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1 Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle Aurélie JESPERS Assistante à l’U.Lg., avocate Bernard VANBRABANT Maître de conférences à l’U.Lg., avocat SOMMAIRE Introduction 16 SECTION 1 Les litiges relatifs à l’enregistrement ou à la validité de droits de propriété intellectuelle 18 SECTION 2 Les actions en contrefaçon 29 SECTION 3 Le contentieux contractuel 44 SECTION 4 Les mesures provisoires et conservatoires 49

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1Aperçu des règles

de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

Aurélie JESPERS

Assistante à l’U.Lg., avocate

Bernard VANBRABANT

Maître de conférences à l’U.Lg., avocat

SOMMAIRE

Introduction 16

SECTION 1Les litiges relatifs à l’enregistrement ou à la validité de droits de propriété intellectuelle 18

SECTION 2Les actions en contrefaçon 29

SECTION 3Le contentieux contractuel 44

SECTION 4Les mesures provisoires et conservatoires 49

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Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

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Introduction

Le droit international privé de la propriété intellectuelle a connu une con-sidérable évolution lorsque fut adoptée, en 1968, la Convention de Bruxellesconcernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matièrecivile et commerciale. La théorie traditionnelle, selon laquelle étaient seulscompétents pour connaître des litiges concernant un droit de propriété intellec-tuelle, les tribunaux du pays dans lequel ce droit est appelé à déployer ses effets(forum loci protectionis), a alors été, sinon abandonnée, du moins largementnuancée ; aujourd’hui, les tribunaux d’un État membre peuvent connaître d’uncertain nombre de litiges relatifs à des droits intellectuels sur la base d’autres cri-tères de rattachement, y compris celui déduit du domicile du défendeur 1.

Les sources du droit international privé de la propriété intellectuelle sontmultiples : il faut avoir égard à diverses conventions internationales – toutparticulièrement la Convention Benelux en matière de propriété intellec-tuelle (marques, dessins et modèles), – à plusieurs instruments de droit euro-péen et, à titre subsidiaire, à l’article 86 de notre Code de droit internationalprivé 2.

Au niveau de l’Europe, pas moins de quatre instruments généraux dedroit international privé sont susceptibles de s’appliquer : la Convention deBruxelles de 1968 3, la Convention de Lugano 4, l’Accord entre l’Unioneuropéenne et le Danemark 5 et le Règlement 44/2001, dit Bruxelles I 6. Cesquatre instruments ont un champ d’application matériel identique dès lorsqu’ils concernent la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécutiondes décisions en matière civile et commerciale. Les règles de compétence

1. Pour de plus amples informations, voir A. NUYTS, K. SZYCHOWSKA et N. HATZIMIHAIL, « Crossborder litigation in IP/IT Matters in the European Union : The Transformation of the Judisdic-tional Landscape », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectual Property and Information Tech-nology, Kluwer Law International, 2008, pp. 1 et s.

2. Cf. notamment, K. ROOX, « Intellectuele eigendom in het nieuwe wetboek I.P.R. », I.R. D.I.,2005, pp. 149 et s., spéc. pp. 151 et 152.

3. Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des déci-sions en matière civile et commerciale.

4. La Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des déci-sions en matière civile et commercial conclue le 30 octobre 2007 à Lugano.

5. Accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark sur la compétence judi-ciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O.,16 novembre 2005, L 299 R, pp. 62-70.

6. Règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire,la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O., 16 janvier2001, L 012, pp. 0001-0023.

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1internationale qui y sont consacrées sont également similaires. Néanmoins,leur champ d’application territorial diffère. La Convention de Bruxelles de1968, remplacée par la Règlement Bruxelles I, ne s’appliquera qu’en de trèsrares occasions. La Convention de Lugano révisée s’applique, quant à elle,aux relations entre les États membres de l’Union européenne et les Étatsmembres de l’AELE : la Suisse, la Norvège et l’Islande. L’Accord entre leDanemark et l’Union européenne ne vise que les situations transfrontalièresentre le Danemark et les autres pays membres. Dans la majorité des cas, cesera donc le Règlement de Bruxelles qui trouvera à s’appliquer 7 ; partant,seul ce dernier sera abordé dans le cadre de cette contribution.

Les instruments précités, tout comme l’article 86 du Code de D.I.P.,visent les droits de propriété intellectuelle en général, sans distinguer le typede droit dont il s’agit. Mais il existe aussi, tant au niveau européen qu’auniveau du Benelux, des règles de compétence internationale propres à cer-tains droits – essentiellement la marque et le modèle – qui dérogent ou com-plètent les règles générales.

Comme le relève M. Pertegas Sender, « la question de la compétence estfondamentalement axée sur deux questions : la nature du droit de propriétéintellectuelle en cause et la nature du litige en soi » 8. Outre l’existence desources spécifiques à certaines droits de propriété intellectuelle, les règles decompétence varient en effet en fonction de la nature du litige – action encontrefaçon, mise en cause de la validité du droit de propriété intellectuelle,litige contractuel.

Cette double distinction déterminera la structure de cette contribution :dans une première section, nous étudierons les règles de compétence applica-bles au contentieux de l’enregistrement et de la validité des droits intellec-tuels. La deuxième section sera consacrée à la question de la compétence enmatière de contrefaçon. Le contentieux contractuel relatif à un droit intellec-tuel sera ensuite abordé. Enfin, la question de la compétence au provisoiresera brièvement analysée dans la quatrième section. Au sein de chacune deces sections, nous distinguerons, d’une part, les règles de compétence spécifi-ques propres à l’un ou l’autre droit, d’autre part, les règles de compétencegénérales édictées par le Règlement Bruxelles I. Il convient de soulignerd’emblée que les règles de compétence spécifiques peuvent déroger auRèglement Bruxelles I non seulement lorsqu’elles sont contenues dans un

7. Le Règlement de Bruxelles exclut le Danemark de ce champ d’application.8. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », in D. KAESMA-

CHER, Les droits intellectuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 134.

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Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

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autre règlement européen 9, c’est-à-dire une norme de nature et de rangéquivalent, mais aussi lorsqu’elles résultent d’une convention entre deux Étatsmembres relative à une matière particulière 10 : tel est le cas de la ConventionBenelux en matière de propriété intellectuelle précitée.

SECTION 1

Les litiges relatifs à l’enregistrement ou à la validité de droits de propriété intellectuelle

Les droits de propriété intellectuelle peuvent être répartis en deux caté-gories en fonction de la manière dont ces droits s’acquièrent. La premièrecatégorie regroupe les droits dont l’existence nécessite des démarches auprèsdes autorités compétentes, qui délivreront un titre de protection. On parleradans ce cas de droits donnant lieu à dépôt ou à enregistrement. Il s’agit essen-tiellement du brevet européen et du brevet national, du certificat complé-mentaire de protection pour les médicaments ou les produitsphytopharmaceutiques, de la marque communautaire et de la marqueBenelux, du modèle communautaire enregistré et du modèle Benelux, desobtentions végétales nationales et communautaires, et des appellations d’ori-gines et autres indications de provenance. La deuxième catégorie vise lesdroits qui naissent sans formalité tels que le droit d’auteur, les droits voisins,les droits des producteurs de bases de données.

Seuls les droits de la première catégories, c’est-à-dire les droits intellec-tuels sujets à dépôt ou enregistrement, donnent lieu à un contentieux quant àleur enregistrement ou leur validité. En matière de marques communautaires,

9. Cf. art. 67 Règlement Bruxelles I : « Le présent règlement ne préjuge pas de l’application desdispositions qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnais-sance et l’exécution des décisions et qui sont contenues dans les actes communautaires ou dansles législations nationales harmonisées en exécution de ces actes.

10. Cf. art. 71 Règlement Bruxelles I : 1. Le présent règlement n’affecte pas les conventions aux-quelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compé-tence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.2. En vue d’assurer son interprétation uniforme, le paragraphe 1 est appliqué de la manièresuivante :a) le présent règlement ne fait pas obstacle à ce qu’un tribunal d’un État membre, partie à uneconvention relative à une matière particulière, puisse fonder sa compétence sur une telle con-vention, même si le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre non partie à unetelle convention. Le tribunal saisi applique, en tout cas, l’article 26 du présent règlement ;b) (…) ».

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1par exemple, l’Office peut refuser d’enregistrer la marque notamment pourdéfaut de caractère distinctif, ou faire droit à une opposition fondée surl’atteinte à une marque antérieure ; une annulation de l’enregistrement peutêtre demandée, de même que la déchéance du titulaire pour absence d’usagesérieux du signe enregistré. De tels litiges n’existent pas en matière de droitd’auteur dès lors que la naissance de ce droit n’est pas soumis à une procédureadministrative de dépôt ou d’enregistrement 11.

Le contentieux de l’enregistrement et de la validité des droits intellec-tuels est soumis à des règles de compétence particulières. Nous examineronsdans un premier temps les règles de compétence internationale prévues pardes instruments spécifiques, puis ensuite le régime de compétence internatio-nale instauré par le Règlement Bruxelles I 12.

A. Les règles particulières de compétence

En ce qui concerne le contentieux de la validité des droits intellectuels,des règles de compétence internationale spécifiques, primant les règles géné-rales, sont édictées pour trois types de titres communautaires – marques, des-sins ou modèles, obtentions végétales – et deux types de titres Benelux –marques et dessins ou modèles.

1. La marque communautaire

Le Règlement sur la marque communautaire instaure un régime decompétence internationale spécifique 13. Deux catégories de juridictions sontinstaurées par ce Règlement : les tribunaux des marques communautaires 14,qui sont des juridictions nationales, et l’Office de l’harmonisation dans lemarché intérieur (O.H.M.I.) 15.

11. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, 2nd Ed.,Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 10, pt 1.09.

12. Règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire,la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O., 16 janvier2001, L 012, pp. 0001-0023.

13. Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la marque commu-nautaire, J.O.U.E, 24 mars 2009, L 78/1.

14. Les tribunaux des marques communautaires seront abordés au sein de la section II consacrée àl’action en contrefaçon.

15. Sur cet organe administratif ad hoc, jouant un rôle considérable dans le domaine de la propriétéintellectuelle européenne, cf. http://oami.europa.eu/ows/rw/pages/index.fr.do

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L’O.H.M.I. se voit attribuer une compétence de principe pour connaîtredes questions de validité relatives à la marque communautaire 16. Le conten-tieux de la validité de la marque regroupe quatre types de recours : les recourscontre des décisions de refus d’enregistrement, les recours en opposition, lesactions en nullité et les actions en déchéance. Soulignons que la compétencede l’O.H.M.I. est exclusive en ce qui concerne les deux premiers types derecours ainsi que pour les demandes en nullité et en déchéance introduites àtitre principal.

Les décisions de l’O.H.M.I. (examinateurs, divisions d’annulation, divi-sions d’opposition, etc.) sont susceptibles d’un premier recours devant leschambres de recours de l’O.H.M.I. et d’un deuxième recours devant le Tri-bunal de l’Union européenne. Enfin, les décisions du Tribunal pourrontencore faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour de justice del’Union européenne 17.

Les tribunaux des marques communautaires 18 sont, de leur côté, compétentspour connaître des demandes reconventionnelles en déchéance ou nullité (lerégime de compétence territoriale instauré par l’article 97 du Règlement surla marque communautaire sera décrit à la section 2).

