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Regards interculturels Autriche-France : L’impact des représentations et stéréotypes en classe de langue EISL Margit Universität Wien, Institut für Romanistik (Fachdidaktik Französisch) et Hertha Firnberg Schulen für Wirtschaft & Tourismus, Wien 21 ________________________________________________________________ L’imagologie à propos de la langue-culture cible ne peut pas nous laisser indifférents, encore moins dans la situation délicate, dans laquelle se trouve l’allemand en France et de plus en plus aussi le français en Autriche, concurrencés par l’italien et l’espagnol. Car les images de l’autre influent forcément sur le choix et la motivation des élèves. Prenons les représentations du passé, par exemple, elles sont aussi importantes pour expliquer les attitudes d’aujourd’hui que la réalité telle qu’elle est décrite par les historiens. En tant qu’enseignant(e)s d’une langue étrangère, nous sommes confrontés en permanence aux idées que se font les apprenants du pays et de ses habitants dont ils apprennent la langue ; voilà une première raison de s’intéresser à la problématique. Croiser les regards des élèves ou étudiants appartenant à deux communautés nationales différentes, n’a rien de nouveau, en soi. 1 Or, jusqu’à présent, il n’en existait aucune sur les regards croisés entre l’Autriche et la France ; voilà un deuxième motif qui a suscité mon intérêt. À la base de quelques résultats significatifs d’une enquête concernant les « regards » d’élèves français, apprenant l’allemand et d’élèves autrichiens, apprenant le français, il sera intéressant de montrer le caractère figé, mais aussi parfois évolutif des représentations qui sont profondément ancrées dans les discours quotidiens, les discours officiels, les médias et dans l’enseignement même. La question se pose, comment les enseignant(e)s de langues, autre cible de cette étude, en tiennent compte dans leurs cours? Je finirai sur quelques conclusions pédagogiques et pistes didactiques concrètes à titre d’exemple. Les résultats suivants sont tirés d’une récente enquête 2 qui a été réalisée avec le soutien de l’Ambassade de France à Vienne et des deux ministères de l’éducation, entre 2004 et 2005, une étude qui portait sur les représentations partagées de la culture cible chez les jeunes (14 à 19 ans), en milieu scolaire (second cycle) 3 et avec l’aide de 260 enseignants dans les deux pays. Les réponses ont été obtenues à partir de questions guidées et d’associations libres concernant le pays de l’autre, recueillies par les enseignants auprès de leurs élèves. 4 1 De nombreux travaux sur la pédagogie de la rencontre de l’OFAJ (Office de la Jeunesse Franco-Allemande) en témoignent. Voir aussi les enquêtes de : Cain, Briane (1994) Unesco (1995), Matthey (1997) ou Gardies (2004). 2 Voir Eisl (2006) Thèse de doctorat en co-tutelle (Universität Wien, Université Montpellier III), partie 4 : Autriche-France : Regards croisés en milieu scolaire, 231 – 291. 3 En Autriche, tous les types de lycée confondus, enseignement général (sur 4 ans) et professionnel (sur 5 ans), en France principalement des lycées d’enseignement général et technique. 4 Les informations collectées ont été classées et analysées selon les critères élaborés par Henri Boyer (1995,2004). Parmi les six « champs représentationnels » que Boyer distingue, les deux premiers, couvrant la perception globalisante du pays et de ses habitants et le regard touristique (monuments, folklore et traditions), sont les plus stéréotypés, tandis que du champ 3 au 6, le « degré de figement » diminue et révèle généralement plus de connaissances concrètes, concernant le patrimoine culturel (événements et personnages historiques ou contemporains) puis, des références faites à la langue, à la géographie, à l’histoire et aux relations entre les pays.

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Regards interculturels Autriche-France : L’impact des représentations et stéréotypes en classe de langue EISL Margit Universität Wien, Institut für Romanistik (Fachdidaktik Französisch) et Hertha Firnberg Schulen für Wirtschaft & Tourismus, Wien 21 ________________________________________________________________ L’imagologie à propos de la langue-culture cible ne peut pas nous laisser indifférents, encore moins dans la situation délicate, dans laquelle se trouve l’allemand en France et de plus en plus aussi le français en Autriche, concurrencés par l’italien et l’espagnol. Car les images de l’autre influent forcément sur le choix et la motivation des élèves. Prenons les représentations du passé, par exemple, elles sont aussi importantes pour expliquer les attitudes d’aujourd’hui que la réalité telle qu’elle est décrite par les historiens. En tant qu’enseignant(e)s d’une langue étrangère, nous sommes confrontés en permanence aux idées que se font les apprenants du pays et de ses habitants dont ils apprennent la langue ; voilà une première raison de s’intéresser à la problématique. Croiser les regards des élèves ou étudiants appartenant à deux communautés nationales différentes, n’a rien de nouveau, en soi.1 Or, jusqu’à présent, il n’en existait aucune sur les regards croisés entre l’Autriche et la France ; voilà un deuxième motif qui a suscité mon intérêt. À la base de quelques résultats significatifs d’une enquête concernant les « regards » d’élèves français, apprenant l’allemand et d’élèves autrichiens, apprenant le français, il sera intéressant de montrer le caractère figé, mais aussi parfois évolutif des représentations qui sont profondément ancrées dans les discours quotidiens, les discours officiels, les médias et dans l’enseignement même. La question se pose, comment les enseignant(e)s de langues, autre cible de cette étude, en tiennent compte dans leurs cours? Je finirai sur quelques conclusions pédagogiques et pistes didactiques concrètes à titre d’exemple. Les résultats suivants sont tirés d’une récente enquête2 qui a été réalisée avec le soutien de l’Ambassade de France à Vienne et des deux ministères de l’éducation, entre 2004 et 2005, une étude qui portait sur les représentations partagées de la culture cible chez les jeunes (14 à 19 ans), en milieu scolaire (second cycle)3 et avec l’aide de 260 enseignants dans les deux pays. Les réponses ont été obtenues à partir de questions guidées et d’associations libres concernant le pays de l’autre, recueillies par les enseignants auprès de leurs élèves.4

