme. Je veux épouserAngela.

TrafalgarEt quand ?

St ElmeDemain, le métier de célibataire m’en-nuie.

TrafalgarEt si on te la refuse, ton Angela ?

St ElmeTout saute ; je mets le feu auxpoudres.

TrafalgarEt je saute aussi moi, qui ne memarie pas ?

St ElmeNous avons juré de nous faire lemême destin.

TrafalgarEt le même profit ?

St ElmeEh bien ! qui t’empêche aussi de prendrefemme ?

TrafalgarTiens ! il a raison, l’enfant … au fait

pourquoi ne prendrai-je pas femmeaussi !

St ElmeAs-tu quelque passion en réserve ?

Trafalgar (mystérieusementoui !

St ElmeUne passion bien cachée ?

TrafalgarMal cachée.

St ElmeA quarante cinq ans.

TrafalgarChut !

St Elme (basPersonne ne m’entend.

Trafalgar (basLes murs ont des oreilles. (haut J’aurai39 ans le 16 du mois prochain.

St ElmeEh ! bien, nous nous marierons tous lesdeux ; tant pis pour toi ! nous feronsune partie à quatre ; le whist du ma-riage.

TrafalgarMais il me semble que nous sommesici un peu à l’étroit, dans notre ménagede garçon.

St ElmeSois tranquille, nous déguerpirons avec ladot … Je vais chercher une plume, dupapier, de l’ancre pour écrire au directeur,et lui faire une demande. (Il va ouvrirla porte à gauche ; Trafalgar l’arrête vivement

TrafalgarTu vas te casser le cou dans cettechambre noire … veille à la mèche etmédite ta lettre … (Trafalgar entre etsort presqu’au même instant, avec une plume,du papier et un écritoire

St ElmeOui, méditons ma lettre . (Il réfléchit Ilfaut une lettre qui brille, par ces troischoses, la franchise, la concision et la clarté.(Il s’asseoit devant une table et écrit en parlant« Monsieur le directeur des assurances, j’aime« votre fille et je veux faire son bonheur.« Mes intentions sont pures. Je vous

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« demande sa main et une belle dot.« réfléchissez peu. votre prompt consente-« ment sauvera Dublin des plus grands« malheurs. Un refus met le feu au volcan.« votre fille mérite une dot d’un million,« monnaie de France ; votre futur gendre« St Elme, aspirant au grade d’amiral. «

TrafalgarBelle profession !

St Elme (Il met sa lettredans la corbeilleJean-Bart et Duguay-Tronis, ontcommencé comme moi, et ils n’avaientpas un million … (criant au dehors Mes-sieurs les constables, je vous charge deporter ce billet à Monsieur le directeurdes assurances générales vis-à-vis … (àTrafalgar Ils s’inclinent tous comme les devant un du grand seigneur …(par la fenêtre Je donne dix minutespour la réponse … Ah ! il ne vous enfaut que cinq ! C’est encore mieux …Ah ! qu’il est doux de se marier pourla première fois !

TrafalgarEt la dernière ! c’est bien plus doux.

St ElmeLe bonheur me rend fou … Je vais chan-ter quelque chose à ce gérant des assu-rances … (à la fenêtre récitatif … un récita-tif grave pour me vieillir de dix ans.

Tu connaîtras ma probité,Et mes habitudes morales,Gérant de la sociétéDes assurances générales.

(à TrafalgarComment trouves-tu ce récitatif ?

TrafalgarNe le recommence pas.

St ElmeReçois dans ta familleL’enfant qui grandira.Il ose aimer ta fille,Ta fille l’aimera.A ma flamme hardieSon cœur est préparéEt contre l’incendieIl n’est pas assuré.

TrafalgarPrends garde ! le père va mettre une plaquesur le cœur de sa fille.

St ElmeSecond couplet ! …

TrafalgarMais sans récitatif !

St ElmeN’aie pas peur.Je craignais de voir naîtreUn amour hasardeux,Mais elle, à sa fenêtre,Déjà m’aimait pour deux.A ma flamme hardieSon cœur est préparéEt contre l’incendieIl n’est pas assuré.

