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l ASTRONOMIE LE MENSUEL DE RÉFÉRENCE DES SCIENCES DE L’UNIVERS SOCIÉTÉ ASTRONOMIQUE DE FRANCE ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT AR RIVE SUR [ENJEUX] [SCÉNARIO] [TÉMOIGNAGES]

SPÉCIALE · 2020-04-05 · l’ astronomie le mensuel de rÉfÉrence des sciences de l’univers s o c i É t É a s t r o n o m i q u e d e f r a n c e Édition spÉciale mars i

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l’AST

RONO

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L E M E N S U E L D E R É F É R E N C E D E S S C I E N C E S D E L’ U N I V E R S

S O C I É T É A S T R O N O M I Q U E D E F R A N C E

ÉDITIONSPÉCIALE

MARSI N S I G H T

ARRIVE SUR

[ENJEUX] [SCÉNARIO] [TÉMOIGNAGES]

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MINISTÈREDE LA CULTURE

MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENTSUPÉRIEUR, DE LARECHERCHE ET DE

L’INNOVATION

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Le millésime 2018 sera décidément un bon cru pour la planète Mars ! Elle setrouve cette année à sa plus courte distance de la Terre : 57,6 millions de kilomètres.Après avoir brillé avec un superbe éclat rouge et enchanté tout l’été l’horizon suddu ciel nocturne, l’exploration spatiale la remet à la Une de l’actualité en cette find’année.

Héritière de cinquante ans d’activités spatiales, Mars est devenue l’astre qui asuscité — et suscite encore — le plus grand nombre de missions. Parmi les orbiteursactuellement en activité, retenons : les américains Mars Odyssey, MarsReconnaissance Orbiter et Maven, les européens Mars Express et Trace Gas Orbiter,ainsi que l’Indien Mangalyaan. Sur son sol, le rover Curiosity de la Nasa est toujoursen activité (l’autre rover, Opportunity, a cessé d’émettre il y a peu, le 10 juin 2018).

Avec l’atterrissage du robot de la mission Mars InSight (Interior Exploration usingSeismic Investigation, Geodesy and Heat Transport) du 26 novembre a pour butd'étudier la structure interne de Mars grâce au déploiement à sa surface d'unestation géophysique embarquée dans un atterrisseur fixe. La France a apporté unecontribution décisive à cette mission en fournissant le sismomètre SEIS (SeismicExperience for Interior Structure).

InSight est une étape importante dans la « conquête » de la planète rouge. Lesprochaines missions martiennes seront dédiées à la recherche de vie extraterrestre.Mais poser le pied sur Mars sera le prochain grand défi de l’exploration spatialehabitée internationale. En effet, toutes les puissances spatiales ont Mars dans leviseur. Dans ce club encore très fermé, les États-Unis, l’Europe, l’Inde et le Japonont été rejoints par la Chine et même les Émirats arabes unis. Les initiatives privéesapporteront leur contribution. SpaceX d’Elon Musk et Blue Origin de Jeff Bezosdéclarent envisager d’y envoyer l’homme vers les années 2030. Pour parvenir à cebut de nouveaux lanceurs lourds (SLS, Flacon Heavy, BFR, New-Glenn) sont endéveloppement ainsi que de nouvelles capsules habitables ou cargo (Orion, Dragon,Cygnus, ATV, HTV, Progress).

Les missions robotisées actuelles, comme Mars InSight, et celles à venir(notamment les cinq missions de 2020, dont ExoMars pour l’Europe, associée à laRussie) préparent progressivement le débarquement de l’Homme sur la planèterouge. Au-delà des déclarations « promotionnelles » des uns et des autres, on peutenvisager qu’une première mission humaine vers Mars sera réalisée d’ici unevingtaine d'années, réalisant enfin l’un de nos rêves les plus anciens.