1 De nombreux travaux sur la pédagogie de la rencontre de l’OFAJ (Office de la Jeunesse Franco-Allemande) en témoignent. Voir aussi les enquêtes de : Cain, Briane (1994) Unesco (1995), Matthey (1997) ou Gardies (2004). 2 Voir Eisl (2006) Thèse de doctorat en co-tutelle (Universität Wien, Université Montpellier III), partie 4 : Autriche-France : Regards croisés en milieu scolaire, 231 – 291. 3 En Autriche, tous les types de lycée confondus, enseignement général (sur 4 ans) et professionnel (sur 5 ans), en France principalement des lycées d’enseignement général et technique. 4 Les informations collectées ont été classées et analysées selon les critères élaborés par Henri Boyer (1995,2004). Parmi les six « champs représentationnels » que Boyer distingue, les deux premiers, couvrant la perception globalisante du pays et de ses habitants et le regard touristique (monuments, folklore et traditions), sont les plus stéréotypés, tandis que du champ 3 au 6, le « degré de figement » diminue et révèle généralement plus de connaissances concrètes, concernant le patrimoine culturel (événements et personnages historiques ou contemporains) puis, des références faites à la langue, à la géographie, à l’histoire et aux relations entre les pays.

Inutile de rendre les résultats à propos de la France et des Français (en Autriche) dans tous les détails, car elles ressemblent en grande partie aux images recueillies à d’autres occasions. En effet, cette enquête, comme d’autres menées par le passé sur les images des pays et des langues confirment, que les réponses (surtout celles données spontanément) montrent une prédominance des représentations stéréotypées et l’absence de savoir précis sur l’autre. Voici seulement quelques extraits : La France est un pays assimilé d’abord à ses attraits touristiques et à sa gastronomie. On trouve en tête de liste la trilogie incontournable, dans l’ordre, fromage, vin et baguette, aussi bien que des monuments, avant tout parisiens (la Tour Eiffel en premier), ensuite la Côte d’Azur, région qui représente le lieu touristique par excellence dans l’imaginaire collectif. Derrière ce champ de perception touristique, institutionnel, se dégage aussi une vision généralisante concernant le pays et ses habitants. La référence au cadre naturel qui ressort le plus est la mer, phénomène compréhensible pour les Autrichiens. Quant à la population et aux aspects comportementaux, les allusions se font surtout par rapport à une ambiance parisienne particulière (ville d’amour, vie nocturne, élégance, stress et circulation) qui se nourrit de l’imaginaire, mais aussi d’un vécu, voyage touristique ou linguistique. Dans le domaine du patrimoine culturel, les jeunes autrichiens concèdent à la France un certain rayonnement culturel en citant par exemple la chanson, la philosophie ou l’art, sans toutefois les dénommer plus précisément, quelques œuvres et événements (dont les plus fréquents Révolution Française, Tour de France, TGV, métro). Devant un choix de personnages français célèbres, les élèves plaçaient en tête G. Dépardieu, devant Napoléon, Z. Zidane et J.Chirac, puis la chanteuse Alizée, Louis XIV, J.M.Le Pen, E.Piaf et C.Deneuve (parmi les plus retenus). Des personnages mythifiés, comme Jean Moulin, de Gaulle ou Sartre, sont certes moins cités, mais pas totalement ignorés. Il faut retenir qu’à côté des perceptions figées, connotées surtout positivement, des grandes mythifications historiques et culturelles, se cristallise aussi une image de la France assez contemporaine.5 On ressent l’impact des médias mais aussi celui d’un enseignement de la langue et de la culture françaises.

Des images en partie nettement plus négatives se dégagent par contre dans les rédactions spontanées des élèves, par exemple, des traits bien connus attribués aux Français et Françaises : à côté de l’élégance, du charme et d’un savoir-vivre, aussi l’arrogance, la fierté du pays voire un certain chauvinisme. Nous voilà arrivés à un point plus délicat qui reflète le relationnel entre les deux pays, tel qu’il est ressenti par beaucoup d’Autrichien(ne)s. Si les élèves, dans leurs rédactions, (en particulier ceux qui ont été en France) relativise l’arrogance, ils ou elles restent formels concernant le « patriotisme ».

Voici quelques extraits pour illustrer un peu cette échelle des représentations qui s’étend de la glorification à la dévalorisation6.

