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17, rue Saint-Georges - MATANEL...Michel Gurfinkiel, Pascal Karsenti, Elie Korchia, Philippe Meyer, Sabine Roitman. Administration : Jessica Sebban Maquette : Mike Cohen Régie publicitaire

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 3

17, rue Saint-Georges75009 Paris

Rédaction :01 48 74 34 17 Administration : 01 40 82 26 82Fax : 01 48 74 41 97 [email protected]

Fondateur : Jacques Lazarus (1916-2014)

Directeur de la publication : Victor Malka

Comité éditorial : Michel Gurfinkiel, Pascal Karsenti, Elie Korchia, Philippe Meyer, Sabine Roitman.

Administration : Jessica SebbanMaquette : Mike CohenRégie publicitaire : Média 5 - Tél. : 06 60 43 08 14Photographies : Erez Lichtfeld, Alain Azria.

Edité par S.a.r.l. Information Juive le journal des communautésau capital de 304,90 €

Durée de la société : 99 ans

Commission paritaire des journaux et publications : 0708K83580

Dépôt légal n° 2270. N°ISSN : 1282-7363

Impression : Imprimerie Sprenger (68)

Les textes de publicité sont rédigés sous la responsabilité des annonceurs et n’engagent pas Information juive.

Abonnement annuel : 33 €Abonnement de soutien : 46 €Abonnement expédition avion : 41 €

ABONNEMENT EN LIGNE SUR

WWW.INFORMATIONJUIVE.FR

Les manuscrits non retenus ne sont pas renvoyés.

SOMMAIREN°374 - Janvier 2018

8 11

22 4030

1919

INTERVIEW5- Oser le judaïsme pour l’avenir Par Joël Mergui

JUDAÏSME FRANÇAIS8- Lettres à la source de vie

ACTUALITÉ11- De la démocratie en France l’Histoire Par Dominique Schnapper

HISTOIRE15- La déclaration Balfour cent ans après Par Nathan Weinstock

CHRONIQUE19- Les bourreaux sont toujours les victimesPar Guy Konopnicki

ACIP22 à 26- La vie du Consistoire

HASSIDISME27- Ainsi parlait Nahman de Braslaw

JUDAÏSME29- La grammaire hébraïque et sa vocation Par le rabbin Jacky Milewski

PHILOSOPHIE30- Spinoza, poème de la pensée Par Anne Mounic

LIVRES32- Comment peut-onêtre séfarade ?Par Albert Bensoussan

HÉBRAICA35- L’esprit IsraélienPar V.M

LES LIVRES36- Par Naïm Kattan

ANTISÉMITISME37- Bagatelles pour écrivainPar Ami Bouganim

CINÉMA40- A Jérusalem, une femmeen quête d’amourPar Elie Korchia

41- VERBATIM

42- POST-SCRIPTUMPar V.M

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Information juive : Comment définiriez vousvotre nouvelle équipe ?

Joël Mergui : Formidable, engagée, im-pliquée, enthousiaste : ce sont les motsqui me viennent spontanément en tête.Il est très important de pouvoir travailleravec une équipe soudée qui partage lesmêmes valeurs et qui a envie d’agirdans la même direction. Tous sont trèsmotivés et enthousiastes. Ils se sont aus-sitôt mis au travail, ils sont allés à la ren-contre des services sans attendre, ils ontnoué des contacts, posé des questions,proposé des solutions. Ils travaillent sur-tout en concertation, sans préjugé, envoulant mieux faire tout en conservantles savoirs acquis. J’en suis vraiment im-pressionné. Les anciens épaulent lesnouveaux et chacun partage ses expé-riences avec la volonté de servir l’intérêtgénéral. Il règne enfin une cohésion quiva permettre, je l’espère, d’avancer sansperdre de temps, sans se disperser etsans dépense d’énergie inutile. Ce re-nouvellement était pour moi important.Non seulement cette nouvelle équipecompte des femmes et des hommes, àparité presque égale, mais elle est com-posée aussi de jeunes et de moinsjeunes, comme de personnalités dont lesprofils et les compétences se complètentce qui est, à mes yeux, essentiel pour af-fronter les défis qui nous attendent dansle contexte d’incertitudes et de doutesque nous traversons. Par ailleurs, je suistrès heureux que parmi ces personnali-tés nombre d’entre elles aient choisipour la première fois de s’investir pourla communauté en s’engageant en fa-veur du Consistoire.

IJ : La parité hommes-femmes au bureau del’ACIP est-elle une des manifestations visiblesdu renouvellement que vous évoquiez ?

JM : C’est effectivement la premièrefois que sur 26 administrateurs 10femmes, au lieu de 7 précédemment,

siègent au conseil mais c’est surtout lapremière fois - sans compter le Présidentet le Grand Rabbin de Paris qui y figu-rent de droit -, qu’il y a la paritéhommes-femmes au bureau de l’ACIP.Les femmes sont non seulement desmembres à part entière de nos commu-nautés et des actrices majeures du ju-daïsme, mais elles sont concrètement etquotidiennement engagées partout etdans tous les domaines. Elles agissentsur tous les fronts. Je trouve pour mapart formidable que dans cet exercice dedémocratie directe - auquel se livre leConsistoire de Paris tous les 4 ans pourélire ses administrateurs-, les électeursaient naturellement choisi de faireconfiance à des femmes en ne prenanten compte que leur engagement et leurcapacité à agir pour le bien commun !Lorsque j’ai sollicité des candidatures fé-minines pour leurs compétences, j’avaissouhaité prolonger le processus de mo-dernisation de nos structures mais sur-tout améliorer la représentativité visibledes femmes parce qu’elles ont beau êtretrès présentes sur le terrain, elles agis-sent avec une telle discrétion que tropsouvent leurs actions paraissent aller desoi, sans qu’il soit besoin de les valoriserparce que cela relève de l’évidence.C’est à tort que l’on se figure donc unpeu trop facilement que la place desfemmes est négligeable ou absente dumonde orthodoxe ! L’orthodoxie n’estpas la négation de la femme et encoremoins la contradiction flagrante de lamodernité. Je refuse que soient stigma-tisés comme rétrogrades ou archaïquesles hommes et les femmes qui viventconformément à la Halakha. J’en veuxpour preuve justement ces élections quiconcrétisent une logique à l’œuvre dansnotre institution et qui se traduit par laforte proportion de femmes élues. L’or-thodoxie a toujours intégré la logique duchangement, non pas pour se conformer

à une modernité arbitrairement dictéede l’extérieur ni par conformisme am-biant, mais dans le but d’accompagnerles inévitables modifications de nos sociétés et surtout leur progrès. C’estpourquoi la notion de mouvement,d’adaptation est capitale dans le Ju-daïsme où la fidélité signifie le contrairede l’enfermement et de l’immobilisme.

IJ : Vous aviez été l’un des premiers à mettrel’accent sur la nécessité de préparer la relèvedu leadership, la question est-elle plus que ja-mais d’actualité ?

JM : Il y a au moins trois raisons qui,en plus du défi que nous pose ces der-nières années l’Alya, nous obligent à in-tensifier nos actions en faveur de larelève du leadership. Il est importanttout d’abord de bien comprendre qu’ils’agit d’un enjeu majeur qui neconcerne pas seulement le Consistoiremais toutes les structures juives, quellesqu’elles soient et sans exception, dans lamesure où il touche toute la commu-nauté. La situation est la suivante trèssimplement : la communauté juive fran-çaise a connu un formidable élan avecl’arrivée des juifs d’Afrique du Norddans les années 60. Cette population quiavait tout perdu représentait une vérita-ble génération de bâtisseurs où la pro-portion de leaders communautairesimpliqués était de fait très importante.Ces bâtisseurs ont vieilli et leurs enfantsont relevé d’autres défis pour s’intégrerau mieux dans la société française enlaissant leurs parents s’investir totale-ment dans le domaine communautaire.Parallèlement, les communautés ontconnu un net repli notamment en pro-vince mais aussi dans les banlieues etquartiers de Paris jugés de moins enmoins sûrs pour les juifs. Les crispationsd’une laïcité de combat, mais surtout lesattentats islamistes et la flambée d’anti-sémitisme qui les ont suivi ont bien sûr

Joël Mergui : oser le judaïsme pour lÊavenir

Interview

Après l’élection de 13 nouveaux adminis-trateurs en novembre dernier, Joël Merguia été réélu, ce 8 janvier, Président duConsistoire de Paris à la quasi unanimité

des voix. A cette occasion il s’est entretenuavec Information juive sur l’actualité duConsistoire et la situation des juifs enFrance.

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6 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

accéléré l’Alya déjà en forte progression.Vieillissement de la population et déser-tification des petites communautés conju-gués à la crise du bénévolat chez lesjeunes avec le fait qu’aucune populationjuive extérieure ne viendra plus irriguermassivement la communauté juive fran-çaise, conduisent au constat suivant : enl’absence de recrutement et de formationde nouveaux leaders, la communautés’expose au défi de la transmission de sesvaleurs, de sa vitalité mais aussi de sa re-présentation. Voilà pourquoi nous allonsporter encore plus nos efforts sur : l’attrac-tivité de l’engagement communautaire,son enrichissement au niveau individuelet collectif, la formation et la mise à dispo-sition d’outils modernes et efficaces demanagement, de communication, d’en-seignement et de réappropriation de notreidentité collective à destination de toutescelles et ceux qui veulent ou attendent depouvoir revenir à leurs racines juives,grâce à notre aide. C’est dans cet espritque j’ai d’ailleurs mis en place pour la pre-mière fois une commission spéciale dé-diée à ce retour que j’appelle « l’Alyaintérieure » et à laquelle nous devons touscontribuer au travers de programmes quiferont vivre notre patrimoine cultuel etculturel, à l’image de celui que nousavons intitulé « Vive notre patrimoine ! »Je souligne d’ailleurs l’extraordinaireréussite de la ‘Hazac, le mouvement dejeunesse consistorial de soutien aux pe-tites communautés, que j’ai initié audébut de mon premier mandat.

IJ : parmi les jeunes administrateurs de votrenouvelle équipe figurent d’ailleurs plusieurs «anciens » de la ‘Hazac.

JM : Tout à fait. Nous devons compren-dre les besoins particuliers de nos jeunes,ne pas se couper d’eux, les aider, nous en-richir d’eux, mais aussi leur permettre des’engager durablement au sein de la com-munauté de manière non seulement àconstituer la future relève communautairemais aussi à pérenniser le judaïsme fran-çais. La ‘Hazac est un programme quifonctionne très bien et qui a porté sesfruits de façon très concrète. Ce n’est pasun hasard si le plus jeune administrateurde l’ACIP aujourd’hui n’a pas 30 ans, toutcomme la plus jeune administratrice élueen 2013 ! Tous deux se sont formés à la‘Hazac, ils y ont appris toutes les problé-matiques de la communauté juive auquotidien et sur le terrain ! Confrontés àla diversité des problèmes, ils ont appris àtrouver des soutiens et des solutions, touten construisant en parallèle leur vie de

couple et leur réussite professionnelle.Preuve une fois de plus que l’on peut êtrefidèle à la Halakha et être totalement ins-crit dans la modernité et la société d’au-jourd’hui ! Véritable fabrique denouveaux leaders, la ‘Hazac va se déve-lopper mais d’autres projets doivent voirle jour sur la même thématique de latransmission et du renouvellement. Il n’ya pas de thèmes qui doivent nous laisserindifférents. Nous sommes et devons tousêtre concernés par tout ce qui touche auxjuifs et au judaïsme ! C’est l’une des raisons d’être du Centre Européen du Judaïsme dont la vocation est aussi d’ac-compagner la mutation et la réorganisa-tion du Consistoire du XXIe siècle. Sonrôle central nous permettra dès son ouver-ture cette année de mieux répondre aux

attentes de la communauté à tous les ni-veaux, individuellement et collective-ment, à Paris comme en région, au niveaunational et européen. J’insiste d’ailleurssur le fait que c’est parce que nous avonsune identité juive bien affirmée, que rienne nous laisse indifférent. Nous avonsnotre part dans tous les grands sujets desociété et le Consistoire - au nom du ju-daïsme - est régulièrement consulté, poursa vision singulière sur toutes les grandesproblématiques de notre temps, les débatssur la bioéthique, le numérique, le déve-loppement durable, la laïcité ou l’égalitédes chances en sont des exemples parmid’autres.

IF : Comment définiriez-vous l’état d’esprit dela communauté juive française aujourd’hui ?

JM : Il est paradoxal et lié à une situationtotalement inédite. D’un côté le quotidien

est vécu avec un mélange d’inquiétude etde vigilance exacerbée en raison desrisques d’attentats, du climat d’insécuritélié à l’antisionisme et à l’antisémitisme quiaugmentent au lieu de décroître. Beau-coup d’entre nous partent ou s’interro-gent. D’un autre côté, la communauté estpleine de vitalité, elle se développe, s’épa-nouit, des restaurants et des commercescasher s’ouvrent, les associations tour-nent, le retour aux sources juives s’inten-sifie, on rénove à Paris, à Lyon ou à Troyeset on construit aussi bien à Courbevoie,qu’à Amiens ou La Rochelle. Je suis per-suadé qu’une grande partie de la commu-nauté est entrée en résistance contre lamorosité, contre tous ceux qui voudraientnous voir démissionner ou vivre paralyséspar la peur. Les juifs ont été victimes de lashoah qui a failli nous anéantir en Europemais pour autant nous ne formons pas unpeuple de victimes, bien au contraire.Lorsque l’on érige comme nous le faisons,la vie comme un don unique à préserveret à transmettre, c’est un monde d’espoiret une infinité de possibilités d’action quis’offrent à nous.

IJ : Que vous évoque justement le traitementplus que surprenant du meurtre antisémite deSarah Halimi ?

JM : C’est une situation intolérable, pourla famille bien-sûr et pour tous les juifsmais aussi pour la communauté natio-nale, car cela révèle un dysfonctionne-ment qui en dit long sur l’absenceprofonde de consensus sur l’antisémi-tisme et les moyens de le combattre. Cequi est non-dit ou insidieux est très diffi-cile à affronter avec succès. La mauvaisefoi, la mauvaise volonté et l’indifférenceconstituent de vrais soutiens au terrorismequ’il ne faut pas négliger car elles lui per-mettent de prospérer sinon de rester im-punis. Or, il y a des choses dont il faut êtresûr, dont il n’y a pas lieu de douter une se-conde et parmi celles-ci l’antisémitisme fi-gure au premier plan. La raison en estdouble : il met en cause une des plus pe-tites minorités du monde, totalement in-tégrée et sans problème, mais aussi parceque l’histoire nous a donné maints exem-ples des catastrophes qu’il a engendréeset révélées. J’espère que la juge en chargedu dossier suivra enfin la requête du pro-cureur pour requalifier les faits et ajouterla circonstance aggravante d’antisémi-tisme qui s’impose de fait.

IJ : A ce propos, que vous inspire le projet deséditions Gallimard de rééditer les « pamphletspolémiques » de Céline ?

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JM : C'est encore une fois une banalisa-tion de l’antisémitisme ! La question a étédébattue lors du premier conseil de l’an-née du Consistoire Central. Nous avonsbien entendu été opposés à la rediffusionde ces écrits qui sont, non pas « polé-miques, » mais totalement antisémites !On peut aimer ou pas le style littéraire decet auteur mais au point de le faire figu-rer au panthéon de la littérature fran-çaise, il y a une limite que la haineantisémite interdisait hier de franchiret que l’on semble vouloir enjamberallégrement aujourd’hui ! Pas plus quel’antisémitisme n’était hier une opi-nion politique - si l’on en croit un vraimonument de la pensée françaiseJean-Paul Sartre - la littérature anti-sémite n’est de la littérature. En pleinepériode de recrudescence de la hainedes juifs, cet sorte d’hommage pos-thume me paraît plus que dangereuxvoire douteux, même accompagnéd’une pudique mise en garde d’ac-compagnement ! La question véritableà mes yeux, c’est pourquoi ? Pourquoice qui faisait hier consensus contre la publication ne le fait plus au-jourd’hui ? La « Littérature, » autre-ment dit l’art, voire le profitsuffiraient-ils à rendre la haine antisé-mite acceptable ? Derrière cette ques-tion se profilent des choix de sociétéqui ne peuvent et ne doivent pas nouslaisser indifférents car une fois deplus, ce qui touche les juifs finit tou-jours par revenir en boomerang surl’ensemble de la société. C’est pour-quoi je suis satisfait que Gallimard soitrevenu sur sa décision de publication,mais il faut rester vigilant sur cettequestion qui n’est hélas pas close àmon avis.

IJ : Quels sont les enjeux que la commu-nauté aura à affronter selon vous dans lesannées à venir ?

JM : Ils seront indubitablement nom-breux, sans compter ceux que nous neconnaissons pas encore et qui se pro-filent à l’horizon. Jérusalem et Israëlseront bien sûr encore au centre denombreuses polémiques qui ne man-queront pas de rejaillir sur tous lesjuifs du monde entier et sur leurs ins-tances représentatives. Pourtant enFrance, comme nous avons fêté le ju-bilé de Jérusalem, nous fêterons fière-ment les 70 ans d’Israël qui contribueà faire avancer le progrès et l’huma-nité partout dans le monde par ses en-gagements, ses succès médicaux,

technologiques, intellectuels ou artis-tiques. J’espère qu’à l’occasion du déménagement de l’ambassade amé-ricaine à Jérusalem, la France et lesautres pays européens comprendrontque la vérité historique est un facteurde paix et que bientôt leurs représen-tations diplomatiques s’installerontelles aussi au cœur de la capitale is-raélienne. Nier le passé juif de Jéru-salem ou la légitimité des juifs à vivresur leur terre en Israël ne favorise riend’autre que la duplicité et le men-songe et ceux-là finissent toujours parcoûter des vies et des années de retardde développement et de paix. Concer-nant la communauté juive française, ilest important que l’ACIP - qui repré-sente l’organe opérationnel le plus im-portant du judaïsme français, par lenombre de salariés, de bénévoles, de

services et de bénéficiaires- se ren-force davantage et réussisse le pari dela mutation qu’elle a entamée. C’estpourquoi j’ai souhaité que Jack-YvesBohbot et David Amar - arrivés en têtedu dernier scrutin grâce à leur solideexpérience et leur engagement - occu-pent des postes clés aussi bien auConsistoire de Paris qu’au ConsistoireCentral, car la cohésion des Consis-toires est une nécessité pour défendretoutes les facettes du judaïsme et agirpour l’épanouissement du judaïsmefrançais. C’est justement l’importancede l’ACIP, son unité et sa légitimitéd’acteur opérationnel quotidien quiassurent la stabilité de l’union detoutes les communautés juives fran-çaises. Son rôle moteur et son travailen synergie avec les Consistoires régionaux donnent au modèle consis-

torial tout le poids de ses responsabi-lités et de sa légitimité lorsqu’il s’agitde représenter et défendre les juifs etle judaïsme. Lorsque ce dernier n’estpas attaqué pour son attachementconsubstantiel à Jérusalem et son his-toricité juive, ce sont les juifs qui sontmontrés du doigt pour nos pratiquesreligieuses comme la cacherout, ou lacirconcision, voire notre mode detransmission via nos écoles, nos cen-tres de formations ou nos centres com-munautaires. C’est pourquoi il estessentiel que l’institution parisiennesoit garante de l’unité des communau-tés et de l’Union au niveau nationalcomme local. Le contexte politique etsocial actuel ne joue pas en notre fa-veur en raison du souci toujours invo-qué d’équilibre et de neutralité. Aforce de tout niveler pour vouloir à

tout prix une égalité proche de l’iden-tité, on en vient à vouloir uniformiserce qui ne peut ni ne doit l’être ! Aprèsl’amalgame et les affres de la penséeunique, nous aurons je le crains, àsouffrir d’un mode de vie unique nor-mateur. Tout ce qui touche à notre singularité historique, religieuse, cul-turelle, communautaire risque demaind’être remis en cause. Les moyens etles raisons invoqués dans le sensd’un progrès plus ou moins légitimepour les remettre en question nemanqueront pas, mais ces progrèsseront-ils toujours employés en pen-sant à ne pas faire du judaïsme unevictime collatérale ? Rien n’est moinssûr, c’est pourquoi nous devons res-ter en alerte tout en continuant ànous épanouir pleinement et fidèle-ment à nos valeurs.