Dans l’hypothèse où l’O.H.M.I. est saisi d’une demande en déchéanceou en nullité alors que la validité de la marque est déjà contestée devant untribunal des marques communautaires, l’O.H.M.I. doit surseoir à statuer (soitde sa propre initiative après auditions des autres parties, soit à la demande del’une des parties et après audition des autres parties) 19. Néanmoins, « si l’unedes parties à la procédure devant le tribunal des marques communautaires ledemande, le tribunal peut, après audition des autres parties à cette procédure,suspendre la procédure ». Dans ce dernier cas, l’O.H.M.I. pourra poursuivrela procédure pendante devant lui.

16. Art. 41,42 et 56, 57 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009,sur la marque communautaire.

17. Art. 65 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la mar-que communautaires.

18. Les tribunaux communautaires sont des tribunaux de première et deuxième instance désignéspar les États membres et chargés de remplir les fonctions attribuées par le Règlement sur la mar-que communautaire.

19. Art. 104, § 2, Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur lamarque communautaire.

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12. Les dessins et modèles communautaires

Le Règlement sur les dessins et modèles communautaires 20 distingue,d’une part, les dessins et modèles communautaires enregistrés et d’autre part,les dessins et modèles communautaires non enregistrés.

a) Les dessins et modèles enregistrés

L’O.H.M.I. est compétent pour connaître des demandes relatives à lavalidité des modèles communautaires enregistrés. Sa compétence sera assezlimitée dès lors que le Règlement ne prévoit pas d’examen préalable des con-ditions de protection, ni de possibilité d’opposition 21. L’O.H.M.I. voit doncsa compétence confinée à l’action en annulation 22. Cette action peut êtreintroduite en dehors de toutes poursuites en contrefaçon. Mais elle peut aussil’être suite à de telles poursuites, menées par le titulaire du droit devant untribunal des dessins et modèles communautaires. Le Règlement prévoit eneffet la faculté, pour le tribunal saisi d’une demande reconventionelle en nul-lité dans de telles circonstances, de surseoir à statuer en invitant le défendeur àprésenter une demande de nullité à l’O.H.M.I. ; la demande de surséancedoit émaner de la partie demanderesse et les parties doivent être préalable-ment entendues 23.

Il convient de souligner que les décisions de l’O.H.M.I. sont appelablesdevant les chambres de recours de l’O.H.M.I. Les décisions des chambres derecours sont, à leur tour, susceptibles de recours devant le Tribunal del’Union européenne et la Cour de justice de l’Union européenne peutencore intervenir comme juge de cassation 24.

Remarquons également que les tribunaux des dessins et modèles com-munautaires connaissent en principe des demandes reconventionnelles ennullité intervenant au cours d’une action principale en contrefaçon. Néan-

20. Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles commu-nautaires, J.O.U.E., 5 janvier 2002, L 3, modifié par le Règlement n° 1891/2006 du Conseil du18 décembre 2006 modifiant les règlements n° 6/2002 et 40/94 en vue de donner effet à l’adhé-sion de la Communauté européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de La Haye concernantl’enregistrement international des dessins et modèles industriels, J.O.U.E., 29 décembre 2006, L386.

21. P. GREFFE et F. GREFFE, Traité des dessins et modèles, 7e éd., Paris, Litec, p. 592.22. Art. 52 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles

communautaires.23. Cf. art. 86.3 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou

modèles communautaires.24. Ibid., art. 61.

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moins, outre la faculté de surséance déjà mentionnée, cette action sera irrece-vable si l’O.H.M.I. a déjà rendu une décision sur la validité entre les mêmesparties sur une demande ayant le même objet et la même cause 25.

b) Les dessins et modèles non enregistrés

Le contentieux de la validité des modèles non enregistrés est confié auxseuls tribunaux des dessins et modèles communautaires 26. La compétenceterritoriale ainsi que la question de l’étendue de la saisine du juge sera analy-sée dans la deuxième section relative à l’action en contrefaçon.

3. Les obtentions végétales communautaires

Le Règlement 2100/94 a créé un régime de protection communautairedes obtentions végétales en tant que forme unique et exclusive de protectioncommunautaire de la propriété industrielle pour les variétés végétales 27. Envertu des articles 20 et 21 de ce Règlement, l’Office communautaire desvariétés végétales (O.C.V.V.) est exclusivement compétent pour traiter toutedemande de nullité ou de déchéance concernant les obtentions végétalescommunautaires. Les tribunaux nationaux statuant sur un litige relatif à uneprotection communautaire des obtentions végétales sont tenus de considérercette protection comme valide, en l’absence d’annulation ou de déchéanceprononcée par l’O.C.V.V 28.

4. La marque et le dessin ou modèle Benelux

En ce qui concerne la procédure en opposition, qui est ouverte aux titu-laires de marques antérieures estimant que la marque déposée est susceptiblede porter atteinte à leurs droits, elle doit être introduite devant l’OfficeBenelux de la propriété intellectuelle 29. Les décisions de l’Office peuventencore faire l’objet d’un recours devant une des trois cours d’appel spéciali-sées désignées par la Convention Benelux en matière de propriété intellec-tuelle (Bruxelles, Luxembourg ou La Haye) 30. La cour territorialementcompétente se détermine par l’adresse du défendeur originel, l’adresse de son

25. Ibid., art. 86, § 5.26. Ibid., art. 81.27. Art. 1, Règlement n° 2100/94, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection commu-

nautaire des obtentions végétales, J.O.U.E., 1er septembre 1994, L 227.28. Ibid., art. 105.29. Ibid., art. 2.14.30. Ibid., art. 2.17.1.

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1mandataire ou l’adresse postale, mentionnée lors du dépôt. Si aucune de cesadresses n’est située sur le territoire Benelux, la cour territorialement compé-tente se détermine par l’adresse de l’opposant ou de son mandataire. Si nil’opposant, ni son mandataire n’ont d’adresse ou d’adresse postale sur le terri-toire Benelux, la cour compétente est celle choisie par la partie qui introduitle recours. 31. Remarquons que ces décisions sont susceptibles d’un recoursen cassation 32.

De plus, une règle spéciale de compétence concerne le recours contreune décision de refus d’enregistrement de la marque Benelux pour motifs absolus.Ce recours doit être porté devant la cour d’appel de Bruxelles, de La Haye oude Luxembourg. La Cour territorialement compétente se détermine parl’adresse du déposant, du mandataire ou l’adresse postale mentionnée lors dudépôt. À défaut la cour compétente est celle choisie par le déposant 33.

Au contraire des instruments communautaires et du Règlement BruxellesI, la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle 34 ne retientpas la compétence de juridictions spéciales pour les actions en annulation ou endéchéance 35. Les tribunaux des États membres de la Convention sont dès lorscompétents pour connaître de ce type de litiges 36, que ce soit sous formed’action principale ou reconventionnelle. La compétence territoriale de cestribunaux est déterminée par l’article 4.6 de la Convention, disposition quisera examinée à la section suivante. Soulignons d’ores et déjà quel’article 4.6.1, alinéa 1, 2e phrase, de la Convention Benelux, qui dispose que« le lieu du dépôt ou de l’enregistrement d’une marque ou d’un dessin oumodèle ne peut en aucun cas servir à lui seul de base pour déterminer lacompétence », déroge à l’article 22, paragraphe 4, du Règlement de Bruxellesexaminé ci-après.

31. Ibid., art. 2.17.2.32. Ibid., art. 2.17.3.33. Art. 2.12 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février

2005 à La Haye.34. Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février 2005 à la Haye.35. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », in D. KAESMA-

CHER, Les droits intellectuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 136.36. Art. 2.14 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février

2005 à la Haye.

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5. Le brevet européen

La Convention de Munich sur le brevet européen 37 établit une procé-dure centralisée de délivrance de brevets. L’Office européen des brevets(O.E.B.) est ainsi compétent pour décerner un titre de brevet européen quicorrespond à un faisceau de brevets nationaux indépendants 38.

Il convient de distinguer le contentieux relatif à l’obtention de celui de lavalidité du brevet européen. Les litiges portant sur l’obtention du brevet euro-péen ont trait à la demande de brevet et surviennent avant que le brevet nesoit délivré 39. Des règles de compétences spécifiques – que nous n’examine-rons pas – concernant ces litiges sont exposées dans le Protocole sur la com-pétence judiciaire et la reconnaissance des décisions portant sur le droit àl’obtention du brevet européen annexée à la Convention de Munich 40. Lecontentieux de la validité est, quant à lui, postérieur à la délivrance du breveteuropéen.

Le contentieux de la validité du brevet européen regroupe principale-ment deux catégories de procédures : la révocation sur opposition et l’annu-lation. Cette distinction n’est pas sans conséquence sur l’attribution descompétences. En effet, l’O.E.B. est compétent pour connaître des procéduresen opposition et révoquer (ou limiter) un brevet suite à une telle demande 41.La procédure en opposition est une procédure administrative permettant auxtiers de faire disparaître un brevet européen pour l’ensemble des pays pourlesquels il a été accordé ; elle doit être formée dans les 9 mois de la délivrancedu brevet européen. Passé ce délai, le brevet ne peut plus être attaqué quedevant les tribunaux nationaux et chaque procédure nationale ne pourra con-duire qu’à l’anéantissement de l’extension territoriale correspondant au paysoù la procédure est diligentée. En l’absence de disposition spécifique relativeà la compétence internationale, il faut se référer aux règles générales édictéesdans le Règlement Bruxelles I, et en particulier à l’arti-cle 22, paragraphe 4,examiné ci-dessous.

37. Convention de Munich sur la délivrance de brevets européens du 5 juillet 1973.38. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit., p. 134 ;

B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets, des inventions et du savoir-faire : créer, protéger et par-tager les inventions au XXIe siècle, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 49.

39. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partagerles inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 496, n° 575.

40. Ibid., p. 496, pt 575.41. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit.,

pp. 134-135.

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ANTHEMIS 25

1B. La règle de compétence générale (art. 22, § 4, Règl. Brux. I)

1. Généralités

En l’absence de règles de compétence spécifiques, il convient de se réfé-rer au Règlement Bruxelles I pour déterminer devant quelle juridiction por-ter un litige relatif à la validité d’un droit intellectuel sujet à enregistrementou dépôt, lorsqu’il présente des éléments d’extranéité.

L’article 22, paragraphe 4, du Règlement Bruxelles I confère aux juri-dictions nationales une compétente exclusive pour connaître de tout litigerelatif à la validité des droits de propriété intellectuelle. Ledit article disposeque, « en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins etmodèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistre-ment » sont seuls compétents, sans considération de domicile, « les juridic-tions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement aété demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’uninstrument communautaire ou d’une convention internationale ».

En écho à cette disposition, l’article 86 du Code de droit internationalprivé dispose que, « par dérogation aux dispositions générales de la présenteloi, les juridictions belges ne sont compétentes pour connaître de toutedemande concernant l’inscription ou la validité de droits de propriété intel-lectuelle donnant lieu à dépôt ou enregistrement, que si ce dépôt ou enregis-trement a été demandé en Belgique, y a été effectué ou est réputé y avoir étéeffectué aux termes d’une convention internationale ».