5 Le corpus révèle, à côté des mythifications historiques, des représentations plus passagères, personnages contemporains très médiatisés du monde politique ou sportif et vedette du hit-parade du moment. 6 Les textes ont été rendus anonymes, de façon manuscrite ou informatisée ; provenant d’élèves de niveau très différents (débutants ou faux débutants, mais aussi d’élèves ayant passé un séjour plus long en France, par exemple, stage en entreprise). La consigne du travail de rédaction était : « Qu’associez-vous à la France, aux Français/es ? Pourquoi apprenez-vous le français ? Les textes ne sont pas corrigés.

Je crois que les Français sont très patriotiques et chaque Français et Française aime son pays vraiment. Pour les français l’histoire de leur pays est aussi très importante et je pense qu’il existe plus ou moins une lutte entre les français et les anglais qui remonte loin dans le passé. Les français sont aussi fiers, parfois trop fiers. Il y a le préjugé que les français n’aiment pas apprendre d’autres langues par exemple, j’ai expérimenté que c’était vrai. Il y a seulement peu de français qui aiment apprendre d’autres langues – je pense seulement environ 20% de la population.

Les Français ont une culture très individuelle, comme chaque autre pays d’ailleurs. Ce qui me plait beaucoup c'est que les Français sont plus ouverts que les habitants des autres pays. C’est-à-dire que ce n’est pas nécessaire de connaître personnellement une personne pour commencer à parler. Ça suffit de monter dans un bus et le conducteur dit tout de suite « bonjour ». Et c’est un aspect qui me manque beaucoup ici en Autriche. (…) Mais j’ai fait l’expérience que les Français ont beaucoup de préjugés en ce qui concerne les Autrichiens et les Allemands parce qu’ils pensent que nous sommes tous des nazis. En plus j’ai expérimenté que les Français étaient vraiment des patriotes qui aiment leur pays et leur culture.

Ce n’est pas très étonnant de découvrir que, toujours selon cette enquête, presque 20% des élèves d’Autriche trouvent que les relations entre les deux pays sont mauvaises et que 30% des enseignants du français estiment que les

événements politiques intercommunautaires, notamment les récentes « sanctions » européennes contre le gouvernement autrichien en l’an 20007, ont une influence négative sur l’image de la France et du français chez les jeunes.

Tout en sachant que les origines des représentations et stéréotypes à propos d’une nation ou culture sont multiples et surtout difficiles à cerner, il faut croire que le poids de l’histoire est considérable et laisse des traces dans la mémoire collective. Si on tourne le regard vers les relations franco-autrichiennes, on constate qu’elles ont été complexes, caractérisées par des hauts et des bas, entre une France monarchique, puis républicaine et la monarchie des Habsbourg, puis la « Petite Autriche ».8 La méfiance profonde entre l’Autriche monarchique restauratrice et la République Française, mais aussi celle entre pays vainqueur et vaincu, sans oublier le fait que la France fut un des quatre alliés occupants dans l’Autriche de l’après-guerre, ces phénomènes expliquent en effet certains ressentiments latents qui, inconscients et transmis de génération en génération, peuvent agir sur les représentations de l’autre et par la suite même sur les comportements.

La présence de la France et du français en Autriche a diminué constamment au cours de la seconde moitié du 20e siècle, malgré un certain engagement (basé sur l’accord culturel franco-autrichien de 1947). La France officielle, faute de moyens mais aussi de volonté ambiguë9, à la différence des Américains, se présentait principalement par une politique culturelle, qui n’a pas vraiment atteint les masses populaires, et même une bonne partie des milieux intellectuels et universitaires se tournaient ailleurs (notamment vers les espaces anglophones), la France et le français étant ressentis comme langue-culture dominante et surtout élitiste.

Vos élèves aiment-ils le français?

nombre de personnes interrogées

oui, 28.9 %

nsp, 1.6 %non, 3.1 %

moyennement, 66.4 %

Source : ©Eisl 2005

7 Coalition des conservateurs avec le parti national-populiste de Jörg Haider; depuis, ce dernier s’est divisé en 2005 et a perdu de son influence. Mais la mort accidentelle de Haider a nourri à nouveau le mythe autour de sa personne – de moins dans la province de Carinthie. Et son successeur, le nouveau leader du FPÖ, H.C.Strache, relève peu à peu la popularité du parti au niveau national (17% aux élections législatives en 2008).

8 Cf. Angerer (2003,2005), Julien (1994), Koja-Pfersmann (1994), entre autres, ainsi que la bibliographie des relations franco-autrichiennes en ligne (Angerer) www.univie.ac.at/geschichte/oefb. 9 Voir Angerer (1999, 2005) et Porparczy (2002)

Quand de nos jours, de plus en plus d’élèves devant le choix d’une 2e langue étrangère, se détourne du français au profit de l’espagnol ou de l’italien, se cache aussi cet imaginaire collectif derrière des mots comme: langue trop difficile, arrogante, pas utile… Le graphique ci-dessus ne montre que trop bien la gravité de la situation. D’autant plus qu’il faut relativiser ce résultat, car il s’agit d’abord d’une estimation des enseignants, peu intéressés de noircir le tableau, ensuite il n’est question que d’élèves apprenant le français.10

La situation est très différente, si on tourne le regard vers la France, à propos de l’image de l’Autriche chez les élèves apprenant l’allemand. Il faut retenir d’abord, que l’enseignement de l’allemand en France est exclusivement orienté vers l’Allemagne, concept qui fait partie d’une politique générale depuis 1945, de surmonter l’antagonisme franco-allemand par tous les moyens, ce qui a porté des fruits11. La mention des autres pays germanophones n’est apparue que dans les programmes du secondaire de 2002 à 200412. C’est pourquoi vouloir chercher d’autres images que des stéréotypes à propos de l’Autriche, serait une tentative vaine.

