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Photographies de Harald Hauswald, textes de Stefan Wolle

SÉPARATION

Un garde-frontière de la RDA recouvre de peinture un graffiti sur le Mur de Berlin en mars 1990. Alors qu’à Berlin-Ouest, les installations frontalières sont peintes de toutes les couleurs, à l’Est, ordre et propreté sont de mise jusqu’au bout.

1 Manifestants devant le Palais de la République à Berlin-Est le 4 novembre 1989. C’est la plus grande manifestation populaire de l’automne 1989.

2 Après la chute du Mur le 9 novembre 1989, la symbolique Porte de Brandebourg reste fermée. C’est seulement le 22 décembre que le poste-frontière est ouvert, en présence de nombreuses personnali-tés politiques.

3 La poignée de main du logo du Parti socialiste unifié d’ Allemagne (SED) est censée symboliser l’unité de la classe ouvrière. Le 4 novem-bre 1989, un manifestant attribue un nouveau sens à ce symbole : « Tschüß » – ciao.

4 Avec la fin de la RDA, la Trabant perd sa valeur. Avant, les citoyens est-allemands devaient attendre jusqu’à seize années avant d’en obtenir une, à prix d’or.

5 « Ausreiseparty » (fête de départ), Choriner Straße, Berlin-Est, 1986. Durant sa dernière décennie d’existence, de plus en plus de per-sonnes quittaient la RDA.

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En Russie, avant de partir en voyage, la cou-tume veut que l’on s’assoie ensemble en silence pendant une minute. C’est l’occasion de se sou-venir des bons et des mauvais moments et de l’incertitude de l’avenir. Pendant un instant, les souvenirs défilent devant l’œil intérieur. Durant toutes ces années, les habitants de la RDA ont dépassé leur quota d’adieux. Tôt ou

tard, il fallait cesser de croire que l’on vivait dans un monde de beauté et de bonté. Abandonner l’illusion qu’un meilleur socialisme était possible a été pour de nombreux Allemands de l’Est une interminable séparation. D’autres décidèrent de quitter à jamais amis et parents pour cher-cher le bonheur à l’Ouest. Puis il fallut prendre congé de l’État, désavoué par la majorité mais

devenu, bon an, mal an, une patrie. Les adieux au faux-semblant du monde intact de la dic-tature. Des séparations partout, tout le temps. Les photos de cette exposition sont une chro-nique illustrée de ces séparations – séparations qui étaient aussi synonyme de nouveau départ.

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SOLITUDE

L’énigme du sphinx : « Qu’est-ce qui le matin marche à quatre pattes, le midi à deux et le soir à trois ? » Ceux qui ne trouvaient pas la réponse étaient dévorés par un monstre. La réponse est pourtant évidente et vieille comme le monde.

L’iconographie socialiste est remplie de jeunes gens enjoués. Quand des personnes plus âgées sont représentées, il s’agit généralement de « per-sonnalités dirigeantes » ou de héros de luttes passées. Sur les photos, elles apparaissent res -pectées et comblées de pouvoir partager leurs expériences avec les jeunes générations. La réa-lité est tout autre. Être âgé en RDA, c’est avoir

derrière soi deux guerres mondiales, la faim et la détresse, souvent aussi la fuite de son pays. Nombreuses sont les femmes à porter le deuil de leur mari et de leurs fils tombés au com-bat. La vie est particulièrement difficile pour les femmes seules. Après une dure vie de labeur, elles perçoivent une pension misérable. En 1979, la pension minimale s’élève à 280 marks seule-

ment. Malgré de légères hausses jusqu’en 1989, les retraités peinent à en vivre. En RDA, les lo-gements adaptés aux personnes âgées n’existent pas, les services de soins sont généralement mé-diocres et les maisons de retraite sont une pers-pective angoissante pour beaucoup de retraités. L’État les laisse toutefois passer à l’Ouest et y rester s’ils le souhaitent. Ils ont fait leur devoir.

1 Un mur coupe-feu en béton brut, comme il y en avait tant à Berlin- Est. Sur la minuscule fenêtre, quelqu’un a écrit « DDR » en 1990.

2 Que reste-t-il après une longue vie ? Une chambre à plusieurs lits, une croix et le programme télévisé. Et encore, la maison de retraite de la fondation chrétienne Stephanus-Stiftung était l’une des meilleures institutions de ce type à Berlin-Est.

3 Cette boutade moqueuse circulait sur la politique d’Erich Honecker : « Vous connaissez la dernière mesure de politique sociale ? » Réponse : « Dorénavant, les retraités ont le droit de traver-ser au rouge. » Hackescher Markt, Berlin-Est, en 1984.

4 Berlin-Est, 1980 : pour le régime du SED, les personnes qui sortent du monde du travail ne présentent plus d’intérêt.

5 Berlin-Est, Alexanderplatz, 1982. Les jours de grisaille, on se sent petit et seul au milieu des grands espaces.

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FUITE

Le 1er mai 1987, le temps est orageux à Berlin. Le vent siffle dans les oreilles des porte-drapeaux. Il en va de même pour la direction du SED et les auto-rités est-allemandes qui font face au vent du changement en provenance de Moscou depuis 1985.

1 En 1984, le peintre et graphiste Matthias Holstein fait ses valises – il s’apprête à rejoindre l’Ouest. Ceux qui partent laissent derrière eux un trou dans les barbelés et un vide de plus en plus difficile à combler.

2 La fuite est toujours un saut dans l’inconnu. Et si le chat a sept vies, l’être humain n’en a qu’une. La chute libre est sans retour.

3 Sous la dictature, l’art de l’allusion s’épanouit. On ne sait pas si le propriétaire de cette boutique a voulu ou non ce double-sens en 1983 (« Nous avons déménagé. En face »).

4 Instantané, Eberswalder Straße, Berlin-Est, 1983. En RDA, la fuite dans l’alcool est généralisée. Avec vingt-trois litres de spiritueux consommés par an, les citoyens est-allemands sont en tête du classe-ment mondial.