(A certains intervalles la porte de gauche s’ouvreMiss Katrina montre la tête, écoute et paraît trèsjoyeuse

Trafalgar (au balconVoici la réponse … elle est escortée par vingtconstables.

(St Elme rajuste sa toilette(Trafalgar (qui a pris lalettre dans la corbeille

St Elme (saisissant la lettreMon bonheur est là …

(Il hésite avant d’ouvrir

TrafalgarOuvre donc ton bonheur.

St ElmeLe cœur me bat … laisse-moi me préparerà être heureux (Il ouvre la lettre et lit« Monsieur l’Amiral St Elme, je n’ai« qu’une fille, et je vous la donnerais en« mariage, avec le plus vif empressement …(Il saute de joie « par malheur, il y a un« obstacle : ma fille unique est mariée « Mariée ! … soutiens-moi, Trafalgar ! (Ilse laisse tomber sur Trafalgar

TrafalgarMe prends-tu pour un cabestan ?(Il fait asseoir St Elme sur une chaise

St Elme (d’une voix faibleMariée ! … voilà un mot qui ressembleà un coup de poignard … je n’y survivraipas ! …

TrafalgarAh ! ça, mais, mon petit, est-ce qu’iln’y a qu’une femme à Dublin !

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St ElmeTu ne sais donc pas ce que c’est, unpremier amour !

TrafalgarJ’aime mieux le dernier.

St ElmeOuvre le premier livre venu, et tuverras que le premier amour c’estla vie.

TrafalgarMoi, j’ai eu vingt premiers amours.

St ElmeTrafalgar, préparons-nous à mourir.

TrafalgarPas du tout ! Je me prépare à vivre.Je suis mort trop souvent, la fortunepasse devant moi. Je la saisis auxcheveux, et si elle ne porte pas perruque,Je me nomme roi de mon village, onjuge de paix. J’adore la famille que jepourrais avoir ; je suis désolé de voir quemes enfants sont malheureux. Dans le néant,avant leur naissance, et je veux leur donnerla vie et le bonheur.

St Elme (se levant furieuxet saisissant la mècheMalheureux ! Je te croyais plus d’amitiéau cœur … tant pis !

Trafalgar (lui arrachantla mècheVeux-tu bien n’être pas fou ?

St ElmeMariée ! Mariée ! … mais, moi aussi, situ ne veux pas que je te tue, trouve-moiun expédient, fais-moi sauter ce mari.

Trafalgar (réfléchissantAttends … oui … nous sommes dans le paysoù les maris vendent leurs femmes aumarché. Nous pouvons forcer celui-ci àvendre la sienne, et peut-être, il ne de-mande pas mieux. Nous lui rendons ser-vice. Je parle par expérience, moi. Jesuis veuf, ce qui prouve que j’ai été ma-rié autrefois. Eh ! bien ! il y a eu des mo-ments où j’ai regretté la sage coutumeanglaise, malheureusement la francen’est pas encore un pays civilisé, en 1806comme l’Angleterre, chez nous, il n’y a quele veuvage qui puisse mettre un marien liberté.

St Elme

Ah ! tu me rends la vie ! ne perdonspas un instant … Ordre au gendre dudirecteur, notre voisin, de vendre sa femme,selon l’ancien usage saxon … cela coûte-t-il cher une femme ?

TrafalgarQue nous importe ! nous ferons payerle mari.

St ElmeTrès bien ! Je vais m’élancer comme unécureuil de mer par la fenêtre, etchercher ce mari. (Il saute à la fenêtreet s’accroche au mur au dehors

Scène 4e

TrafalgarIl a du salpétre à ses talons ; ce n’estpas un amoureux, c’est un serpenteau.(regardant la porte Oh ! si j’osais pénétrerdans ctte chambre obscure … Je tremble, commesi j’étais poltron … Je tremble devant une jeunefille, moi qui ai fait sauter le formidable !Cette petite corvete, aux yeux noirs, me faitpeur et je recule devant l’abordage ! Oh ! si cettefemme était un vaisseau à trois ponts !