“L’orthodoxie n’est pas la négation de la

femme ou de la modernité. La Halakha a

toujours intégré la logique du changement

et représente le contraire de l’enfermement

et de l’immobilisme.

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8 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

« C’est une figure familière, in-contournable et éminente du ju-daïsme français qui s’en va et quinous laisse tous orphelins »

Maurice Levy

« Votre père était un véritableprécurseur dans d’innombrablesdomaines, sachant les relier tousavec sagesse, mesure et discerne-ment à la Thora, au Peuple et à laTerre d’Israël, sans oublier le tactqu’il savait afficher dans les rela-

tions avec la cité » ( Lettre à MarcEisenberg, président de l’Allianceisraélite universelle )

Rabbin Shlomo Zini

« Savant érudit, rabbin charis-matique, il a laissé une œuvre im-portante. Josy Eisenberg n’est pasmort. Il vit dans le cœur de tousceux qui l’ont connu, admiré, es-timé ; j’en fais partie »

Carol Iancu, professeur d’université

« Le Grand rabbin présentaitchaque dimanche depuis 1962l’émission consacrée au judaïsmeet accompagnait ainsi les croyantsdepuis de longues années avecclarté et précision. Nous souhai-tons vous dire l’importance de sonlegs pour les téléspectateurs et leremercions de tout ce qu’il a punous apporter par ses interven-tions »

Caroline Got, Directrice exécutive de France 2

« La perte de votre père, admiréet respecté de tous, endeuilletoute la communauté juive, pourlaquelle il s’était tant engagée,ainsi que l’Etat d’Israël, qu’il sou-tenait avec force, détermination etfidélité »

Aliza Bin-Noun

« C’est aussi le départ du grandrabbin de toutes les communautéset pas seulement juives, pendanttant d’années. Il a été un artisaninfatigable de la diffusion du ju-daïsme, de la mise en avant de

JUDAÏSME FRANÇAIS

Depuis que le grand rabbin Josy Eisenberg nousa quittés, les centaines d’hommages ne cessentde parvenir à la direction de La Source de viemais également au fils du grand rabbin disparu,Marc Eisenberg, président de l’Alliance israéliteuniverselle. Des hommages rendus par des per-sonnalités, au premier rang desquelles celui deM.Emmanuel Macron président de la Répu-blique. Nous avons voulu de notre côté dire n’impor-tance que revêtait, à nos yeux, l’œuvre excep-tionnelle réalisée, durant des décennies, à latélévision mais également par ses nombreux ou-

vrages notre ami, aujourd’hui disparu. Il savaitmieux que personne, semaine après semaine,mettre en lumière les aspects universels du ju-daïsme. Nombre de téléspectateurs, juifs ou pas,lui doivent d’avoir découvert les aspects philo-sophiques, religieux, spirituels et musicaux dujudaïsme.C’est de cela qu’Information juive a voulu témoi-gner par la publication, ici, de quelques hom-mages rendus à la mémoire de Josy.

Monsieur le grand rabbin, vous nous manquerez.Vous nous manquez déjà !

Lettres à La Source de vie

La mémoire du grand rabbin Josy Eisenberg :

M. Emmanuel Macron

« J'apprends avec tristesse la mort d'une grande âme du ju-daïsme français : Josy Eisenberg.

Pendant un demi-siècle, il n'a cessé de puiser à la source de vied'une spiritualité à mesure humaine, et de transmettre avec bien-veillance et simplicité toutes les facettes de la pensée juive. Luiqui avait connu la guerre et les persécutions fut un homme d'ou-verture, de réconciliation et de tolérance. Il présentait chaque di-manche le visage souriant d'un judaïsme tourné vers le dialoguedes sagesses. »

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 9

grands penseurs qui captaient lesauditeurs, qui ont su grandir ets’élever, grâce à lui »

Jean-Pierre Meyers

« J’ai été touchée par son érudi-tion, son humour, son ouvertured’esprit et son hospitalité… J’es-père que celles ou ceux qui luisuccèderont sauront être à la hau-teur de sa capacité à vulgariser lesconnaissances du monde juif enprésentant un judaïsme intelli-gent et respectueux de tout unchacun »

Sonia Sarah Lipsyc

« La nouvelle, reçue juste avantShabbat, a comme marqué unerupture en mon âme. Josy, la sa-gesse malicieuse, l'érudition gour-mande, son accueil, son humilité,son indulgence inattendue enversma petite personne -comme dureste avec toutes les autres de cemonde-, ses clartés sur tout, et sacurieuse soif de vivre, si rabbi-nique au fond, sa liberté …… Josyn'était pas un "Rabbin Pop", c'étaitjuste un penseur de premier plan,et un Mensch comme il y en aurade moins en moins »

Ariel Wizman

Extraits :Lettres de téléspectateurs

« Les rendez-vous du dimanchematin avec le rabbin Eisenbergétaient toujours passionnants,enrichissants pour moi chré-tienne et source de cheminementspirituel. J’ai appris à connaître,à comprendre un peu le ju-daïsme. Merci pour ce partagedominical »

Annie Kirsch

« Je suis catholique et catéchisteen collège. Je tenais à vous fairepart de ma tristesse à l’annoncedu décès de M. le rabbin Eisen-berg dont je suivais les émissionset dont j’appréciais la science, latolérance et la charmante ironie

parfois. Il me manquera car il étaitune référence pour ma connais-sance de la Bible et ma propre foi.Qui saura le remplacer ? »

Mme Choquet

« J’ai grandi à Nîmes, ville duSud de la France, sans vie juiveorganisée. Le grand rabbin JosyEisenberg a été, pendant de nom-breuses années, mon seul lienavec le judaïsme. Jusqu’à ce jour,je lui dois beaucoup »

Rahel Shor

« Très touché d'apprendre la dis-parition de Josy Eisenberg, dontl'émission dominicale sur France2, était humaniste et passionnantepour les croyants et les autres... »

Marc S., un croyant

« C’est une triste semaine quinous voit privés de deux figuressages et lumineuses, de celles quinous réconfortent par leur érudi-tion et qu’on aimerait éternelles.

Nous perdions un écrivainlundi, nous perdons aujourd'huiune fenêtre vers une partie denotre identité d’homme.

Combien ai-je appris sur le ju-daïsme grâce à vos émissions do-

minicales, Docteur Eisenberg !Avec quel pincement entendrons-nous dimanche matin la petitemusique douce et apaisante quiannonce vos conversations !

Grâce à vous j’ai lu, un peu, surle judaïsme,

Grâce à vous j’ai appris, un toutpetit peu, d’hébreu il y a bienlongtemps,

Nous sommes bien tristes cesoir…. »

Olivier, Lille.« Je viens d’apprendre le décès

du grand rabbin Josy Eisenberg C’était un homme vrai, un Eme-

rek, un MenschLe peu que je sais du judaïsme,

c’est en partie grâce à lui.Il restera toujours dans mon

cœur. »Jean

« Bonjour à toute l’équipe desource de vie.

Je viens d’apprendre le décèsde Monsieur le Rabbin Josy Ei-senberg et je voudrais vous témoi-gner de ma profonde affliction, dema grande reconnaissance pourles enseignements reçus et poursa délicate douceur qui a provo-qué en moi une sincère affectionpour sa personne qui me man-quera infiniment.

Aussi je vous prie d’acceptermes plus sincères condoléancesainsi que mes remerciements.

Un téléspectateur chrétien quiregardait son émission tous les di-manches matin »

Pierre Desbordes

« Je suis depuis le début sonémission ce qui me fait toujoursréfléchir, osciller et comprendrema « catholicité ». Originale !Condoléances à la grande familledes justes »

Anne

Messages sur Facebook

- Nathalie Sosna-OfirRav Josy Eisenberg za’l…petite

et ado, je le regardais religieuse-

Le grand rabbin Josy Eisenberg

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10 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

ment chaque dimanche matin avecmon père évoquer le talmud, la ha-lacha…une partie de l’enfance quim’échappe…..

- Sylvie HanoverC’est toute ma jeunesse au talmud

thora, il était jeune et beau et nousenseignait l’histoire du peuple juif àla synagogue rue Ste Isaure Paris18ème. Il va trop nous manquer ledimanche matin. Qu’il repose enpaix.

- Sandrine SzwarcLe grand rabbin Josy Eisenberg

nous a quittés. Le judaïsme éclairéd’expression française est orphelin.

- Rivka Mendelbaum KarpeIl m’a aidé à aimer ma religion de

façon simple et avec lui je compre-nais tout. Quelle tristesse

- Guillaume GueguenJe me souviens que justement je

le regardais toutes les semainesquand j’étais en poste à Nevers, làoù il ne doit même pas y avoir dequoi réunir un minyan….

- Marlène YaicheIl nous a nourrit pendant des

années des richesses de la torahsuscitant toujours l’intérêt duspectateur par la clarté de ses pré-sentations utilisant parfois l’hu-mour. Un homme de transmission.

- Jacques OzielQuand j’étais petit pour moi un

vrai juif c’était Josy Eisenberg !!!Que de dimanche devant sonémission…..

- Joëlle SalamaIl restera dans mon cœur le

premier en liste des humanistesqui œuvra à ma perception dumonde depuis mes tous premierspas.

- Rebecca WengrowJosy Eisenberg, un jeune

homme au regard bleu qui vousperçait l’âme. Il était la source devie tous les dimanches matin de-puis…plus d’un demi-siècle, ilavait participé au scénario deRabbi Jacob aussi. Il m’avait ra-conté sa rencontre avec Albert

Cohen. Josy allait vite dans satête, à moto aussi…..

- Agnès Bensaid TopiolLes dimanches matins vont être

bien froids et silencieux sans savoix, son regard vif et pétillant,son humour et sa façon si person-nelle de questionner la tradition etde pousser dans leurs retranche-ments ses multiples invités…

- Be LaulOn a tous pris au moins une fois

notre café du dimanche matinavec lui. Il allait fêter ses 84 ansmardi prochain, H’ a décidé quela fête se ferait à ses côtés.

- Ariane AlimiIl était le bâton de Moïse du ju-

daïsme

- Ariel KandelJosy restera pour tous l’inven-

teur de la transmission moderneaudiovisuelle du judaïsme… desdizaines de milliers de juifs fran-çais sont restés proches de leuridentité juive à travers lui et grâceà lui. Il était leur source de viejuive.

Le grand rabbin Josy Eisenbergest décédé le 8 décembre dans saquatre-vingt-quatrième année. Il aété inhumé dans le cimetière deGuivat Shaoul à Jérusalem. Avecsa disparition, une page de l’his-toire du judaïsme français setourne. Pendant cinquante-cinqans (record absolu dans l’audiovi-suel européen), il a produit etanimé avec talent, intelligence etune immense culture les émissionsde télévision dominicales consa-crées au culte juif. Le Consistoireen était partenaire. Le défunt a faitentrer l’esprit et la lettre de la Torahdans de très nombreux foyers, juifsbien sûr mais aussi non-juifs. C’estl’ancien grand rabbin de FranceJacob Kaplan, dont Josy Eisenbergétait le secrétaire particulier, qui apermis à son jeune protégé d’alorsd’intégrer le service public.

Le président Macron et unefoule de personnalités ont saluéla mémoire du disparu,qui a parailleurs publié plusieurs ou-vrages sur l’histoire et la culturejuives. Le grand rabbin HaïmKorsia et Joël Mergui sont venusprésenter leurs condoléancesaudomicile de Josy Eisenberg lorsde la semaine de deuil organiséepar la famille.

C’est à la synagogue de la Vic-toire qu’il fréquentait depuistoujours que Josy Eisenberg areçu le 17 décembre un ultimehommage, à l’occasion de la cé-rémonie des chiva. Plusieurscentaines de personnes y ont as-sisté,parmi lesquelles l’ambassa-drice d’Israël Aliza Bin-Noun etles principaux responsablescommunautaires français.

Joël Mergui a retracé la car-rière rabbinique de « Josy » etsouligné son apport considérableà la compréhension de notre tra-dition par le grand public. Le cé-lèbre professeur strasbourgeoisArmand Abécassis a évoqué sesrelations intimes avec son « amiJosy », tout comme l’ex-conseil-ler de François MitterrandJacques Attali. L’humoriste et co-médien Michel Boujenah a re-laté trente-cinq ans d’échangespassionnés empreints de réfé-rences à la Torah mais aussi…aux blagues juives qu’adorait lerabbin « cathodique ». Enfin,David de Rothschild, qui a long-temps présidé le Fonds socialjuif unifié (FSJU), a exprimé sagratitude envers un homme qui lui a « donné le goût del’étude ».

Merci au grand rabbin Eisenberg !

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 11

Information juive : L’une des qua-lités de votre livre c’est que vousy procédez à des définitions aussiprécises que possible deconcepts auxquels il est fait réfé-rence dans le débat politique etdans la sociologie. De la citoyen-neté par exemple vous écrivezque c’est une histoire et non unprincipe donné une fois pourtoutes. Que voulez-vous dire ? Dominique Schnapper : Utiliser

des termes définis fait partie dumétier de sociologue dont le pro-jet intellectuel est d’être, sinonscientifique, du moins rigoureux.Je l’applique aussi consciencieu-sement que possible. C’est ainsiqu’on peut faire avancer laconnaissance rationnelle. Et l’onpeut espérer que cette connais-sance aide à la qualité du débatpublic… La difficulté, pour les so-ciologues, c’est que leurs

concepts – la pauvreté, la citoyen-neté, l’intégration, la mobilité, parexemple - sont aussi des mots dece débat public qui est constitutifde la démocratie. Les lecteurs onttendance à oublier la définitionprécise que nous utilisons et à seréférer à l’usage courant.

S’agissant de l’historicité de lacitoyenneté, cela signifie simple-ment que les manières dont leprincipe de la citoyenneté s’ap-plique concrètement n’ont cesséde se renouveler au cours dutemps. « Les citoyens » dits « ac-tifs » de la Révolution ne dési-gnaient pas les mêmes personnesqu’aujourd’hui, puisqu’ils avaientéliminé de la citoyenneté « ac-tive », les enfants, les femmes etles pauvres. Et ces citoyens « ac-tifs » ne nourrissaient pas lesmêmes aspirations que « les ci-toyens » d’aujourd’hui.

Lorsqu’ils ont voté pour la pre-mière fois en 1848, les paysans(alors la majorité de la populationfrançaise) ont été collectivementconduits par le seigneur au bu-reau de vote et on peut penserqu’ils ont voté comme il le leur di-sait. C’est assez loin des pratiquesd’aujourd’hui, vous en convien-drez.

I.J : L’expérience des juifs dansSeconde Guerre mondiale a mon-tré - dites-vous - que sans lesdroits du citoyen, les droits del’homme n’ont guère de sensconcret.D.S : Les droits de l’homme

sont abstraits s’il n’existe pasd’institutions pour les rendre ef-fectifs. Ils orientent le droit positifpuisqu’ils légitiment les disposi-tions juridiques qui les traduisentet leur donnent sens, mais, eneux-mêmes, ils ne protègent per-sonne s’il n’existe pas un Etat,

De la démocratie en FranceUn entretien avec Dominique Schnapper

ACTUALITÉ

Les Editions Odile Jacob ont raison de présenter Mme Dominique Schnapper comme « l’une des grandes voix de la pensée politique française ». Dans le livre qu’elle vient de publier sous le titre « De la démocratie en France », la fille de Raymond Aron, directrice d’étude à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, membre honoraire du Conseil constitutionnel, revient sur les grands thèmes qui sont aujourd’hui au cœur du débat public.Dans ce recueil, Mme Schnapper consacre de nombreusespages notamment à l’histoire des juifs et des musulmans maghrébins en France.De tous ces sujets Information juive s’est entretenue avec Dominique Schnapper.

“Les crises

d’antisémitisme

ont toujours

annoncé des crises

de la démocratie.

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12 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

doté de moyens coercitifs (MaxWeber parlait du « monopole de laviolence légitime »), pour imposerqu’ils soient effectivement appli-qués. Pendant la guerre, aucunEtat ne défendait les juifs.

I.J : Vous écrivez ceci à propos del’universalisme : « C’est par leurappartenance à une communautéparticulière que les hommes par-ticipent à une forme d’humanitéuniverselle ». Il y a là une réso-nance levinasienne. D.S : Je suis très sensible à

cette résonance… c’est rappelerque nous sommes des individushistoriques, situés dans le tempset dans l’espace, inscrits dans unehistoire et dans une culture héri-tée, et que c‘est par l’intermé-diaire de cette manièreparticulière d’être au monde quenous pouvons participer à uneuniversalité qui n’est pas uncontenu, mais un horizon et uneidée régulatrice. Et pas par uncosmopolitisme vide d’un être hu-main qui serait détaché de toutlien. Cette conception d’un indi-vidu totalement « dé-lié » estcontradictoire avec la réalité del’humanité qui est toujours « si-tuée ».