5 Le Mur infranchissable devient un écran où l’on projette ses envies de désertion et ses rêves de liberté. Derrière le béton, il ne peut y avoir que le Pays de Cocagne et le paradis des désirs inassouvis. Cette photo montre la frontière à la Nordbahnhof (gare du Nord) en 1985.

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C’est le premier concert de Wolf Biermann en RDA après onze ans d’interdiction de scène. Il a lieu le 11 septembre 1976 dans l’église de Prenzlau. Le chansonnier est préoccupé par la fuite de ses amis à l’Ouest. C’est ainsi que le concert devient un « sermon contre la fuite de la république », comme l’écrira Biermann quelques jours plus tard dans le Spiegel. Biermann dis-

tingue trois types de fuite : la fuite de la RDA vers l’Ouest, la fuite vers la RDA, par amour ou pour sa carrière, et la fuite dans la mort. Il fait allusion au pasteur Oskar Brüsewitz qui, un mois plus tôt, s’est immolé publiquement pour protester contre les discriminations exer-cées contre les chrétiens. Biermann lui adresse le psaume 88 : « Est-ce pour les morts que tu

fais des miracles ? » Car la fuite est aussi tou-jours une capitulation et, pour la classe domi-nante, la méthode la plus aisée d’écarter ses ad-versaires critiques. Deux mois après son concert à Prenzlau, Biermann est déchu de la citoyen-neté est-allemande alors qu’il est en voyage à l’Ouest.

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COMMUNAUTÉ

Retraités de la Stephanus-Stiftung à Heringsdorf sur l’île d’Usedom, dans la Baltique. Ils participent à une thérapie de groupe.

Au petit-déjeuner, l’humeur n’est pas au beau fixe dans la baraque. « Kalle a encore raté son service », grogne le chef de brigade. « Je dois le signaler pour qu’on lui retire les heures man-quées. On peut dire adieu à la prime. » Les autres se taisent et continuent d’aspirer leur berlingot de lait auquel ont droit gratuitement les ouvriers qui souffrent de silicose. « Il a dû

se saouler hier soir et à cinq heures, ce matin, il n’a pas réussi à se lever », avance l’un d’eux. Alors Schorschi lance à Harri : « Fais chauffer ta Trabi. On va le chercher. » Dix minutes plus tard, ils sont en route, tirent Kalle du lit, lui font prendre une douche froide et boire un café bien fort. Une heure plus tard, il est devant sa machine, blême. La communauté a fonctionné.

Les autorités l’exigaient et l’encouragaient. Elle servait aussi de protection contre « ceux d’en haut » car on se faisait confiance et on s’aidait mutuellement. Plus d’un aura fait la grimace en voyant le portrait de Kalle accroché plus tard dans la « Straße der Besten » (galerie des meil-leurs ouvriers). Mais la prime était tombée – c’était l’essentiel.

1 Wolfsburg, 1992 : les supporters du 1. FC Union Berlin forment une communauté soudée. Leur cri de guerre « Eisern Union » (Union de fer) devient le slogan de nombreux Berlinois de l’Est après 1990.

2 Un orchestre d’enfants et d’adolescents et leurs trompettes klaxons ont investi les marches de la Tour de télévision de Berlin-Est. Les enfants des premiers rangs arborent des costumes folkloriques – der-rière, ils sont en uniforme.

3 Les punks sont pourchassés par la police, traités avec mépris par le citoyen lambda et souvent interdits d’entrée dans les discothèques et les cafés. Cela rapproche. Cette photo date de 1983.

4 Tournoi de danse de salon au centre culturel Peter Edel dans le quartier est-berlinois de Weißensee en 1982. Les photos de Willi Stoph, Premier ministre de la RDA, et d’Erich Honecker, chef d’État et du parti, font partie d’un décor qui passe inaperçu.

5 École maternelle de la paroisse de l’église de Sion à Prenzlauer Berg en 1988. L’observateur attentif remarquera une église dans ce dessin d’enfant – presque impensable dans un établissement scolaire public.

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GAIETÉ

En 1989, Bärbel Bohley représente le visage doux et enjoué de l’oppo-sition en RDA. Certains la surnomment même la « mère de la révolution ». Une révolution qui a de pareilles mères a de la chance.

La révolution pacifique de l’automne 1989 est aussi une révolution joyeuse. Un régime armé jusqu’aux dents quitte la scène de l’Histoire, l’air maussade, mais sans violence. La frontière la plus brutale, si ce n’est du monde, du moins de l’Europe, est piétinée pacifiquement. C’est une sorte de miracle, mais c’est aussi le résultat d’une culture de la gaieté. L’opposition qui se

rassemblait dans les églises n’était pas animée par l’hostilité. L’histoire du monde a rarement connu de révolutionnaires aussi doux et gais. L’État armé, lui, s’était toujours horriblement pris au sérieux. Pourtant, moins le peuple avait de raisons de rire, plus les boutades politiques fleurissaient. L’humour était le balancier qui permettait de ne pas sombrer dans l’abîme de la

résignation. Dans son « Encouragement », écrit en 1966 pour le poète Peter Huchel, interdit de publication, Wolf Biermann chantait : « Toi, ne te laisse pas user / Use de ton temps / Tu ne peux pas te cacher / Tu as besoin de nous et nous, nous avons besoin / de ta gaieté. »

1 Au pays du progrès effréné, le temps semble s’être lui aussi arrêté. En smoking et nœud papillon, tasse de café à la main, saluant une dame par un baise-main – il n’y a qu’à l’Est qu’on voit cela au milieu des années 1980.

2 Dans un café de la Husemannstraße, on célèbre le carnaval comme il se doit en 1987. Cette scène de bar participe du mythe « Prenzlauer Berg ».

3 Bansin sur l’île d’Usedom, 1983. Quelques bouteilles de bière, la musique d’une radio portable, une table de ping-pong comme piste de danse et la fête peut commencer.

4 Instantané devant les halles du périphérique ferroviaire à la station « Frankfurter Allee » dans le quartier est-berlinois de Friedrichshain en 1980.

5 Soldats de la NVA (Armée populaire nationale) en marge de leur assermentation sur la place du Vieux Marché de Dresde.

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JEUNESSE

Un couple de punks pose en 1986 dans la Käthe-Niederkirchner-Straße, dans le quartier est-berlinois de Bötzow. Sur le mur, les lettres estompées d’une déclaration d’amour : « Ich liebe dich ».