Scène 5e

Trafalgar, Miss Katrina (Elle paraîtà demi

KatrinaPeut-on respirer un instant ?

TrafalgarOui, Mademoiselle.

KatrinaOn étouffe dans cette petite chambre noire.Je suis habituée au grand air.

TrafalgarAlors, je vous invite à vous domicilier surl’Océan, comme moi. faites vous marin -vous jouirez du grand air sur le pont. C’estnotre chambre à coucher, les quatre horizonssont nos quatre murs. Notre ciel de lit estle plafond du bon Dieu ; nos lampes sont lesétoiles, le luminaire ne nous coute rien ; etsi le sommeil ne vient pas, la mer estnotre berceuse, et nous chante une vieillechanson qui nous endort. vos maisons devilles sont des tombeaux numérotés, où l’ons’habitue à mourir, toute la vie, le vaisseauest le véritable hôtel garni de l’homme. Iln’y manque que la femme. C’est le seuldéfaut naval, le jour, où les femmesmonteront à bord, il ne restera plus dans

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les villes que les propriétaires et les créanciers …êtes-vous décidée à prendre le premier numéro ?

KatrinaC’est bien mon intention. C’est que jen’ai pas de tems à perdre ! … on commenceà 6 heures, et il y a dix vers de monrôle d’Orphélia qui ne peuvent entrer dansma tête ! récitons les encore une fois.~~~Hamlet est fou ! mon Dieu rendez lui la sagesse !Ce prince que le ciel avec tant de largesseA comblé de ses dons les plus beaux en naissant,Noble cœur, noble esprit, guerrier au bras puissant,Modèle de bon goût et de suprême grâce,Le plus illustre enfant de cette illustre race,Tout est mort, et nos voix le raniment en vain,Ce front pur, dépouillé de son rayon divin !

TrafalgarA qui diable parle-t-elle comme ça ?

KatrinaJe crois que ça pourra marcher n’est-ce-pas ?

TrafalgarJe pense que ça marche.

KatrinaJe déteste la terre, et surtout les villes decarton peints, où je suis poignardée tousles soirs.

TrafalgarAh ! mon Dieu ! il n’y a donc pas depolice à Dublin.

KatrinaPas l’ombre. avant hier, on m’a versédu poison, dans ma coupe, au dessert.

TrafalgarEt vous n’êtes pas morte ?

KatrinaNon ; parceque mes assassins avaient be-soin de moi, pour me noyer le lendemain.

TrafalgarHier, on vous a noyée !

KatrinaAu moment, où je cueillais des fleurs, aubord d’un ruisseau.

TrafalgarLes scélérats !

KatrinaDemain, on doit me précipiter du haut d’une

tour.

TrafalgarMais on finira par vous tuer.

KatrinaC’est ce que disent les médecins.

TrafalgarMa foi ! ces médecins ne sont pas sorciers.

KatrinaVoilà pourquoi je suis venue implorer votreprotection.

TrafalgarJe vous l’accorde … et même, je puis vousoffrir davantage.

KatrinaOffrez.

TrafalgarL’amour d’un marin, qui a fait des éco-nomies de tendresse, sur l’Océan.

KatrinaVous n’en avez pas fait d’autres ?

TrafalgarJe gagnais quarante cinq francs par mois.

KatrinaEt combien en dépensiez-vous ?

TrafalgarSoixante, et je mets toutes mes dettes à vos pieds.

KatrinaVous me chaussez trop mal. J’attendsun autre protecteur.

Trafalgar (avec un soupirHélas ! vous attendez peut-être cet enfantqui est avec moi, ce petit St Elme ; maisil n’a pas même de dettes, lui ! il ne vousaime pas, et moi je vous adore. vous m’a-vez ébloui, comme fait le soleil de l’équa-teur lorsqu’il se lève brusquement, àsix heures précises, dans la nuit, sansse faire annoncer ! …

Katrina (avec enthousiasmeOh ! que cela doit être beau !

TrafalgarVotre visage ! sur l’océan.