Patrick BaradeauPrésident de la Société astronomique de France

LE MOT DU PRÉSIDENTDirecteur de la publication.............................Patrick BaradeauRédactrice en chef .................................................... Janet BorgRédacteurs en chef délégués.............................Patrick Baradeau,.......................................................................................Fabrice Mottez1er Rédacteur graphiste / Ass. de rédaction... Mourad Cherfi

Conseillers scientifiques ......Jérôme Aléon, Allan Sacha Brun,Suzy Collin-Zahn, Frédéric Deschamps, Roger Ferlet, Jean Meeus

et Jean SchneiderComité de rédaction .......................P. Baradeau, P. Parbel, J. Borg,

D. Cachon, M. Cherfi, S. Collin-Zahn, P. Descamps,M.-H. Ducroquet, P. Durand, A.-M.Huguenin, N. Mein,

F. Mottez, M.-C.Paskoff, G. Raffaitin, Gilles SautotCorrection ...............................................................Denis CachonPublicité et partenariat............................................Alain Sallez.......................................................alain.sallez@saf-astronomie.fr

ISSN 0004-6302l’Astronomie est éditée par la

Société Astronomique de France3, rue Beethoven – 75016 Paris

Commission paritaire n°1122 G 82377Revue publiée avec le concoursdu Centre National du Livre

Imprimerie Roto Champagne

Toutes les communications relatives à la rédaction de l’Astronomie doiventêtre adressées au Rédacteur en chef de l’Astronomie, au siège de l’association.Toutes les illustrations et figures non créditées ont été fournies par les auteurs.Tous droits réservés. La Société Astronomique de France décline toute respon-sabilité en ce qui concerne la publicité commerciale, ainsi que les offres decession ou d’échange insérées dans l’Astronomie. (Décision du Conseil du14 décembre 1966)

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservéesà l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autrepart, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illus-tration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sansle consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite »(art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé quece soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les art. L. 335-2 etsuivants du Code de la propriété intellectuelle. Toutefois, des photocopies peu-vent être réalisées avec l’autorisation de l’éditeur. Celle-ci pourra être obtenueauprès du Centre Français du Copyright, 6 bis, rue Gabriel Laumain – 75010Paris, auquel la Société Astronomique de France a donné mandat pour la repré-senter auprès des utilisateurs.

Édition spéciale MARS INSIGHT

Ce numéro spécial, du magazine l’Astronomie, gratuit hors commerce, vous est offert par la

Société astronomique de France et ses partenaires.Il a été produit avec l'aimable collaboration de GillesDawidowicz et Alain Sallez. Qu'ils en soient remerciés.

Le magazine l'Astronomie est édité par laSociété astronomique de France.

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Novembre 2018 - L’Astronomie 3

f a c e b o o k . c o m / M a g a z i n e . A s t r o n o m i e

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6 UN SISMOMÈTRE FRANÇAIS SUR MARS Francis Rocard

L'ESSENTIEL DE LA MISSION Alain Sallez

L'EXPÉRIENCE SEIS : QU'ELLES SONT Philippe Lognonné LES ENJEUX SCIENTIFIQUES ? et W. Bruce Banerdt

INTERVIEW DE JEAN-YVES LE GALL,PRÉSIDENT DU CNES Gilles Dawidowicz

SEIS : QUELLE AVENTURE ! Fabienne Casoli et Philippe Laudet

TÉMOIGNAGES

UNE VISION NOUVELLE DE L'ATMOSPHÈRE DE MARS Aymeric Spiga

DÉTERMINER LE NORD GÉOGRAPHIQUE MARTIEN Denis Savoie

SÉISME ET SÉMANTIQUE Daniel Kunth

Sode

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SOMMAIRE

4 L’Astronomie – Novembre 2018 Édition spéciale MARS INSIGHT

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ÉDITORIAL

Depuis les années 1960, une trentaine demissions ont été lancées vers Mars.Grâce à elles, on en sait aujourd’huibeaucoup plus sur le sol et l’atmosphèremartiens. Toutefois, aucune mission n’aencore sondé la structure interne de laplanète, et ce sera le rôle d’InSight, unemission de la Nasa avec une forte parti-

cipation de l’agence spatiale française, le Cnes. Les ins-truments seront déployés dans l’hémisphère nord dela planète pour une durée nominative d’environ un anet auront pour but de mieux comprendre comments’est formée Mars, une planète analogue à la Terre, etcomment elle a évolué par la suite, jusqu’à devenir sidifférente de notre planète. L’instrument principal dela mission est un sismomètre SEIS (acronyme pour« expérience sismique pour structure interne »), jus-tement sous responsabilité française.