Ce n’est pas une assemblée ordinaire de la FDJ ( Jeunesse libre allemande). À l’ordre du jour, les « ambiguïtés idéologiques » de l’étudiant W. Tous sont venus en chemise bleue – le dé-linquant aussi. Le représentant de la direction du SED commence : contre-révolution, infil-tration, relâchement… Dans la salle, ces mots fusent comme des balles. On ne table plus que

sur le consentement du groupe de la FDJ à l’ex-clusion de l’étudiant de l’université. Ils sont tous jeunes – même le représentant de la direction du parti et l’informateur de la Stasi, dont le rapport survivra. La jeunesse n’est pas une va-leur en soi. Elle peut être tout et son contraire : adaptation et rébellion, lâcheté et courage, car-riérisme et désir de liberté. Argumenter contre

l’exclusion aurait-il un sens ? Chaque objec-tion pourrait ajouter au réquisitoire un élément dangereux : formation d’un groupe subversif. Alors tous acquiescent à la présentation du SED – même l’accusé. Ainsi, après avoir « fait ses preuves à l’usine » une année durant, il sera autorisé à réintégrer l’université.

1 Aujourd’hui, les Hackesche Höfe de Berlin attirent de nombreux touristes. En 1986, c’était un labyrinthe de cours abandonnées – et une piste pour les amateurs de skateboard et de patin à roulette.

2 Ces deux jeunes filles vêtues d’uniforme d’aides de la Croix-Rouge se rendent à une fête organisée par le journal du SED Neues Deutschland dans le jardin public de Friedrichshain, à Berlin-Est.

3 Au bord de l’Elbe à Radebeul en 1986.

4 Les rockers affluent à un concert dans le quartier berlinois de Weißensee en 1985. Ils ont choisi avec amour et soin leur plus bel accoutrement et se donnent du mal pour avoir l’air menaçant.

5 Défilé des groupes de combat le 1er mai 1986 à Berlin-Est.

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ENFANCE

Quoi de mieux qu’un jardin et un chien pour passer une enfance heureuse ? Le monde des adultes n’est présent qu’à travers un tire- bouchon et un briquet.

« De si petites mains / avec des doigts minus-cules », ainsi commence la chanson « Kinder » (Enfants) de Bettina Wegner, sortie en 1976. « Il ne faut pas les taper / sinon ils se briseraient ». Cette chanson devient si populaire que bien souvent, sa compositrice n’est plus associée qu’à ce texte, d’autant que Joan Baez le reprendra plus tard. Cette chanson est loin d’être apoli-

tique et va bien au-delà de la violence dans une chambre d’enfant. « De si jolies bouches / qui disent tout. / Il ne faut rien leur interdire / si-non elles ne parleraient plus. »

L’éducation dans les établissements publics de la RDA ne se limite certes pas à l’obéissance et à la soumission – même si ce sont les ob-jectifs annoncés. Même les éducateurs et les

enseignants les plus aimants et pédagogues ne peuvent empêcher que les maternelles et les écoles soient le reflet d’une société autoritaire. « Une colonne vertébrale si petite / qu’on ne la voit pas encore. / Il ne faut pas la plier / sinon elle se briserait. / Des gens droits / ce serait bien d’en avoir. / Des gens sans colonne / nous en avons déjà trop. »

1 En 1987, on peut s’offrir pour cinquante pfennig un tour en char blindé sur le marché de Noël de Berlin-Est. Ce type de jouet de guerre était affectionné par l’État – beaucoup moins par les parents.

2 Kollwitzplatz, quartier berlinois de Prenzlauer Berg, hiver 1982.

3 Le Mur est tombé et l’ancien ruban de la mort devient en 1990 une cour de récréation provisoire.

4 Noël 1985, quelque part dans le quartier de Prenzlauer Berg. L’en-fant est au centre de la famille. Il grandit entouré de livres, d’art et de musique.

5 Dinosaure ou créature fantastique ? Le nom « Hirschhof » (la cour du cerf) donne un indice. Un cerf en ferrailles d’acier dans une cour – une oasis aménagée par les habitants du carrefour Oderberger Straße / Kastanienallee en 1982. Cette photo date de 1985.

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MENSONGES

Fête sur la rivière Panke, quartier berlinois de Pankow, 1987. Ceux qui prennent ce slogan au pied de la lettre (« La paix ne consiste pas à être, mais à faire ») et protestent contre la militarisation de la société risquent des représailles sévères.

En 1961, l’éditeur est-berlinois Kinderbuch-verlag publie Gelsomino im Lande der Lügner (Benjamin au pays des menteurs) de l’auteur italien Gianni Rodari (1920–1980). Cette sa-tire vise l’Italie fasciste de sa jeunesse. Au pays des menteurs, c’est toujours le contraire de la réalité qui prévaut : au lever, les gens se sou-haitent « Bonne nuit » et le soir, avant de se

coucher, ils se disent « Bonjour ». Les chats s’appellent les chiens et sont forcés à aboyer. Les chiens miaulent et doivent jouer aux acro-bates sur les toits. On ne peut payer qu’avec de la fausse monnaie. Les vraies pièces sont stric-tement interdites.

C’est peut-être le meilleur livre jamais écrit sur la RDA – bien malgré son auteur. Le régime

du SED fut tellement frappé par la description que fait Rodari d’un monde aux valeurs inver-sées que les censeurs n’osèrent pas rapprocher la satire de leur propre pays. Car la devise du livre pour enfants de Rodari valait aussi pour la RDA : « Au pays des mensonges, la vérité / passe pour une vilaine maladie ou pour la fo-lie. »

1 Dans la vitrine d’une boucherie-charcuterie d’Erfurt en 1983, on ne trouve plus que des slogans. La promotion de la « cervelle » sur la vitre semble d’autant plus grotesque.

2 Warschauer Straße, au croisement de la Karl-Marx-Allee, quartier berlinois de Friedrichshain, 1984. La propagande de la RDA est avant tout un appel à travailler plus. Comme il y a peu de richesses à répar-tir, la produc tivité est déclarée au service du peuple et de la paix.