2. Justification

La règle de compétence exclusive dont question constitue une exceptionà la règle générale de compétence de la juridiction du lieu du domicile dudéfendeur prévue à l’article 2 du Règlement Bruxelles I. Selon le rapportJenard 42, le caractère exclusif de cette règle se justifie parce que l’octroi d’untitre de propriété intellectuelle national relève de l’exercice de souveraineténationale. Néanmoins, comme le remarque à juste titre M. Pertegas Sen-der 43, la Cour de justice a recours à une autre justification : la nécessité deréserver les litiges concernant la validité des droits intellectuels « aux juridic-tion ayant avec eux une proximité matérielle et juridique » 44. La Cour a ainsi

42. Rapport explicatif sur la Convention de Bruxelles, J.O.U.E, 5 mars 1979, C 59, p. 36.43. M. PERTEGÀS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent Rights, An Analysis of the Interface between Intel-

lectual Property and Private International Law. Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 154, pt 4.15.44. C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. GAT c. LuK, § 21.

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jugé, dans l’affaire Duijnstee, que les juridictions des États du lieu de l’enregis-trement ou du dépôt sont « les mieux placées pour connaître des cas dans les-quels le litige porte lui-même sur la validité du brevet ou l’existence du dépôtou de l’enregistrement » 45.

3. Position prépondérante occupée par l’article 22, paragraphe 4, au sein du Règlement de Bruxelles

L’article 22 occupe une place prépondérante au sein du Règlement deBruxelles I. En effet, le régime de compétence internationale exclusive prévupar cet article possède un caractère impératif tant à l’égard du juge que desparties 46. Ainsi, en vertu de l’article 25 du Règlement de Bruxelles I, le juged’un État membre saisi à titre principal d’un litige pour lequel une juridictiond’un autre état membre est exclusivement compétent en vertu de l’article 22,paragraphe 4, sera tenu de décliner d’office sa compétence. De plus, une déci-sion rendue en méconnaissance de cette règle de compétence ne sera pasreconnue (art. 35, § 1, Règl. Brux. I). Enfin, Les parties ne peuvent déroger àl’application de l’article 22, paragraphe 4, ni par une convention attributivede juridiction (art. 23, § 5, Règl. Brux. I) ni par une comparution volontairedu défendeur (art. 24 Règl. Brux. I).

4. Champ d’application

Le champ d’application de la compétence exclusive attribuée aux juri-dictions nationales en vertu de l’article 22, paragraphe 4, est doublementlimité dès lors que cette disposition ne concerne que les droits intellectuelssujets à enregistrement ou dépôt et ne vise que les questions relatives à l’ins-cription ou la validité de ces droits. De plus, l’article 22, paragraphe 4, duRèglement Bruxelles I ne s’applique qu’aux droits nationaux enregistrés parun office national et aux droits faisant l’objet d’un dépôt international pro-duisant les mêmes effets nationaux qu’un droit enregistré par un officenational. 47 Comme on l’a vu, les questions de validité concernant des titrescommunautaires sont donc exclues du champ d’application de cette disposi-tion.

45. C.J.U.E., aff. Duijnstee, C-288/82, 15 novembre 1983, § 22.46. C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. GAT c. LuK précitée, § 24.47. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partager

les inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 498.

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Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

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15. Interprétation

La notion de litiges « en matière d’inscription ou de validité » recouvretous les litiges portant sur la validité, l’existence, la déchéance du droit ou encoresur la revendication d’un droit de priorité fondé sur un dépôt antérieur 48. End’autres mots, la règle de compétence exclusive trouve à s’appliquer lorsquele litige concerne directement le fonctionnement d’un service public 49. Acontrario, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les litiges liés àla propriété des droits intellectuels et, plus particulièrement, à la déterminationdu titulaire du brevet en cas d’invention d’employé, sont exclus du champd’application de l’article 22, paragraphe 4, du Règlement de Bruxelles, demême que les litiges en matières de contrefaçon 50. Ce faisant la Cour a inter-prété strictement le domaine de compétence exclusive 51.

Le cadre procédural dans lequel la règle de compétence exclusive trouve às’appliquer a, en revanche, été défini de manière extensive par la Cour de jus-tice de l’Union européenne à l’occasion de l’arrêt GAT c. LuK 52. Dans cetarrêt, la Cour, saisie à titre préjudiciel, a eu à connaître de la question desavoir si la compétence exclusive des juridictions nationales pour statuer sur lavalidité des titres de propriété intellectuelle sujets à enregistrement ou dépôts’applique seulement en cas de demande en nullité introduite à titre principalou si elle s’applique également lorsque le moyen de nullité est invoqué à titred’exception ou par le biais d’une action incidente. La Cour a jugé que laditerègle « concerne tous les litiges portant sur l’inscription ou la validité d’un brevet, que laquestion soit soulevée par voie d’action ou d’exception » 53. Cet arrêt a généralementété mal accueilli par la doctrine 54. Il a, notamment, été mis en exergue que lasolution consacrée aboutit à restreindre considérablement la portée des règles

48. Arrêt Duijnstee, § 24.49. M. PERTEGÀS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent Rights, An Analysis of the Interface between

Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 156, pt 4.18.50. Arrêt Duijnstee, C-288/82, § 28.51. F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international privé, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2005, p. 707.52. C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. précitée.53. Ibid.54. A. KUR, « A Farewell to Cross-Border Injunctions ? The ECJ Decision GAT v. LuK and Roche

v. Primus Goldenberg » 7 IIC (2006), pp. 850 et s ; P. TORREMANS, « The Way Forward Cross-Border Intellectual Property Litigation : Why GAT Cannot Be the Answer ? », in S. LEIBLE etA. OHLY (eds.), Intellectual Property and Private International Law, Tubingen, Mohr Siebeck, p. 194 ;K. SZYCHOWSKA, « Quelques observations sous les arrêts de la Cour de justice dans les affairesC-4/03 GAT et C-539/3 Roche », R.D.C, 2005, p. 498 ; P. TORREMANS, « The widening Reachof Exclusive Jurisdiction : Where Can You Litigate IP Rights after GAT ? », in A. NUYTS, Interna-tional Litigation in Intellectual Property and Information Technology Law, Kluwer International, 2008.

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Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

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générales de compétence, en particulier celle fondée sur le domicile dudéfendeur : il suffit que le défendeur évoque un problème de validité pourque la procédure diligentée devant les tribunaux de l’État de son domicilesoit suspendue. L’arrêt GAT restreint aussi considérablement la possibilité derassembler des procédures parallèles devant une seule juridiction et augmentepar la même occasion le risque de jugements contradictoires au sein del’Union européenne 55.

6. Quid concrètement lorsque la validité est contestée à titre incident dans le cadre d’un litige en contrefaçon ?

Dans l’arrêt GAT c. LuK, précité, la Cour de justice de l’Union euro-péenne n’a pas précisé expressément si la juridiction saisie à titre principald’une action en contrefaçon et à titre incident d’une action en nullité, doit sedéclarer incompétente pour tout le litige ou seulement pour l’action ayanttrait à la validité.

Cette question a donné lieu à une controverse. On distingue trois cou-rants doctrinaux. Le premier estime que dès lors qu’une question de validitése pose, la juridiction saisie à titre principal de l’action en contrefaçon doit sedessaisir de tout le litige et le renvoyer au juge national compétent pourl’action en validité en vertu de l’article 22, paragraphe 4, du RèglementBruxelles I 56. D’autres auteurs pensent que le tribunal compétent pour con-naître de l’action en contrefaçon devrait pouvoir juger de la demande inci-dente en validité afin d’éviter que des défendeurs de mauvaise foi nesoulèvent une question de validité dans le but de saisir une autre juridiction(dont la jurisprudence leur est plus favorable ou simplement à des fins dilatoi-res) 57. Selon un troisième courant, le litige doit dans ce cas être dissocié 58.Cette solution, à laquelle nous adhérons, trouve appui dans les conclusionsrendues par l’Avocat général Geelhoed dans l’affaire GAT c. LuK précitée.Ce dernier indique que les actions en violation « pure » de brevets doiventrester du ressort de la compétence générale prévue à l’article 2 du RèglementBruxelles I et ajoute que « le tribunal saisi de la violation peut transférerl’affaire dans sa totalité ou il peut garder l’affaire en suspens jusqu’à ce que letribunal de l’autre État membre compétent aux termes dudit article 16,

55. Ibid., p. 498, pt 16.56. OSTERTAG et SCHRAMM cités par M. PERTEGÀS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent

Rights, An Analysis of the Interface between Intellectual Property and Private International Law, op. cit.,p. 162, pt 4.38.

57. WEIGEL et TROLLER, cités par M. PERTEGÀS SENDER, op. et loc. cit.58. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 362.

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Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

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1point 4 59, ait tranché la question de la validité du brevet, et il peut égalementinstruire lui même l’affaire si le défendeur est de mauvaise foi » 60. Il peutaussi être déduit de l’arrêt Roche c. Primus que cette solution doit être préféréeà celle du renvoi de l’ensemble du litige devant le juge compétent pour con-naître de l’action en validité 61. Il s’ensuit que la juridiction compétente pourconnaître de la contrefaçon doit surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridictionsaisie de la question de la validité du droit se soit prononcée 62.

SECTION 2

Les actions en contrefaçon

La contrefaçon se définit comme étant toute atteinte portée à un droitintellectuel ; autrement dit, elle résulte de l’utilisation ou de l’exploitation de« l’objet d’un droit de propriété intellectuelle protégé sans l’autorisation deson titulaire » 63. Seul l’aspect civil de la compétence en matière de contrefa-çon sera abordé dans les lignes qui suivent, dès lors que le Règlement Bruxel-les I ne s’applique qu’en matière civile et commerciale.

Par analogie à la méthodologie appliquée dans la première section, nousaborderons tout d’abord les règles de compétence spécifiques prévues dansdivers instruments communautaires et Benelux avant d’explorer les disposi-tions applicables du Règlement Bruxelles I.

A. Les règles spécifiques

Il convient de rappeler que le Règlement de Bruxelles reconnaît la pri-mauté des règles de compétence particulières instaurées par les instrumentscommunautaires et Benelux 64. Par conséquent, dès lors que l’action en con-trefaçon a pour objet de faire sanctionner une atteinte portée à une marque

59. L’article 16.4 de la Convention de Bruxelles correspond à l’article 22.4 du Règlement Bruxelles I.60. Opinion de l’Avocat général Geelhoed dans l’affaire GAT du 16 septembre 2004, Rec., 2006, p.

I-06509, pt 46.61. « Cette juridiction ne pourrait s’opposer à un éclatement à tout le moins partiel du contentieux

en matière de brevets dès lors que, à titre incident, serait soulevée, comme cela est fréquent enpratique et comme tel est le cas dans l’espèce au principal, la question de la validité du brevet encause ». C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. Roche Nederland BV c. Frederik Primus et Milton Goldenberg,C-539/03, Rec., 2006, p. I-06535, pt 40.

62. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 371.63. M. SCHNEIDER et F. GEVERS, « Lutte anti-contrefaçon », in D. KAESMACHER, Les droits intellec-

tuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 134.64. Nous renvoyons à la section 1, A.

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Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

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communautaire, un modèle communautaire, une obtention végétale com-munautaire, une marque Benelux ou un modèle Benelux, la compétence dujuge doit être déterminée d’abord par référence à ces instruments, le droitcommun étant toutefois susceptible de prendre le relais à titre supplétif.