L’Autriche est presque totalement méconnue des élèves, souvent associée avec l’Allemagne et principalement perçue à travers ses mythes liés à un passé impérial et à une tradition conservatrice. Ce passé n’est à peine associé à un patrimoine culturel pourtant très riche en littérature, sciences et philosophie. Même la musique, domaine très associé à l’Autriche, n’est pas réellement relevée de façon concrète. Faute de connaissances précises et plus le pays est « loin » (pas forcément géographiquement) ce sont des personnalités qui deviennent les vecteurs principaux d’une représentation

collective. Dans notre cas, la perception est avant tout basée sur des patronymes devenues des mythes, sur l’impératrice Sissi (la moitié des sondés) et Mozart (cité par un tiers) qui sont immédiatement identifiés comme Autrichiens, devenus par ailleurs les supports indispensables de la promotion touristique. Ensuite cette image impériale (avant tout à propos de Vienne) est renforcée par

10 Seulement 13% des élèves du secondaire (1er et 2e cycles confondus) apprennent le français. (Eurydice 2008). 11 Les représentations sur les Allemands, chez les jeunes en particulier, ne sont plus aussi péjoratifs qu’avant. (cf. Cain/Briane et Unesco 1995) 12 Même si le terme « les pays germaniques » sous-entend très souvent « Allemagne » - le nombre d’exemples donnés ne laissent pas de doute -, se dessine, à côté de l’image impériale toujours présente, du moins dans le programme de la Terminale, aussi une Autriche plus contemporaine, notamment avec ses problèmes plus récents (identité ou neutralité). Dans: Ministère de l’Éducation Nationale, Programmes des lycées. Allemand. Seconde BO n°7, 2002, p.9, Ministère de l’Éducation Nationale, Programmes des lycées. Allemand. Première. BO n°7, 2003, p.9 Ministère de l’Éducation Nationale, Programmes des lycées. Allemand. Terminale, BO n°5, 2004, p.31

89

44

80

20

40

60

80

100

120

140

l' Allemagne l' Europe

centrale

l' Europe de

l' est

Les élèves associent l'Autriche avec:

oui non

Source : ©Eisl 2005,

(plusieurs réponses possibles)

une vision folklorique, très hétéroclite, cocktail composé de «musique classique », « valse », « calèche », « tradition », agrémenté d’un peu de gastronomie (« café », « pâtisserie »). Quant à l’Autriche en général se dégage une perception globalisante de l’ordre de la carte postale, du dépliant touristique, évoquant ses paysages idylliques « ski », « froid et neige », « montagne », « lac », « beau paysage », « Edelweiss » et « forêt verte », tout y est ! Quant aux localisations géographiques, Vienne est la seule ville qui ressort de façon significative. Le deuxième toponyme qui est associé à l’Autriche est le Tyrol, les deux destinations touristiques les plus appréciées par les Français. Ce sont aussi les deux régions en Autriche historiquement les plus liés avec la France13. Jusque là, les sondages existant à propos de l’Autriche sont plus ou moins confirmés dans la mesure où se dégage aussi une image a priori positive, mais passéiste.14 Notre enquête auprès des élèves français, réalisée après la célèbre année de 2000, révèle néanmoins des côtés encore nettement plus dévalorisants. À propos des Autrichiens, par exemple, les seules mentions contemporaines qui apparaissent dans l’enquête, concernent des personnages extrêmement médiatisés (en quelque sorte aussi mythifiés). Arnold Schwarzenegger occupe la troisième place après Mozart, suivi de près par Jörg Haider, des personnages qui confèrent à l’Autriche encore une image très conservatrice, voire dérangeante.

On ne trouve, par contre, aucun qualificatif caractérisant le peuple autrichien. Il échappe à tous les stéréotypes appliqués par exemple aux Allemands. La moitié des réponses sont « je ne sais pas » et reflète la méconnaissance de l'Autriche et de ses habitants. Le fait que le qualificatif « conservateur » ressort le plus de ce corpus, que vient ensuite la caractéristique « accueillant », rejoint les autres images existantes (monarchie, Haider…) et tient d’autre part à la promotion touristique.

13 Vienne exceptée, le Tyrol était la région la plus impliquée dans des conflits franco-autrichiens (guerres napoléoniennes, occupation française 1945-55). 14 Le plus récent– à ma connaissance – est celui réalisée par l’Ambassade d’Autriche à Paris en 1998 auprès de mille personnes adultes (par entretiens qualitatifs). On peut constater, à partir de cette enquête, un courant de sympathie vers l’Autriche (50% trouvent le pays sympathique, contre 45% ni sympathique, ni antipathique), dont ressort une image positive, mais figée de références historiques et touristiques, d’un pays peu urbain, peu moderne; les résultats répertoriés, chez les plus jeunes des interrogés, sont moins bonnes, voire 25% seulement trouvent l’Autriche attirante, les autres plutôt ennuyeuse. Österreichische Botschaft (éd. 1998): Das Österreichbild in Frankreich Paris, Sofres (L’enquête m’a été mise à disposition par le service de presse de l’Ambassade d’Autriche).