3 Une diaconesse en habit de nonne regarde les préparatifs du défilé du 1er mai 1987 sur la place Rosa Luxembourg. Sur la voiture, un slo-gan à moitié caché : « Ick loof nur noch mit Schutzhelm » (Je ne sors plus sans mon casque).

4 Festival national de la jeunesse à Berlin-Est en 1984. Qui prête encore attention aux slogans ? Leur lecture est pourtant instructive : ce jeune paysan promet « amour » et « fidélité », mais à sa « patrie socia-liste », pas à son amie.

5 Fête de Neues Deutschland en 1985. Conformément à la devise « La paix doit être armée », les enfants sont initiés aux armes de guerre dès l’école primaire.

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POUVOIR

Quand les limousines noires de la direction du parti et des autorités de la RDA circulent, le reste du trafic est à l’arrêt. Les gens aux arrêts de bus ou dans les embouteillages lancent des « Bonzenschleuder » (la catapulte des pontes) et attendent sagement que le convoi passe. Cette photo date de 1986.

À l’entrée de ce restaurant, on lit sur une pan-carte : « Veuillez patienter ! On va vous attri-buer une table. » Bien que la salle soit à moitié vide, une queue s’est formée devant le restaurant. Dehors, l’un des clients ose passer outre, ignore la pancarte et s’installe à une table vide. « Vous ne savez donc pas lire ? », vocifère le collègue du Collectif des restaurants. « Veuillez m’apporter

le registre de réclamations », s’indigne le client. « Ça, vous pouvez toujours courir », réplique le serveur. Une petite anecdote sur le pouvoir et l’impuissance, aussi anodine que rageante – surtout quand l’estomac crie déjà famine. Poli-ciers, supérieurs hiérarchiques, fonctionnaires, enseignants et autres détenteurs de l’autorité ne sont pas les seuls tenants du pouvoir. Derrière

chaque comptoir, chaque guichet, chaque bu-reau, où l’on administre quelque chose d’inexis-tant, une prétention au pouvoir est personnifiée. C’est la conséquence de la pénurie générale de biens et de services de toutes sortes, qui dispa-raît avec la fin du régime du SED en 1989.

1 L’un des deux cents miradors construits le long du Mur de Berlin ; jour et nuit, deux gardes-frontières se relaient toutes les huit heures pour surveiller d’éventuels fugitifs.

2 Ce gigantesque monument à la mémoire du dirigeant commu-niste Ernst Thälmann, réalisé par le sculpteur soviétique Lew Kerbel, fut installé Greifswalder Straße en 1986, où il se trouve encore aujourd’hui. Ce cliché a été pris en 1990.

3 Jusqu’en 1990, la Neue Wache sur l’avenue Unter den Linden était un mémorial dédié aux victimes du fascisme et de la guerre, selon l’inscription alors apposée. En réalité, c’est la Gloire de la Prusse qui célèbre sa résurrection avec ses vieilles marches, au pas de l’oie et avec des baïonnettes étincelantes.

4 Les groupes de combat d’entreprise (Betriebskampfgruppen) qui défilent dans leur uniforme gris le 1er mai 1980 à Berlin-Est sont consti-tués de fidèles camarades du SED qui s’entraînent à la guerre civile durant leur temps libre.

5 Le 1er mai 1980, la RDA, « État pacifique », se présente devant les autorités nationales et la direction du parti avec des missiles modernes.5

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CURIOSITÉ

Les enfants et les chats sont incroyablement curieux. Ils veulent toujours savoir ce qui se passe dehors et épient le monde bien à l’abri derrière les rideaux. Le principe de curiosité sape toutes les dictatures du monde.

En janvier 1976, le foyer de la bibliothèque mu-nicipale de Berlin-Est organise une exposition qui rassemble 1 200 livres suisses de publication récente. Un petit geste d’ouverture de la RDA en direction de la Suisse, à première vue très banal. Mais si l’événement n’est annoncé que par un minuscule encart dans le Berliner Zei-

tung, la bibliothèque, d’ordinaire paisible, de-vient une véritable ruche une semaine durant. Partout, des lecteurs sont plongés dans les der-nières œuvres d’écrivains suisses ou recopient à la main des passages de livres scientifiques. « Quand tous ces livres seront-ils en accès libre dans la salle de lecture ? », écrit un lecteur dans

le registre des visiteurs. Curieux, les gens sai-sissent toutes les occasions pour savoir ce qui se passe ailleurs. La RDA est le pays des portes fermées. Mais par la fenêtre, on peut découvrir le vaste univers. Il arrive même parfois que la fenêtre s’entrouvre et que l’air étouffant de la dictature soit traversé par un souffle d’air frais.

1 Une élection de miss se tient en 1984 sur la Weberwiese, près de l’allée Staline, rebaptisée plus tard allée Karl Marx. Les hommes n’osent pas encore tout à fait s’approcher, alors les enfants veulent d’autant plus en avoir le cœur net.

2 Lors d’une visite au parc d’attraction berlinois Spreepark à Plän-terwald, des soldats soviétiques sont intrigués par un vaisseau spatial venu d’ailleurs – peut-être parce qu’ils se sentent eux-mêmes comme des aliens en RDA.

3 A l’occasion du 750e anniversaire de Berlin, l’église de Friedrichs-werder, détruite pendant la guerre, est restaurée et rouvre ses portes en tant que musée. Un visiteur observe le gisant de la reine Louise, réalisé par Christian Daniel Rauch.

4 À partir de 1979, les messes de blues de l’église de la Samaritaine à Friedrichshain attirent comme un aimant les jeunes inadaptés qui, comme ici, en 1985, utilisent tous les moyens pour y assister.

5 Le cortège d’un cirque qui traverse l’Alexanderplatz en 1985 offre l’occasion unique de toucher le postérieur d’un éléphant.

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ORDRE

Dans le stade Alte Försterei, de gais supporters de l’Union Berlin prennent la pose pour Harald Hauswald – sous l’œil vigilant des forces de l’ordre dont les matraques en caoutchouc fixées à leur ceinture constituent bel et bien une menace sérieuse.