I.J : Vous définissez les socio-logues comme ceux qui « conti-nuent à penser les sociétés

modernes ». (« L’objet propre dela sociologie c’est de s’interrogersur la manière dont les hommesvivent et peuvent vivre ensem-ble » page 93). Naguère, j’avaisposé à votre regretté père (Ray-mond Aron) la question de savoirpourquoi les juifs s’étaient partoutbeaucoup investis dans cette dis-cipline. Quelle est votre propreréponse ?D.S : Je ne sais pas quelle

avait été sa réponse. Pour moi,tout d’abord, c’était une disciplinenouvelle, donc plus ouverte à desmarginaux que les disciplines in-tellectuelles les plus tradition-nelles. Ce fut aussi le cas d’autresprojets scientifiques ou culturels,ou encore de la psychanalyse etdu cinéma, par exemple. D’autrepart, les juifs, comme toutes lesminorités, sont plus susceptiblesde se poser des questions sur lasociété dans laquelle ils vivent. Lasortie des juifs des communautésen semi-autonomie d’avant la modernité politique et la citoyen-neté démocratique ont renduconscients les liens et les tensionsentre la tradition et le monde dé-mocratique. On respectait la tra-dition avant la modernité sansréflexion, comme un donné, allantde soi. La sortie du ghetto, pourreprendre l’expression de JacobKatz, a rendu conscients les liensnés de la tradition. La réflexion

sur le destin juif a directementconduit à l’interrogation sur l’or-dre social et la société démocra-tique elle-même. Aujourd’hui, aufur et à mesure que la disciplines’institutionnalise, la part des juifsdiminue.

I.J : Les juifs de France vivent au-jourd’hui sans doute une des plusgraves crises de leur histoire de-puis la fin de la guerre. C’est aupoint qu’un grand nombre d’entreeux n’ont plus confiance. Ils ontdu mal à percevoir ce que serademain leur avenir dans ce pays.Quel regard portez-vous au-jourd’hui sur cette communauté ?D.S : Pas seulement sur la

« communauté », c’est-à-dire lesorganisations juives, mais l’en-semble de la population juive. Ilest vrai que depuis le début desannées 2000 elle est confrontée àun antisémitisme sans précédentdepuis 1945. On comprend sa sur-prise et son désarroi. Beaucoupd’entre eux ont perdu de leurconfiance dans la République. Ilfaut toutefois ne pas oublier queles pouvoirs publics, qu’ils soientde droite ou de gauche, les défen-dent contre les passions sinistreset les dangers. Il ne faut pas ou-blier non plus que ce nouvel anti-sémitisme – qui n’a pas éliminépour autant l’antisémitisme plustraditionnel de l’extrême-droite -

“Nous sommes des

individus historiques,

situés dans le temps

et dans l’espace, inscrits

dans une histoire

et dans une culture

héritée. Raymond Aron

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 13

est une dimension du problèmeplus large, et grave, du fondamen-talisme musulman. L’antisémi-tisme d’une grande partie de lapopulation musulmane est un faitavéré. Celle-ci exprime d’autantplus de préjugés contre les juifsqu’elle a une pratique religieuseplus forte et cela est vrai mêmepour la population dotée d’un ni-veau de diplôme élevé, ce quiveut dire que des musulmans en-tièrement socialisés dans lesécoles de la République n’en sontpas indemnes. C’est effectivementtrès préoccupant, d’autant quecela s’inscrit dans une situationgéopolitique menaçante pour lesdémocraties.

I.J Comment expliquez-vous lefait que les juifs venus d’Afriquedu Nord mais aussi d’Europe del’Est se sont, dans les années 50et 60 du siècle dernier, intégrésplus facilement que les musul-mans aujourd’hui ? : Quelles diffi-cultés voyez-vous entre ce quevous appelez l’expérience histo-rique des juifs en France et cellede l’islam ?D.S : Les conditions histo-

riques et politiques ne sont pas lesmêmes. Les juifs ont fait partie del’histoire européenne, ils s’y re-trouvaient. Les principes qui or-ganisent l’ordre démocratique neleur étaient pas étrangers. Les mi-

grants musulmans étaient majori-tairement les héritiers de la situa-tion coloniale, avec toutes sesambigüités et ses injustices.

D’autre part, dans les années1950 et 1960, la situation écono-mique était brillante et l’on igno-rait le chômage. Et surtout lanation était alors plus confianteen elle-même et donc plus sus-ceptible de favoriser la participa-tion des nouveaux-venus àl’histoire et au récit national. Larepentance généralisée qui règneaujourd’hui et l’insistance sur lesdimensions sombres de l’histoirenationale, elle, même si elle estjuste, risque de faire des nou-veaux- venus des personnes quise vivent comme des victimes,animées par le ressentiment, etnon des acteurs désireux de pro-longer l’histoire collective.

I.J : Etes-vous de ceux qui pensentque l’islam n’est pas compatibleavec la démocratie ?D.S : Je suis universaliste et

je pense que tous les peuples peu-vent à terme devenir démocra-tiques. Mais ce n’est pas donné,c’est le produit d’une éducation àla démocratie. Les caractéris-tiques de la culture héritée peu-

“« L’objet propre de la sociologie c’est

de s’interroger sur la manière dont

les hommes vivent et peuvent vivre

ensemble »

Grand Sanhédrin en France

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14 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

vent rendre l’apprentissage néces-saire des pratiques démocratiquesplus ou moins difficile parce qu’ils’inscrit plus ou moins bien dansl’héritage. L’histoire montre que,dans les colonies par exemple, lesjuifs ont adopté plus rapidementles normes et les pratiques démo-cratiques que les musulmans.

I.J : On peut ne pas partager l’ob-servation que vous faites dansvotre enquête et selon laquelle« le projet de départ existe seu-lement parmi les juifs prati-quants ». Il semble que lesdifférentes attaques terroristesqui ont visé les juifs en particu-lier, la sociologie des départs ait,elle aussi, changé.D.S : L’observation que vous

citez portait sur le passé – les arti-cles réunis dans ce livre ont été

écrits à des dates qui sont préci-sées - et non sur les années ré-centes. Aujourd’hui, depuis ledébut du XXIè siècle, les projetsd’alyah concernent des juifs detoute obédience, pratiquants etlaïques. Beaucoup d’entre eux ontle sentiment qu’ils seront plus ensécurité en Israël qu’en France.C’est triste pour notre pays et in-quiétant pour l’avenir. Les crisesd’antisémitisme ont toujours an-noncé des crises de la démocratie.

I.J : Partagez-vous l’opinion deGérard Larcher, le président duSénat quand il dit : « La Francecourt le risque de l’islamisme ra-dical, pas celui d’une laïcité ra-dicale ».D.S : Oui. La laïcité n’a pas à

être qualifiée. Il faut veiller à cequ’elle soit respectée, c’est un

principe de liberté et de reconnais-sance de toutes les religions qui nesont pas contradictoires avec lesvaleurs communes de la liberté etde l’égalité de tous les êtres hu-mains – valeurs qui fondent la ci-toyenneté et l’ordre démocratique.Reste qu’il faut l’adapter aux nou-veaux problèmes qui se posent lorsde ses applications concrètes etnous savons que ce n’est pas tou-jours facile. Il faut s’adapter en res-tant ferme sur l’essentiel. Maisparler de laïcité « radicale » en pa-rallèle à la radicalité du fondamen-talisme musulman, c’est de laconfusion mentale.

I.J : Un jour, j’avais demandé àvotre père pourquoi il avait ététellement ému le jour où l’Uni-versité hébraïque de Jérusalemlui décernait le titre de DocteurHonoris causa, alors qu’il dispo-sait de titres honorifiques desgrandes universités à travers lemonde. Il m’a répondu : eh bien parce qu’il s’agit de Jérusa-lem. Comment comprenez-vouscela aujourd’hui ?D.S : Il se qualifiait lui-

même de « juif déjudaïsé », mais,même « déjudaïsé », il restait« juif ». Il avait une haute idée del’université. Et Jérusalem n’étaitpas pour lui une universitécomme les autres.

“Tous les peuples peuvent à terme devenir

démocratiques. Mais ce n’est pas donné,

c’est le produit d’une éducation à la

démocratie.

“Les juifs, comme

toutes les minorités,

sont plus susceptibles

de se poser des

questions sur la

société dans laquelle

ils vivent. Quartier Barbès à Paris

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 15

(…) La « Révolte arabe » de 1916,dont le Charif (c’est-à-dire descen-dant présumé de Mahomet) Husseinentreprend la préparation dès ledébut de l’année avec ses 1.500combattants à La Mecque, fissureral’État ottoman et ouvrira plusieursflancs dans les zones arabes, encoreque le Charif se montre extrêmementdéçu par l’absence de soulèvement àDamas ou d’insurrections druzes etbédouines en Syrie. Au moment delancer l’action, Hussein ignore en-core l’existence des accords Sykes-Picot. Il envoie son fils Fayçal àDamas nouer des liens avec les offi-ciers nationalistes arabes (qui avaientrédigé le protocole de Damas), sonfils Ali à Médine à la tête de 1.500hommes afin d’y affronter la garnisonottomane, tout en gardant auprès delui à La Mecque ses fils Abdullah etZeid.

Secondés par les Français et lesItaliens, les Britanniques relancenten mars 1917 la campagne en Pales-tine et, après deux échecs successifs

et six mois d’impasse, les troupes bri-tanniques, emmenées par le généralAllenby, parviennent à défaire lestroupes turques, le 31 octobre, au sudde la Palestine, à Beer-Sheba. (…)

Et c’est précisément ce 31 octobre1917 que le cabinet de guerre britan-nique résolut de diffuser la déclara-tion [Balfour] qui sera publiée par leTimes de Londres le 9 novembre1917. Par cette lettre, le Royaume-Uni prenait position en faveur del’établissement en Palestine d’unfoyer national juif, promesse qui seraactée au cours de la conférence deLondres-Paris (en 1919) avant d’êtreconfirmée par celle de San Remo(avril 1920) et officiellement enregis-trée lors du traité de Sèvres(août 1920).

La version définitive de la déclara-tion est très succincte : elle ne com-porte que soixante-sept mots. Il s’agitd’un bref courrier, daté du 2 novem-bre 1917 et adressé par Lord Balfourà Walter Rothschild, à charge pour ce

dernier de le transmettre à la Fédé-ration sioniste de Grande-Bretagne etd’Irlande du Nord. Le gouvernementbritannique promettait d’apporterson soutien à « l’établissement en Pa-lestine d’un foyer national pour lepeuple juif », moyennant toutefoisdeux clauses de sauvegarde rela-tives, d’une part, « aux droits civils etreligieux des collectivités non juivesexistant en Palestine » et, d’autre part,« aux droits et au statut politiques dontles Juifs disposent dans tout autrepays ». (…)

La déclaration évoque l’instaura-tion en Palestine d’un « foyer natio-nal » et non d’un État. Le recours àcette expression ambiguë était évi-demment délibéré. Or l’expression« foyer national » est une simple dé-claration de sympathie qui ne corres-pondait à aucun concept du droitinternational et se trouvait par consé-quent dépourvue de toute valeur ju-ridique. (…)

1917-1920

Si la « Révolte arabe » du charifHussein a éclaté à La Mecque enjuin 1916, c’est seulement enmai 1917 que son organisateur, l’of-ficier britannique T. E. Lawrence, futinformé par Sir Mark Sykes des dé-tails des accords Sykes-Picot du moisde mai 1916 prévoyant le démantè-lement de l’Empire ottoman après laguerre et le partage du monde arabeentre les deux Alliés.

(…)Les accords Sykes-Picot étaientrestés secrets et il fallut attendre laprise de pouvoir par les bolchevikspour que leur contenu soit dévoilépar la presse soviétique, les 23 et26 novembre 1917. (…)

Par Nathan Weinstock

HISTOIRE

Il y a exactement un siècle, le 2 novembre 1917, la Déclaration Balfour proclamait la Palestine « foyer nationaljuif » en se gardant bien de préciser ce qu’impliquait cetteformule.Dans un essai qu’il consacre à la Déclaration Balfour(Editions Bord de l’Eau ) l’historien Nathan Weinstock a vouluretracer la genèse, la portée et la conséquence d’une décision qui a contribué à modeler le Moyen-Orient actuel.Avec l’autorisation de l’éditeur et de l’auteur, nous publions ci-dessous un extrait de cet essai. Rappelons que NathanWeinstock a consacré de nombreuses études au conflit israélo-arabe et qu’il est membre du Conseil scientifique de l’Institut d’études juives près de l’Université libre de Bruxelles.

La déclaration Balfour,cent ans après

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16 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

(…) Ensuite, le 4 juin 1918, s’estdéroulé à Wadi Wahaida, en présencedu colonel britannique Joyce, un en-tretien cordial entre le dirigeant sio-niste Chaïm Weizmann et Fayçal. Cedernier signale alors qu’« à titre per-sonnel » il ne s’opposerait pas àd’éventuelles revendications juivesrelatives à la Palestine. Le 21 décem-bre suivant, au cours d’un banquetoffert au Ritz, à Londres, par LordRothschild, Fayçal affirmera d’ail-leurs publiquement qu’il y avait suf-fisamment de terres en Palestinepour les deux peuples, arabe et juif,et s’engagera à soutenir les revendi-cations juives en Palestine

(… ) Lorsqu’il comparut devant leconseil suprême de la conférence depaix, le 6 février 1919, Fayçal – quireconnut alors devant cette assem-blée qu’il ne contestait pas en tantque telles les revendications moralesde sionistes sur la Palestine – déclaraqu’en vertu du caractère universelque revêtait la Terre sainte il conve-nait de laisser provisoirement laquestion de côté afin que toutes lesparties concernées pussent y réflé-chir. Sans se déclarer fa vorable à ladéclaration Balfour, il refusait cepen-dant de la condamner.

(…) Au mois d’avril 1920, la confé-rence de San Remo confirmera etprécisera les accords secrets Sykes-Picot de 1916 en confiant à Londresdes mandats relatifs à la Palestine, àla Transjordanie et à la Mésopotamieet à Paris des mandats sur la Syrie etle Liban.

Chose frappante, le charif Husseinet son fils Fayçal – reconnus par touscomme étant les leaders de la « Ré-volte arabe » et du mouvement natio-nal arabe – se sont bien gardés demanifester une quelconque opposi-tion à la déclaration Balfour lorsqu’ilsen eurent connaissance.

L’accord entreFayçal et Weizmann

(…) On ne relève aucune protesta-tion arabe palestinienne contre la dé-claration Balfour au cours de l’annéequi suivit sa publication.

Cependant, l’année suivante, aulendemain d’un défilé organisé à Jé-rusalem par la commission sionistepour célébrer le premier anniversairede la déclaration Balfour, une déléga-tion de l’Association islamo-chré-tienne (AIC), dirigée par Musaal-Husseini, exprima publiquementson désaccord le 3 novembre. Elleremit au gouverneur militaire del’administration des territoires enne-mis occupés, Ronald Storrs, une pé-tition signée par plus d’une centainede notables, et dénonçant la manifes-tation. (…) .

Du 28 janvier au 8 février 1919,s’est tenu à Jérusalem le premiercongrès des associations islamo-chrétiennes dont les délégués enten-daient rejoindre la Grande Syrie envoie de constitution, mais lescongressistes s’abstiennent decondamner l’accord que Fayçal a

conclu avec Weizmann. Du reste, lesnationalistes palestiniens se gardentde désavouer Fayçal qui demeureleur porte-parole devant les instancesinternationales. Et on peut penserque celles-ci n’auraient jamais ava-lisé le contenu de la Déclaration Bal-four (le Président américainWoodrow Wilson menait campagnepour le droit des peuples à l’autodé-termination) si Fayçal, porte-paroledu nationalisme arabe, n’avait sou-tenu de manière répétée ladite décla-ration. Toutefois en Palestine même,l’opposition à la déclaration Balfourdonne alors lieu à une intense propa-gande nationaliste (diffusion d’unmanifeste intitulé « La Palestine estnotre pays »), bientôt suivie de slo-gans haineux et menaçants (« Le[fleuve] Yarmouk charriera du sang,mais la Palestine n’appartiendra pasaux Juifs »).

Le 3 janvier 1919, Fayçal et Weiz-mann se sont mis d’accord sur letracé de la frontière entre le Hedjazet la Palestine. L’accord prévoyait ex-pressément, en son article III, de« donner de plus amples garanties àl’exécution de la déclaration britan-nique du 3 novembre 1917 » (il s’agiten fait de la déclaration Balfour, datéedu 2 novembre).

Toutefois, cet accord sera rejeté parle congrès syrien (syro-palestinien)réuni à Damas au mois de juil-let 1919, qui refuse d’accepter que lacause palestinienne soit sacrifiée surl’autel de l’indépendance arabe. Tout

La version définitive

de la déclaration est

très succincte : elle

ne comporte que

soixante-sept mots.

“Arthur Balfour

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 17

À l’agitation politique nationaliste

succèdent à présent des pogroms

d’inspiration raciste au cours

desquels on s’en prenait aux

membres du Vieux Yichouv, sans

même se donner la peine de

masquer cette haine par des slogans.

en proclamant leur opposition à l’im-migration juive, les congressistess’engagent à accorder des droitségaux aux Juifs. Le congrès adoptecependant une charte nationale desArabes de Palestine qui interdit l’im-migration juive ainsi que toute acqui-sition foncière effectuée par des Juifs.

Cette orientation nouvelle et in-quiétante du nationalisme palesti-nien s’incarne dans la personne dedeux leaders : Amin al-Husseini etArif-al Arif. Mais il s’est égalementtrouvé des notables palestiniens, telAwni Abd al-Hadi – qui avait été lesecrétaire de Fayçal – pour partagerla ligne politique adoptée par ce der-nier, qui entendait privilégier lacause panarabe, fût-ce au détrimentdu droit des Palestiniens à l’autodé-termination. D’autres partagent l’opi-nion exprimée par le maire deJérusalem, Moussa Kazim Pacha al-Khalidi, dans un entretien du 8 octo-bre 1919, et se montrent opposés àtous droits qui seraient accordés auxJuifs.

Deux organes de presse palesti-niens fondés en 1918, al-Mountabaal-Adabi (Le Club littéraire) et al-Nadi al-arabi (Le Club arabe,branche d’al-Fatat) entreprennentalors une campagne virulente contreles Britanniques et les sionistes. (…).

La conférence pour la paix de Paris,

qui a débuté le 18 janvier 1919 pours’achever en août 1920, fut organiséepar les vainqueurs de la PremièreGuerre mondiale afin de négocier lestraités de paix entre les Alliés et lesvaincus. On ne savait que trop que laFrance désirait un protectorat sur laSyrie. Fayçal (que les Britanniquesavaient embarqué à cette fin sur unnavire de guerre) assistait à cetteconférence en tant que représentantdu roi Hussein. Il ne réclama cepen-dant pas une indépendance arabeimmédiate, se contentant de se pro-noncer en faveur d’un État arabesous mandat britannique, et s’abstintde toute revendication relative à laPalestine : « Les Arabes reconnaissentque de nombreux intérêts conflictuelssont centrés en Palestine. Ils admet-tent les revendications morales dessionistes. Ils considèrent les Juifscomme des proches parents dont ilsseront heureux de voir les justes re-vendications satisfaites ».