Une différence visible entre les résultats autrichiens et français concerne en effet la situation intercommunautaire entre les deux pays. Alors que les jeunes Autrichiens sont très réservés, voire négatifs même, en jugeant les relations entre les deux pays plutôt mauvaises (ou ne savent pas), mais ne s’exprimant pas du tout à ce sujet dans les rédactions spontanées, les élèves français restent « neutres » ou diplomates (?) quand on leur demande de juger les relations franco-autrichiennes15. Par contre, ils hésitent moins que leurs homologues autrichiens d’exprimer des associations libres avec l’ « Anschluss », le « fascisme », le « nazisme ».

Unrésultat qui reflète incontestablement une plus grande sensibilité et le sens critique des lycéens en France envers cette partie de l’histoire et montre, côté autrichien, la tendance de refouler le problème tout en exprimant un malaise. Il faut en effet retenir les nombreuses remarques des élèves autrichien/nes concernant « l’arrogance » ou « la fierté nationale des Français», phénomène qui montre en quelque sorte ce jeu ambivalent du reflet de Soi dans l’image de l’Autre. On connaît les multiples fonctions de l’image : réduire et simplifier pour faciliter la communication ; forger des mythes pour construire les identités ; légitimer des causes et des actions ; exorciser les peurs et les fantasmes. […] Entre grands et petits États, il y a une différence de nature dans les systèmes de représentations du monde extérieur. Selon qu’on est petit ou grand, on ne forge pas de la même façon l’image des autres. (Frank 1994 : 6,8) Il est évident que les habitants d’un pays qui a connu tant de ruptures difficiles dans son histoire récente ne puissent pas avoir le même rapport positif et serein avec leur nation que les ressortissants d’une grande puissance (Grosser 2005 :13). Jusqu’aux années 80 et même au-delà de « l’affaire Waldheim », la « Petite Autriche » était un pays dont on ne parlait pas souvent dans les médias, 15 Ils jugent en grande majorité les relations franco-autrichiennes bonnes ou ne savent pas.

dont l’image véhiculée était peu associée au nazisme et réduite presque exclusivement à « la carte postale » que l’on vient de retrouver dans les enquêtes. Cette image a « pris un coup » lors des « sanctions » européennes contre le gouvernement autrichien en l’an 2000, traitées à la une des journaux des deux pays pendant plusieurs mois. Certaines réactions politiques et médiatiques étaient à la limite de l’hystérie dans les deux pays. Des spécialistes des relations franco-autrichiennes critiquent l’analyse souvent raccourcie et bâclée, dans cette période, relevant beaucoup de méconnaissance côté français, d’exagérations et de généralisations16 : des images fortes comme « la valse brune », « la tâche brune de l’Europe »17, les caricatures de Plantu à la une du journal « Le Monde » traitant en bloc les autrichiens de nazis , des « sur-réactions » et maladresses (des échanges d’élèves annulés côté français, rupture de contacts au niveau artistique et scientifique…). La caricature parue le 4 février (ci-contre) a provoqué le plus de remous18. La soi-disant passivité, l’indifférence, d’autre part l’insouciance et la naïveté de toute une population sont littéralement mises en scène, dans une généralisation à outrance, tous les Autrichiens réduits au passé nazi.

De son côté, l’Autriche était sous le choc. Le gouvernement – et la majorité des Autrichiens avec lui – se montre « touché » qu’on puisse, à l’étranger, douter de son intégrité et de son attitude démocratique. Le « victimisme » bat son plein, les nouveaux dirigeants du pays et la plupart des médias ne semblent pas comprendre pourquoi l’ensemble de la classe politique française reproche au gouvernement autrichien d’avoir brisé les tabous et d’avoir agi contre les valeurs européennes19. Malgré les manifestations massives des

opposants à ce nouveau gouvernement20, une grande majorité de la population autrichienne n’appréciait pas les mesures prises par les 14 et a réagi « par un chauvinisme têtu » (Stieg 2005 :400). Une fois de plus, « l’étranger » se mêlait dans des affaires qui ne regardaient que le pays et une fois de plus, la France y jouait un rôle dominant, comme déjà à plusieurs reprises dans l’histoire récente

16 cf. Angerer 2003, entre autres 17 Gros titres de : Libération, L’Humanité(du 4.2.2000) 18 Cette caricature est parue dans Le Monde le 4 février 2000, sous le grand titre : « Autriche : l’extrême droite, en force. » La caricature de WIAZ est parue dans le magazine Marianne aussi le 4 février. 19 Tradition antifasciste, consensus sur l’Holocauste, lutte contre la xénophobie… 20 Un peu moins de 30% des Autrichiens ont effectivement voté pour le parti de J.Haider. Tous les autres pour les sociaux-démocrates (env. 35%), le parti conservateur (30%) et les verts.