Les termes clés pour comprendre la RDA sont sécurité, discipline et propreté. Cette trinité re-pose sur le principe de l’ordre. Le règlement est accroché à l’intérieur de l’armoire des centres de vacances de la Confédération des syndicats, le règlement de l’école est affiché dans la salle des professeurs, un Pionnier de l’ordre porte un brassard rouge dans les classes, chaque nouveau

locataire se voit remettre le règlement intérieur de l’immeuble et tous les employés d’une en-treprise doivent régulièrement signer le règle-ment relatif à la protection contre les incendies. Tout est régi par l’ordre de la société socialiste, garanti par le régime. Nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi le désordre règne par-tout alors qu’il existe tant de règlements. Mal-

gré le règlement du parc, les pelouses sont jon-chées de crottes de chien, malgré le règlement de l’immeuble, les cours et les escaliers sont toujours souillés. Manifestement, le désordre est trop grand pour pouvoir imposer cet ordre supérieur qui définit la liberté comme la recon-naissance de la nécessité.

1 Quatre cabines téléphoniques en état de fonctionnement : une image insolite en RDA. Quand on finit par en trouver une, on fait peu de cas de l’injonction affichée : « Sois bref ! Pense à ceux qui attendent ! » Photo : 1985.

2 « La RDA est un État propre » avait toujours répondu Erich Honecker à la « décadence occidentale ». En 1990, à la station de métro Sene-felderplatz, un balayeur prend au pied de la lettre le chef d’État et de parti déchu.

3 Ces trois membres du service d’ordre de la Jeunesse libre alle-mande (FDJ) ne sont plus jeunes depuis longtemps. Mais quand il s’agit de calme et d’ordre, comme ici aux rencontres de la Pentecôte de la FDJ, les aînés doivent eux aussi mettre la main à la pâte.

4 Un agent de la police populaire vérifie les données d’un jeune sur l’Alexanderplatz en 1980. En RDA, il est obligatoire de décliner son identité. À l’injonction « Citoyen, déclinez votre identité ! », il faut pré-senter ses papiers.

5 Lors des rencontres de la Pentecôte de la FDJ en 1989, il règne pour la dernière fois cette joie de l’engagement collectif pour l’État bien-aimé, exprimée ici par un groupe de gymnastes au stade Weltjugend.

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RÉBELLION

Des supporters de l’Union-Berlin en 1988 à Karl-Marx-Stadt. La rébellion s’aménage des soupapes. Si les supporters ne remettent pas en cause l’ordre public, ils sapent l’image idéalisée de la jeunesse véhiculée par la propagande.

Jadis, les rebelles comme Robin des bois se ca-chaient dans les bois et terrorisaient les tyrans. Mais les forêts sont déboisées et arcs et flèches ont été relégués au musée. Comment vit-on au XXe siècle dans un État que l’on rejette inté-rieurement tout en étant forcé de multiples ma-nières à composer avec sa réalité quotidienne ? Plus concrètement : dans quelle mesure l’adap-

tation est impérative et la rébellion possible ? En réalité, la marge de manœuvre pour affirmer sa résistance est limitée. Dans les écoles et autres établissements scolaires des années 1960 et du début des années 1970, les cheveux trop longs des garçons et les jupes trop courtes des filles suffisent encore pour s’attirer des ennuis. Plus tard, les jeans troués, les soutanes ou les acces-

soires occidentaux aussi servent à choquer. Les supporters de football qui sillonnent les rues en braillant ou les jeunes qui se teignent les che-veux en violet peuvent s’estimer rebelles. L’État craint les rebelles doux qui se rassemblent dans les églises depuis la fin des années 1970. Car ce sont bien eux qui forment le potentiel critique qui accule l’État.

1 Concert du groupe Freygang dans l’église berlinoise de Sion, octobre 1987. Quelques églises deviennent un refuge pour les cultures alternatives de la jeunesse en RDA.

2 Ce type de coiffure constitue une provocation pour les représen-tants de l’ordre public. Ils y voient une menace pour la morale et les bonnes mœurs, ce en quoi ils sont pour une fois en phase avec une grande partie de la population. Photo de 1986.

3 Les premiers punks apparaissent vers 1980 à Berlin-Est et dans d’autres grandes villes de la RDA. Leur air rétif rappelle les « Halbstar-ker » (blousons noirs) des années 1950 et les « Gammler » (beatniks) des années 1960. Chaque génération réinvente la révolte. Cette photo date de 1982.

4 Pour les autorités, la rébellion devient dangereuse quand elle atteint le citoyen lambda. C’est précisément ce qui se passe le 7 octobre 1989 à Berlin-Est entre l’Alexanderplatz et le Palais de la République.

5 Fête de rue devant le club de jeunes « Impuls ». Concert du groupe Juckreiz en 1981 à Berlin-Est.

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ASPIRATION

Une fête foraine à Dresde en 1982. « Rêve de Méditerranée » – mais le manège ne fait que tourner en rond.

Une demi-heure avant minuit, la lente ronde commence au bal du village. La lumière est tamisée, les couples dansent enlacés et le bat-teur sort ses maracas pour la rumba. On chante les nuits de pleine lune sous les tropiques, le doux son de la mandoline, les plages bordées de palmiers, et la Croix du Sud. Dans les an-nées 1960, Perikles Fotopoulos, fils de réfugiés

grecs, proposait déjà un pot-pourri méditerra-néen avec « Buonanotte », « Ay, ay, Amigo » et « Caballeros ». Personne ne connait mieux les réelles aspirations des gens que les auteurs et compositeurs de tubes. Après une bouteille de vin rouge bulgare, qui est encore capable de respecter la réglementation – soixante pour-cents de tubes de l’Est, quarante pourcents de

chansons de l’Ouest ? Quand Alexandra, ori-ginaire de Kiel, chante d’une voix sombre qui rappelle les vastes plaines de la Russie : « Lan-gueur, ainsi s’appelle une vieille mélodie de la taïga / que ma mère chantait déjà à l’époque », tous sont unis par leur aspiration à l’amour et au bonheur.