(…) Dans une lettre dictée au ma-gistrat juif américain Felix Frankfur-ter, le ler mars 1919, Fayçal réaffirmaà nouveau son appui au mouvementnational juif (« nous leur souhaitonsde tout cœur un retour au pays »). Ce-pendant, mis sous pression par lesnationalistes arabes, qui l’accusaientde trahison parce qu’il avait cédé à

Clémenceau sur la Syrie, Fayçal sesentit obligé de durcir sa position en-vers les Français.

En juillet 1919, le congrès syrien(syro-palestinien), réuni à Damas, re-jeta l’accord Fayçal-Weizmann, s’op-posant à l’idée d’un Commonwealth(communauté étatique) juif. Entre-temps, six mois s’étaient écoulés de-puis l’accord conclu entre Fayçal etWeizmann.

Et, le 27 novembre 1919, s’esttenue à Haïfa une assemblée quel’on devait désigner ultérieurementsous l’appellation de « deuxièmecongrès national palestinien » : lesparticipants exigent l’indépendancecomplète de la Syrie unifiée, y com-pris la Palestine. Au printemps 1920,Mohammed Izzat Darwaza, organi-sateur avec le maire de JérusalemAref al-Dajani du premier congrèssyro-palestinien à Jérusalem (qui seréunit du 27 janvier au 10 février1919), sera plus net encore : « Nousn’accepterons pas que la Palestinesoit sacrifiée sur l’autel de l’indépen-dance ». Mais ni le congrès nationalpalestinien ni les porte-parole natio-nalistes palestiniens ne songent àdésavouer Fayçal en tant que porte-parole de leur mouvement.

C’est au mois de mars 1920 que lecongrès (pan-) syrien proclamera

Chaïm Weizmann

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18 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

Fayçal roi de la Syrie unie (incluantla Palestine). Prenant désormaisconscience, d’une part, qu’il avait étéfloué sinon abandonné par Londres,et, d’autre part, de la force du courantnationaliste pan-syrien en Syrie et enPalestine, il opère alors une volte-facepolitique en exigeant à présent quela Palestine soit incorporée à la Syrie,dont il soutient à présent qu’elle enfait partie intégrante.

Ensuite, au cours des mois de marset d’avril 1920, de sanglantesémeutes éclatent à Jaffa ainsi qu’àJérusalem après la proclamation aumois de mars de l’indépendance dela Syrie unie (c’est-à-dire compre-nant la Palestine) par le congrès na-tional syrien. Aux cris de « ViveFayçal ! » et d’« À bas les Britan-niques », s’ajoutent ceux d’« Idbah al-yahoud » (« Égorgez les Juifs ! »). Et,lors du pèlerinage annuel de NebiMoussa, le 4 avril 1920, à Jérusalem,la foule fanatisée se lance dans « uneffroyable massacre de la populationdu quartier des Juifs orthodoxes »,pourtant notoirement hostiles au sio-nisme, aux cris d’« al-Yahoudna ka-labna ! » (« Les Juifs sont noschiens »).

La revue nationaliste Souriya al-Ja-noubiya (La Jeune Syrie), publiée àJérusalem, et avec l’aide de laFrance, sous la direction d’Arif al-Arifet de Hassan al-Budeiri, menaced’appeler au soulèvement, tout enajoutant : « La fin des étrangers estproche. Les Juifs seront noyés dansleur propre sang ».Et c’est un nou-veau bain de sang qui survient, eneffet, à Jaffa, en 1921, à l’occasion dela célébration, le 1er mai, de la fête dutravail par les travailleurs juifs (…)

Force est de constater que l’on as-siste ici à un tournant décisif dansl’histoire du nationalisme palestinien,annonçant les massacres à venir. Àl’agitation politique nationaliste suc-cèdent à présent des pogroms d’ins-piration raciste au cours desquels ons’en prenait aux membres du VieuxYichouv, sans même se donner lapeine de masquer cette haine par desslogans. Le sentiment national pales-tinien s’est mué en un mouvementde masse en proie à un délire natio-

naliste raciste qui va de pairavec l’éclosion d’une série desociétés secrètes palestiniennesextrémistes, dont La Main noire(al-Kaff al-Sawda), dont le butavoué consiste à « tuer l’escar-got sioniste, tant qu’il est encorejeune ». Le journal Souriya al-Janoubiya menace de « substi-tuer le glaive aux paroles et lesang à l’encre ».

À terme, cet extrémisme ra-ciste précipitera la partition dupays sur des bases ethniques,devenue inévitable face à lamontée des haines qui minenttoute perspective de coexis-tence.

La conférence de San Remod’avril 1920 confirmera et pré-cisera, comme l’on sait, les ac-cords secrets Sykes-Picot de1916, en confiant trois « man-dats » à Londres, relatifs respec-tivement à la Palestine –conformément à la positionqu’avait défendue Fayçal de-vant les instances internatio-nales -, à la Transjordanie et à laMésopotamie (Irak). Le mandataccordé à la France portait surla Syrie et le Liban.

Un tournant décisifdans l’histoire

L’accord conclu le 3 janvier1919 par Fayçal et Weizmannau sujet du tracé de la frontièreentre le Hedjaz et la Palestine,et avalisant la déclaration Bal-four moyennant l’obtention parles Arabes de leur indépen-dance, sera d’abord passé soussilence par les nationalistes palesti-niens. Il faudra attendre le mois dejuillet suivant pour la voir rejetée parle congrès syrien (syro-palestinien),réuni à Damas, opposition à laquellese rallieront tous les nationalistes pa-lestiniens qui refusent que « la Pales-tine soit sacrifiée sur l’autel del’indépendance ». (…).

Le double jeu des leaders nationa-listes palestiniens qui ont refusé dedésavouer publiquement Fayçal aulendemain de la Première Guerre

Mondiale - alors que ce dernier quiétait censé les représenter défendaitla Déclaration Balfour -, préfiguraitd’autres ambiguïtés qui allaient ca-ractériser la politique palestiniennepar la suite : telle que la tolérance ta-cite des ventes de terrains agricolesaux organisations foncières sionistespar les grands propriétaires absen-téistes arabes ou l’absence de miseen place des structures d’un futurEtat arabe palestinien en 1948 à laveille de l’évacuation du pays par lesforces britanniques. N.W

On ne relève aucune

protestation arabe

palestinienne contre

la déclaration

Balfour au cours

de l’année qui suivit

sa publication.

“Le roi Fayçal

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 19

Céline passa les der-nières années de savie à geindre et à ra-doter, déclinant di-verses versions de sa

cavale à travers l’Allemagne enruine, de son exil au Danemark etde son retour en France, obligé, lepauvre, de s’installer à Meudon.Il était la victime de la guerre, detoute la guerre, la seule victime,pauvre dupe des nazis, c’étaitpour le capturer, lui, Ferdinand,que les Américains avaient débar-qué et que l’Armée Rouge mar-chait sur Berlin. Fuyard, lâche,radin, Céline, rentré à la faveurdes lois d’amnistie, publiait livresur livre, répétant la même his-toire dans Nord, D’un châteaul’autre, Rigodon, pour récupérerun maximum d’argent, harcelantson éditeur de courriers quand lesà valoir ne lui suffisaient pas. Lesdizaines de millions de morts dela guerre n’avaient aucune impor-tance. Il n’y avait que Céline, safemme, son chat et son copain LeVigan, l’acteur délateur, l’ami dela Gestapo.

Gallimard ne rééditera pas lespamphlets antisémites de Céline,que la Lulu voulait lâcher à 105ans, pour que les ayant droit neperdent pas les derniers sousqu’ils peuvent rapporter avant lepassage dans le domaine public.

Madame Destouches a vécuplus d’un siècle, 5000 enfants juifsde France ont été assassinés,comme l’avait préconisé Célinedans ses ignobles pamphlets.Mais Céline est toujours une vic-

time, la preuve étant qu’on le cen-sure encore…

Les Kollabos pleurnichent de-puis août 1944, ils n’ont jamaiscessé. Indécents, minables, ilsn’ont de cesse de répéter que lesmartyrs, les vrais, ce sont les traî-tres exécutés, les Henriot, HeroldPaquis et autres Brasillach. Lessurvivants n’exprimèrent jamaisle moindre regret, ni Darquier dePellepoix dans son exil, ni Coston,qui continua à publier son ency-clopédie des juifs menant lemonde, jusqu’à sa mort à 101 ans,les ordures, finalement, ça vitvieux quand ça échappe au châti-ment.

En version chic , les Paul Mo-rand, les Jacques Chardonne per-sistèrent dans l’ignominieantisémite, sans jamais être in-quiétés. Morand fut-même élu àl’Académie Française, en 1969,

dès que le général de Gaulle nefut plus en mesure d’opposer sonveto, pour cause de démission.

Mais les antisémites sont, pardéfinition, des victimes.

La Nakbah, la vraie

Rien ne change. Des avocats,dont le métier est de défendre toutjusticiable, trouvent des oreillescomplaisantes quand ils alertentl’opinion sur le sort des pauvresdjihadistes français capturés enIrak, en Syrie et au Kurdistan…Le scénario est parfaitement céli-nien. Des millions de pauvresgens sont parqués dans les campsde réfugiés, traversent les désertset s’embarquent sur des rafiotspourris. On ne compte plus lesmorts de cette effroyable guerre,ni les blessés, les déracinés. L’EtatIslamique d’Irak et du Levant a

Les bourreaux sont toujours les victimes

Par Guy Konopnicki

CHRONIQUE

Les Kollabos pleurnichent depuis août

1944, ils n’ont jamais cessé. Indécents,

minables, ils n’ont de cesse de répéter

que les martyrs, les vrais, ce sont

les traîtres exécutés, les Henriot,

Herold Paquis et autres Brasillach.

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provoqué la plus grande catas-trophe de l’histoire du mondearabe et musulman, la Nakbah, lavraie, mais, comme l’on sait lemot est utilisé pour autre chose.

Les ruines s’étendent de l’Eu-phrate jusqu’au piémont duGolan, de villes entières sont ra-sées, les Kurdes, les yézidis et leschrétiens d’Orient ont été massa-crés systématiquement, des mil-liers de femmes et de fillettes ontété capturées, violées, torturées,mariées de force à des assassins.Mais les victimes seraient doncces pauvres Français prisonniersdes vainqueurs…

Qui sont-ils ? De petites fri-pouilles, souvent radicalisées enprison, des repris de justice, desminables, femmes et hommes, en-gagés par haine de la France etdes juifs. Et les voici, implorant laprotection de cet état de droitqu’ils entendaient abattre pourimposer leur version de la loi co-ranique, celle qui rend la justicepar la torture, le fouet, le sabre etla potence. Les voici donc, dansles geôles d’Assad et, pour lesplus chanceux, dans les camps defortune des combattants kurdes.

Comme autrefois les SA, les SS,les miliciens français, les dorio-tistes et les gestapistes, ces djiha-

distes ont été recrutés dans lesbas fonds. Des voyous, trafiquantsde drogue, voleurs, braqueurs,qui pourrissaient la vie des quar-tiers populaires de France avantde s’engager dans une légiond’assassins. Mais ce sont eux, lesvictimes ! Des pétitions circulent,et certains médias tendent lemicro aux avocats de ces pauvresenfants perdus. Il faudrait donc sepréoccuper d’une harpie, qui em-mena ses enfants sur le territoirede l’Etat islamique, afin qu’ilssoient, tôt, dressés au meurtre, àla manière des Jeunesses hitlé-riennes. Il faudrait soustraire lesmiliciens de Daesh à la justice despays arabes, qui appliquent lapeine de mort, conformément auxprincipes que les djihadistes en-tendaient faire triompher dans lemonde. Ils demandent à êtrejugés en France, dans ce pays oùils ont assassiné 263 personnesdepuis les attentats de janvier2015. Ce sont eux, les victimes,plus que les blessés, les orphelins,les familles endeuillées par les at-tentats, et qui affrontent toutes lestracasseries administratives dontla France a le secret pour obtenirun minimum d’aide et de sou-tien.Qui se soucie de cet enfantné après la mort de son père,

tombé sous les rafales en novem-bre 2015 ou de ces handicapés àvie grièvement blessés sur la Pro-menade des Anglais un soir de 14juillet…

Une impudeur insolente

La même histoire se répètetoujours. La cavale de Cé-line en Allemagne com-

mença lorsque les naziss’acharnaient encore à faire pas-ser les derniers convois de dépor-tés sur les voies ferréesbombardées. Mais il avait l’impu-deur insolente, Céline. Il parlaitde ses trains à lui et de Bébert,son chat, qu’il a failli perdre, sousles bombardements alliés, en garede Stuttgart. Cette même gare oùles rescapés des camps, couchés àmême le sol, devaient attendre letrain qui devait, enfin les rapa-trier. Faute de mieux, beaucouprentrèrent par les mêmes wagonsde bois qui les avaient emmenés.Il y avait seulement un peu plusde paille et des vivres, fournis à laCroix-Rouge par l’armée améri-caine. Un magnifique film d’Em-manuel Finkiel, reprenant le récitde Marguerite Duras, La Douleur,rappelle ce que furent l’attente etle retour d’un déporté politique…

“Comme autrefois les SA,

les SS, les miliciens

français, les doriotistes

et les gestapistes,

ces djihadistes ont

été recrutés dans les

bas fonds.

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“Comme hier pour

l’ex-Yougoslavie et le

Rwanda, les criminels et

leurs complices, engagés

dans les rangs de Daesh,

doivent être traduits

devant une cour

internationale de justice.

Des déportés à peine libérés fu-rent retenus en Allemagne, en rai-son des risques d’épidémie…Mais les écrivains français sepréoccupaient du sort de RobertBrasillach, rédacteur en chefd’une feuille délatrice, Je suis par-tout, condamné à mort. Brasillach,qui avait atteint le sommet del’ignominie, en demandant auxnazis de ne pas oublier les petits,lors des rafles de juifs de 1942.

Nous aurons, sans nul doute, debelles pétitions d’intellectuelsquand les Français du djihad se-ront traduits devant les tribunauxdes pays où ils cru régner par laterreur. Certes, ils n’auront pasdroit à un procès équitable,comme les terroristes palestiniensqui répondent de leurs crimes de-vant la justice d’Israël. Mais ceuxqui n’ont de cesse de réclamer lalibération d’un assassin, MarwanBargouhti, condamné pour avoirdirigé une vague d’attentats vi-sant des civils, ne diront jamaisqu’il a eu la chance d’être jugépar un Etat de droit, par une jus-tice farouchement attachée à sonindépendance, celle d’Israël. LaSyrie n’est pas en Etat de droit, lesterritoires libérés du Kurdistan nesont pas reconnus par la commu-nauté internationale. Ils sont

même lâchement abandonnés, lesKurdes, que la Turquie mitrailledans le dos, avec la bénédictionde la Russie. Le droit pourraitdonc amener la France à réclamerses ressortissants… Ne pouvantenquêter sur place sur l’implica-tion de chacun, nos magistrats de-vraient se contenter de le jugerpour association de malfaiteurs enliaison avec une entreprise terro-riste. Ce serait une insulte pourles dizaines de milliers de vic-times directes de Daesh, pour lesmillions de victimes de cetteguerre.

Héroïsme

Français ou non, les djiha-distes sont complices ou au-teurs de crimes de guerre

et, même, s’agissant des viols demasse et de l’extermination desyézidis et des chrétiens, de crimescontre l’humanité. La justice fran-çaise n’est pas compétente pourjuger de crimes de cette nature.Comme hier pour l’ex-Yougoslavieet le Rwanda, les criminels etleurs complices, engagés dans lesrangs de Daesh, doivent être tra-duits devant une cour internatio-nale de justice. La communautéinternationale doit cette justice

aux victimes. La France, dont prèsde deux mille ressortissants sontpartis s’enrôler dans les milicesd’assassins, se grandirait en pre-nant ses responsabilités de mem-bre du Conseil de sécurité desNations Unies. Les assassins en-rôlés par Daesh ne sont pas desimples délinquants, moins en-core des enfants perdus de la Ré-publique. Ce sont des criminelsde guerre et ils doivent être jugéscomme tels.

Las. A peine achevée, l’équipéesanglante de Daesh semble déjàoubliée. Les victimes n’ont pas dechance. A quelques kilomètresprès, la moindre égratignure faitun héros. Les charniers de Syrieet d’Irak ne sont pas tous recou-verts, on retrouve chaque jour descadavres dans les décombres. Deshommes, des femmes, des enfantsmeurent chaque jour, dans lesruines, les camps de réfugiés, surles routes de l’exil et sur les mers.Mais la grande héroïne de cetterégion est une gamine de Cisjor-danie qui a osé insulter et giflerdes soldats israéliens, assez disci-plinés pour observer les consignesde modération et ne pas répondreaux provocations. Frapper un juifest un acte d’héroïsme, forcé-ment ! GK

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22 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

La Vie du Consistoire

Réélection de Joël Mergui à la Présidence du Consistoire de Paris

Joël Mergui a été réélu à la présidence du Consistoirede Paris, ce lundi 8 janvier 2018, par le premier Conseildes administrateurs franciliens statutairement recom-posé à la suite des élections du 26 novembre dernier.

Pour mémoire, les adhérents de l’ACIP procèdent tousles 4 ans au renouvellement par moitié des 26 membresdu Conseil qui constituent l’organe décisionnel de l’ins-titution créée par Napoléon 1er pour représenter le cultejuif à Paris-Ile-de-France.

Ce premier Conseil de la mandature 2018 est marquépar un profond renouvellement de l’équipe dirigeantelargement féminisée et rajeunie puisque le plus jeunedes administrateurs n’a pas 30 ans.

10 femmes siègent désormais au Conseil aux côtés deleurs homologues masculins et du Grand Rabbin deParis pour prendre des décisions qui engagent la com-munauté juive francilienne sur des sujets comme l’édu-cation religieuse, la cacheroute, le patrimoine, lasécurité, les finances, la solidarité, la mémoire, les ser-vices religieux et le Centre Européen du Judaïsme.

Dans son premier discours à l’issue de sa réélection àl’unanimité moins une voix, Joël Mergui a renouveléses remerciements aux membres de sa nouvelle équipepour leur enthousiasme à servir le Judaïsme français,à défendre chaque juif et pour leur détermination àengager plus avant la mutation du Consistoire duXXIe siècle.

En 2013 et 2017, lors des deux dernières campagnesélectorales, 22 des 26 administrateurs élus ont soutenuavec Joël Mergui la nécessité d’un Consistoire en mou-vement, uni et fort pour : faire face aux besoins de laplus grande communauté juive d’Europe ; défendre laliberté religieuse ; assurer une plus grande proximité etune amélioration de la qualité de l’offre de servicesconsistoriale ; lutter contre l’antisémitisme et promou-voir le Centre Européen du Judaïsme, dont l’inaugura-tion est prévue cette année.

A l’ordre du jour du premier Conseil de cette nou-velle mandature, il fut également procédé à l’électiondu Bureau (voir ci-dessous) dont la paritéhomme/femme représentait un signal fort à destina-tion de la communauté juive.