Un sismomètre est un instrument qui mesure lesmouvements internes d’un corps rocheux ; sur Terreils mesurent les tremblements de terre et peut-êtrequ’un jour ils pourront prévoir les éruptions volca-niques. Au cours des missions Apollo, des sismomè-tres ont été déployés sur la surface de la Lune et leursdonnées nous aident à mieux comprendre l’intérieurdu globe lunaire. SEIS va permettre de retrouver destraces de l’histoire interne de Mars en mesurant lesmouvements du sous-sol, dus à l’activité sismique in-terne de la planète et aux impacts météoritiques.

L’idéal pour étudier l’intérieur d’une planète est dedisposer d’un réseau de sismomètres, mais on peutdéjà apprendre beaucoup avec un seul instrument, àcondition qu’il soit très sensible et capable de détecterdes déplacements de la taille d’un atome, comme l’estSEIS. Du point de vue d’un ingénieur spatial, c’est undéfi. Aucun sismomètre terrestre ne pourrait survi-vre à un tir dans l’espace, ni aux conditions de fonc-

tionnement sur Mars. Il faut donc sélectionner descomposants spéciaux et les soumettre à toutes sortesde tests pour les pousser dans leurs retranchements ;il faut aussi résoudre tous les problèmes d’étanchéitéet de fuites qui apparaîtront surtout aux très bassestempératures et ce n’est pas une fois sur Mars qu’onpourra les résoudre. Enfin, ni poussière, ni germes,ni bactéries venant de la Terre.

Depuis 2012, chercheurs et ingénieurs de cinq paysdifférents travaillent sur ce projet et le moment tantattendu arrive ! Entre temps, il aura fallu se compren-dre entre terriens avant d’aller sur Mars. Cette formi-dable aventure humaine, scientifique et technique estdécrite dans cette édition spéciale, en grande partieextraite d'un dossier paru dans le magazine l'Astrono-mie de mai 2018, pour avoir une vue d’ensemble deSEIS et d’InSight.

Janet BorgRédactrice en chef de l’Astronomie

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Aujourd’hui se pose sur Mars la mission InSight avec à son bord un sismomètrefrançais. Son but : sonder l’intérieur de Mars afin de décrypter les caractéristiquesphysiques de sa structure interne.

ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | Francis ROCARD | Cnes

UN SISMOMÈTREFRANÇAIS SUR MARS

6 L’Astronomie – Novembre 2018 Édition spéciale MARS INSIGHT

NASA

/JPL

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Quand on s’implique dansle spatial, il faut être pa-tient et avoir une cer-taine ténacité. C’est cequ’a fait Philippe Lo-gnonné de l’Institut dephysique du globe deParis. Ce géophysicien,

spécialiste de la structure interne desplanètes telluriques, y compris la Terreet la Lune, a eu l’idée d’envoyer un sis-momètre sur Mars afin de déterminerles paramètres de sa structure interne.En effet, après de nombreuses mis-sions d’exploration de la planète rouge,aucun sismomètre n’avait encore fonc-tionné sur Mars (celui des sondes Vikingdans les années 1970 placé sur l’atterris-seur n’avait finalement mesuré que levent). Mars est-elle géologiquement ac-tive ? Y a-t-il des tremblements deMars ? Peut-on détecter les impacts desmétéorites sur Mars ? Autant de ques-tions qui jusqu’à aujourd’hui n’ont pastrouvé de réponse.

Mais pour mettre un sismomètre surMars, il faut y envoyer un atterrisseurafin qu’il se pose en douceur et dépose(ou pas) le sismomètre au sol. Or, unemission martienne coûte environ500 millions d’euros et la France n’en ajamais réalisé. Les innombrables impli-cations françaises dans l’exploration deMars (Curiosity, ExoMars, Mars Ex-press, Mars Odyssey…) ont eu lieu viades coopérations soit au sein del’Agence spatiale européenne, soit avecla Nasa, la Russie ou encore le Japon etprochainement la Chine.

En 1987, P. Lognonné a saisi la pre-mière occasion avec l’URSS de l’époqueet le développement du sismomètreOptimism (le bien nommé…) qui de-vait être embarqué à bord de deux pe-tites stations sur la mission Mars96.Malheureusement, la mission fut unéchec à cause d’une défaillance du lan-ceur Proton et la sonde a fini au fond duPacifique. Les tentatives ultérieures fu-rent nombreuses tant pour aller surMars que sur la Lune : 13 tentatives rienque pour Mars dont 5 sur des projetsapprouvés mais finalement abandon-nés. La dernière tentative se nomme In-Sight et devrait être la bonne.