1 Être aussi cool que James Dean, au moins une fois dans sa vie… Une fête, quelque part dans le quartier de Prenzlauer Berg, en 1985.

2 En marge d’une messe de blues en 1983. Le « Summer of Love » de Woodstock est depuis longtemps oublié. Mais derrière le Rideau de fer, les hippies continuent à vivre. Les désirs inassouvis sont immortels.

3 « Der Kahn der fröhlichen Leute » (La barque des gens gais), tel est le titre d’un film de la DEFA (studio d’État de la RDA) sorti en 1950, dans lequel trois musiciens voguent vers Hambourg. En 1984, on voit encore quelques barques sur l’Elbe, mais Hambourg est devenue un objet de convoitise inaccessible.

4 Berlin-Est, gare d’Alexanderplatz, 1987. Ardent baiser d’adieu. Ce pourrait être le début ou la fin d’une aventure.

5 En 1982, le monde se termine Porte de Brandebourg. De l’autre côté, les arbres sont plus verts et le ciel est plus bleu. Ou bien n’est-ce qu’une impression ?

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TRISTESSE

Dans une station de métro à Berlin-Est, 1986 : encore une journée de passée ! Éreintés par le zèle au travail et les tâches à accomplir, les employés rentrent chez eux.

Juste avant le tombé de rideau, la propagande du SED a une dernière inspiration. Elle annonce le « Socialisme aux couleurs de la RDA ». Par cette initiative, elle entend se démarquer de la Glasnost de Gorbatchev et de la Perestroïka de l’Union soviétique. Mais quelles sont les cou-leurs de la RDA, au juste ? Certainement pas le noir-rouge-or de la nation allemande, ni le

rouge du mouvement ouvrier. La réponse hon-nête à cette question serait la suivante : la cou-leur de la RDA, c’est le gris. Gris vieillot comme les façades des maisons, gris sale comme les vi-trines des magasins, gris béton comme les murs qui encerclent la ville, gris verdâtre comme les uniformes des postes-frontières et gris comme toutes les théories, comme le modèle périmé

de l’idéologie marxiste-léniniste. Les couleurs sont réservées aux images de propagande sur les affiches et dans les médias. Dans le monde coloré des belles images, il n’y a pas de tons gris. Mais ce sont dans les petites cellules grises que naissent les pensées rebelles.

1 Les rues peuvent être aussi tristes que les gens. Il ne reste rien du mythe de Prenzlauer Berg dans la Greifenhagener Straße en 1985 – les wagons à charbon et les paniers en bois pour les briquettes l’ont rem-placé.

2 Devant le restaurant du château d’eau, au croisement de la Knackstraße et de la Rykestraße, 1982. Le serveur aura-t-il apporté une bière au vieil homme ?

3 Sous le pont du S-Bahn, gare Alexanderplatz, 1981. Des bouteilles, chiffons et vieux papiers apportés au recyclage des matières secon-daires donnent droit à quelques centimes de plus pour sa retraite.

4 Le socialisme est une société de l’attente. Tout le monde attend quelque chose – un nouvel appartement, une voiture, une ligne télé-phonique, le départ à l’Ouest, la mort, ou un événement quelconque.

5 L’héritage le plus triste de la RDA – les déchets. Sur un terril près de Meißen, les carcasses de « Trabi » s’entassent en 1993, alors qu’il avait fallu tant de temps, d’argent et d’efforts pour les obtenir.

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UNDERGROUND

Des jeunes font la fête dans la « Cour du cerf » du quartier de Prenzlauer Berg en 1986. Leur visage ouvert, leur attitude et leur façon de s'habiller montrent qu'ils ont laissé la RDA loin derrière eux.

C’est comme si les martiens avaient débarqué en RDA à la fin des années 1970. Ils ont les cheveux teints de toutes les couleurs, portent des agrafes en guise de boucles d’oreille et se nomment les punks. Mielke, le chef de la Stasi, fulmine. Son mot d’ordre – littéralement, dans un programme de mesures – est « Fermeté contre les punks » et « Recherche d’infractions

pénales en vue de leur incarcération ». Mais les moyens mis en œuvre pour les discipliner échouent complètement. On ne peut même pas les classer comme il se doit. Une mode venue de l’Ouest ? Certes, mais cela concerne surtout leur apparence. Un style de musique ? De fait, les groupes de punks qui jouent dans les églises et les cours des immeubles font parler d’eux. Un

mouvement underground ? C’est ainsi que les autorités les considèrent. Les punks se voient refuser l’entrée des restaurants et discothèques. De temps à autre, ils sont ramenés au poste de police et tondus de force. Progressivement, le mouvement se divise entre « punks chic » et vrais rebelles. Mais le terrain de jeu de la RDA disparaît avant l’achèvement de ce processus.

1 L’homme au second plan a orné sa veste en cuir d’une épaulette de l’armée soviétique, tandis que celui de devant porte un foulard des Pionniers – la photo date de 1990. C’est aussi le signe d’une nouvelle opposition.

2 Concert de Rosa Extra dans une cour de la Schliemannstraße en 1982. Il semble que ce soit l’un des rares concerts de ce groupe de punks à ne pas avoir été interrompu par la police populaire.

3 Lecture et exposition dans une mansarde de la Lychener Straße, 1983. On y voit les écrivains contestataires Georg Reichenau, Uwe Kolbe, Roland Manzke et Lutz Rathenow.

4 Le pasteur Rainer Eppelmann lors d’une messe de blues tenue dans l’église du Rédempteur du quartier berlinois de Lichtenberg en 1984. Des milliers de jeunes affluent à ces événements.

5 À l’Est aussi, on voit de plus en plus de « punks chic », ici sur Alexanderplatz. Les accessoires des punks sont à la mode.

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DÉLABREMENT

Le délabrement des vieux quartiers s’accélère dans les années 1980. L’enseigne de ce magasin d’ameublement (« Culture de l’habitat ») du quartier est-berlinois de Prenzlauer Berg, immortalisée par le photo - graphe en 1985, ressemble à une plaisanterie.