Joël Mergui a aussitôt redéfini les objectifs de chaqueCommission de travail (voir ci-dessous) qui ont déjàcommencé à se mettre au travail sur les différentes thé-matiques tels que le progrès, la modernisation et l’amé-lioration des services consistoriaux.

La délégation des représentants du Consistoire deParis au Consistoire Central a également été constituéeet un hommage précédé de paroles de Torah du GrandRabbin de Paris fut rendu à toutes les victimes des at-tentats de 2015.

Le 16 janvier, le conseil des présidents de communau-tés locales franciliennes fut l’occasion de présenter les nouveaux élus et les responsables des commissionsainsi que le dayan Benyamin Chelly, membre du Beth Din.

Élection du Bureau

Président : Joël Mergui

Conseiller du président : Daniel Vaniche

Vice-Présidents : David Amar - Sammy Ghozlan - Elie Korchia - Murielle Schor

Trésorier : Jack-Yves Bohbot

Trésorière adjointe : Vanessa Dahan

Secrétaire rapporteur : Max David Ghozlan

Secrétaire rapporteur adjointe : Claude Haik

Ordonnateurs des dépenses : Anne Laurence Breton - Martine Mimoun

Membre : Elisabeth Steiner

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La Vie du Consistoire

- Commission Affaires religieuses - Cacherout - Abattage rituel : David Amar

- Commission Communautés : Jack-Yves Bohbot

- Commission Talmud torah – Ecoles - Educationjuive : Anne Marie Boubli - Colette Chiche

- Commission Communication :Patrick Bunan en charge du Numérique et des Systèmes d’InformationPascal Karsenti en charge des Editions CommunautairesMichel Gurfinkiel

- Commission Centre Europeen du Judaïsme :Daniel Vaniche - Alexandre Elicha - Murielle Schor

- Commission Juridique : Elie Korchia

- Commission Antisémitisme, Antisionisme et Sécurité :Alex Buchinger

- Commission de la Famille : Elisabeth Steiner

- Commission des Relations avec les autres cultes : Michel Gurfinkiel

- Commission Adhésion – Dons et Solidarité : Martine Mimoun

- Commission Judaïsme et Société : Alexandre Elicha

- Commission Finances : Vanessa Dahan

- Commission Alyah intérieure – Accueil et animationdes communautés : Sam Attia (Président Acip St-La-zare 9e) - Jacques Hubert Gahnassia (Président AcipVauquelin 5e) - Claude Haik

- Commission Formation : Colette Chiche

- Commission Jeunesse : Sarah Tellouk

- Commission Relève communautaire – Hazak :Emmanuel Cohen

- Commission Israël : Anne Marie Boubli - SammyGhozlan - Sabine Roitman - Daniel Vaniche

- Commission Sociale – Secours juif et générosité : Vanessa Dahan - Anne Laurence Breton

- Commission du Dernier Devoir – Hevra Kadicha : Serge Benhaim (Président Acip La Roquette 11e)

- Commission Travaux : Albert Elharrar (Président Acip Créteil)

- Commission Relations avec les communautés associées et autonomes : Albert Elharrar

- Commission du Développement, de l’étude et descours : Anne Laurence Breton

- Commission Shoah : Claude Bochurberg

- Commission Culture – Faire vivre notre patrimoine :Claude HaikAlain Krief (Administrateur Acip Nazareth 3e)

- Information Juive – Comité éditorial : Michel Gurfinkiel - Pascal Karsenti -Elie Korchia - Philippe Meyer - Sabine Roitman

- Commission Fleg : Daniel Vaniche - EmmanuelCohen - Max David Ghozlan - Laurent Philippe(Trésorier Centre Fleg) - Sabine Roitman - SarahTellouk

Joël Mergui David Amar Jack-Yves Bohbot Anne Marie Boubli Anne Laurence Breton Alex Buchinger Patrick Bunan Emmanuel Cohen Vanessa Dahan Alexandre Elicha Max David Ghozlan Sammy Ghozlan Michel Gurfinkiel

Claude Annik Haik Pascal Karsenti Elie Korchia Philippe Meyer Martine Mimoun David Revcolevschi Sabine Roitman Murielle Schor Elisabeth Steiner Gilles Taïeb Sarah Tellouk Daniel Vaniche

Présidence des commissions

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24 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

La Vie du Consistoire

Six cents juifs du « 92 » et… Dany Boon réunis à Boulogne

Le Conseil des communautés juives des Hauts-de-Seine (CCJ 92) a organisé le 4 décembre son gala annuelau Carré-Bellefeuille de Boulogne-Billancourt, sousl’égide du Consistoire et en partenariat avec la munici-palité. Point d’orgue de la soirée : le dernier one-man-show de Dany Boon. Plus de six cents personnes étaientdans la salle et vingt communautés locales représentéesautour du président du Conseil et Vice-président duConsistoire de Paris, Maître Elie Korchia, de Joël Mer-gui, de nombreux élus et personnalités du département.Dany Boon a offert le bénéfice de la soirée à l’Appel na-tional pour la tsedaka et à l’association Orphéopolices,qui vient en aide au orphelins de la police.

La synagogue de Brest a soufflé ses trente bougies

La communauté juive finistérienne, présidée par ledocteur Jean-Philippe Elkaïm, a célébré le 7 décembrele trentième anniversaire de son lieu de culte de Brest,en présence de l’ambassadrice d’Israël Aliza Bin-Nounet du vice-président du Consistoire, Jack-Yves Bohbot,qui représentait Joël Mergui. Le rabbin régional ArielBendavid, venu de Nantes, a animé l’office dans unesynagogue bondée. Des élus locaux et représentantsdes communautés voisines du grand Ouest étaient pré-sents.

Trois héros de 1967 au gala du Libi

Joël Mergui a assistéle 9 décembre au gala annueldu Libi-France, afin d’encourager le dévouement etl’action inlassablesde sa présidente, Gladys Tibi, en fa-veur du bien-être des soldats de Tsahal. Le grand rabbinde Paris, Michel Gugenheim, le député Meyer Habib,l’ambassadrice d’Israël, Aliza Bin-Noun, et de nom-breuses personnalités étaient présentes. Les trois para-

chutistes Tzion Karsenty, Itzhak Yifat et Haïm Oshri,dont la photo de groupe a été mondialement diffusée,ont raconté la reconquête de Jérusalem à laquelle ilsont participé il y a un demi-siècle.Le public buvait leursparoles.

Yonathan Hayoun : un jeune rabbin pour Annemasse

La communauté d’Anne-masse, en Haute-Savoie, asolennellement accueilli le17 décembre son nouveauet jeune rabbin, Yonathan-Hayoun, en présence dugrand rabbin Haïm Korsiaet du grand rabbin régional,Richard Wertenschlag. Desélus locaux de cette ville si-tuée tout près de Genève assistaient à la cérémonie. Yo-nathan Hayoun succède au rabbin Samuel Cohen zal,décédé il y a un an.

Emmanuel Macron en faveur d’une laïcité ouverte

Le chef de l’Etat a profité de ses vœux aux autorités re-ligieuses, le 4 janvier, pour défendre une laïcité ouverte.Il a indiqué qu’il ne demanderait « jamais à quelque ci-toyen que ce soit d’être modérément dans sa religion oude croire modérément ».Le grand rabbin Haïm Korsia etle président Joël Merguiont pu échanger avec Emma-nuel Macron dans un climat qualifié de « convivial ». Lelocataire de l’Elyséeavait déjà rencontré les représen-tants des différentes confessions, le 21 décembre,encompagnie de plusieurs ministres. Il souhaite notam-ment associer chacun à la préparation des futures lois debioéthique.Joël Mergui a rappelé au président de la Ré-publique l’importance que notre communauté attache àJérusalem au moment oùson statut de capitale d’Israëlest remis en cause.

Le Président du Consistoire et le Grand Rabbin de France à Amiens

Le Consistoire régional du Nord s’est réuni dimanche21 janvier dans le tout nouveau bâtiment de la commu-nauté juive d’Amiens, à l’invitation du Président duConsistoire régional, Charles Sulman, et du Présidentde la communauté Guy Zarka.

Toutes les communautés de la région étaient repré-sentées : Amiens, Boulogne sur Mer, Dunkerque, Lens,Lille, Saint-Quentin, Valenciennes. La séance, présidéepar Joël Mergui, a porté notamment sur la situation dé-

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La Vie du Consistoire

mographique des communautés du nord : seules Lille,Amiens et Valenciennes continuent à réunir le mynianle chabbat. Lille participe pleinement au projet d’alyahinterne prôné par Joël Mergui, en organisant de nom-breuses activités culturelles et permettant ainsi d’assis-ter à un certain renouveau. Les autres communautéssont hélas en déclin ou en voie de disparition, et l’avenirde leur patrimoine a été évoqué : Dunkerque, qui restedésormais fermée toute l’année, doit se rapprocher duConsistoire Central pour lui léguer ce bien ; un projetde musée est à l’étude pour la synagogue de Lens.Enfin, Charles Sulman a été reconduit comme déléguétitulaire de la région au Conseil du Consistoire Central,et Guy Bensoussan (Lille) a été nommé suppléant.

La réunion s’est achevée par un repas autour du Pré-sident de la région des Hauts de France, Xavier Ber-trand, et de la maire d’Amiens, Brigitte Fouré, enprésence du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia.

Une délégation consistoriale chez le ministre de l’Agriculture

Le grand rabbin Haïm Korsia, le grand rabbinBruno Fiszon, spécialiste de lashe’hita, et le prési-dent Joël Mergui se sont longuement entretenus,le 18 janvier, avec Stéphane Travert, ministre del’Agriculture. Ils ont plaidé pour que la France sou-tienne à l’échelon européen la pérennité de l’abat-tage rituel sans étourdissement,conforme à laHalakha. Ils ont réitéré aussi l’engagement duConsistoire pour que lessho’hatim (sacrificateursrituels) continuent à êtreformés au bien-être animalet aux mesures d’hygiène et de sécurité indispen-sables en matière d’abattage.

Actes antisémites en série en janvier

Pendant les cérémonies d’hommage aux victimes desattentats de 2015, le climat était d’autant plus lourd quel’anniversairea été marqué par une série d’agressions

antijuives, notamment à Créteil et Sarcelles. Joël Merguia réagi ainsi : « Cette forte recrudescence d’actes antisé-mites suscite une vive émotion au sein de la commu-nauté juive - sans compter les innombrables messageshaineux qui polluent les réseaux sociaux et la poursuitede manifestations de soutien au BDS, pourtant interditespar la loi. J’ai alerté le ministre de l’Intérieur.

Je constate par ailleurs que plus de neuf mois après leterrible assassinat de Sarah Halimi zal, la justice n’a tou-jours pas retenu la circonstance aggravante d’antisémi-tisme, malgré le rapport d’expertise psychiatrique et leréquisitoire du procureur de la République » en ce sens.

Réunion des responsables de talmudei Torah

Les responsables de talmudei Torah franciliens sesont réunis le 17 janvieren présence du grand rabbinde Paris et du président du Consistoire. Les échangesont porté sur la nécessité de multiplier les classes des-tinées aux post-bar et bat mitzva, ainsi que les shabba-tot pleins afin de renforcer les liens entre les élèves, lesparents et les enseignants. Les présidentes des com-missions talmud Torah et formation, Anne-Marie Bou-bli et Colette Chiche, ont exposé les pistes qu’ellesenvisagent pour mieux aider les professeurs dans lecontexte social et technologique actuel.

Le grand rabbin Gugenheim et Joël Mergui à Jérusalem

Début janvier, le grandrabbin de Paris, Michel Gu-genheim, et le présidentJoël Mergui ont participéau Congrès annuel des di-rigeants communautairesqui se tenait à Jérusalem àl’invitation de l’Organisa-tion sioniste mondiale(OSM).Quarante paysétaient représentés.JoëlMergui a plaidé en faveurd’une coopérationrenforcéeentre le judaïsme français etles autorités israéliennespour l’intégration optimaledesolim dans l’Etat juif et lalutte contre l’assimilation dans l’Hexagone. Michel Gu-genheim a félicité en sa présence le grand rabbin séfa-rade et Rishon Le Tzion, Itzhak Yossef chlita, de

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26 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

La Vie du Consistoire

Festivités de Hanoucca : toujours plus…

Les initiatives se sont multipliées en décembrepour célébrer Hanoucca. Impossible de les citertoutes. Le 20 décembre, près de quatre cents en-fants scolarisés dans des établissements juifs ouélèves des talmudei Torah d’Ile-de-France étaientréunis à la synagogue de la Victoire pour allumerla huitième bougie.Une manifestation impression-nante et joyeuse, ponctuée de numéros de clownset de magie, mise sur pied grâce aux responsablesdes commissions jeunesse et « relève communau-taire » du Consistoire, Maître Sarah Tellouk et Em-manuel Cohen. Ce dernier a été élu administrateurpour la première fois au scrutin de novembre 2017.Notons encore que deux cent cinquante personnesse sont pressées au concert de liturgie judéo-ma-rocaine qui a eu lieu le 17 décembre dans le cadredu centre communautaire de la rue Ancelle, àNeuilly-sur-Seine.Des allumages se sont déroulésdans les prisons et les hôpitaux. Enfin, le grandrabbin de Paris, Michel Gugenheim, et le président

Joël Mergui se sont exprimés lors du principal al-lumage public du mouvement Loubavitch, cemême 17 décembre au Champ de Mars. Il y avaitfoule malgré un temps pourri. Les intervenants ontsurtout insisté sur la nécessité de défendre Jérusa-lem contre les révisionnistes qui remettent encause le lien trimillénaire entre la capitale d’Israëlet le peuple juif, et de poursuivre le combat victo-rieux des Hasmonéens commémoré à Hanoucca.

« marcher fidèlement sur les pas de son illustre père », legrand rabbin Ovadia Yossef zatsal qui se rendait fré-quemment en France.

Notons que Joël Mergui, accompagné des adminis-trateurs Jack-Yves Bohbot et Anne-Marie Boubli et desdirecteurs des Consistoires central et de Paris, a reçu le

18 janvier à Paris le président de l’OSM Avraham Duv-devani et son délégué en France, Moshé Cohen. Le par-tenariat évoqué àJérusalem a été encore au centre desdiscussions, avec en particulier l’accord entreleConsis-toire et l’OSM pour la généralisation en cours de classesd’oulpan dans les synagogues.

Hyper cacher : trois ans après, une plaie non cicatrisée

Le grand rabbin Haïm Korsia et le président JoëlMergui ont participé les 7 et 9 janvier aux cérémo-nies commémorant le troisième anniversaire desattentats sanglants de l’hiver 2015. Ils ont accom-pagné Emmanuel Macron, son épouse BrigitteMacron, la maire de la capitale Anne Hidalgo etplusieurs ministres sur les lieux des tueries. Uneminute de silence a été observée lors des réunionsrespectives duConsistoire de Paris et du Consis-toire central, les 8 et 9 janvier, en souvenir detoutesles victimes. Les grands rabbins Haïm Korsia etMichel Gugenheim ont récité des prières pour lesquatre Juifs assassinés dans l’Hypercacher : Phi-

lippe Braham zal, Yohan Cohen zal, Yoav Hattabzal et François-Michel Saada zal. Le 9 dans la soi-rée, un hommage s’est déroulé devant le jardin desoliviers « Paix et fraternité »situé face au magasinendeuillé de la porte de Vincennes. Une initiativedu maire de Saint-Mandé, Patrick Beaudoin. Dansla foulée, le CRIF a organisé un allumage de bou-gies en présence d’un millier de personnes envi-ron. Son président, Francis Kalifat, et l’ensembledes représentants du judaïsme français, dont HaïmKorsia et Joël Mergui, y assistaient. A leurs côtés,le chef du gouvernement Edouard Philippe - qui aéchangé quelques mots avec les familles des dis-parus -, ses prédécesseurs Bernard Cazeneuve etManuel Valls, le président François Hollande etd’autres personnalités politiques de premier plan.

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 27

Nazhman de Braslawfut l’un des guidesspirituels du cou-rant du Baal ChemTov dans le mouve-

ment hassidique. Né en 1722, ils’établira à Medvedevka dans la ré-gion de Kiev. En 1798 il effectue unvoyage en Palestine . Cette visite –disent ses biographes - marqua pro-

fondément Nahman qui aimait àdire : « Où que j’aille c’est toujoursen Eretz Israël que je me rends ».

Dans une polémique qui l’opposaau dirigeant Aryeh de Shpola , il fitaccusé de parsemer son enseigne-ment d’idées sabbatéennes et fran-kistes. Plus tard, Nahman deBraslaw noua une profonde amitié

avec Lévy Yitzhak de Berditchev.

En Israël, les hassidim bratslaviensse concentrent dans la vieille ville deJérusalem et à Bné Beraq. Un petitlivre intitulé « L’arme délicate » (Hé-nechek ha’adine) vient de paraître enIsraël. Nous publions ci-dessous latraduction d’un certain nombred’aphorismes de Nahman de Braslaw.

HASSIDISME

Mon Dieu tu es la clef detoutes mes réussites.

Dieu puissant, source de toutevie, sans toi je suis sans forces,renforce mon âme, donne-moi lavolonté spirituelle pour accueilliravec joie tout ce qui se présentedans ma vie

Dieu de tous les vivants, donne-moi

une vie pleine de sens, une vie que l’on

considérera comme riche parce qu’elle

serait pleine de sainteté.

Maître unique ! Donne-moi la force d’ôter de moitout élément de paresse . Permets à mon âme des’élever et de se rapprocher de toi autant que jele pourrais.

Cher Dieu ! Enseigne-moi à mettre en pratiquemes idées. Je veux les transmettre à des enfants.Oriente mes relations avec mes enfants de tellesorte que leur cœur aille vers la bonté et la charitéet vers la sagesse de la vérité ! Fais de sorte que jene transmette à mes enfants que le bien !

Mon Dieu ! Tu es plus profond que toute recherche, simple comme l’infini ! Aide-moi à cheminer dans la voie de l’innocence etla simplicité !

Ainsi parlait Nahman de Braslaw

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28 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

Mon Dieu, aide-moi à être un être généreux. Aide-moi à

apprendre à donner…Donne-moi un cœur pur, un cœur

large…

Dieu aimant, miséricordieux et puissant ! Préserve-moi desgouffres ! Transforme mes échecs en réussites. Regarde mesmalheurs et proclame : cela suffit !

Maître du monde ! Tu entends les cris de détresseet de désespoir de chacun de tes enfants aimés. Detoutes mes forces j’essaie d’arriver à toi. Me voicien train de t’implorer et tu comprends…

Dieu de tout ce qui est vivant, aide-moi à prier de

toutes mes forces et de tout mon être. Aide-moi à

prier !