Katrina (du même tonNon, le soleil sur l’Océan ! et moi je n’aijamais vu lever le soleil, qu’à neuf

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heures du soir, dans les coulisses ! Unsoleil déguisé en quinquets.

TrafalgarQuelle lune que ce soleil !

KatrinaOh ! Je veux vivre au grand air deshorizons maritimes. Je veux noyer lapoussière des planches : dans l’Océan ! Jeveux voler, comme l’oiseau des tropiques,sur le saphir des vagues, dans des étin-celles de rayons ! Je veux courir, àpleines voiles, dans les archipels del’Inde, entre des écueils de corail ; Jeveux voir les pavillons de trois mâtsflotter au vent du Bengale ; Je veuxdemander à Golconde ses diamants ; àCeylan ses perles ; au cachemire ses tissus,à la Chine ses roses ; à Java ses fleurs,pour me faire une parure embaumée, dignede celui qui m’aimera ! Adieu les villes etles brouillards ! les théâtres et leurs menson-ges ! Je veux entendre parler d’amour, aubord des mers tiedes, au chant des oiseauxd’or, à l’ombre des palmiers, dans les paysaimés de la femme et du soleil !

Trafalgar (à partJe reste confondu ! décidément, je ne suispas l’homme de cette femme. elle necomprendrait pas mon français … (On entenddes cris au dehors Le voici ! …

KatrinaC’est lui. Je rentre un instant, mais poursortir … voulez-vous être mon père ?

TrafalgarC’est toujours quelque chose … Vous n’avez riende mieux à m’offrir ?

KatrinaNon.

TrafalgarAlors, j’accepte, il est toujours agréable d’êtrele père de quelqu’un, surtout quand on n’apas d’enfants.

KatrinaAu revoir, papa. (Elle l’embrasse et rentre

TrafalgarAllons ! mes amours ont peu duré, maisils finissent bien. Qu’on me cite une liai-son qui ait fini par un baiser ! Je suisun inventeur !

Scène 6e

Trafalgar St Elme

St Elme (paraissant à lafenêtre et entrantJ’ai trouvé le mari … un mari atroce, maiscomplaisant, il consent avec plaisir à vendresa femme, pour sauver Dublin …

TrafalgarL’hypocrite ! … c’est pour se sauver qu’il vendsa femme ! enfin peu importe le motif …Quel beau pays et quelle sage loi …On est amoureux d’une femme et lemari vous la vend pour douze schillings !

St ElmeFaisons nos préparatifs de départ mon ami.Nous tourmentons beaucoup la ville deDublin et elle serait bien aise de se débar-rasser de nous. Quel Te Deum ils vontchanter à Saint Patrick quand ils n’aurontplus sur leur tête ce volcan de Damoclès !

TraflagarEt la dot de deux millions, étourdi ! nel’oublie pas ?

St ElmeOh ! je ne prends pas la femme sans ladot, Dublin nous dotera par souscriptionvolontaire et national … (à la fenêtre Laporte du beau père s’ouvre, les curieuxabondent … Une femme voilée de latête aux pieds conduite par le gendre …C’est elle … Je la reconnais à la démar-che …

TrafalgarTu ne l’as jamais vue marcher.

St ElmeC’est égal ! Je la reconnais … Je l’ai vuemarcher dans mes songes … Une femmed’exception ! La perle de Dublin ! … Je lui faisun serment éternel de fidelité.

TrafalgarCela me rappelle mon premier sermenten 1780 à Constantinople et mon trentième en1798 à Pondichery.

St Elme (en contemplationHuit enfants la suivent et forment soncortège, huit emblêmes d’innocence !

TrafalgarJe me méfie de ces emblêmes … (s’approchant de lafenêtre laisse-moi voir ce cortège d’enfants.

St Elme (lui cédant la placeRegarde comme c’est touchant !

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TrafalgarJ’ai vu vendre plusieurs femmes, en Angle-terre, mais sans aucun cortège d’emblêmes …(appelant Eh ! Messieurs de la foule … àqui appartiennent ces huits enfants ? … (murmureconfus de voix Ils parlent tous à la fois …Je n’entends pas la réponse … on fait lacérémonie de la vente … il n’y a pas d’enché-risseur … elle est vendue à l’AmiralSt Elme.