Quand on recherche des photos de la RDA des années 1980, on écarte souvent des clichés en croyant qu’ils datent d’après-guerre. L’état de délabrement des villes était effroyable. Mais les décennies de négligence avaient donné nais-sance à des villes remplies d’énigmatiques signes et inscriptions. Des boutiques abandonnées depuis longtemps étaient surmontées de men-tions comme « Denrées coloniales » ou « Four-

nisseur de la cour impériale » en caractères go-thiques. Sur les murs coupe-feu, on voyait les lettres « LSR » pour « Luftschutzraum » (abri anti-aérien) et des flèches censées indiquer où se trouvaient les personnes ensevelies après un bombardement. Un mur en brique de la Ko-penhagener Straße à Berlin portait l’inscription « Hitler verrecke » (« Crève Hitler »), visible-ment laissée par un citoyen courageux sous le

régime nazi. Après l’invasion de la Tchécoslo-vaquie en 1968, quelqu’un peignit le nom du communiste réformateur Dubček sur le mur de la bibliothèque universitaire. Le mur fut re-peint à plusieurs reprises. Mais les lettres vertes transparaissaient à chaque fois. C’est ainsi que la ville délabrée devint un livre d’histoire vi-vant.

1 Ce théâtre de verdure dans le parc des Pionniers du domaine berli-nois de Wuhlheide fut érigé par des volontaires pour le Festival mon-dial de la jeunesse et des étudiants en 1951. En 1984, les mauvaises herbes atteignent déjà un mètre de hauteur.

2 À l’arrière-plan, l’église Notre-Dame de Dresde – restée dans le même état depuis la nuit de bombardements de février 1945. Au premier plan, des conteneurs en provenance de l’Ouest en vue de la construction d’un hôtel prévu pour rapporter des devises.

3 « J’étais là, fais le tour », peut-on lire sur le linteau de la porte. Cette tentative de communication montre que cet immeuble à moitié en ruines est encore habité. Photo : Prenzlauer Berg, 1978.

4 Une cour de la Kastanienallee dans le quartier est-berlinois de Prenzlauer Berg en 1985 : avec un peu d’imagination, ce bolide fait le tour du monde. Les adultes peuvent bien râler autant qu’ils veulent à cause de cette épave.

5 Une cour de la place de l’église de Sion à Berlin. Cette photo ne date absolument pas d’après-guerre, mais bien de 1987.

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CONTRADICTION

Dresde, 1984. Ce graffiti exprime un sentiment qui ne se propage pas qu’en Saxe : la colère.

« Dès que la contradiction cesse, la vie cesse aussi », lit-on comme sujet de dissertation sur le tableau. Une énigme. La consigne, « Déve-loppez votre pensée et tirez-en les conclusions pour poursuivre le développement de la socié-té socialiste », n’est pas d’une grande aide non plus. Il faut plutôt se tourner vers Friedrich Engels, le meilleur ami de Karl Marx, autorité

incontestable donc, qui ne laisse passer aucune contradiction. Cette citation signifie qu’en l’ab-sence de contradiction, le marasme s’installe. Voilà ce qu’on est en train de se dire depuis dix minutes alors que les autres sont déjà tous en train d’écrire. Il faut sans cesse contredire : à l’école, à la FDJ, face aux parents. Mais si on l’écrit, on a des ennuis. « Ce sont les arguments

de l’ennemi », s’indignerait le professeur, qui ne verrait dans la référence au bon mot de Frie-drich Engels qu’une contradiction insolente. Alors essayons : « Dans le socialisme, toutes les contradictions sont dépassées. C’est ce qui rend le progrès si fulgurant. » C’est bien une contra-diction – mais le temps presse.

1 En décembre 1989, le Mur de Berlin ressemble à un fromage gri-gnoté par des souris. Tout le monde veut rapporter un morceau de béton en souvenir et malgré les consignes officielles, le garde-frontière garde la main dans la poche.

2 Une messe de blues à Berlin-Est en 1983. La contradiction s’exprime dans tout – dans les petits et les grands gestes, dans les vêtements, les coiffures et les barbes et dans le fait de s’asseoir par terre avec sa gui-tare.

3 Le militant écologiste Carlo Jordan pendant la manifestation du 4 novembre 1989 sur l’Alexanderplatz. Son visage et celui de ses compa-gnons laissent transparaître une joie intense.

4 Une parade répète dans le Grand Jardin de Dresde en 1984. Dans le petit train à vapeur du parc, les visiteurs n’y prêtent guère attention.

5 Berlin-Est, octobre 1989 : rencontre de deux révolutionnaires. Luther croise Lénine en rejoignant sa place devant l’église Sainte- Marie.

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TENDRESSE

Face au règne des mensonges, de l’abrutissement et de la servitude, l’affection portée à l’autre n’est peut-être pas un acte de résistance – mais c’est un espace de liberté agréable à vivre, loin du pouvoir. Photo : Berlin, 1985.

Les photographies de Harald Hauswald nous font voyager dans le temps. Les réalités photo-graphiées ont souvent disparu. Trente années se sont écoulées depuis. Il y a eu aussi un change-ment d’ère qui, ne serait-ce qu’en apparence, a presque tout modifié. Mais les personnes pho-tographiées ne vieillissent pas. On a l’impres-sion de toutes les connaître depuis longtemps. C’est à cause de la relation intime entre le pho-tographe et ses sujets. Chaque photographie raconte une histoire. De politique, naturelle-ment, mais surtout de tendresse, d’amour, d’at-tachement et de désir. Avait-on plus de temps pour l’attachement et la tendresse dans ce pays emmuré ? Ou bien, face à l’oppression du ré-gime et à l’idéologie dominante, ces sentiments constituaient-ils aussi une issue et un refuge ? En tout cas, le partage permettait de survivre dans la dignité malgré les adversités – c’est ce qui rend la vie à l’Est précieuse quand on la re-garde aujourd’hui.

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1 Hohenschönhausen, Berlin, 1984 : les voitures de type Trabant offrent leur visage au spectateur. Ces amoureux n’ont pas de visage, eux, mais ils suffisent à rendre la photo vivante.

2 Ce sont les brefs instants spontanés de tendresse dont on se sou-vient le plus longtemps – quand ils sont capturés par le photographe, pour l’éternité même.