Mon cher Dieu ! Permets-moi une seule fois de t’adresserune prière de vérité. Aide-moi à avoir une seule idéepure, à pleurer des larmes de vérité !

Cher Dieu ! J’ai envie de m’ouvrir à toi . Je veux te ra-conter mes doutes, mes certitudes, mes faiblesses, mesforces, mes échecs et mes réussites !

Quand je pleure, Dieu de bonté, oriente mes larmes verstoi, quand je soupire fais de sorte que mes soupirs soientvrais…

Eclaire pour moi le sens de la vie !

Dieu de sagesse ! Apprends-moi les vrais mots desorte qu’ils touchent le cœur des autres. Apprends-moi à ne dire que des mots d’encouragement quiexpriment mon amour et mon dévouement !

Mon Dieu ! Aide-moi à éviter des propos calom-nieux. Ne permets pas à des paroles mensongèresde traverser ma gorge. Je pris pour que je n’envienne pas à dire du mal de l’autre. Apprends-moi,mon Dieu, de me taire quand il le faut et de parlersi nécessaire !

Mon Dieu, aide-moi à développer en moi de la sensibi-lité et de la miséricorde pour tous les vivants !

Apprends-moi à chercher ce qu’il y a de bien chezles autres , à reconnaître leur valeur ! Apprends-moi à inspirer de l’amour à tous tes enfants parcequ’il y a du bien chez chacun d’entre eux.

Ils sont si nombreux ceux qui manquent de véritableamour. Ils sont si nombreux et ne parviennent pas àtrouver leur moitié. Aie pitié d’eux toi qui es la sourcede tout amour !

Aide-moi à chérir la paix, à la rechercher…Protège-moid’une attitude victorieuse qui ne cionduit qui’à la tensionet au conflit !

L’homme doit se perdre dans la prière et oubliersa propre existence.

La mélodie et le chant conduisent le cœur de l’hommevers Dieu.

Dieu est présent chaque fois qu’un traité depaix est signé.

Celui qui garde le silence face à l’injure est un véritable hassid.

L’humilité qui recherche l’approbation est pire que l’arrogance.

Le monde entier est comparable à un pont très étroit etl’essentiel c’est de ne pas avoir peur.

La solitude est une grande vertu.

On devbrait se réserver une heure

chaque jour pour être seul avec Dieu.

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 29

La grammaire constituegénéralement une ma-tière difficile à appren-dre et particulièrementcontraignante pour les

écoliers, et les plus grands. Les règles semblent arbitraires, les exceptions inexpliquées, les struc-tures complexes. Pour autant, ons’accorde bien sur sa nécessité.En effet, ces règles assurent la cohésion d’une langue, et doncpermettent la compréhension mutuelle de ceux et celles qui laparlent.

A priori, la grammaire et la mo-rale appartiennent à des sphèresbien étrangères l’une à l’autre.Peut-être pourrait-on dire qu’ellesont en commun la notion de règlepuisque chacune de ces deux ca-tégories possède une codificationde ses normes. On ne se comportepas comme on veut. Ainsi, onn’écrit pas un texte selon les fan-taisies de chacun.

En réalité, la grammaire hé-braïque contient et exprime uncertain nombre de notions etd’idées à caractère moral. Les rè-gles, le mode de fonctionnementde la langue, de la conjugaison,ne se limitent pas à une techniquelinguistique ; ils renvoient à despensées existentielles et spiri-tuelles. Les lettres muettes, lescontractions, les genres qui s’ap-pliquent aux termes de la langue,donnent à réfléchir sur desthèmes dont jamais on n’auraitenvisagé qu’ils sont en lien avecl’univers de la grammaire. Le tra-vail de recherche sur les racines,les temps de la conjugaison, cor-respondent au lien que l’on entre-tient avec l’histoire du peupled’Israël et sa vocation. L’étude de

la signification des lettres, desvoyelles, des signes de cantilla-tion, ouvrent des perspectives deréflexion que l’on ne devine pas sion n’en a pas conscience.

Approcher l’univers de la gram-maire sous ce jour a l’avantage delui donner un sens, de lui retirerl’aridité de sa technique, de sonaspect arbitraire. La grammairehébraïque – et peut-être une cer-taine sagesse populaire des gram-maires universelles – donnent àpenser l’homme et son existence.

JUDAÏSME

Par le rabbin Jacky Milewski

Nous publions ci-dessous unextrait de l’introduction quele rabbin Jacky Milewskiconsacre à « l’éthique de lagrammaire hébraïque » (Ed. Biblieurope). L’objectif de cette étude estde montrer que les règles dela grammaire hébraïquepossèdent un sens spirituelrt « thisur birn zu-frlà de leuraspect purement technique.

Approcher l’univers

de la grammaire sous

ce jour a l’avantage

de lui donner un sens,

de lui retirer l’aridité

de sa technique,

de son aspect arbitraire.

“La grammaire hébraïqueet sa vocation

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30 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

Spinoza, poème de la pensée

PHILOSOPHIE

“« Spinoza redonne un sens inattendu

à l’ancienne alliance du verbe

connaître, en hébreu biblique,

entre la joie du corps et la joie

de la connaissance.Spinoza

Cette réédition, en for-mat de poche, auxEditions du CNRS,de ce livre, auquelHenri Meschonnic

attachait beaucoup d’importance(voir l’entretien que j’ai mené aveclui en 2008, Se in Deo esse : Lepoème et l’esprit, selon Henri Me-schonnic, http://temporel.fr/Se-in-Deo-esse-Le-poeme-et-l) et qui futpublié tout d’abord chez Maison-neuve et Larose en 2002, est bien-venue. « La critique est forte »,affirme Gérard Dessons dans sapréface. L’exergue de FrancisBacon (1561-1626), philosophe enrupture avec la scolastique médié-vale – « Insensé, et contradictoire,serait de penser que ce qui n’ajusqu’ici jamais été fait, pourraitse faire sans des moyens jusqu’icijamais tentés. » – indique quelleimportance Henri Meschonnic ac-corde au commencement, c’est-à-dire à la capacité du sujet des’inscrire dans un temps que lelangage modèle. Dans son intro-duction à cet essai, sous le titre« Le langage, sinon – rien », (et il

faut prendre au sérieux cette alter-native, présentée avec virgule,puis, précédant ce « rien », untiret, qui en met en relief la va-cuité), il écrit : « Et la pensée, ausens de l’invention d’une pensée,a un autre temps que nous. Ellevient de bien avant nous, porte au-delà de nous. Ne vaut que cequ’elle fait vivre. C’est la raison desa rigueur, et pourquoi nous nedevons de comptes qu’à elle. Cetterigueur même est la joie devivre. »

Henri Meschonnic, dans unautre ouvrage (Langage, histoire,une même théorie, 2012), se réfèreà saint Augustin (Confessions,livre XI, chapitre XVIII) pour affir-mer cette plasticité du temps del’esprit, qui transcende la morta-lité individuelle par ce qu’ilnomme, dans les notes à sa tra-duction de l’Exode (Les Noms :Traduction de l’Exode, 2003), enconsidérant le verset 3, 14 qui atrait au Nom de Dieu, « l’inaccom-pli » qui « ne cesse de s’inaccom-plir », car nous avons affaire à un

« verbe », et « c’est une pro-messe ».

Il s’ensuit que la pensée de Spi-noza, dont Robert Misrahi, émi-nent spécialiste du philosophe,souligne l’« originalité » sous son« double aspect », « enchaînementlogique rigoureux » et orientationvers « la béatitude ou félicité » (In-troduction générale à l’Ethique,traduction du philosophe lui-même, 1990, puis 2005), se situeen « dissidence » (Spinoza, Poèmede la pensée) eu égard auxcontemporains, ceux du philo-sophe né à Amsterdam en 1632 etmort en 1677 d’une maladie pul-monaire, et ceux d’Henri Me-schonnic. Le chapitre 3 s’intitule« La critique comme forme devie » et débute ainsi : « Le Traitéthéologico-politique n’est pas seu-lement, bien sûr, le traité du théo-logico-politique, c’est un traitécontre le théologico-politique. » Lapoétique de la pensée part d’unecritique de « l’appropriation d’uneinterprétation par un pouvoir » ; ilen va de la liberté. Ainsi, avantd’aborder, dans le chapitre 5, le

Un livre d’Henri Meschonnic :

Par Anne Mounic

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« latin de Spinoza » dans cetteperspective, Henri Meschonnic selivre à un examen critique des in-terprétations de Spinoza par diffé-rents philosophes (Paul Ricœur,Gilles Deleuze, Emmanuel Levi-nas, Ferdinand Alquié, RobertMisrahi, entre autres) au chapitre1 – « L’absence du langage chez‘les philosophes d’institut’ est uneabsence de Spinoza » –, et ensuitedans « Règle de vie, règle de lan-gage » (chapitre 2) et le chapitre 3dont j’ai mentionné le titre plushaut. Il évalue également les élé-ments de contexte et, notamment,la question des langues connues etutilisées par Spinoza, l’hébreu,comme « langue d’étude », l’espa-gnol, non le portugais, comme« langue d’enfance », le « latin etle néerlandais » comme « languesd’adulte, et de pensée ». HenriMeschonnic apporte à sa lecture ettraduction de Spinoza sa connais-sance (et expérience de traduction)de l’hébreu. « Spinoza redonne unsens inattendu à l’ancienne al-liance du verbe connaître, en hé-breu biblique, entre la joie ducorps et la joie de la connaissance.Un seul verbe, yada‘, pour unir lesdeux plus grands affects, l’amouren acte et le connaître. Quand Spi-noza le remarque, il ne tire pascette notion vers l’amour intellec-tuel de Dieu. Il trouve une notion.Il en fait un concept. C’est la partde l’hébraïsme en lui. »

Le « continu affect-concept » surlequel Henri Meschonnic insiste,chez Spinoza, s’inscrit dans la« théorie du langage » que chacunde ses ouvrages développe. C’estune vive critique du dualisme dusigne, s’opposant au sens, selon ladistinction d’Emile Benveniste.« Pour le latin de Spinoza, il im-porte de ne plus confondre langueet discours. » La poétique affirmele « continu corps-langage » et re-fuse de dissocier, – c’est là ce quiest impliqué par la référence audiscours, dans la perspective deBenveniste, toujours –, sujet et lan-gage. « En quoi l’invention conti-nuée du langage par un sujet, etdu sujet par le langage, est

l’éthique en acte de langage. »Henri Meschonnic affirme : « Spi-noza, dans le langage maintenant,c’est l’héroïsme du sujet libre. » Etil note ensuite : « Une suite dudivin contre le sacré. Très ExodeIII, 14. » Je renvoie à la note dont

il était question plus haut : « Lesacré, union fusionnelle des motset des choses, de l’humain avec lanature, dans la divinisation desforces naturelles, chacune ayantson nom ; le divin, principe de lavie dans son pacte avec toute créa-ture vivante. » (Les Noms, 2003.)

Pour prolonger cette réflexion, jesignale la réédition, en septembre2016, d’un ouvrage capital d’HenriMeschonnic, Un coup de Bibledans la philosophie (2004). Chali-fert : Association des Amis del’Œuvre de Claude Vigée, 2016.http://revue peut-être.fr

(Henri Meschonnic, Spinoza,Poème de la pensée (2002). Préfacede Gérard Dessons. Paris : CNRSEditions, collection « Biblis »,2017.)

Anne Mounic

Henri Meschonnic

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32 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

Pierre Assouline a ren-contré le 30 novembre2015, au sein d’une dé-légation de Juifs séfa-rades, le roi d’Espagne

Felipe VI et a été marqué – boule-versé − par cette phrase qu’Il leura adressée : « Vous nous avezmanqué ! ». Se l’appliquant à lui-même, il s’est dit à son tour quel’Espagne lui manquait, et fort dudécret de cette même année ac-cordant, sous diverses conditions,

la nationalité espagnole aux des-cendants des Juifs expulsés en1492, produisant une longue listede noms qui était comme unappel au retour, voilà qu’il a entre-pris les démarches nécessaires àsa naturalisation. Son ralliement,s’inspirant du plus ancien de nosancêtres, Abraham, s’exprime àtravers un « Me voici ! », autre-ment dit Hineni en hébreu. Ce

texte, présenté comme un roman,récit détaillé, documenté, averti,souvent cocasse − ainsi qu’il siedà la littérature picaresque qui fitla gloire de la république des let-tres espagnoles −, dresse un bilande l’idéologie séfarade et consti-tue une dernière mise au pointidentitaire sur ce que l’on appelleun Juif séfarade. Et comme toutel’œuvre romanesque de cet écri-vain – qu’on songe à Lutetia, àDouble vie ou à Golem −, elle tra-

duit, peut-être plus encore que lesautres romans, son inquiétudeexistentielle, lui qui, estimant que«er, au-delà du Maroc où il a vu lejour, l’ancrage sévillan de ses an-cêtres. Pour ma part, depuis 1962et l’afflux en France de ceuxqu’on appelait, avec un rien demépris, les « Pieds-noirs », je trou-vais plus pratique, plus judicieuxet plus juste de déclarer à qui me

cherchait des poux identitairesque j’étais un Séfarade, et lacause était entendue. Mais depuisl’essai éclairant de Victor Malka –Les Juifs séfarades, collection« Que sais-je ? −, rien n’a étéécrit d’aussi juste et d’aussi pro-fond que ce Retour à Séfarad,i dePierre Assouline qui, sous couvertd’une écriture romanesque, etavec tous les fards et les attraitsdu genre, constitue un brillantessai sur cet être diasporique quel’on appelle le Juif séfarade (paropposition au Juif ashkénaze, op-position qui, en Israël au-jourd’hui, et à la faveur dubrassage et du métissage, finit ouva finir par disparaître).

Et logiquement, la questionposée à l’initiale est : que signifiece mot Séfarad ? Assouline, enbon lecteur du Tanakh, a parcourule livre des prophètes et retrouvé,chez Ovadia, la première, seule etunique mention de ce mot – un« hapax », dit-il : (1, 20) : « … etles exilés de Jérusalem qui sont àSéfarad possèderont les villes dumidi ». Sans qu’on sache, pas plusque de Tarsis (assimilé un tempsà la communauté de Tartessos au-tour de Séville) où embarquaJonas, quel territoire recouvre ceterme de Séfarad. Le même versetunit d’ailleurs le terme de Sarfat,par lequel on (depuis Rachi, rab-bin de Troyes au XIe siècle) s’ac-corde à désigner la France, et cesdeux mots recouvrent des villesdu Midi (qui se dit dans le texte« Négueve mot en le ramenant àla péninsule ibérique, et donc : va

Comment peut-on

être séfarade ?

LIVRES

Par Albert Bensoussan

Felipe VI, roi d’Espagne

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 33

pour l’Espagne ! Et notre protago-niste – Assouline, certes, touteproportion fictionnelle gardée −s’en va, en effet, sur les routesd’Espagne, avec pour seul bagagel’encombrante mémoire qui, deFiguig à Debdou en l’exil maro-cain de ses grands-parents, le ren-voie inévitablement à Séville et lapeau de taureau – ainsi qu’onnomme métaphoriquement la pé-ninsule ibérique. Il y est contraint,car il se découvre, entre deuxcrises d’hypoglycémie, « ibérodé-pendant », et le voilà hantant lescercles sectateurs, les SéfaradesAnonymes, où se regroupent lesTraumatisés Sans Frontières –TSF, une ONG – et les Ashké-nazes Anonymes qui vous saluenttoujours d’un prudent « Commentça va mal ? » (ce que ne manquejamais de me dire mon ami AndréMarkowicz). Mais est-il seulementséfarade, ce Juif du Maroc ? HaïmVidal Séphiha répugnait à qualifierde séfarades d’autres Juifs queceux de Turquie et des Balkans : onconnaît ses positions tranchées surle ladino, le judezmo et la haketía.Sauf que l’arabe aussi est unelangue de Séfarad, elle est celle deMaïmonide (qui écrivait aussi,certes, en hébreu) dont l’Espagnecélébra en grande pompe le 850ème

anniversaire de la naissance, àCordoue, en l’an 1985, désignécomme « el Año Maimónides ». Etla langue espagnole, sa culture, sescodes, échappent quelque peu ànotre néophyte. Ce livre est donc,en quelque sorte, un « Guide desPerplexes », pour ne pas dire un« Guide des Égarés ». Et nous par-courons ses pages en suivant lesroutes chaotiques de ce « fils bâ-tard » de Don Quichotte.

L’essence du roman, tel qu’il sedégage du chef d’œuvre de Cer-vantès, est la lutte sans relâche etsans grâce du héros seul contretous – c’est la thèse de Georg Lu-kács, un Juif de Budapest, pour quile héros de ce premier roman del’âge moderne est seul face à l’alté-rité du monde : et c’est bien cequ’est le protagoniste de Retour àSéfarad. Ce héros à l’œil bleu –

azul – et au patronyme berbère voitse dresser sur sa route deux obsta-cles infranchissables : le jambon,d’abord, qui est l’aliment clé et ar-chétypique de l’Espagne, 1er pro-ducteur et consommateur del’Europe – l’Espagnol enconsomme 67,9 kg par an contre36,3kg pour le Français, préciseAssouline − ; le jambon dont lefilm de Bigas Luna, Jamón jamón(1992), donne toute la mesure, etqui traduit bien ce « délire mar-rane » des convertis et nouveauxchrétiens qui, en le savourant pu-bliquement, étalaient ainsi leur «».Le poète majorquin Jaume VidalAlcover – patronyme douteux, àl’évidence – disait que pour célé-brer la Pâque chrétienne, lui et lessiens sortaient devant leur porte encroquant du pain azyme – notrematsa – sur lequel ils étalaient unebelle tranche de lard. Eh bien, As-souline ne franchira jamais cetteépreuve initiatique : le cochon lefait gerber. Et quand une armée dejambons garde l’entrée du bar àtapas qui a supplanté un vieuxmikvé, il s’interdira d’y entrer.« Dans le cochon, rien n’est bon »,conclut avec bon sens le narrateur.

Deuxième obstacle, et d’une tout

autre nature : l’antisémitisme vis-céral des Espagnols, religieux etcatholiques dans l’âme, avec juste-ment cette célébration de Pâque oùil convient de brûler Judas, un pan-tin de paille, en l’accablant d’obs-cénités tout en agitant des crécellesqu’on appelle matajudíos (tue-juifs)– et ma belle-mère, à Barcelone,

avait dans son armoire la siennequ’elle appelait, en catalan, mata-jueus. À l’inverse, Assoulineévoque ce maire de la minusculecommune de Matajudíos qui achangé le nom de celle-ci en Motade Judíos (mota = colline). Ce quin’empêche pas les trublions judéo-phobes de remplacer, parfois, le opar le a, par respect pour la tradi-tion. La tradition antisémite, qui apris depuis des années les couleursde l’antisionismeii dont l’auteurnous donne une éclatante et na-vrante illustration en assistant, en2017, au match de l’Euro Espagne-Israël disputé à Gijón, fleuron es-pagnol du boycott d’Israël etchampion du BDS ay et le chahutbarbare à l’encontre des joueurs is-raéliens − dont l’un pourtant s’ap-pelait Marciano, fils de Murcie,Séfarade par antonomase – son-nent le glas de toute velléité de re-tour au pays.