St ElmeElle est à moi ? O bonheur ! Je vaisfaire ta connaissance.

TrafalgarFaut-il la laisser jusqu’au sabord ?

St ElmeSans retard … charge toi de ce soin, je suistrop ému. (Il s’assoit

Trafalgar (à la fenêtreAh ! mon Dieu ! que vois-je ?

St ElmeQue voit-il ?

TrafalgarVotre femme embrasse les huit enfants …

St ElmeQuel doux spectacle !

Trafalgar (arrêtant St ElmeAi-je bien entendu ? … ces huit enfants ? …

St ElmeEh bien ?

TrafalgarCe sont tes fils ! Tu les as achetés par dessusle marché avec la mère. C’est la loi.

St ElmeImpossible !

TrafalgarEh, j’entends tout ce qui se dit dans larue … les voix montent sans corbeille …

St Elme (écartant Trafalgar du balconDiable ! cela m’intéresse plus que toi, laisse- moi donc voir …

TrafalgarRegarde ta famille.

St ElmeAh ! mon Dieu ! ils vont tous s’entasser dans

la corbeille, avec la mère ! … ils vont monter ! …

TrafalgarEt où logerons nous ces huit enfants ?

St Elme (criantAh ! vous vous moquez de nous gens deDublin ! Eh ! bien ! recommandez votre âmeà Dieu ! (Il prend la mèche et la montre Jedonne … (cris tumultueux cinq minutes àDublin pour se repentir de ses fautes etensuite, je l’envoie dans l’éternité (àTrafalgar mon viell ami, nous sommessolidaires, n’est-ce pas ! Il est évident queDublin refuse, et se moque de nous. Ilme met huit enfants sur les bras, l’hon-neur du pavillon est engagé, comme àbord du formidable, notre programme estclair. Si nous le violons une seule fois,nous sommes perdus et pendus. Embrassonsnous donc une dernière fois. Vive la France !et sautons comme le formidable … Eh ! bien !vieux loup de mer tu hésites ?

Trafalgar (regardant tou-jours la porteMoi ! … avons-nous épuisé tous les moyensde conciliations ?

St ElmeTous ! Bah ! le malheur m’ennuie.

TrafalgarA ton âge ?

St ElmeMon infortune est octogénaire, rien ne meréussit. Je veux voir si la mort me réussira.Sautons tous les 2 (Il saisit la mèche

TrafalgarC’est impossible !

St ElmePourquoi ?

TrafalgarNous sommes trois … silence ! … excuse-moi …un père supplie son enfant de lui pardonner.

St ElmeTu as commis une faute ?

TrafalagarOui.

St ElmeParle … voyons … explique-toi.

TrafalgarJe suis un grand criminel, j’ai rêvé le

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mariage aussi … et la femme sur la quellej’ai jeté les yeux est à deux pas de nous.

St ElmeEt l’honneur du nom français ? Et le pavillon ?

(La porte s’ouvre, Katrina paraît

Scène 7e

Les mêmes. Miss Katrina

KatrinaIl servira de bandeau à l’amour.

St ElmeMon Angela ? je la reconnaitrai entremille ! (sautant au cou de Trafalgar étonné Omon ami ! Je te reconnais là ! Quel serviceintelligent tu m’as rendu ! (lui baisant lamain Oui ! C’est bien elle ! … merci Trafal-gar ! laisse-moi t’embrasser.

Trio.

St ElmeQuoi ! c’est vous !

KatrinaOui c’est moi.

TrafalgarMorbleu ! tant pis ! c’est elle !

St ElmeO rêve de mon cœur, dites-moi votre nom.

KatrinaKatrina.

St ElmeQuel nom doux !(à Trafalgar regarde, qu’elle est belle !

KatrinaJe suis, en ce moment, fille d’Agamemnon,Par le peuple bénieJe viens auprès de vousEt comme IphigénieSeule, je meurs pour tous,Pour gagner son estime,Sans me faire prierS’il faut une victimeJe viens me marier.