1. La marque communautaire

a) Le Règlement sur la marque communautaire et le Règlement Bruxelles I

La relation entre le Règlement Bruxelles I et le Règlement sur la marquecommunautaire est réglée par l’article 94 du Règlement sur la marque com-munautaire. Cet article prévoit que le Règlement Bruxelles I est applicableau litige concernant la validité et la contrefaçon d’une marque, sauf si leRèglement sur la marque communautaire y déroge. L’article 94, paragra-phe 2, spécifie que les articles 2, 4, 5, paragraphe 1, 5 paragraphe 3, 5 para-graphe 4, 5 paragraphe 5 et 31 du Règlement Bruxelles I ne sont pas applica-bles en matière de contrefaçon de marque communautaire.

Le Règlement sur la marque communautaire prévoit un régime de com-pétence internationale spécifique pour le contentieux de la contrefaçon ;celui-ci est attribué de façon exclusive aux « tribunaux des marques commu-nautaires » 65.

b) Les tribunaux des marques communautaires

Les tribunaux des marques communautaires sont des juridictions natio-nales de première et deuxième instance désignées par chaque État membre del’Union européenne pour connaître (notamment) du contentieux de la con-trefaçon d’une marque communautaire 66. En Belgique les tribunaux désignéssont le tribunal de commerce de Bruxelles et la cour d’appel de Bruxelles.

c) La compétence ratione materiae

Selon l’article 96 du Règlement sur la marque communautaire, les tribu-naux des marques communautaires ont compétence exclusive pour connaîtrenon seulement des actions en contrefaçon, mais également des actions enmenace de contrefaçon et des demandes en déclaration de non contrefaçon, sila loi nationale les connaît. 67.

65. Titre X du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la mar-que communautaire.

66. Art. 95 du Règlement communautaire n° 207/2009.67. Art. 96 du Règlement communautaire n° 207/2009.

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Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

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1d) La compétence ratione loci

La compétence territoriale des tribunaux des marques communautairesest réglée par l’article 97 du Règlement. Deux règles de compétence y sontprévues. Le demandeur peut, à son choix, se fonder sur un critère personnel ousur un critère matériel de rattachement. Dans le premier cas, le demandeur por-tera le litige devant le juge de l’État membre sur le territoire duquel le défen-deur a son domicile ou un établissement fixe. À défaut, il pourra saisir le jugedu lieu de son propre domicile (ou établissement), si celui-ci est situé sur leterritoire de l’Union européenne. Enfin, si ni le défendeur ni le demandeurn’ont de domicile ou d’établissement dans un des États membres de l’Unioneuropéenne, le demandeur pourra saisir le tribunal de l’État membre oùl’O.H.M.I. a son siège, autrement dit le tribunal espagnol 68. En toute hypo-thèse, le demandeur peut toutefois opter pour le tribunal du lieu où l’acte decontrefaçon a été commis ou menace d’être commis 69.

e) L’étendue variable de la compétence

Le tribunal des marques communautaires compétent en raison du lieu dela contrefaçon ne pourra cependant statuer que sur les faits commis ou mena-çant d’être commis sur son territoire 70 ; en cas de contrefaçon s’étendant àplusieurs pays, le recours au critère matériel pourrait donc contraindre ledemandeur à saisir plusieurs juridictions. Au contraire, le tribunal saisi envertu du premier chef de compétence, d’ordre personnel, peut statuer sur desfaits de contrefaçon commis sur le territoire de tout État membre 71 et ce, enraison du caractère unitaire de la marque communautaire. Toutefois, si lesactes ou menaces de contrefaçon se limitent à un ou plusieurs territoires del’Union, la décision sera limitée à ces territoires 72.

f) La connexité

L’article 104 du Règlement sur la marque communautaire prescrit deuxrègles spécifiques applicables en matière de connexité. La première vise la situa-tion où un tribunal de marque communautaire a été saisi pout connaître d’uneaction en contrefaçon alors que la validité de cette marque est déjà contestéedevant un autre tribunal. Dans cette situation, le tribunal saisi de la demande en

68. Ibid., art. 97.1, 97.2 et 97.3.69. Ibid., art. 97.5.70. Art. 98.2 du Règlement communautaire n° 207/2009.71. Ibid., art. 98.1.72. C.J.U.E., 12 avril 2011, aff. DHL Express France SAS/ Chronopost SA, C-235/09, J.O.U.E., 18

juin 2011, C 179/2.

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Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

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contrefaçon doit surseoir à statuer (soit de sa propre initiative et après avoirauditionné les parties, soit à la demande d’une des parties et après audition del’autre), à moins que des raisons particulières de poursuivre la procédure n’exis-tent 73. La deuxième situation est celle où l’O.H.M.I. est saisi d’une demandeen annulation ou en déchéance alors que cette question est déjà pendantedevant un tribunal communautaire ; cette situation a déjà retenu notre atten-tion dans le cadre de la section 1, A.1., à laquelle nous renvoyons.

Il convient de préciser qu’aucune disposition du Règlement n’écartel’application des articles 27 et 28 du Règlement Bruxelles I, relatifs à la litis-pendance et la connexité. Dès lors, il faut considérer que ces dispositions,dont le contenu sera examiné plus loin, sont applicables, en vertu, de l’arti-cle 94, paragraphe 1, du Règlement sur la marque communautaire.

g) Prorogations de compétence

Le Règlement sur la marque communautaire stipule encore que lesarticles 23 et 24 du Règlement de Bruxelles sont applicables aux actions encontrefaçon de marque communautaire. Dès lors, en vertu de l’article 23, lesparties peuvent convenir de la compétence d’un autre tribunal des marquescommunautaires. L’article 24 est quant à lui applicable dès qu’un défendeurcomparait devant un tribunal de la marque communautaire sans élever dedéclinatoire de juridiction 74.

2. Les dessins et modèles communautairesa) Le Règlement sur les dessins et modèles communautaires

et le Règlement Bruxelles I

La relation entre, d’une part, le Règlement Bruxelles I et, d’autre part, leRèglement sur les dessins et modèles est précisée à l’article 79 de ce dernierRèglement. La rédaction de cet article est quasiment identique à celle del’article 94 du Règlement sur la marque communautaire 75. La seule diffé-rence avec le Règlement sur la marque communautaire réside dans le fait quel’application de l’article 22 paragraphe 4, du Règlement Bruxelles I (claused’attribution de juridiction) est explicitement exclue 76.

73. Art. 104, § 1, Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur lamarque communautaire.

74. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 413.75. Il s’agit en réalité d’une simple clarification dans la mesure où l’article 22, § 4, ne s’applique

qu’aux droits nationaux ou les droits faisant l’objet d’un dépôt international mais produisant lesmêmes effets qu’un droit national.

76. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 434.

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1b) Distinction entre les dessins et modèles enregistrés et ceux non enregistrés

Pour rappel, nous avons souligné dans la première section de cette contri-bution que le Règlement sur les dessins et modèles communautaires instaureun régime de compétence sui generis reflétant la distinction entre les dessins etmodèles enregistrés et ceux qui ne le sont pas 77. En matière de contrefaçon,cette distinction n’a pas lieu d’être dès lors que les tribunaux des dessins etmodèles communautaires sont compétents pour connaître de toutes actions encontrefaçon, que le dessin ou modèle soit enregistré ou non.

c) Les tribunaux des dessins et modèles communautaires

Les tribunaux des dessins et modèles sont institués par l’article 80 duRèglement sur les dessins et modèles communautaires. Tout comme pour lamarque communautaire, les États membres doivent désigner sur leur terri-toire des tribunaux compétents pour connaître des actions relatives aux des-sins et modèles communautaires. En Belgique, il s’agit, comme en matière demarques communautaires, du tribunal de commerce de Bruxelles et de lacour d’appel de Bruxelles.

d) Compétence ratione materiae

Les tribunaux des dessins et modèles communautaires sont compétentspour connaître des actions en contrefaçon et, si la loi nationale les admet, desactions en menace de contrefaçon et des actions en déclaration de non con-trefaçon 78.

e) Compétence ratione loci

La compétence territoriale des tribunaux des dessins et modèles commu-nautaires est déterminée à l’article 82 du Règlement sur les dessins et modèlescommunautaire, qui est rédigé de manière identique à l’article 97 du Règle-ment sur la marque communautaire. Le demandeur peut donc saisir le tribu-nal du lieu du domicile ou d’établissement du défendeur, à défaut celui du

77. M. PERTERGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit.,p. 135 ; M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and Interna-tional Private Law viewed from a Belgium Perspective », p. 15.

78. Art. 81 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèlescommunautaires, J.O.U.E., 5 janvier 2002, L 3 modifié par le Règlement n° 1891/2006 duConseil du 18 décembre 2006 modifiant les règlements n° 6/2002 et 40/94 en vue de donnereffet à l’adhésion de la Communauté européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de LaHaye concernant l’enregistrement international des dessins et modèles industriels, J.O.U.E.,29 décembre 2006, L 386.

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lieu de son domicile ou d’établissement et enfin si ni le défendeur ni ledemandeur ne sont domiciliés ou n’ont d’établissement dans un des Étatsmembres de l’Union européenne, le tribunal espagnol 79. Alternativement lelitige pourra être porté devant le tribunal des marques communautaires dulieu de la contrefaçon 80.

f) L’étendue de la compétence

L’étendue de la compétence du tribunal des dessins et modèles commu-nautaires dépend à nouveau du fondement de sa compétence. Lorsque le tri-bunal est saisi sur la base du domicile ou de l’établissement, il peut statuer surdes faits ou menaces de contrefaçon commis sur le territoire de tout Étatmembre. La saisine d’un tribunal de dessin ou modèle communautaire estplus restreinte lorsque sa compétence découle du lieu de la contrefaçon : il neconnaît alors que des faits de contrefaçon ou des menaces de contrefaçoncommis sur le territoire national 81.

g) Connexité

La question de la connexité est réglée comme en matière de marquescommunautaires (cf. supra).

3. Les obtentions végétales communautaires

Au contraire du Règlement sur la marque communautaire et de celui surles dessins et modèles communautaires, le Règlement en matière de pro-tection des obtentions végétales ne contraint pas les États membres à créerou désigner des tribunaux nationaux spéciaux pour connaître des actions encontrefaçon 82.

Par contre, les chefs de compétence des tribunaux édictés parl’article 101 du Règlement concernant les obtentions végétales communau-

79. Art. 80.1, 80.2 et 80.3 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur lesdessins ou modèles communautaires.

80. Ibid., art. 82.5.81. Ibid., art. 83.82. Il est admis que les lacunes du Règlement concernant les obtentions végétales communautaires

doivent être comblées en priorité par l’application des dispositions du Règlement Bruxelles I,même si on n’y trouve de référence qu’à la Convention de Lugano : voy. M.-Ch. JANSSENS,« The relationship between Intellectual Property Law and International Private Law viewedfrom a Belgium Perspective », in E. DIRIX et Y.-H. LELEU, The Belgian Report at the Congress ofWashington of the International Academy of Comparative Law, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 627 ;U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, Brussels IRegulation, Munich, Sellier, 2007, p. 16.

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1taires sont identiques à ceux prescrits par les Règlements sur la marque com-munautaire et sur les dessins et modèles communautaires, de même d’ailleursque l’étendue de la saisine du juge. On se permet donc de renvoyer à ce qui aété dit plus haut, en notant toutefois qu’à la différence des deux Règlementssusmentionnés, il semble que soit réservée l’application de toutes les provi-sions du Règlement de Bruxelles 83.