des deux pays. Les discours politiques et médiatiques se dégradent, La réplique provocatrice de Haider, par exemple, qui traite Chirac de « Napoléon de poche » fait le tour des médias pendant des jours. Ces événements reflètent, côté autrichien, un manque de sensibilité envers ce sujet si délicat et des experts parlent d’une « crise européenne ».21 Ayant choisi ce récent événement des relations franco-autrichiennes, je voulais montrer que ce sont ces « moments privilégiés », particulièrement médiatisés, qui font ressurgir des ressentiments et images profondément ancrées dans l’imaginaire collectif , moins disponibles en temps ordinaire. Savoir relativiser des généralisations, être confronté à des situations où rentrent en jeu des émotions, des images dévalorisantes de soi ou de l’autre, n’est pas chose facile, d’autant moins dans un pays qui ne gère que difficilement son passé. Cela relève d’une compétence interculturelle. Fait-elle partie de nos programmes scolaires ? Les enseignant(e)s des langues sont-ils/elles conscients de ces problématiques ? Rien n’est moins sûr. Sans insister sur une autre partie de cette enquête réalisée auprès des enseignants des deux pays, qui nous mènerait trop loin, je voudrais évoquer cependant un des résultats. Les enseignants dans les deux pays ont une attitude contradictoire dans la mesure où ils jugent l’acquisition de la compétence interculturelle importante, avouent d’autre part, qu’il n’y a pas de pratique réelle dans leurs classes.

L’embarras des enseignants, en général, devant des réactions ethnocentriques, de repli identitaire de leurs élèves montre à quel point les pratiques quotidiennes de l’enseignement de la langue-culture sont encore éloignées des discours didactiques. Entre la conception traditionnelle de l’enseignement de la culture (accumulation de savoirs sur la culture de l’autre) et la méthode communicative,

21 cf. Angerer 2000 ; Le Rider 2003;

© Eisl 2005 Plusieurs réponses possibles

qui vise encore trop souvent la fonctionnalité, prenant la culture seulement comme prétexte à l’expression orale ou écrite, s’ouvre un décalage évident, entre l’idée que les professeurs se font de la démarche interculturelle et la signification que donne les recherches universitaires en général, par exemple, le Cadre Européen Commun de Référence des langues :

La capacité d’établir une relation entre la culture d’origine et la culture étrangère, la capacité d’utiliser des stratégies variées pour établir le contact avec des gens d’une autre culture, la capacité d’aller au-delà de relations superficielles stéréotypées, la capacité de jouer le rôle d’intermédiaire culturel entre sa propre culture et la culture étrangère et de gérer efficacement des situations de malentendus et de conflits culturels. » (CECR 2001 :84)

La simple observation ou description de la culture de l’Autre, aussi minutieuse et complexe soit-elle, n’est pas suffisante pour la comprendre, encore moins pour l’intégrer. Même la méthode contrastive, ce « comparatisme bilatéral » (Beacco 2000 :116), à la recherche de « l’identité nationale », très apprécié chez les enseignants (cf notre graphique ci-dessus)22, ne garantit nullement que l’élève fasse un réel pas vers l’Autre. Or il faut des pistes didactiques, qui ont pour objectif de considérer les représentations, même les plus figées, comme éléments constructifs dans le rapport à soi et à l’autre23 et qui tentent le démontage et la réorganisation des stéréotypes, ce qui, en ce qui concerne la mise en pratique, est loin d’être évident. Cela consiste d’abord en un travail cognitif sur les discours quotidiens, qui expriment par excellence la culture partagée, par exemple, publicités, extraits de presse et ou caricatures, reflétant une image généralisante de l’autre.

Dans le meilleur des cas, il s’agit d’images plus ou moins positives, comme celle-ci-contre24 : des auto-représentations qui deviennent hétéro-stéréotypes, les Français, bon-vivants, romantiques, amoureux, dans un décor qui renvoie au patrimoine culturel. Tandis que les publicités allemandes adoptent plus volontiers ces images positives, celles produites en Autriche sont plus souvent beaucoup plus sarcastiques à l’égard des « mythes français ». L’exemple ci-contre d’une publicité allemande fait

même allusion aux relations franco-allemandes « célébrées » depuis des décennies et met en scène de façon originale ce couple d’amoureux. Les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics25 incarnés par un bout de pain allemand et un

22 Nous avons proposé 4 définitions de la compétence interculturelle : l’observation et la description de la culture cible, la comparaison entre la culture native et la culture cible, le regard sur la culture cible qui inclue une réflexion critique de sa propre culture, et enfin, l’appropriation partielle de la culture cible. 23 Cf. Amossy-Herchberg-Pierrot (1997), De Carlo (1998), Boyer (2004) entre autres. 24 Ancienne série de publicités des Gauloises (parues dans des magazines) 25 Chanson de Georges Brassens; Le slogan en allemand en petites lettres se trouvant en bas de page: « Fromage français, pain allemand. Le nouveau couple idéal du palais allemand. » www.kaese-aus-frankreich.de (2006)