St ElmeQuoi ! vous connaissez donc ma secrète pensée ?

TrafalgarElle connaît donc sa secrète pensée !

KatrinaBeau miracle.

St ElmeEt comment l’avez-vous donc comprisCet amour clandestin ?

KatrinaJ’étais fort bien placéePour tout entendre et voir, alors j’ai tout apprisVous avez demandé tantôt en mariageLa fille du vieux directeurFille unique, et déjà fort avancée en âgeAyant quatre pieds de hauteurMistriss Botty, déjà mariée elle-mêmeA la tête de six enfantsVoulez-vous l’épouser, et lui dire : Je t’aime ?Quant à moi, je vous le défends.

St ElmePlutôt la mort ?

TrafalgarPlutôt la mort !

KatrinaDe ma fenêtreJe vous apercevais bien souvent, tous les joursC’est aussi que mon cœur novice a du connaîtreA quel objet voisin s’adressaient vos amours.Oui, dans le jeune âgeOn le dit toujoursC’est le voisinageQui fait les amoursToujours la cousineAime le cousinToujours la voisineAime le voisin.~~~L’œil à la fenêtrePart comme un éclairC’est là qu’on voit naîtreL’amour en plein airToujours la cousineAime le cousinToujours la voisineAime le voisin.~~~Trafalgar (à St ElmeEt notre million, je crois qu’il sévapore !Songe à la dot.

St Elme (à TrafalgarOui, bien ! …(à Katrinavotre père consentA nous unir tous deux ?

KatrinaIl ne sait rien encore.

St Elme

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Je vais voir votre père.

KatrinaIl est toujours absent.

TrafalgarComme le mien !

St ElmeHélas !

TrafalgarQue les pères sont rares !(à KatrinaL’argent et le bonheur envers nous sont avaresUne dot nous irait très bienIl faut avoir quand on n’a rien.

KatrinaUne dot ! C’est toujours le refrain ordinaire !

(à St ElmeVotre cœur est-il riche ?

St ElmeIl est millionnaire !

KatrinaCela suffit.

TrafalgarMais non ! … Dans un cruel moment,Chez l’usurier, prêteur toujours rebellePortez un cœur, et vous verrez, ma belle,Ce qu’on vous prêtera sur ce nantissement.

Katrina (avec enthousiasmeJe suis reine et j’ai pour cortègeLa noble cité de DublinDu haut d’un trône, je protègeLa pauvre veuve et l’orphelinChaque soir, mon nom est illustreMon peuple est le public anglaisMon soleil de nuit est un lustreEt le théâtre est mon palais.

Trafalgar (à St ElmeEpousons-la !

St Elme (à TrafalgarDemain !

Trafalgar (à St ElmeCe soir !

St Elme (à TrafalgarA l’instant même !On ne saurait trop tôt épouser qui nous aime.

KatrinaCe soir, pour vous rendre service

Dans le théâtre mon palaisOn joue à votre bénéficeHamlet du grand poète anglaisNos recettes sont surprenantesNous aurons avec le succèsQuatre mille livresCent mille francs, en bon français.

TrafalgarC’est une dot !

St Elme (à TrafalgarL’amour plus que la dot me tente.

Trafalgar (à KatrinaCent mille francs de dot ! son amour s’en contente.

KatrinaCe soir, pour vous rendre serviceDans le théâtre mon palaisEtc. etc.~~~Il est une vierge plus belleQue la rose ou le dalhiaTout beauté pâlit près d’elleC’est la divine OpheliaCe soir, je vais jouer ce rôleDevant un public obligeantIl change mes pleurs en pactoleJe meure sur un fleuve d’argent.Plus de souffranceQuels jours sereinsFils de la France,Joyeux marins,Ouvrez la voile,Le rayon luitC’est mon étoileQui vous conduit.~~~Trio.___

Toujours la cousineAime … Etc. etc.~~~(Trafalgar éteint la mèche et la veilleuse

(Le rideau tombe


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