4. La marque et les dessins ou modèles Benelux

Comme nous l’avons déjà souligné 84, les tribunaux nationaux des troisÉtats parties à la Convention Benelux sont compétents pour connaître detout le contentieux relatif à la marque et au dessin ou modèle Benelux, àl’exclusion des recours contre les refus d’enregistrement et des oppositions(au premier degré) 85.

En l’absence de convention expresse attributive de compétence territo-riale, la compétence territoriale est déterminée « par le domicile du défendeurou par le lieu où l’obligation litigieuse est née, a été ou doit êtreexécutée » 86. Si la compétence ne peut être déterminée sur la base de ces cri-tères, le tribunal national compétent est celui du lieu du domicile ou de l’éta-blissement du demandeur. À défaut d’avoir son domicile ou son établissementsur le territoire du Benelux, le demandeur portera l’affaire devant le tribunal deson choix, soit à Bruxelles, soit à La Haye, soit à Luxembourg 87. On retrouvedonc une alternative similaire à celle prévue par les règlements communautai-res en matière de propriété intellectuelle (critère de rattachement personnel ver-sus matériel), avec toutefois une articulation légèrement différente et sans quele texte ne précise si le tribunal saisi peut connaître des faits de contrefaçoncommis dans les deux autres États du Benelux lorsque la compétence a étédéterminée par le lieu de naissance ou d’exécution de l’obligation.

83. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 627 ; U. MAGNUS et P. MANKOWSKI,op. cit., p. 443.

84. Voir section 1, A, point 4.85. Art. 4.5 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février

2005 à La Haye.86. Ibid., art. 4.6.1. Le lieu de naissance de l’obligation renvoie, à notre avis, au lieu où ont été com-

mis les faits de contrefaçon, ceux-ci donnant naissance à une obligation de réparation dans le chefdu contrefacteur. Le lieu d’exécution de l’obligation est, a priori, le lieu où reside le titulaire dudroit intellectuel violé créancier de dommages et intérêts, dans un système où les dettes sont qué-rables comme en Belgique.

87. Ibid. art. 4.6.2.

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36 ANTHEMIS

Notons que la Cour de justice Benelux a dit pour droit que lorsqu’unedemande ‘en matière de marques’ est formée conjointement par plusieursdemandeurs devant un tribunal à l’intérieur du territoire Benelux, qui est com-pétent à l’égard d’un de ces demandeurs (en vertu de l’article 37 L.U.B.M.,équivalent de l’article 4.6 C.B.P.I.), et que le droit national de ce tribunalprévoit qu’en cas de pluralité de demandeurs, la compétence à l’égard de l’unemporte la compétence à l’égard des autres, ce tribunal est également compé-tent à l’égard des demandes des autres demandeurs, même s’ils ne sont pasétablis dans son ressort » 88.

L’article 4.6, alinéa 4, de la Convention Benelux précise encore que letribunal devant lequel la demande principale est pendante, connaît desdemandes en garantie, des demandes en intervention et des demandes inci-dentes, ainsi que des demandes reconventionnelles, à moins qu’il ne soitincompétent en raison de la matière. Par ailleurs, en vertu de l’alinéa 5, lestribunaux de l’un des trois pays renvoient, si l’une des parties le demande,devant les tribunaux de l’un des deux autres pays, les contestations dont ilssont saisis, quand ces contestations y sont déjà pendantes ou quand elles sontconnexes à d’autres contestations soumises à ces tribunaux. Le renvoi ne peutêtre demandé que lorsque les causes sont pendantes au premier degré de juri-diction. Il s’effectue au profit du tribunal premier saisi par un acte introductifd’instance, à moins qu’un autre tribunal n’ait rendu sur l’affaire une décisionautre qu’une disposition d’ordre intérieur, auquel cas le renvoi s’effectuedevant cet autre tribunal.

B. Les règles générales de compétence

À défaut de règles de compétence particulières dérogeant valablement auRèglement Bruxelles I, il convient de se référer à celui-ci pour déterminer letribunal compétent pour connaître d’une action en contrefaçon. Tel est le caslorsque le droit concerné est purement national (droit d’auteur et droits voi-sins, brevet belge, droits d’obtention végétale, notamment), mais aussi lors-que les règlements communautaires en matière de propriété intellectuellesont muets sur une question particulière de compétence. Nous commence-rons par un bref aperçu de la règle de compétence générale qui commande desaisir la juridiction du lieu du domicile du défendeur. Ensuite, nous analyse-rons la règle de compétence spéciale prévue par l’article 5, paragraphe 3, en

88. C.J. Benelux, 16 décembre 1991, aff. Burburry c. Bossi, A 90/4, C.J. Benelux-Jurisp., 1991, p. 16,pt 50.

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1matière délictuelle. Enfin nous aborderons la question des multiples défen-deurs, et le régime de la litispendance et de la connexité.

1. Le juge du lieu du domicile du défendeur (art. 2 Règl. Brux. I)

Comme on le sait, le Règlement Bruxelles I prévoit un for général decompétence : celui de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur ason domicile. L’article 2 de ce Règlement dispose, en effet, que : « les person-nes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leurnationalité, devant les juridictions de cet État membre ». Les dérogations au prin-cipe fondamental de la compétence des juridictions du domicile du défendeurdoivent s’interpréter restrictivement 89.

Cette règle de compétence présente un avantage en cas de délit transfron-talier « plurilocalisé » 90, en d’autres mots lorsque le fait générateur et le dom-mage sont dissociés, mais aussi en cas de délits similaires commis par une mêmepersonne dans plusieurs États. Ainsi, dans le domaine de la propriété intellec-tuelle, il permet de réunir devant un seul juge des procédures a priori parallèlesdécoulant d’un même comportement contrefaisant 91. Par exemple, le titulaired’un droit d’auteur pourra poursuivre en Belgique un défendeur domicilié surle territoire belge pour des faits de contrefaçon commis en Belgique, en Franceet en Angleterre, voire uniquement en France ou en Angleterre.

2. Le juge du lieu du délit (art. 5, § 3, Règl. Brux. I)

À côté de la règle de compétence générale, le Règlement Bruxelles Iprévoit une règle de compétence spéciale susceptible de s’appliquer en cas decontrefaçon. L’article 5, paragraphe 3, de ce Règlement prévoit en effetqu’une « personne domiciliée dans un État membre peut être attraite, dans un autreÉtat membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu oule fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Traditionnellement,cette compétence spéciale est justifiée par la proximité entre le litige et lajuridiction qui est appelée à en connaître 92.

89. M. PERTEGAS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent Rights, op. cit., p. 56.90. E. TREPPOZ, « Les litiges internationaux de la propriété intellectuelle et le droit international

privé », in J. DE WERRA, La Résolution des litiges de propriété intellectuelle, Bâle, Schulthess, 2010,p. 84.

91. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 145,pt 5.08.

92. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 89.

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Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

38 ANTHEMIS

Cette compétence n’étant pas exclusive, mais « spéciale », l’action encontrefaçon peut être introduite soit devant les tribunaux du défendeur, soitdevant le tribunal du lieu de la contrefaçon. Le choix entre ces deux chefs decompétence appartient au demandeur, étant entendu que l’un et l’autre coïn-cideront souvent, puisqu’un contrefacteur tend à exercer ses activités d’abordlà où il est domicilié 93.

La Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de se penchersur l’interprétation à donner de la notion de « matière délictuelle et quasidélictuelle ». Dans l’arrêt Kalfelis 94, la Cour a défini cette notion de manièrenégative et autonome comme étant « toute demande visant à mettre en jeu laresponsabilité du défendeur et qui ne se rattache pas à la matièrecontractuelle ». Concrètement, il est donc primordial d’établir que le litigen’est pas de nature contractuelle avant de saisir le tribunal du lieu du délit 95.

De nombreux délits sont couverts par l’article 5, paragraphe 2, et il estgénéralement admis que les atteintes à des droits intellectuels en font partie 96.Cette solution peut notamment trouver appui dans l’arrêt Shevill 97de la Courde justice de l’Union européenne. Dans cette affaire, la Cour a appliquél’article 5, paragraphe 3, à une affaire de diffamation ; or, le droit à l’honneuret à la réputation est, dans une certaine mesure, comparable à un droit depropriété intellectuelle.

Le « lieu où le fait dommageable s’est produit » n’est pas défini demanière expresse à l’article 5, paragraphe 3. Selon une interprétation cons-tante de la Cour de justice de l’Union européenne 98, ce lieu inclut non seu-lement l’endroit où le fait générateur du dommage est commis, mais égalementle lieu de survenance du dommage 99. Un second choix est donc susceptible des’offrir au titulaire du droit intellectuel.

Selon l’arrêt Shevill, l’étendue de la compétence du juge est toutefois pluslimitée lorsque le tribunal saisi est celui du lieu où s’est réalisé le dommage etne coïncide pas avec le lieu où l’acte de diffamation a été accompli : ce juge

93. Ibid., p. 191.94. C.J.U.E., 27 septembre 1988, aff. Kalfelis c. Schröder, C-189/87, Rec., 1988, p. I-5565.95. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 185.96. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-

vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 635, pt 40 ; U. MAGNUS et P. MAN-

KOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 188.97. C.J.U.E., 7 mars 1995, aff. Shevill c. Press Aliance, Rec., 1995, p. I 415.98. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 190.99. C.J.U.E., 30 novembre 1976, aff. Bier c. Mine de Potasse d’Alsace, C-21/76, Rec., 1976, p. I-1735.

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1ne peut, en effet, statuer que sur le dommage subi sur son territoire 100, alorsque le juge du lieu de l’événement causal à l’origine du dommage sera com-pétent pour réparer le dommage survenu dans tous les États membres 101.Dégagée dans une espèce relative à un délit de presse, cette précision présenteune importance considérable dans le cadre des délits commis sur Internet, sou-vent au préjudice de titulaires de droits intellectuels 102.

En conclusion, le demandeur peut attraire le défendeur soit devant lestribunaux du domicile du défendeur, soit devant le juge du lieu de l’événe-ment causal ayant donné naissance au dommage ou encore devant le juged’un lieu où le dommage s’est produit. Cependant, ce dernier voit sa compé-tence limitée, ce qui pourrait contraindre le demandeur à diligenter plusieursactions 103. Cette théorie, dite de la mosaïque, peut être vue comme un obs-tacle au phénomène bien connu du forum shopping 104 dans la mesure où elleincite le demandeur à poursuivre le défendeur devant la juridiction du lieu oùl’acte primaire de contrefaçon a été commis, lequel coïncidera généralementavec le lieu du domicile du défendeur.

3. Comparution du défendeur

Un troisième chef de compétence pourrait encore être retenu en matièrede contrefaçon. L’article 24 du Règlement Bruxelles I dispose en effet que« (…) le juge d’un État membre devant lequel le défendeur comparaît estcompétent », précisant que « cette règle n’est pas applicable si la comparutiona pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridictionexclusivement compétente en vertu de l’article 22 ». L’article 24 du Règle-ment Bruxelles I est applicable en matière de contrefaçon.

100. Rappr. art. 86 C. D.I.P. : « Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toutedemande concernant la protection de droits de propriété intellectuelle, outre dans les cas prévuspar les dispositions générales de la présente loi, si cette demande vise une protection limitée auterritoire belge ».