3 La photographie de ce couple dans une bouche de métro en 1984 aurait pu être prise n’importe quand, n’importe où – à Paris, Budapest ou Berlin-Ouest. C’est bien pour cela qu’il a sa place dans la galerie de photos sur Berlin-Est.

4 Sur cette photo prise en 1986, même Dieu est mis en scène. La Bible le dit bien : « Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. »

5 Le poète Bert Papenfuß-Gorek en 1985 dans l’église de l’Emmanuel à Berlin-Est. La petite fille est très fière de son papa, même si elle ne comprend pas encore très bien ses poèmes.

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LE PHOTOGRAPHE Harald Hauswald, né à Radebeul en 1954, suit une formation de photographe à Dresde et s’installe à Berlin-Est en 1978. Dans les années 1980, il y parcourt les rues pour immortaliser ce que d’autres photographes ne voient pas ou ne trouvent pas digne d’intérêt : des scènes du quotidien, des per-sonnes seules et âgées, des couples amoureux, des rockers, des hooligans et des jeunes qui œuvrent pour la paix et la protection de l’environnement au sein de l’église. L’un des principes du réalisme socialiste consiste à placer « l’Homme au centre ». Harald Hauswald l’applique à sa manière. Ses tra-vaux ne lui valent aucun prix, mais des ennuis avec les autorités. Naturellement, Hauswald photogra-phie aussi des façades délabrées et des files d’at-tente devant les épiceries. Mais sa photographie

ne cherche pas tant à être subversive qu’à décla-rer son amour aux habitants de la RDA. Entre les personnes photographiées et le photographe naît pour un court instant une relation presque tendre qui continue à toucher le spectateur aujourd’hui. Les photographies de Hauswald façonnent l’image que nous avons de la RDA avant sa chute et font régulièrement l’objet d’expositions dans le monde entier.

L’AUTEURStefan Wolle, né à Halle / Saale en 1950, obtient son baccalauréat en 1969 à Berlin et passe son exa-men d’ouvrier spécialisé comme libraire. À partir de 1971, il étudie l’histoire et la philologie germanique à l’Université Humboldt de Berlin-Est. En 1972, il est contraint d’abandonner ses études suite à des déclarations politiques critiques et doit « faire ses preuves à l’usine » pendant un an. Après sa réinté-gration et l’obtention de son diplôme, il travaille à l’Académie des Sciences. En 1984, il y obtient son doctorat sur les relations germano-russes vers 1800. Après la chute du Mur de Berlin, Wolle devient ex-pert technique des dossiers de la Stasi pour la Table ronde (dialogue instauré avec les nouvelles forces politiques du régime) ; en mars 1990, il cosigne Ich liebe euch doch alle ( Je vous aime pourtant tous), le

premier recueil de documents de la Stasi, qui devient le dernier bestseller de la RDA. En tant qu’histo-rien, il travaille ensuite à l’Université Humboldt et à l’Université libre de Berlin. Depuis 2005, il est di-recteur scientifique du Musée de la RDA à Berlin. Il s’est fait surtout connaître par sa trilogie Die heile Welt der Diktatur (Le monde intact de la dictature). Les lecteurs apprécient ses descriptions vivantes et réalistes de la RDA, nourries aussi bien de sources scientifiques que de sa propre expérience.

MENTIONS LÉGALES

Ost-Berlin. Die verschwundene Stadt. Harald Hauswald (photographe) et Lutz Rathenow (auteur). Berlin : Jaron Verlag, 2017, 128 pages.

Stefan Wolle: Die heile Welt der Diktatur. Alltag und Herrschaft in der DDR 1949–1989. 3 volumes. Berlin : Ch. Links, 2013, 1 360 pages.

Les éditeursLa Fondation fédérale allemande pour la recherche sur la dictature du SED (Bundesstiftung zur Aufarbeitung der SED-Dik-tatur) contribue à l’analyse approfondie des causes, de l’histoire et des conséquences des dictatures communistes en Allemagne et en Europe par le biais de ses subventions accordées à divers projets et de ses propres offres. www.bundesstiftung-aufarbeitung.de

L’agence de photographes OSTKREUZ (OSTKREUZ Agen-tur der Fotografen) a été fondée à Paris en 1990 par sept photo-graphes est-allemands. Aujourd’hui, l’agence compte vingt-deux membres et est l’une des plus renommées d’Allemagne. www.ostkreuz.de

Direction du projet et relecture : Ulrich Mählert (Bundesstiftung Aufarbeitung)

Concept : Stefan Wolle

Choix des photographies : Stefan Wolle et Christian Pankratz (OSTKREUZ).

Réalisation de la vidéo : Maik Reichert

Conception : Thomas Klemm www.thomasklemm.com

Codes QRL’exposition comprend dix-neuf codes QR qui permettent de regarder sur YouTube de courts entretiens avec le photographe Harald Hauswald dans lesquels il commente les principales pho-tographies de l’exposition et raconte leur genèse.

AvertissementL’ensemble des photographies, textes et vidéos ainsi que la conception de l’exposition sont protégés par le droit d’auteur et ne peuvent être reproduits, modifiés ou diffusés de quelque manière que ce soit sans l’autorisation des titulaires des droits. À l’exception des portraits du photographe et de l’auteur du présent panneau, les photos de l’exposition sont toutes de Harald Hauswald.

Moyennant une modique contribution au droit d’auteur, cette exposition peut être acquise auprès de la Fondation sous forme d’affiches, pour des activités pédagogiques scolaires et extra-scolaires. Vous trouverez de plus amples informations sur l’ex-position ainsi que des supports complémentaires, notamment pédagogiques, sur le site

www.bundesstiftung-aufarbeitung.de/vollderosten

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Depuis 2009, la Fondation a imprimé et diffusé dix expositions historiques sous forme de séries d’affiches (plus de quinze mille exemplaires). Sont notamment disponibles :

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www.facebook.com / agenturostkreuz

2015 :

Der Weg zur deutschen Einheit

2016 :

Der Kalte Krieg. Ursachen – Ge- schichte – Folgen

2017 :

Der Kommu- nismus in seinem Zeitalter


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