Et puis l’Inquisition, tout demême, ses statuts de pureté desang – la limpieza de sangre − qui,bien avant l’idéologie nazie, inven-tèrent le racisme biologique, etcette chasse forcenée au juif, alorsmême que les Juifs avaient été ex-

pulsés, et qui s’exerçait à l’encontredes convertis et nouveaux-chré-tiens toujours suspects de secrètefidélité. C’est ainsi que le grand-père de la plus célèbre mystiqueespagnole, Thérèse d’Avila, un Juifconverti, fut accusé de pratiquer lejudaïsme en secret, traduit devantle tribunal du Saint-Office et

Pierre Assouline

L’antisémitisme viscéral

des Espagnols,

religieux et catholiques

dans l’âme.

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34 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

condamné à porter l’infâme san-benito jaune. Cervantès le Grand atracé, non sans une amère ironie,la mémoire indélébile du cheminde croix ( !) des crypto-juifs : le sa-medi, son héros, Don Quichotte, nemange que des « deuils et bri-sures » (duelos y quebrantos), belleet juste métaphore de ce plat deporc qui représente forcément pourle nouveau chrétien le deuil duChabbat et la brisure de la Loijuive. Pour redevenir espagnol,faut-il donc passer par cette muti-lation ?

Et, last but not least, le décretd’expulsion de 1492 – qui signifiapour l’Espagne, selon AntonioMuñoz Molina (l’auteur de Séfa-rade, prix Jérusalem 2013), une «−n’a jamais été révoqué, malgrétoutes les démarches et sollicita-tions – la dernière, toute fictive(sauf que Philippe VI peut bien leprendre pour argent comptant), estprécisément le pathétique appelabrogatoire du protagoniste duroman −, car un Roi ne demandejamais pardon. Qui garantirait auxSéfarades réinstallés en Espagnequ’un éventuel rétablissement dela Monarchie absolue ne leur feraitpar reprendre le chemin de l’exil –la valise ou le cercueil ? Un derniertrait qui décourage toute velléité deretour : la plus belle des trois syna-gogues qui restent en Espagne estassurément celle de Tolède appeléeSanta María la Blanca, qualifiée de« chef d’œuvre de l’art mudéjar »par l’historienne de l’art Geneviève

Barbé («gée au XIIe siècle par l’al-moxarife − collecteur d’impôts −Yossef Abenxuxen, mon probableancêtre).ii Eh bien ! cette syna-gogue devenue église désaffectéeet qui n’est désormais qu’une cu-riosité touristique, malgré toutesles démarches des responsablesdes communautés juives d’Es-pagne, l’Église ne veut pas la res-tituer. À l’inverse de cet oratoire dePalerme − la capitale d’une Sicilerattachée naguère à la couronneespagnole −, dépendance d’uneéglise qui fut bâtie sur les ruinesd’une synagogue, que son arche-vêque vient de restituer aux Juifspour y restaurer leur lieu de culte.

Et si tout cela n’avait été qu’unrêve ? Un rêve qui renforce l’appar-tenance du scribe à sa patrie véri-table qui ne saurait être que lalangue dans laquelle il s’exprime.« La langue française est ma pa-trie », disait l’écrivain méditerra-néen Gabriel Audisio. Dont acte.D’autant qu’Assouline tombe sur lathèse d’un chercheur italien quiprétend que Séfarad n’est qu’unmythe, « un espace indéfini résul-tant d’une erreur d’interprétationbiblique », au demeurant utilitaireet politique. Le décret de 1924 ins-taurant la loi du retour, et qui per-mit au temps des persécutionsnazies et vichyssoises de sauvertant de Juifs, qui n’étaient d’ail-leurs pas nécessairement séfa-rades, puis le décret de 2015proposant un passeport espagnolaux descendants des expulsés de

1492, n’obéiraient qu’à un oppor-tunisme politique. Une sorte dejoker qui donna bonne conscienceau franquisme (quelque 30 000Juifs dans les années 40 durentleur salut au passeport espagnol,dont les illustres hispanisantsMaurice Molho et Henry Mé-choulan) et, aujourd’hui, à une Es-pagne qui se verrait bien arbitre etpartie prenante des affaires duMoyen Orient. Bah ! ce récit estune fiction, et en tant que telle ilbâtit son propre mythe, son rêvefou, le fantasme d’un écrivain.Pierre Assouline, qui nous fait sibien entrer dans la danse, avectout le talent qu’on lui connaît et

sa belle écriture, nous entraînedans un périple que nos temps mo-dernes qualifieraient de road moviesi le terme de novela picaresca neconvenait mieux à ces aventuresque, pour mieux dire, tant les mou-lins à vent y tournoient à l’horizon,on qualifierait même de quichot-tesques. En enfant naturel de Cer-vantès. Une bonne partie du livrese passe, d’ailleurs, à l’InstitutoCervantes de Paris, où ce séfarado-parano perfectionne, tant bien quemal, son espagnol. Et le Quichotte,en dernière analyse, nous apparaîtbien comme la défense et illustra-tion de la liberté, et le roman d’unhomme libre. Ce qu’est à l’évi-dence Pierre Assouline.

Albert Bensoussan

--i Pierre Assouline, Retour à Sé-

farad, Gallimard, 2018, 444 p., 22.

v La romancière Rosa Monteroécrit dans El País du 12 décembre2006 : « Je crains que la phobieanti-israélienne ne devienne unnouveau signe d’identité pourune certaine pseudo-gauche »(Sospecho que la fobia anti-israelíse está convirtiendo en la nuevaseña de identidad de ciertapseudo-izquierda, Identidad). Etsur ce plan-là France et Espagnese donnent la main.

vi Cf. Pilar León Tello, Judíos deToledo, Madrid, Instituto AriasMontano, 1979.

Qui garantirait aux Séfarades réinstallés

en Espagne qu’un éventuel rétablissement

de la Monarchie absolue ne leur ferait par

reprendre le chemin de l’exil – la valise

ou le cercueil ?

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 35

C’était dans les lende-mains de la guerre desSix jours et des boule-versements de toutessortes qu’elle allait pro-

voquer notamment dans les relationsde l’Etat d’Israël avec les communau-tés de diaspora. Amos Elon, l’un desjournalistes les plus connus du pays,correspondant du Haaretz à Wash-ington, New York, Bonn et Varsoviedécide de dresser dans un livre sur lesIsraéliens, le portrait d’un peuple.C’était bien la première fois qu’étaitanalysée dans ses différentes dimen-sions la personnalité de l’Israéliennouveau, le conflit de générationsdans le pays ainsi que la naissance etle développement de la nation. Elonrésumait les choses en écrivant que lenouveau pays lui paraissait être « unepièce de Tchekhov adaptée par Dur-renmatt » .C’était l’époque (1965) oùdans la vie quotidienne d’Israël, deséchos d’Europe orientale se faisaiententendre. Elon cite notamment la sa-veur de la politique du pays, ses tra-ditions de radicalisme social, lapropension des gens aux discussionspassionnées et leur foi dans l’idéolo-gie… Jusque là, la vie était plutôtconforme à ce qu’en disait l’écrivainMendele Mokher Sfarim : « Une vieaffreuse, sans plaisir ni satisfaction,sans splendeur, sans lumière, une viequi a un goût de soupe sans chaleur,sans sel ni épices ».

Elon évoquait également la crisemorale qui affectera la société israé-lienne « pour une longue période à

venir ». En même temps, il ajoutaitque le traumatisme de la Shoah « laisse une marque indélébile sur lapsychologie nationale, sur le ton et lecontenu de la vie publique ». Et leconfrère concluait son analyse enécrivant : « La mémoire, source ma-jeure de l’inspiration sioniste, de-meure une des principales ressourcesd’Israël ».

Cinquante ans plus tard, c’est à untravail relativement similaire dans sesintentions que se livre Alon Gratchdans l’ouvrage « The Israeli Mind »écrit en anglais et qui vient d’être tra-duit en hébreu : (Haroch Hayehoudi(Editions Devir, Tel Aviv).

Gratch a vécu quelques années enIsraël avec sa famille avant de déciderun jour de refaire ses valises pours’installer aux Etats Unis. Lui-mêmeet son épouse y exercent la professionde psychologue. Le livre commencepar le récit de la bar mitsva du filsd’Alon, vécue et racontée non commeun événement si peu que ce soit reli-gieux – les Gratch se revendiquentdélibérément comme non religieux –mais comme un passage convenudans la vie d’un adolescent juif. Lesparents ne voient dans la cérémonieaucune notion de mitsva. Pour la cir-constance, ils ont simplement de-mandé à un certain nombre de leursproches et de leurs amis de formulerdes conseils au jeune adolescent « quiva devenir un homme, puisque c’estlà au fond la véritable vocation de laBar Mitsva ».

Quand il décide de consacrer unouvrage à l’étude de la personnalitéisraélienne, Gratch se « plonge » nousdi-il ,dans tout ce qui concerne Israël.Il lit des centaines de documents uni-versitaires relatifs à l’histoire, à la so-ciologie, à l’anthropologie et à lapsychologie du pays. Il analyse desétudes de science politique, des livresconsacrés à l’éducation et à la vie lit-téraire. Mais dès les premières pages,le lecteur découvre un auteur violem-ment critique à l’égard des choix faitspar le pays. Alors qu’il ne cherche, àl’en croire, qu’à comprendre les diffé-rentes dimensions du caractère natio-

nal, il rappelle que de nombreux di-plomates étrangers – sans parler deresponsables américains tels queCarter, Baker et Lincoln – ont jugé sé-vèrement les Israéliens. On les traited’agressifs, vaniteux, guère disposésà l’arrangement, méfiants, provoca-teurs…

Et même s’il se définit comme nonreligieux, Alon Gratch ne rechignepas à rappeler les mises en garde pa-cifiques adressées au peuple par lesprophètes bibliques Isaïe et Jérémie.

Gratch reconnaît – c’est bien lemoins – que le sionisme a réussi à im-planter une démocratie pétillante aucœur d’une population ennemie. Deplus, Israël parvient à obtenir des ré-sultats impressionnants dans les do-maines les plus divers : le militaire, lamusique, l’architecture, la médecine,la science mathématique etc.

Mais Gratch insiste sur l’impor-tance qu’il y a pour Israël de recon-naître les Palestiniens et de faire lesconcessions nécessaires pour parve-nir à la paix. « Il faut que l’esprit is-raélien soit attentif au tic-tac del’horloge démographique des Pales-tiniens ».

Gratch est frappé par l’envie « dé-mesurée » dont font preuve les Israé-liens dans leur course à la réussiteindividuelle. Et pourquoi dans les dé-bats à la radio ou à la télévision « par-lent-ils tous en même temps au pointqu’on ne sait pas, in fine, qui a ditquoi ».

V.M

HÉBRAICA

« Il faut que l’esprit

israélien soit attentif

au tic-tac de l’horloge

démographique

des Palestiniens ».

L’esprit israélien

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36 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

Une nouvelle généra-tion d’écrivains juifsdes Etats-Unisprend la suite deceux qui ont donné

son élan et son caractère à la lit-térature juive et tout autant à lalittérature américaine contempo-raine. Jonathan Safran Foer et Ni-cole Krauss succèdent à SaulBellow, Bernard Malamud et Phi-lip Roth. Ces derniers ont tenté etréussi à produire des romans etdes essais où le judaïsme etl’Amérique se retrouvent sans sedédoubler. Et ce n’est pas le sim-ple mot d’esprit que Bernard Malamud avait lancé : Les Amé-ricains sont juifs.

Jonathan Safran Foer et cellequi fut sa femme et mère de sesenfants Nicole Krauss appartien-nent ù une nouvelle réalité. Ilscherchent à l’appréhender, à lacomprendre et à l’exprimer. Ils onttous les deux remarquablementréussi. Ils se sont séparés et ilécrivent l’un et l’autre des romanspour en rendre compte. Celui deJonathan reprend le terme bi-blique Me voici, hinneni pour af-firmer comme Abraham sadisponibilité à Dieu. Celui de Ni-cole Krauss Forest Dark sera bien-tôt disponible en traductionfrançaise. Les deux livres ontconnu de vifs succès aux Etats-Unis.

Dans ses précédents romans,Foer fait état et a analysé le ju-daïsme tel qu’il l’a reçu et l’avécu. La mémoire occupe uneplace prépondérante, essentielle.Il décide de visiter l’Ukraine à larecherche de la maison de ses

grands parents sans révéler sonidentité à ceux qu’il rencontre.Son nouveau roman est une inté-gration de sa vie d’époux, de pèrejuif et américain. Nombreusessont les pages consacrées à la pré-paration de la bar mitsvah de sonfils, un garçon accusé d’avoir pro-féré des termes racistes à l’école.Le romancier redécouvre le ju-daïsme pour l’intégrer à sa vie.Lecture de la Bible, volonté deprendre la mesure du poids d’Is-raël. Il multiplie les dialogues, lesanecdotes, les affirmations qui

tombent comme des sentences.Exemples : « Comment jouer latristesse . Elle n’existe pas, alorscachez –la comme une tumeur.Comment jouer la peur. Comme sic’était pour rire. »

En dépit du nombre de sespages, ce roman ne semble pasassez long. Une apparente disper-sion qui, en fait, est une quête quise poursuit dans l’esprit du lec-teur longtemps après l’avoir par-couru. Le judaïsme de Foer sedéploie dans divers temps et di-vers espaces. Il est interrogationet illumination. L’auteur maitrisepuissamment son écriture. On

passe d’une lecture de textes sa-crés à des banalités du quotidien.Recherche et retour au patri-moine ? Ou recours dans la réali-sation de l’absence d’unecommunauté. Foer nous fait tenircompte qu’on est juif pour etcontre tout.

Qu’on l’affirme ou qu’on le nie,le juif persiste en nous. L’apparte-nance ne jouer pas de fonction.Elle resurgit comme interroga-tion. Le style d’écriture de Foer estdivers et multiple. Efficace dans

ma mise à nu. Rien n’échappe àce réel de la prière à la pornogra-phie. Nous sommes à l’époque del’ordinateur qui met en scène toutautant la rue américaine que laviolence au Moyen Orient. L’iro-nie côtoie les drames qui naissenttout à tour du tragique. Ce livrenous fait vivre le déchirement etle sourire, l’émotion et la curio-sité. Foer est un écrivain d’uneimmense richesse. Qui nous inter-roge et nous incite à nous interro-ger. (Me voici, roman parJonathan Safran Foer, traduit de l’anglais par Stéphane Roques,Editions de l’Olivier, Paris, 747 pages)

Me voici- (Hinnéni)

LIVRES

Jonathan Safran Foer

Le judaïsme de Foer se déploie dans

divers temps et divers espaces.

Il est interrogation et illumination.

Par Naïm Kattan

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 37

Ce n’est qu’un écrivain,un malheureux écri-vailleur, un égreneur demots, un producteur detexte. Je souhaite qu’on

arrête, pour pasticher Céline, dem’ennuyer avec tous ces porte-plumes dont je ne sais plus qui porte

la plume et qui la fait porter à unnègre. Ce n’est pas parce qu’on venddes livres plutôt que des millefeuillesqu’on est meilleur, noble, honnête…mentsch. Sur l’île isolée, je prendraisplus volontiers avec moi un bon pâ-tissier de millefeuilles qu’un écrivain,parce que je préférerais mourir, je

l’avoue, avec la délicieuse crèmeentre les pâtes feuilletées dans labouche que d’une indigestion litté-raire. L’obésité et le diabète ont en-tamé le prestige des millefeuilles, lamonstrueuse prolifération des édi-teurs et des auteurs celle des livres.

Bagatelles pour un écrivain

ANTISÉMITISME

Les Editions Gallimard ont annoncé leurintention de procéder à la réédition del’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, no-tamment des trois pamphlets antisémitesBagatelles pour un massacre, L’Ecole descadavres et Les beaux draps. Cette déci-sion a donné lieu à une longue polémique.Rappelons que ces livres avaient été édités

en 1937, 1938 et en 1941 et que Céline lui-même avait toujours refusé qu’ils fassentl’objet d’une nouvelle publication.

Nous avons demandé à nombre de noscollaborateurs et à des écrivains quelleétait leur opinion face au projet des Edi-tions Gallimard. Voici leurs réponses.

Ces pages d’Information juive étaient montéesquand les éditions Gallimard ont pris la déci-sion de « suspendre » le projet d’édition despamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Cé-line.

Sous le feu des critiques depuis des semaines,Antoine Gallimard a pris cette décision, dit-il,au nom de sa liberté d’éditeur, jugeant que

« les conditions méthodologiques et mémo-rielles ne sont pas réunies pour envisagercette édition sereinement ».

Nous avons conservé les réactions d’un certainnombre de nos collaborateurs d’autant qu’il nes’agit de la part de l’éditeur que d’une « suspension « et non d’un renoncementpur et simple à ce projet.

Par Ami Bouganim

Louis-Ferdinand Céline

Ce n’est ni Kafka ni

Camus. Tout juste, un

avorton de Rabelais,

plus réussi que son

maître ès scatologie.

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38 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

Sans parler des réseaux sociaux, desblogs de droite et de gauche, des ma-gazines en ligne. Moi, Céline, jen’achèterai pas ses livres. D’abordparce que je les ai lus du temps oùj’avais quelque considération pourle… lecteur sur papier, ensuite parceque je me suis mis sur… tablette etque ses livres, ses détracteurs ne lesavent peut-être pas, sont en lignegratuitement ou le seront demain.Céline présente à mes yeux un cer-tain mérite. Celui d’avoir fait des cé-nacles, salons et tribunes littérairesune marre où il jetait ses bouquins enguise de pavés. Sans cela, je ne voispas vraiment son intérêt dans cetournis des livres qui est en train deme donner la… nausée.

Plus sérieusement, par respectpour Malka, Céline est un style, untalent… un écrivain. Ses livres sontdésormais destinés à ceux qui s’inté-ressent à la variété des voix littérairesfrançaises. On ne peut pas plusl’écarter que Genet ou Robbe-Grillet.Il est de ces auteurs qui sollicitent leslecteurs se doublant de critiques lit-téraires. Ce n’est ni Kafka ni Camus.Tout juste, un avorton de Rabelais,plus réussi que son maître ès scato-logie. Il sera incontournable quandl’on viendra à étudier les bégaie-ments et les râles de la narration ro-manesque avant qu’elle ne crèvesous les assauts de la mauvaise litté-rature de marché, des ateliers de nè-gres et des variationsautobiographiques des grandes ve-dettes des médias ou du cinéma. SonVoyage au bout de la nuit est davan-tage qu’un livre, c’est un documentsur la littérature. L’auteur sort d’on nesait quelle arrière-cour pour laver le

linge sale qui s’est accumulé dansson âme et l’étendre sur des pages etdes pages. Il nous associe aux démê-lés entre tous ces pantins humainspour lesquels le sens gît dans unemémoire éreintée sinon délabrée.