101. C.J.U.E., 7 mars 1995, aff. Shevill c. Press Aliance, C- 68/93, Rec., 1995, p. I-415.102. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., pp. 552

et s. Pour des informations complémentaires relatives aux délits commis sur internet, voy.A. NUYTS, « Suing at the Place of Infringement : The Application of Article 5(3) of Regulation44/2001 to IP Matters and Internet Disputes », in A. NUYTS, International Litigation in IntellectuelProperty and Information Technology, Kluwer Law International, 2008.

103. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 336.

104. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 194.

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4. Pluralité de défendeurs

L’article 6, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I prévoit qu’une per-sonne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite,« s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’entre eux, àcondition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a inté-rêt à les instruire et les juger ensemble afin d’éviter des solutions qui pourraient êtreinconciliables si les causes étaient jugées séparément ». Il s’agit également d’unerègle de compétence spéciale 105.

L’avantage de cette disposition est de conférer au demandeur la possibi-lité de concentrer plusieurs litiges devant une juridiction unique. Inverse-ment, ladite disposition présente l’inconvénient d’élargir considérablementles possibilités de forum shopping.

La difficulté principale consiste à déterminer à partir de quand existe lerapport étroit visé à l’article 27. En particulier, un tel rapport est-il présentlorsqu’une même invention brevetée est exploitée sans autorisation par diver-ses sociétés dans des États européens distincts ?

a) Spider in the Web

La cour d’appel de La Haye, particulièrement touchée par le phénomènede forum shopping, a tenté de limiter les possibilités de concentration des litigesparallèles devant elle, en dégageant deux conditions d’application del’article 6, paragraphe 1. Premièrement, les contrefacteurs doivent appartenirau même groupe de sociétés et les actes de contrefaçon doivent découlerd’une politique commune orchestrée par la société mère. Deuxièmement, laconcentration des litiges ne peut avoir lieu que devant les tribunaux de l’Étatmembre où la société mère possède son siège 106. Cette interprétation del’article 6, paragraphe 1, est connue sous le nom imagé de Spider in the Web(l’araignée dans sa toile). Si cette théorie a été considérée comme une solu-tion satisfaisante au recours excessif à l’article 6, paragraphe 1, en pratique ellesoulève d’autres difficultés, telles que l’absence de définition harmonisée de lanotion de société mère 107.

105. Ibid., p. 238.106. Cour d’appel de Hague, 23 avril 1998, aff. Expandable Grafts Partnership c. Boston scientific, B.V.,

F.S.R., 352 [1999].107. C. GONZALES BEILFUSS, « Is There Any Web for the Spider : Jurisdiction over Co-defendants

after Roche Nederland », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectual Property and Informa-tion Technology, Kluwer Law International, 2008.

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1b) L’arrêt Roche

Dans son arrêt Roche 108, la Cour de justice de l’Union européenne aretenu une interprétation plus restrictive de l’article 6, paragraphe 1 109. Selonla Cour, « l’article 6, point 1 (…) doit être interprété en ce sens qu’il nes’applique pas dans le cadre d’un litige en contrefaçon de brevet européenmettant en cause plusieurs sociétés, établies dans différents États contractants,pour des faits qui auraient été commis sur le territoire d’un ou de plusieurs deces États, même dans l’hypothèse où lesdites sociétés, appartenant à un mêmegroupe, auraient agi de manière identique ou similaire, conformément à unepolitique commune qui aurait été élaborée par une seule d’entre elles 110 ».Dès lors, on peut déduire de cet arrêt que le simple fait que des juridictionsd’États membres différents soient saisies d’actions en contrefaçon n’est pas, ensoi, suffisant pour créer un lien de connexité et ce, même si les défendeurssont des sociétés appartenant à un même groupe et qu’il apparaît qu’elles ontagi de concert. Il s’agit donc d’une remise en cause explicite de la théorie del’araignée dans sa toile 111.

5. Litispendance et connexité

a) La listispendance

La question de la litispendance est gouvernée par l’article 27 du Règle-ment Bruxelles I. Deux règles y sont inscrites. Selon l’article 27,paragraphe 1, « lorsque des demandes ayant le même objet et la même causesont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membresdifférents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ceque la compétence du tribunal premier saisi soit établie ». L’article 27,paragraphe 2, poursuit en énonçant que, « lorsque la compétence du tribunalsaisi en premier lieu est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit enfaveur de celui-ci ».

L’article 27 a été conçu afin d’éviter que la juridiction d’un État membresoit empêchée de reconnaître une décision prise par une juridiction d’un autreÉtat membre en application de l’article 34 du Règlement Bruxelles I 112 . Aux

108. C.J.U.E., 13 juillet 2007, aff. Roche v. Primus, C-539/03, Rec., 2006, p. 6535.109. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-

vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 637.110. C.J.U.E., 13 juillet 2007, aff. Roche v. Primus, C-539/03, Rec., 2006, p. 6535, dispositif.111. Pour de plus amples informations, voy. C. GONZALES BEILFUSS, « Is There Any Web for the

Spider : Jurisdiction over Co-defendants after Roche Nederland », op. cit.112. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 498.

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termes de cette dernière disposition, une décision n’est pas reconnue, notam-ment si « elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes par-ties dans l’État membre requis ».

Une conséquence néfaste de l’article 27 consiste en ce qu’il permet à uncontrefacteur, lorsqu’il craint qu’une action soit intentée à son encontre dansun État déterminé de l’Union européenne, d’introduire une action « préven-tive » (en déclaration de non contrefaçon, lorsque le droit national le permet,ou éventuellement en annulation ou en déchéance) et ainsi de prendre avan-tage de la règle de litispendance pour retarder le règlement de l’action encontrefaçon 113. On a parlé notamment de « torpilles italiennes » (ou belges)parce que le potentiel défendeur optera en général pour la juridiction d’unÉtat réputé pour la lenteur de sa justice… 114.

En Belgique, le tribunal de première instance de Bruxelles a considéréque l’introduction d’une action en déclaration de non contrefaçon dans le butde paralyser l’action en contrefaçon constitue un abus du droit de recourir àl’article 27 du Règlement Bruxelles I dans la mesure où ce dernier estdétourné de son but 115.

La question de savoir si l’article 27 s’applique lorsque la deuxième juri-diction a une compétence exclusive en vertu d’une clause attributive de juridic-tion a reçu une réponse affirmative dans l’arrêt Gasser 116. Selon la Cour, lejuge saisi en second lieu et dont la compétence a été revendiquée en vertud’une clause attributive de juridiction doit néanmoins surseoir à statuer jusqu’àce que le juge saisi en premier lieu se soit déclaré incompétent. En outre, ilne saurait être dérogé à cette obligation de surséance lorsque, d’une manièregénérale, la durée des procédures devant les juridictions de l’État contractantdans lequel le tribunal saisi en premier lieu a son siège est excessivement lon-gue.

b) La connexité

L’article 28 du Règlement Bruxelles I règle la question de la connexité.Il y a connexité au sens de cette disposition lorsque des demandes sont « liéesentre elles par un rapport si étroit qu’il y a lieu de les instruire et les juger en

113. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., , p. 208,pt 5.215.

114. Ibid., pt 5.216.115. Tribunal de première instance de Bruxelles, 12 mai 2000, Röhm Enzyme, IER, 2000, p. 227.116. C.J.U.E., 9 décembre 2003, aff. Gasser GmbH c. Misat Srl, C-116/02, Rec., 2003, p. I-14721.

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1même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si lescauses étaient jugées séparément » 117.

L’article 28, paragraphe 1, dispose que, « lorsque les demandes connexessont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridictionsaisie en second lieu peut surseoir à statuer ». L’article 28, paragraphe 2, ajoute que,« lorsque ces demandes sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie ensecond lieu peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condi-tion que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des demandes enquestion et que sa loi permette leur jonction ».

La notion de connexité avait été interprétée par la Cour de justice dans sonarrêt Tatry rendu sous l’empire de la Convention de Bruxelles 118. La Couravait dit pour droit que, pour qu’il y ait connexité entre deux causes, « il suffitque leur instruction et leur jugement séparés comportent le risque d’une con-trariété de décisions, sans qu’il soit nécessaire qu’ils comportent le risque deconduire à des conséquences juridiques s’excluant mutuellement » 119. Cepen-dant, cette interprétation large de la notion de connexité semble remise encause par l’arrêt Roche, précité, de la Cour de justice de l’Union euro-péenne 120. Dans cet arrêt relatif à l’article 6 du Règlement Bruxelles I (défen-deurs multiples) dont le libellé est identique à celui de l’article 28, la Cour aen effet dit pour droit que, « pour que des décisions puissent être considéréescomme contradictoires, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans lasolution du litige, mais il faut encore que cette divergence s’inscrive dans lecadre d’une même situation de fait et de droit ». Et, toujours selon l’arrêtRoche, lorsque plusieurs juridictions de différents États contractants sont sai-sies d’actions en contrefaçon d’un brevet européen délivré dans chacun de cesÉtats (…), d’éventuelles divergences entre les décisions rendues par les juridic-tions en cause ne s’inscriraient pas dans le cadre d’une même situation dedroit. D’éventuelles décisions divergentes ne sauraient donc être qualifiées decontradictoires » 121.

117. Art. 28, § 3, Réglement Bruxelles I.118. C.J.U.E., 6 décembre 1994, aff. Tatry c. Maciej Rataj, C-406/92, Rec., 1994, p. I-5439, pt 52.119. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-

vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 637.120. C.J.U.E., 13 juillet 2007, aff. Roche v. Primus, C-539/03, Rec., 2006, p. 6535, pt 26.121. Op. cit., pts 31-32.

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Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

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SECTION 3

Le contentieux contractuel

Rappelons qu’il existe différentes catégories de contrats impliquant desdroits intellectuels. Dans le domaine de la propriété industrielle, on mention-nera principalement le contrat de cession et le contrat de licence – auquelsont apparentés les accords dits de transfert de technologie, de même que lesaccords de coexistence – ; un contrat de distribution, notamment de fran-chise, peut également contenir des clauses relatives à des droits de propriétéindustrielle 122.

Comme pour les sections précédentes, les règles spécifiques seront abor-dées dans un premier temps, puis les règles générales prescrites par le Règle-ment Bruxelles I.

A. Règles propres à certains droits intellectuels

1. La marque communautaire

Comme on l’a vu, les dispositions du Règlement Bruxelles I sont appli-cables aux procédures relatives à la marque communautaire sauf lorsque leRèglement 207/2009 y déroge (cf. article 94.1 de ce dernier règlement). Or,aucune règle dérogatoire n’est prévue en ce qui concerne le contentieux con-tractuel en matière de marque communautaire. En effet, les règles de compé-tence particulières énoncées aux articles 96 et suivant ne concernent que leslitiges « en matière de validité et de contrefaçon » de marques communautai-res. Par conséquent, les dispositions du Règlement Bruxelles I sont applicablesaux litiges purement contractuels 123.

L’article 106 du Règlement sur la marque communautaire précise que« dans l’État membre dont les tribunaux sont compétents conformément (auRèglement Bruxelles I), les actions autres que celles visées à l’article 96 sontportées devant les tribunaux qui auraient compétence territoriale et d’attributions’il s’agissait d’actions relatives à des marques nationales enregistrées dans l’Étatconcerné 124. Par conséquent, un tribunal qui n’a pas compétence pour seprononcer sur la validité d’une marque communautaire pourrait valablementêtre saisi d’une action de nature contractuelle. En Belgique, par exemple, unetelle action pourrait le cas échéant être introduite devant le tribunal de com-

122. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 745,pt 14.01.