fromage français, voilà une charge symbolique extraordinaire. Rien de tel dans les médias autrichiens (séries télévisées, émissions publicitaires…) où sont utilisées des images bien plus dévalorisantes. Si la femme française se retrouve souvent dans son rôle érotisant de séductrice, en particulier les hommes français sont souvent présentés de façon ridicule, toujours un accent prononcé à l’appui, en général dans les rôles de chef cuisinier ou du séducteur pas toujours heureux. Le spot d’une grande surface de bricolage OBI qui a récemment été primé26 et qui est passé sur toutes les chaînes de télévision publiques et privées d’Autriche, va encore plus loin et semble contrecarrer tous les clichés positifs à propos de la France (pays de culture, premier pays touristique au monde, nation de la mode, réputée pour son charme...). Au cœur, un guide touristique français, tout sauf élégant, l’allure de fonctionnaire caricaturé, inculte et l’air blasé, promène son groupe de touristes à travers le parc de Versailles, errant entre les buissons alignés à la française et commente avec un allemand très approximatif le gaspillage de Louis XIV qui, en achetant des plantes chez OBI, aurait pu faire des économies.27 Vu le grand succès de ce spot, l’entreprise en sort aussitôt un deuxième qui va encore plus loin dans l’exagération du personnage. Cette fois-ci, le guide, encore plus antipathique et dégoûtant, lors d’une visite du Louvre, se moque royalement du tableau de la Mona Lisa qui se décroche du mur, parce que « le peintre stupide n’a pas pris de chevilles de chez OBI pour le fixer» et pour marquer le coup, marche sur le tableau célèbre tombé par terre.28 Bien sûr, on pourrait prêter à ces publicités un certain humour au deuxième degré, un burlesque, s’il y avait un brin de sympathie (l’humour marche mieux si le personnage le plus ridiculisé garde un côté attachant), or ce n’est franchement pas le cas ici. Et étant donné le peu de présence du français dans la société autrichienne, les peu d’éléments diffusés prennent forcément plus d’importance. Mais ce qui doit nous intéresser encore davantage dans le cadre de ce travail, sont les représentations figées, péjoratives, qui renvoient aux relations historiques entre les deux pays. A partir des documents, comme les caricatures françaises à propos de l’événement politique cité plus haut, mais aussi des extraits de presse autrichiens, il faut développer chez les apprenants un savoir-faire interprétatif, non seulement envers le discours de l’autre, mais aussi envers les propres réactions (de rejet par exemple), afin de provoquer une sensibilisation à l’arbitraire du système de référence maternel et éviter à tout prix le concept du stéréotypage négatif et moralisateur, qui continue à être véhiculé. Il s’agit aussi de ne pas gommer les différenciations internes des deux communautés, propre et étrangère, ainsi que de favoriser d’autres conceptions d’identités (idéologique, régionale etc.). An l’an 2000, malgré toutes les 26 Creative Club Austria lui a décerné le prix « Silberne Venus » de la publicité télévisée en 2009. 27 „Wir befinden uns im Labyrinth von Versailles, wir sehen Büsch Büsch nichts als Büsch, gepflanzt von Louis XIV, der bekanntlich war Verschwender, denn hätt‘ er gekauft Büsch bei OBI, hätt‘ er kassiert 5 pour cent Bonus, alors, on y a … merde … (on voit le groupe de touristes errer entre les buissons suivant le guide). OBI Werbespot Versailles www.youtube.com/watch?v=BJ_a1gBncyk (04/01/2010) 28 Cette publicité disponible également sur Internet vaut le détour. Voici le texte. „Alors … Hier sehen wir Frau von Büsch, sie lächelt weil der Maler war so dümm und nicht hat gekauft Material bei OBI und nicht hat kassiert 5% … (tableau tombe) üpps … (il marche sur le tableau) … merde. OBI Werbespot Mona Lisa www.youtube.com/watch?v=ugueZf7ld0c (04/01/2010)

exagérations, il y a eu des perspectives et positions différentes, aussi bien dans la société autrichienne qu’en France. Il faut engager une réflexion sur soi pour comprendre pourquoi les mesures ont été prises, pourquoi la peur d’une participation d’un parti qui tient des propos xénophobes, pose problème à la communauté européenne. Par ailleurs, il est indispensable d’accepter le poids de l’histoire, même si cette matière semble, de nos jours devenu le parent pauvre dans beaucoup de filières scolaires. Il est évident que, dans le contexte de ce type de travail en classe, le recours à la langue maternelle, si longtemps bannie du cours de langues, joue un rôle éminent. La prise de conscience de l’existence de la culture native est obligatoire, les élèves doivent se rendre compte d’appartenir à un système culturel pour pouvoir comprendre la complexité de l’autre. Ce qu’ils projettent dans leur simplification de la culture étrangère, c’est aussi l’ignorance de leur propre culture » (Cain 1994 :275).