Dans son Entretiens avec le Profes-seur Y. Céline mobilise une intelli-gence tant excédée par le manègedes gens du livre qu’elle basculedans la vulgarité pour détailler leursvices et leurs tares. Il prend un tonhâbleur pour railler le succès des li-vres chromos, régler ses comptesavec les mantes religieuses Mauriacet Claudel, dénoncer la richesse deGallimard et la bonne vie de Paul-han. Sans grandes illusions sur sonpropre talent, encore moins sur sonimmortalité, il est en quête d’unetrouvaille qui abattrait le roman et latrouve dans la restitution de « l’émo-tion du “parlé” à travers l’écrit » pardes points de suspension... Une théo-rie poétique comme un autre, qu’il il-lustre un peu cavalièrement,réclamant pour le style littéraire, in-dûment soumis aux stances de l’Aca-démie, la même liberté que celledont jouissent les beaux-arts. Il dé-nonce ceux qui, se prenant pour degrands écrivains, n’auraient que mé-pris pour tous ceux qui remplissent «des pages entières de critiques chè-rement payées », « confusieux, scri-foilleux-la-honte !... repouah ! pouah!... » qui « valaient pas leur bic ! leurrechange de bic ! gâteux avantl’heure ! tous et toutes !... essoufflés,gaffeurs, plagiaires, encombreurs deQuais !... » Ce texte se pose aussi enparodie des confessions, telles cellesde Pascal qui eut sa révélation sur lepont de Neuilly, après un accident :

Tous deux n’étaient pas moins

antisémites qu’une large partie de la

classe intellectuelle dans la première

moitié du XXe siècle.

“ Céline dans de beaux drapsPar Jean-Luc Allouche *

J’ai eu le rare privilège, par lagrâce de condisciples royalisteset fascistes déclarés et bien in-tentionnés, de lire Bagatellespour un massacre au lycée.Sans oublier Mein Kampf etquelques gracieusetés mauras-siennes. Il est vrai que « mes »antisémites étaient gens debonne compagnie, alors.

Si Voyage au bout de la nuitm’avait foudroyé, les éructa-tions de Céline ne soulevèrenten moi qu’un long bâillement.Lecteur impénitent de PaulNizan, j’ai relevé, depuis, sanotation prémonitoire à proposdu Voyage : « Cette révolte purepeut le mener n’importe où :parmi nous [les communistes],contre nous, ou nulle part… »(l’Humanité, 9 décembre 1932).Et certes, contre tous et par-venu nulle part, sinon à Sigma-ringen, Céline s’est égaré,embourbé, discrédité.

Pour autant, son génie réelabsout-il ses forfaitures ? Non.

Son génie indubitable relève-t-il de la littérature ? Oui.

Après tout, comme dit LéonDaudet (décidément, j’ai deslectures fort peu correctes), « lavraie bibliothèque n’est pasrose ». La vie, non plus, d’ail-leurs…

Publier ses infamies ? Pour-quoi pas ? Avec l’appareil cri-tique, etc. – il y a desspécialistes pour cela. De toutefaçon, les véritables antisémitesd’aujourd’hui ne le liront pas,n’en ont pas besoin. Eux lais-sent nos cadavres devant nosécoles.

*Jean-Luc Allouche, journa-liste, traducteur de l’hébreu,auteur. Prochain ouvrage à pa-raître: Le Roman de Moïse, Albin Michel, avril 2018.

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INFORMATION JUIVE JANVIER 2018 39

« La révélation de mon génie », dé-clare Céline, « je la dois à la stationPigalle... »

Céline produit des livres où sonunivers se calcine. Sa narration estcramoisie. Ses phrases décousues.Ses mots enduits de crachats. Sondésenchantement est général. Il esttellement morbide qu’il ne sait pasentrouvrir un sourire dans son texte.Il barbouille ses lecteurs de ses dé-boires, de ses peines et de mots qu’ilprend soin de racler avant de les leurbalancer au visage. Il ne les traînedans un univers où l’ennui culminedans le crime et la méchanceté dansla guerre que parce qu’il hante unehumanité pestilentielle où l’hommeserait incurablement pleureur. Plusrâleur que raciste, Céline était un au-teur excédé. Il aurait pu être nihilistesi seulement on le lui avait permis.Or on a tenté de l’entraîner, coûte quecoûte, du côté de l’anarchie consé-quente, c’est-à-dire totalitaire. Sonmérite a consisté à retourner vite àl’arrière-cour du grand monde, n’at-tendant rien ni personne, pour s’im-poser comme un virtuose de lanarration domestique, de ses person-nages, de leurs misères et de leurspetitesses. Il harcèle tant son lecteurqu’il le contraint à lui concéder du ta-lent. Il devait bien s’entendre avecGaston (Gallimard) pour se permet-tre d’écrire ce qu’il en dit et mériterquand même d’être publié par lui.

Tous deux n’étaient pas moins an-tisémites qu’une large partie de laclasse intellectuelle dans la premièremoitié du XXe siècle. Ces gens-làn’avaient pas de curiosité pour lesmœurs juives, les motivations et lesprétentions qui les tramaient, sinonque celles-ci, préchrétiennes, les irri-taient même quand ils n’étaient pluspratiquants et se déclaraient athées.Ils se seraient pas plus intéressés àeux qu’aux gitans s’ils étaient restésdans leur ghetto, assumant leurcondition de parias, sans chercher às’insérer dans les cercles militaires,les laboratoires de recherche, lesplaces financières. C’étaient ces der-niers qui excitaient l’allergie antisé-mite dans les glauques milieuxlittéraires. On leur trouvait je ne saisquels côtés caricaturaux, qu’ils rail-

laient et dont ils s’irritaient. HannahArendt qui avait expérimenté « l’émi-gration intérieure » en passant del’Allemagne en France brossait lesgrandes lignes de ce statut de « par-venu » qui guettait le « paria ».C’étaient ses traits qui la déran-geaient chez elle et rebutaient les an-tisémites du genre de Céline.

Près de quatre-vingts ans plus tard,on n’a pas encore poussé la décons-truction de l’antisémitisme dans sesretranchements théologico-socio-po-litiques, ne serait-ce que pour saisirles ressorts qui lui impriment desexcès aussi sauvages. « Nos mortssont encore posés devant nous », lescrématoires brûlent toujours dans nosintérieurs, nos âmes sont encore ta-touées… le deuil n’est pas près de seterminer et la demande de répudia-tion des livres de Céline est un autresigne – somme toute mineur – qu’onne s’est pas encore remis. Ce débatévoque les rebondissements dudébat autour de Heidegger. Célinen’était pas l’auteur le plus antisémiteet plutôt que d’incriminer sa repen-tance – parce que lui au moins alaissé des lettres pour se blanchir – etde s’opposer à la réédition de ses li-vres, que ne publie-t-on des œuvresplus éloquentes que celles de Cé-line ?! Arendt voyait en Heidegger,autrement plus important, une vic-time du romantisme allemand qui necesse de provoquer des régressionschez les plus enthousiastes de sespartisans caressant des vocations ex-traordinaires : « Heidegger est de fait(espérons-le) le dernier romantique –

semblable à un Friedrich Von Schle-gel ou à un Adam Müller aux gigan-tesques talents dont la totaleirresponsabilité relevait d’une frivo-lité due en partie à la folie du génie,en partie au désespoir1. » Elle assi-mile Heidegger à un pauvre renardsi peu rusé qu’il ne distingue pasentre un piège de l’autre, tombantpar cécité dans tous les pièges, et quilassé d’être la victime se terre dansun chalet en guise de piège où iltente d’attirer ses hôtes. Arendt étaittrop intelligente – talentueuse – pouren vouloir au génie et à ses excès, demême qu’à la « banalité » de ses dé-bordements. Il ne lui serait pas venuà l’esprit de s’opposer à la publicationdes livres de Heidegger. En re-vanche, elle lui dédicaçait les siens.

Le martyre de la Shoah ne nousdonne que le droit de nous poser entémoins vigilants d’une Passionvécue dans le silence et dans ce quemeilleurs que moi ont nommé« l’éclipse de Dieu ». Il ne nous ac-corde sûrement pas celui de nousposer en censeurs – la fantastiquedissémination orale-écrite du Talmudnous l’interdit – pour ne point parlerdu droit à la bêtise – parce que j’ensuis à me demander si ceux qui mè-nent campagne contre la rééditiondes livres nauséabonds de Céline sedoutent qu’ils orchestrent la meil-leure campagne publicitaire sur sonœuvre et surtout s’ils savent qu’on necensure pas… des points de suspen-sion.

Ami BouganimEcrivain, philosophe

Le martyre de la Shoah ne nous donne

que le droit de nous poser en témoins

vigilants d’une Passion vécue dans le

silence et dans ce que meilleurs que

moi ont nommé « l’éclipse de Dieu »

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Personnage atypique et unique dans lemilieu du cinéma, la réalisatrice juiveorthodoxe Rama Burshtein - née à New Yorkdans une famille juive laïque en 1967 avantde partir étudier le cinéma à Jérusalem à

l'âge de 20 ans - signe avec The wedding plan undeuxième film attachant et émouvant, qui a denouveau pour toile de fond la communauté juiveorthodoxe de tradition hassidique, au sein de laquelleelle vit depuis son retour à la religion au milieu desannées 90.

Voulant faire entendre «une voix de l’intérieur»,cette fan de Quentin Tarantino avait en effet déjàconsacré son premier film à sa communauté religieuseen 2012, avec le très remarqué Le cœur a ses raisons.

Présentée au festival de Venise, cette premièreœuvre poignante y avait été ovationnée par la critiqueinternationale et son actrice principale, Hadass Yaron,y avait reçu la coupe Volpi de la meilleure actrice.

On découvrait alors, au sein de la communautéhassidique de Gour à Tel-Aviv, une jeune femmeprénommée Shira, dont la sœur aînée Esther venaitde décéder après avoir mis au monde son premierenfant, et qui se retrouvait poussée à devoir épouserson beau-frère Yoshai, prise en tenaille entre le cœuret la raison...

Davantage tourné vers la comédie romantique, The wedding plan nous conte l’histoire de Michal(brillamment interprétée par Noa Koler, lauréate pource rôle de l'Ophir de la meilleure actrice en Israël), quis'apprête à se marier avec son fiancé, Gidi, au sein dela communauté juive hassidique de Jérusalem.

Hélas, alors que le couple se retrouve attablé pourchoisir les mets du mariage, Gidi fait soudainementsavoir à sa promise qu’il n’est pas amoureux d’elle etbrise par là-même leur relation, au grand désespoir dela jeune femme qui, à l’âge de 32 ans, pensait avoir enfintrouvé l’amour et pouvoir bâtir le foyer dont elle rêve.

Il en faudrait toutefois beaucoup plus pour découragerla dynamique et fantasque Michal, qui décide demaintenir malgré tout les préparatifs de la cérémonie, enfaisant le pari fou que le Tout puissant l'aidera à trouverson futur époux avant la date du mariage prévu pour le8ème jour de la fête de Hanoukka, soit 22 jours plus tard !

Tout comme pour son premier film, Rama Burshteins’attache une nouvelle fois à décrire le parcoursinitiatique d’une femme qui a la foi chevillée au corps,décrivant ici son héroïne comme un être follementpassionné qui part à la recherche de son âme sœur avecfougue, opiniâtreté et idéal.

Sans vouloir déflorer la trame scénaristique du film –dont l'issue est à l'évidence moins essentielle que lecheminement – on observera qu’il n’est ni féministe nianti-féministe, sa portée universelle dépassant largementle milieu de la communauté juive orthodoxe dans lequelil se déroule.

On notera aussi avec intérêt la volonté exprimée parla cinéaste de mettre toujours en accord son travail et safoi religieuse, se faisant un point d’honneur à respecterla halakha (loi juive) sur son plateau de tournage, ouencore à faire en sorte que ses films ne soient jamaisprogrammés en Israël durant chabbat.

Plus qu’une quête d’amour - de Jérusalem à Oumanen Ukraine, où Michal partira pèleriner sur la tombe duRabbi hassidique Nahman de Breslev - il s’agit en réalitéici d’une quête de vérité pour cette jeune femme, qui vamettre sa foi et sa vie à l'épreuve, à quelques jours deHanoukka et du miracle qu’il symbolise.

Certes moins puissant que n'a pu l'être Mariagetardif (réalisé en 2001 par Dover Kosashvili et porté àl'époque par l'inoubliable Ronit Elkabetz), ce secondfilm de Rama Burshtein s'affiche toutefois comme une agréable surprise et mérite assurément d’êtrevisionné, démontrant avec force – et sous couvert decomédie – que l'espoir est une vertu cardinale qui nedoit jamais nous abandonner.

CINÉMA

A Jérusalem, une femmeen quête dÊamour

Par Elie Korchia

40 INFORMATION JUIVE JANVIER 2018

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Pascal Praud. Journaliste :

« Twitter est la Kommandantur

en 41. On vient pour dénoncer »

Dimitri Avramopoulos. Commissaire européen à la migration :

« L’Union européenne a accordé

sa protection à plus de 700.000

personnes l’an dernier. Nous

n’arrêterons jamais l’immigra-

tion»

Elisabeth Badinter.Philosophe :

« Voyez-vous les Français

manifester quand des meurtres

à caractère antisémite sont

commis ?»

Anne Roumanoff. Humoriste:

« Le problème au Moyen Orient

c’est qu’ils ont mis la charia

avant l’hébreu »

Walter Schneider. Historien américain :

«Choisir la violence pour mettre

fin à des inégalités sociales ou

des situations d’oppression est

un choix – le plus mauvais même

s’il est le plus fréquent dans

l’histoire»

Emmanuel Macron. Président de la République :

« Je ne céderai rien ni aux fai-

néants, ni aux cyniques ni aux

extrêmes».

Ségolène Royal.Ancienne ministre :

« J’ai un point commun avec

Macron, celui des gens qui

bossent, qui maîtrisent leurs sujets

et ne font pas d’embrouilles ».

François. Pape :

« Marie et Joseph qui n’avaient

pas de place, furent les premiers

à qui Dieu a donné des papiers

d’identité »

Gérard Larcher.Président du Sénat :

« Le France court le risque

de l’islamisme radical,

pas celui d’une laïcité radicale ».

LUC ROSENZWEIG. Journaliste :

« Il est certain que la stratégie de Barack Obama qui voulaittordre le bras des Israéliens a échoué »

VERBATIM

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Question de sondage

Les experts définissent comme « sans précédent » la crise suifrappe aujourd’hui les relationsdes juifs réformés et les juifs orthodoxes. Le débat est relative-ment violent et plein de menaces.Les responsables des organisa-tions réformées parlent comme si elles avaient en vérité les solu-tions de toutes les difficultés auxquelles est confronté aujourd’hui le judaïsme. Or, c’est loin d’être le cas.

La preuve en a été apportée findécembre dans un sondage réaliséaux Etats Unis. Quelques uns desrésultats de ce sondage devraientinspirer plus d’humilité aux juifsréformés. 40 % d’entre eux décla-rent n’avoir « aucune espèce desentiment pour l’Etat d’Israël ».Ils ne se sont jamais rendus dansce pays.

Les auteurs du sondage notentque 40 % des juifs sont installésaux Etats Unis, 43 % en Israël et17 % dans le reste du monde.

N’importe quoi

Il y a cinq décennies, l’écrivainFrançois Mauriac écrivait dans letome 2 de son Bloc Notes : « C’estun temps où n’importe qui écritn’importe quoi ». Que dirait-il aujourd’hui en consultant les réseaux sociaux ou en visitanttelle exposition où Mme Hidalgovend des balivernes ?

Un diplomate lucide

On veut parler de M.MagnusHalgern, nouvel ambassadeur deSuède en Israël et qui a proclaméhaut et fort : « Si un juif en Suèdea peur de porter une kippa, celasignifie que nous avons échoué ».

V.M

Doctor Agnon

Une habitude – à l’origine britan-nique – a été prise dans la société is-raélienne de se faire appeler Doctordès lors que vous avez présenté àl’université, avec succès, le moindrediplôme de troisième cycle. Et il im-porte peu que votre recherche aitporté sur les bananes dans le com-merce en Basse Provence ou bien surl’évolutions de la presse israélienneface aux réseaux sociaux.

Cela nous remet en mémoire l’his-toire arrivée un jour à l’écrivain Shmouel Yossef Agnon avant que le prixNobel de littérature ne couronne son œuvre.

L’animateur de la soirée à laquelle Agnon avait accepté de participerprend la parole :

- Le docteur Agnon souhaite…- Je ne suis pas docteur, intervient l’écrivain.- L’animateur reprend la parole :- Le professeur Agnon veut…- Je ne suis ni docteur ni professeur. Je ne suis qu’un simple fidèle qui

souhaite que le public s’abstienne de fumer par respect du shabbat.Agnon avait l’habitude de dire à ce propos : « Le titre de docteur consti-

tue, pour certains écrivains, une sorte de parapluie. Ils ont peur que lapluie les surprenne, dans la rue, sans leur pépin ».

Montre en main

Yossi Beilin est un ancien mi-nistre d’Israël qui a joué un rôleimportant dans l’élaboration desaccords d’Oslo. Il en a été, en vé-rité, l’un des architectes avecShimon Pérès. Depuis lors, il aquitté la vie politique mais ilcontinue à en commenter lesévolutions notamment dans les colonnes du quotidien Israël Hayom.

Reçu le 27 décembre dernier à la télévision israélienne dans l’émis-sion qu’anime l’un des plus brillants journalistes d’Israël, Rafi Reshef,Beïlin raconta, en essuyant ses larmes, l’histoire suivante :

C’était au lendemain de la guerre des Six jours. Je venais d’être en-voyé avec les hommes que je commandais sur le front syrien, sur leplateau du Golan. La nuit est en train de tomber quand se dressent de-vant nous trois soldats syriens. Ils sont manifestement exténués et nousn’avons aucun mal à les arrêter. C’est alors que l’un de mes hommestente d’arracher du poignet d’un prisonnier syrien une montre.

Je donnai immédiatement à ce soldat l’ordre d’arrêter- Mais pourquoi chef, c’est ce qu’ils auraient fait s’ils nous avaient

faits prisonniers !- Parce que ce que tu voulais faire n’est pas juif !Rafi Reschef intervient :- Et cinquante ans plus tard, cela vous fait encore pleurer ?- C’est un des épisodes de la guerre des Six jours que je n’ai jamais

oublié !

POST-SCRIPTUM

Yossi Beilin

Shmouel Yossef Agnon

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