123. Ibid., p. 409, pt 8.07.124. Art. 106.1 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la

marque communautaire, J.O.U.E, 24 mars 2009, L 78/1.

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ANTHEMIS 45

1merce de Liège. Toutefois, si le défendeur entend former une action enannulation – pour échapper par exemple à son obligation de payer le prixd’une cession –, il ne pourra alors agir par voie reconventionnelle mais devrasaisir le tribunal de commerce de Bruxelles, ou un autre tribunal des marquescommunautaires territorialement compétent.

De son côté, l’article 106, paragraphe 2, prévoit que « si aucun tribunaln’est compétent en vertu de l’article 94, paragraphe 1, (renvoyant au Règle-ment Bruxelles I), l’action pourra être portée devant les tribunaux de l’Étatmembre où l’O.H.M.I. à son siège 125.

2. Le dessin ou modèle communautaire

La rédaction de l’article 79 du Règlement sur les dessins et modèles com-munautaires est quasiment identique à celle de l’article 94 du Règlement sur lamarque communautaire que nous venons d’analyser. De même, les articles 93et 94 concernant les autres litiges relatifs aux dessins et modèles sont-ils simi-laires aux articles 106 et 107 du Règlement sur la marque communautaire.

3. Les obtentions végétales communautaires

Rappelons que l’application du Règlement de Bruxelles I n’est pas expli-citement réservée dans le Règlement communautaire relatif aux obtentionsvégétales. Néanmoins, il est admis que les dispositions dudit Règlements’appliquent 126.

4. La marque et le dessin ou modèle Benelux

Comme nous l’avons déjà indiqué, la Convention Benelux sur la pro-priété intellectuelle a primauté sur le Règlement Bruxelles I 127. L’article 4.6de cette Convention s’applique à tous les litiges 128 relatifs à une marque ou àun dessin ou modèles Benelux, donc également en matière contractuelle.Dans ce domaine, le tribunal compétent sera le plus souvent celui choisi parles parties (clause d’élection de for, dont l’application est expressément réservéepar l’article 4.6). À défaut, le demandeur aura le choix de porter le litigedevant les tribunaux du domicile du défendeur ou du lieu où l’obligation litigieuse

125. Ibid., art. 106.2.126. Voy. section 2, A, 4.127. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », in D. KAESMA-

CHER, Les droits intellectuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 136 ; A. BRAUN et E. CORNU, Précis desMarques, 5e éd., Bruxelles, Larcier, 2009, p. 648.

128. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit., p. 137.

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est née, a été ou doit être exécutée. Si ces critères sont insuffiants pour déter-miner la compétence du tribunal, le demandeur pourra saisir les tribunaux dulieu de son domicile ou de sa résidence, à condition qu’ils soient situés sur leterritoire du Benelux. En dernier recours, il pourra choisir entre le tribunalde Bruxelles, celui de La Haye et celui de Luxembourg.

B. Les règles générales

En matière contractuelle, la règle de compétence générale du domiciledu défendeur, prévue à l’article 2 du Règlement Bruxelles I, est complétéepar une règle de compétence spéciale énoncée à l’article 5.1 de ce Règle-ment. En vertu de cette dernière disposition, le demandeur peut attraire ledéfendeur devant « le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à lademande a été ou doit être exécutée ». Il faudra également prendre en consi-dération l’existence possible d’une clause attributive de juridiction, comme leprévoit l’article 23 du Règlement.

1. L’article 23 du Règlement Bruxelles I

Il n’est pas rare de trouver des clauses attributives de juridiction dans descontrats de licence ou dans d’autres types de contrats en matière de droitsintellectuels. Ces clauses permettent, d’une part, de contribuer à la sécuritéjuridique et d’autre part, de réduire les coûts de procédure en concentrant leslitiges devant une seule juridiction 129. En vertu de l’article 23 du RèglementBruxelles I, si les parties ont convenu d’un tribunal ou des tribunaux d’un Étatmembre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rap-port de droit déterminé, ces tribunaux ont une compétence exclusive pourconnaître desdits litiges.

L’article 23 s’applique à condition qu’une des parties soit domiciliée surle territoire d’un État membre. De plus, la prorogation de compétence nepeut avoir lieu qu’au profit d’un tribunal localisé sur le territoire d’un desÉtats membres de l’Union européenne. Enfin, on notera que la clause attri-butive de compétence doit être valide et certaine 130.

Une question particulière mérite d’être soulevée : celle de savoir si un tri-bunal choisi par les parties peut connaître de la contrefaçon d’un droit intellec-tuel par le bénéficiaire d’une licence qui aurait outrepassé les limites del’autorisation d’exploiter qui lui a été reconnue. Telle serait le cas, par exem-

129. D. MOURA VICENTE, La propriété intellectuelle et le droit international privé, Brill Academic pub,2009, p. 432.

130. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 395.

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1ple, si un licencié exploitait un brevet hors du territoire concédé. Selon D.Moura Vicente, lorsque les parties ont convenu que tous les litiges découlantdu contrat seront de la compétence d’un tribunal de leur choix, il faut consi-dérer que ce tribunal est compétent pour connaître de l’action en contrefaçonen raison « du lien étroit qui existe entre le contrat et le délit invoqué » 131.

L’article 23 revêt une importance particulière en matière contractuellede par sa position privilégiée au sein de la hiérarchie des règles de compé-tence du Règlement Bruxelles I. En effet, une clause de compétence valablefera toujours échec à l’application des articles 2 (domicile du défendeur)comme 5 (lieu d’exécution des obligations) du Règlement Bruxelles I.Lorsqu’une clause attributive de juridiction est insérée dans un contrat, ledemandeur devra attraire la partie défenderesse devant la juridiction compé-tente en vertu de cette clause. Dans les développements qui suivent, on sup-pose donc l’absence de clause d’élection de for.

2. L’article 5.1 a) du Règlement Bruxelles I

Il résulte de l’article 5.1 du Règlement Bruxelles I qu’en matière con-tractuelle, une personne va parfois pouvoir être attraite devant les juridictionsd’un autre État membre que celle de son domicile. Cette dérogation à lacompétence de principe du juge du lieu du domicile du défendeur 132 est jus-tifiée « par l’existence d’un lien étroit de rattachement entre le contrat et letribunal appelé à le connaître » 133. Les contrats en matière de propriété intel-lectuelle relèvent du champ d’application de cet article.

L’article 5.1 énonce deux règles de compétence internationale. La pre-mière concerne tous les contrats et prévoit que le litige doit être porté devantle tribunal du « lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit êtreexécutée » 134. La deuxième règle vise spécifiquement deux types de contrats :le contrat de vente de marchandises et le contrat de fourniture de services 135. Pources deux contrats, un critère autonome de rattachement est précisé dans unbut de sécurité juridique : il s’agit, pour les contrats de vente de marchandi-ses, du lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ontété ou auraient dû être livrées et, pour les contrats de fourniture de services,

131. D. MOURA VICENTE, La propriété intellectuelle et le droit international privé, op. cit., p. 433.132. Art. 2 du Règlement Bruxelles I.133. C.J.U.E., 23 avril 2009, aff. Falco c. Weller-Lindhorst, C-533/07, pt 24.134. Art. 5.1.a du Règlement Bruxelles I.135. Ibid., art. 5.1.b du Règlement Bruxelles I.

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du lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services auraient dûêtre fournis.

La question s’est posée de savoir si un contrat de licence constitue un con-trat de fourniture de services ou bien s’il tombe dans la catégorie résiduelle del’article 5.1.a). La Cour de justice a répondu, dans son arrêt Falco du 23 avril2009, qu’un « contrat par lequel le titulaire d’un droit de propriété intellec-tuelle concède à son cocontractant le droit de l’exploiter en contrepartie duversement d’une rémunération, n’est pas un contrat de fourniture au sens decette disposition » 136. Par conséquent, les litiges découlant d’un contrat delicence devront, le cas échéant, être dissociés : en cas de demandes multiples, ilfaudra vérifier le lieu d’éxécution de chacune des obligations qui servent debase auxdites demandes. La détermination de ce lieu est abandonnée par laCour de justice à l’appréciation du juge national 137 : elle se borne en effet àpréciser que c’est au juge saisi qu’il appartient d’établir « si le lieu d’exécutionde l’obligation est localisé dans le domaine de sa compétence territoriale » 138.La Cour a également précisé que le juge détermine le lieu où l’obligation doitêtre exécutée par rapport à la loi applicable à l’obligation 139 et non par rapport àla loi du for.

Par application de ces principes, le donneur de licence qui entend recou-vrer des royalties pourrait être amené à assigner devant le tribunal du lieu dudomicile du licencié, si le contrat est soumis au droit belge où les dettes sontquérables, tandis que le licencié devrait agir devant d’autres tribunaux sousforme d’une demande « reconventionnelle » 140.

3. Un cas spécifique : les contrats individuels de travail

Les contrats individuels de travail sont soumis à un régime de compé-tence spécifique, lequel pourra trouver à s’appliquer, notamment, lorsqu’unemployeur et son employé se disputent un titre de propriété intellectuelle enl’absence de tout acte de contrefaçon.

L’article 19 du Règlement Bruxelles I dispose que l’employeur peut êtreattrait devant les tribunaux de l’État membre où il a son domicile. Il peut aussi

136. C.J.U.E., 23 avril 2009, aff. Falco c. Weller-Lindhorst, C-533/07.137. S. FRANCQ, E. ALVAREZ ARMAS et M. DECHAMPS, « L’actualité de l’article 5.1 du Règlement

Bruxelles I : évaluation des premiers arrêts interprétatifs portant sur la disposition relative à lacompétence judiciaire internationale en matière contractuelle », Cahier du CeDIE, n° 2011/2.

138. C.J.U.E., 6 octobre 1976, aff. Tessili, C-12/76, Rec., 1976, p. I-1473, pt 13.139. Ibid., pt 14.140. Rappelons que la connexité n’est pas attributive de compétence en droit international privé.

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1être attrait, dans un autre État membre, devant le tribunal du lieu où le tra-vailleur accomplit (ou a accompli) habituellement son travail ou, si ce travaila été accompli dans différents pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ouse trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur.

L’action de l’employeur ne peut être portée que devant les tribunaux del’État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile, conformé-ment au prescrit de l’article 20 du Règlement Bruxelles I.

Notons qu’une clause attributive de compétence ne peut déroger auxarticles 19 et 20 susmentionnés qu’à la condition qu’elle soit postérieure à lanaissance du litige ou bien qu’elle autorise le travailleur à saisir d’autres tribu-naux que ceux indiqués à la présente section 141.

SECTION 4

Les mesures provisoires et conservatoires

Nous avons vu dans les sections précédentes quelles sont les règles prin-cipales pour déterminer la juridiction compétente pour connaître du fondd’un litige relatif à la propriété intellectuelle. Il reste à examiner le régime desactions visant à l’obtention de mesures provisoires ou conservatoires. De tel-les procédures visent, en substance, à éviter au demandeur de subir un préju-dice en raison de la lenteur du procès au fond.

Concernant les mesures provisoires, l’article 50 de l’accord A.D.P.I.C. 142,comme l’article 9 de la directive relative au respect des droits en matière depropriété intellectuelle 143, contraignent les États membres de l’Union euro-péenne, d’une part, à prévoir des mesures provisoires pour la protection desdroits intellectuels et, d’autre part, « à assortir ces mesures de modalités tendantà la sauvegarde des intérêts du défendeur » 144.