Pour illustrer l’impact de ce problème sur l’image de la France et des Français, j’ai choisi encore une autre caricature, intitulée « le Français », parue dans un quotidien autrichien29, à propos du NON français à la constitution européenne en mai 2005 et qui regorge de clichés. Le caricaturiste tourne en dérision même les atouts traditionnellement concédés à la France, avant tout dans le domaine de la gastronomie (rangée du haut). Les Français sont présentés comme « bouffeurs » d’escargots, de

baguette et d’une multitude de fromages et de buveurs de « Schnaps » au goût de dentifrice. Dans la rangée du bas, les jugements deviennent encore plus dévalorisants. Alors que la langue française est habituellement perçue comme belle, elle est jugée ici imprononçable (80% des lettres ne sont pas prononcées), les Français sont décrits très patriotiques (connotation chauviniste), représenté par un personnage, mélange de deux figures mythiques (le Général de Gaulle et Obélix), dont le discours est détourné de façon dédaigneuse. La devise française à forte teneur identifiante (« Allons enfants de la patrie ») est ridiculisée et devient « alors enfants Grande Nation ». Il s’agit d’un terme très chargé historiquement et largement utilisé dans la presse autrichienne et dans les discours quotidiens encore aujourd’hui pour dénigrer le comportement décalé des Français qui persistent à croire exagérément à l’image de la grande puissance de leur nation. Il faut retenir que la presse autrichienne était par ailleurs assez nuancée dans ses analyses sur le « non » de la France et des Pays Bas et a fourni aussi des commentaires objectifs tout en sachant que l’euro-scepticisme a gagné aussi l’Autriche depuis son entrée dans l’Union. Mais nous connaissons aussi l’impact des images, indépendamment du fait que beaucoup de lecteurs de quotidiens en survolant les titres s’attardent volontiers sur les présentations

29 Kurier 29.5.2005, avec l’aimable autorisation du dessinateur Pammersberger

faciles. Au-delà de l’effet comique de la caricature, celle-ci est un document de premier choix pour analyser avec les élèves ce qui se cache derrière ce besoin de dénigrer l’autre, l’impact historique, les événements intercommunautaires et les ressentiments non avoués, mentionnés plus haut. Quelles conséquences tirer pour l’enseignement de la langue-culture ? L’interprétation de documents tirés de ce qu’on appelle la « culture partagée »,30 le débat en classe qui en suit, la « négociation du sens », la remise en cause des propres valeurs devient, ce travail devient plus effectif s’il est lié à des activités qui visent l’affectif. À partir de témoignages (locuteurs natifs, assistants de langue), encore mieux d’expériences personnelles lors de séjours linguistiques, d’échanges et de stages professionnels, il est indispensable de travailler en cours de langue systématiquement sur les malentendus, les pannes de communication vécues, les sous-entendus et images véhiculées dans des discours ambiants : démarche qui paraît évidente mais qui est si peu réalisée dans la pratique quotidienne, par manque de temps ou de savoir-faire. Il faut « prendre en charge collectivement cette affectivité du contact culturel, qui peut créer frustrations, rancoeurs ou éblouissements (Beacco 2000 :59) », selon la personnalité et le « bagage culturel » des élèves, mais aussi des circonstances sur place. La réalité de l’autre, toujours saisie subjectivement au travers du filtre des propres schèmes de perception et « par un regard égo-socio-ethnocentrique » (Lipiansky 1999 :152), doit être mise en rapport avec la ou les cultures natives des élèves. Enfin, jouer sur l’humour et le changement de perspectives me semble être une autre forme très adéquate et la plus facile à accepter, vu la complexité du fonctionnement des auto- et hétéro-représentations, par exemple, par la mise en scène des « différences » et des représentations dans des sketchs, jeux de rôles ou des débats simulés. Le jeu avec la distance et l’approche plus ou moins caricaturale permettent de relativiser les propres « évidences » et de faire éclater peut être l’un ou l’autre stéréotype. Bibliographie : AMOSSY Ruth, HERCHBERG-PIERROT Anne (1997), Stéréotypes et clichés, langue discours société, Paris, Nathan. ANGERER Thomas, LE RIDER Jacques (éd.) (1999), Dem Frühling dem kein Sommer folgte? Französisch-österreichische Kulturtransfers seit 1945. Wien, Böhlau ANGERER Thomas (2003), „Die Krise von 2000 im Lichte europäischer Österreichprobleme.“ In: Gehler M., Pelinka A., Bischof G. (éd.), Österreich in der europäischen Union. Bilanz seiner Mitgliedschaft, Wien/Köln/Weimar, Böhlau p.85-120 Thomas Angerer (2005), Französische Freundschaftspolitik in Österreich nach 1945. Gründe, Grenzen und Gemeinsamkeiten mit Frankreichs Deutschlandpolitik. In: M.Rauchensteiner, R.Kriechbaumer (éd.), Die Gunst des Augenblicks. Neuere Forschungen zu Staatsvertrag und Neutralität. Wien,Köln,Weimar, Böhlau, 113 - 138 BEACCO J. Claude (2000), Les dimensions culturelles des enseignements de langue. Des mots aux discours, Paris, Hachette. BOYER Henri (1995), « De la compétence ethnosocioculturelle », Le Français dans le Monde n°272, Paris, Hachette BOYER Henri (2004), De l‘autre côté du discours. Recherches sur le fonctionnement des représentations communautaires. Paris, L‘Harmattan CAIN A., BRIANE C. (1994). Comment collégiens et lycéens voient les pays dont ils apprennent la langue. Représentations et stéréotypes, Paris INRP. CONSEIL DE L’EUROPE (2001) Cadre européen commun de référence pour les langues :

30 Galisson (1997), entre autres.

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