141. Art. 21 du Règlement Bruxelles I.142. Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, annexe 1

C à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, annexé à l’acte final reprenant lesrésultats des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay signé à Marrakech le15 avril 1994 approuvé par une décision CE/94/800 du Conseil du 22 décembre 1994 relativeà la conclusion, au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières rele-vant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycles d’Uruguay (1986-1994), J.O.U.E., 23 décembre 1994, L 336, p. I 214.

143. Directive 2004/48 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect desdroits de propriété intellectuelle, J.O.U.E., 30 avril 2004, L 195, 2 juin 2004.

144. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partagerles inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 567.

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Dans son arrêt Hermès, La Cour de justice de l’Union européenne, saisieà titre préjudiciel, a indiqué qu’il fallait considérer comme mesure provi-soire, au sens de l’article 50 de l’accord A.D.P.I.C., « une mesure dontl’objet est de mettre fin aux prétendues infractions à un droit intellectuel etqui est adoptée dans le cadre d’une procédure caractérisée par les élémentssuivants :

– la mesure est qualifiée en droit national de “mesure immédiate provi-soire” et son adoption doit s’imposer “en raison de l’urgence” ;

– la partie adverse est citée et, si elle comparaît, elle est entendue ;

– la décision peut faire l’objet d’une procédure d’appel ; et

– bien que les parties puissent toujours engager une procédure au fond, ladécision est très souvent acceptée par les parties comme une solutiondéfinitive à leur différend » 145.

Soulignons encore qu’afin de se conformer à ces dispositions de droitinternational et européen, l’article 584 du Code judiciaire belge a été com-plété par un cinquième point 146 renforçant le pouvoir du juge statuant enréféré dans le domaine de la propriété intellectuelle : il peut désormais ordon-ner une mesure de saisie conservatoire, sans que la preuve d’une créance liquideet certaine doive être apportée 147. De plus, la procédure de saisie en matière decontrefaçon, désormais réglementée à l’article 1369bis du Code judiciaire, a étérevue 148.

145. C.J.U.E., 16 juin 1998, aff. Hermès International c. FHT, C-53/96, Rec., 1998, p. I-3637, pt 45.146. L’article 584, point 5, dispose que le président du tribunal de première instance ou du tribunal

de commerce statuant au provisoire peut : « ordonner, dans le cas d’une atteinte à un droit depropriété intellectuelle visé a l’article 1369bis/1, commise à l’échelle commerciale, et à lademande du titulaire de ce droit qui justifie de circonstances susceptibles de compromettre lerecouvrement des dommages et intérêts, la saisie à titre conservatoire des biens mobiliers etimmobiliers du contrefacteur supposé, et le cas échéant le blocage des comptes bancaires et desautres avoirs de ce dernier. Le président, statuant sur cette demande, vérifie : 1) si le droit depropriété intellectuelle dont la protection est invoquée est, selon toutes apparences, valable ; 2)si l’atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause ne peut être raisonnablement contestée ;3) si, après avoir fait une pondération des intérêts en présence, dont l’intérêt général, les faits et,le cas échéant, les pièces sur lesquelles le demandeur se fonde sont de nature à justifier raisonna-blement la saisie tendant à la protection du droit de propriété intellectuelle invoqué. »

147. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partagerles inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 567.

148. Voy. le rapport de F. DE VISSCHER et P. BRUWIER dans le présent ouvrage.

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1A. Règles de compétence particulières

1. La marque communautaire

Le Règlement sur la marque communautaire prévoit un régime de com-pétence spécifique quant aux mesures provisoires. En effet, l’article 94,paragraphe 2, du Règlement exclut expressément l’application de l’article 31du Règlement de Bruxelles I, relatif à cette matière, dès lors que les mesuresdont question concernent la contrefaçon d’une marque communautaire.Deux règles spécifiques sont inscrites à l’article 103 du Règlement sur la mar-que communautaire.

L’article 103, paragraphe 1, dispose que les mesures provisoires et con-servatoires prévues par la loi d’un État membre à propos d’une marque natio-nale peuvent être demandées à propos d’une marque communautaire auxautorités judiciaires de cet État, en ce compris aux tribunaux des marques com-munautaires. Il semble résulter de cette disposition qu’une requête en vue depratiquer une saisie en matière de contrefaçon dans le cadre d’une atteintesuspectée à une marque communautaire pourrait être déposée auprès nonseulement du président du tribunal de commerce de Bruxelles mais égale-ment des présidents des autres tribunaux de commerce sis au siège d’une courd’appel 149.

En revanche, selon les termes de l’article 103, paragraphe 2, du Règle-ment sur la marque communautaire, seuls les tribunaux des marques commu-nautaires compétents territorialement en vertu de l’article 97, paragraphes 1 à4, de ce Règlement sont habilités à prendre des mesures provisoires et conser-vatoires ayant un effet extra-territorial dans l’Union européenne. Pour rappel, ils’agit des tribunaux de marque communautaire dont la compétence est fondéesur le critère personnel déduit du domicile ou de la résidence du défendeurou, à défaut, du demandeur. Il s’ensuit que ni le tribunal des marques commu-nautaires compétent sur la base du seul lieu de la contrefaçon (art. 97, par. 5),ni les tribunaux nationaux qui n’ont pas la qualité de tribunaux de marquescommunautaires ne peuvent décider de mesures provisoires ou conservatoiresayant un tel effet extra-territorial : l’effet des mesures que ces tribunaux pour-raient ordonner est limité au territoire sur lequel ils sont établis.

2. Le modèle communautaire

L’article 31 du Règlement Bruxelles I est également écarté lorsque lamesure vise la contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire. L’article 90

149. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 428, pt 8.89.

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du Règlement sur les dessins et modèles communautaires, consacré aux mesu-res provisoires et conservatoires, reprend les règles examinées ci-dessus à l’arti-cle 103, paragraphes 1 et 2, du Règlement sur la marque communautaire 150.

3. Les obtentions végétales communautaires

Le Règlement relatif aux obtentions végétales communautaires ne con-tient pas de règles particulières de compétence concernant les mesures provi-soires ou conservatoires. Dès lors, l’article 31 du Règlement Bruxelles Itrouvera à s’appliquer.

B. Le régime prévu par le Règlement Bruxelles I

1. Les mesures provisoires et conservatoires : définition

La notion communautaire de mesures provisoires et conservatoires au sens del’article 31 doit être interprétée de manière autonome. La Cour de justice del’Union européenne les a définies comme étant des mesures « destinées àmaintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dontla reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond » 151.

La définition de mesures provisoires et conservatoires adoptée par laCour de justice est plus restrictive que celle que donnée par les juridictions decertains États membres 152. L’action « en cessation » propre à la protection desdroits de propriété intellectuelle ne nous paraît en tout cas pas visée par l’arti-cle 31, dès lors que le président du tribunal rend une décision ayant autoritéde chose jugée.

2. Compétence au provisoire du juge du fond

La Cour de justice a précisé que « la juridiction compétente pour con-naître du fond d’une affaire en vertu d’un des chefs de compétence prévu à laconvention reste également compétente pour ordonner des mesures provisoiresou conservatoires, sans que cette dernière compétence soit subordonnée àd’autres conditions » 153. En d’autres mots, le juge du fond ne doit pas avoir

150. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 236,pt 8.129.

151. C.J.U.E., 26 mars 1992, aff. Reichert II, C-261/90, Rec., I-2149.152. K. SZYCHOWSKA, « Jurisdiction to Grant Provisional and Protective Measures in Intellectuel

Property Matters », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectual Property and Information Tech-nology, Kluwer Law International, 2008, pp. 207 et s.

153. C.J.U.E., 17 novembre 1998, aff. Van Uden c. Déco-line, C-391/95, Rec., 1998, p. I-7091, pt 22.

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1recours à l’article 31 du Règlement de Bruxelles I pour statuer au provisoirelorsqu’il est compétent en vertu du Règlement Bruxelles I.

3. Compétence du juge au provisoire

L’article 31 du Règlement Bruxelles I prévoit que : « les mesures provi-soires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent êtredemandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu du (…)Règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétent pour con-naître du fond ». Cet article confère donc la possibilité au titulaire d’un droitde propriété intellectuelle de saisir un tribunal national d’un litige qui ne res-sortit pas de sa compétence habituelle, afin d’obtenir des mesures provisoiresou conservatoires 154. Il faut toutefois que la compétence du tribunal con-cerné puisse être fondée sur une disposition de droit interne. Nous renvoyonsà cet égard au rapport de Me Dessard relatif à la compétence interne des juri-dictions belges.

4. Champ d’application ratione temporaeEn raison de son caractère autonome, l’article 31 trouve à s’appliquer

même si le litige au fond n’est pas encore pendant. Par contre, une fois que lejugement au fond a été rendu, la juridiction nationale ne peut plus être saisiesur la base de cet article 155.

5. L’exigence d’un lien de rattachement

La Cour de justice exige que la saisine du juge national soit « subordon-née, notamment, à la condition de l’existence d’un lien de rattachement réelentre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale de l’État (…)du juge saisi » 156.

À cet égard, une question controversée est celle de savoir si le jugenational peut prendre des mesures provisoires extra-territoriales. Deux arrêts dela Cour de justice de l’Union européenne ont implicitement reconnu que desmesures provisoires et conservatoires octroyées sur la base de l’article 31 pou-vaient avoir un effet extra-territorial 157 mais, dès lors que les mesures enquestion dans ces décisions avaient trait au paiement de sommes d’argent, iln’est pas certain qu’un tel effet puisse être reconnu à d’autres types de mesu-

154. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 243.155. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 524.156. C.J.U.E., 17 novembre 1998, aff. Van Uden c. Déco-line, C-391/95, Rec., 1998, p. I-7091, pt 40.157. C.J.U.E., 21 mai 1980, aff. Denilauler c. Couchet Frère, C-125/79, Rec., 1980, p. I-1553 et

C.J.U.E., 27 avril 1999, Mietz c. Intership Yachting Sneek BV, C-99/96, Rec., 1999, p. I-2277.

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res conservatoires et provisoires, telles celles envisagées dans cette section 158.Selon, K. Szychowska, une interprétation plus flexible de l’exigence d’un liende rattachement est souhaitable afin de mieux protéger les titulaires de droitsintellectuels ; est approuvée à cet égard l’approche du président du tribunalde première instance de Bruxelles dans l’affaire Altana pharma 159. Dans cetteaffaire, les défendeurs avaient présenté durant une foire internationale àBruxelles un produit médical dont le demandeur prétendait qu’il s’agissaitd’une contrefaçon de son brevet, protégé dans plusieurs États membres.S’appuyant sur le fait que les défendeurs souhaitaient continuer à présenter laprétendue contrefaçon, le tribunal a ordonné une mesure provisoire d’inter-diction de contrefaçon sur le territoire belge ainsi que dans les pays oùl’invention bénéficiait d’une protection par brevet.

158. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 524 ;voy. égal. C.J.U.E., 17 novembre 1988, aff. Van Uden c. Déco-line, précitée.

159. Tribunal de première instance de Bruxelles (près.), 25 mars 2005, Altana pharma c. EuropharmaLaboratorios, I.R. D.I., 2005, p. 302, note K. ROOX, « De Altana Pharma-beschikking : opnieween Belgische grensoverschrijdende beslissing in kort geding ».