InSight (Interior Exploration usingSeismic Investigations, Geodesy andHeat Transport) est la 12e mission duprogramme Discovery de la Nasa. Cespetites missions d’exploration plané-taire ont lieu tous les deux ans environpour un coût d’environ 500 millions dedollars. Elles sont sélectionnées aprèsune rude compétition et une phase

d’étude d’un an. Le responsable scienti-fique d’InSight est Bruce Banerdt du JetPropulsion Laboratory. Banerdt et leJPL constituent leur projet avec une to-tale liberté, la seule contrainte étant lebudget et le calendrier qu’il faut respec-ter scrupuleusement.

Depuis 1987 et les débuts du dévelop-pement de Mars96, le Cnes a soutenuP.Lognonné, notamment via des étudesde R&D afin d’améliorer les performancesdu sismomètre. P. Lognonné a ainsi conçule sismomètre VBB (très large bande) quidevait à la fois être très sensible et avoirune sensibilité étendue (si j’ai bien com-pris!) au domaine des basses fréquences(inférieures à 1 Hz qui est la fréquence ty-pique pour étudier les tremblements deterre). En effet, nous ne savons pas si destremblements de terre ont lieu sur Mars.Dans le domaine des basses fréquences, ilest néanmoins possible de mesurer la« marée » de Phobos. C’est-à-dire la (très)petite perturbation gravitationnelle queprovoque la lune Phobos proche de Mars

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quand celle-ci passe au-dessus du sismo-mètre avec une période de 7 h et 39 min.Ce signal, quoique faible, permet d’étudierle sous-sol proche de Mars sans aucuntremblement de terre. Durant les années1998-2003, le Cnes a étudié le projet Net-Lander de trois stations géophysiques de-vant être déployées sur Mars. Ce projet afinalement été abandonné alors qu’uneétude détaillée (phase B) avait été achevée.C’est pour cette raison que Bruce Banerdta contacté P. Lognonné afin que ce dernierfournisse le sismomètre de la mission In-Sight. En effet, les Américains n’avaient pasde sismomètre équivalent et le développeraurait coûté cher et pris du temps ce qui

est incompatible avec une mission Disco-very dans laquelle le temps de développe-ment est particulièrement court.

En mai 2011, la mission GEMS (GEo-physical Monitoring Station), son nomà l’époque, est présélectionnée avecdeux autres missions (l’une vers Titanet l’autre devant se poser sur une co-mète) parmi 28 concurrents pour unephase d’étude de faisabilité. Et finale-ment, le 20 août 2012, la mission In-Sight est définitivement sélectionnéepour un lancement au printemps 2016.

Le Cnes constitue rapidement uneéquipe projet sous la responsabilité de

Philippe Laudet. Une des difficultés estque le sismomètre SEIS (Seismic Expe-rience for Interior Structure) est réaliséavec plusieurs partenaires : l’électro-nique par les Suisses, le câble et la pro-tection thermique et contre le vent parle JPL, le système de nivellement par lesAllemands et les sismomètres haute fré-quence par les Britanniques.

Alors que les pendules VBB fonction-naient au laboratoire ou plutôt en cavesismique, des problèmes de fabricationde ces pendules sont apparus au cours dudéveloppement. Pas moins de 15 pen-dules ont ainsi dû être réalisées afin d’enavoir 3 fonctionnelles pour le modèle de

Le sismomètre SEIS, ici en cours d’intégration au Cnes à Toulouse en 2014, est constitué de 3 pendules VBB réalisées par la Sodern, d’unsystème de nivellement allemand, de 2 sismomètres haute fréquence britanniques, d’un long câble et d’une protection thermique etcontre le vent américains, ainsi que d’un boîtier électronique suisse.

Après trois mois de déploiement du sismomètre à la surfacede Mars, les premières mesures des tremblements

de Mars pourront enfin avoir lieu.

ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | UN SISMOMÈTRE FRANÇAIS SUR MARS

8 L’Astronomie – Novembre 2018 Édition spéciale MARS INSIGHT

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vol et trois autres pour le modèle de re-change. De surcroît, la sphère en titane,qui doit être maintenue sous vide afind’obtenir une oscillation normale despendules, s’est révélée non étanche. Mal-gré un travail acharné de toute l’équipeSEIS, la Nasa a annoncé le report du tir àseulement 3 mois de l’échéance.

Au début de l’année 2018, le sismomè-tre de vol a été testé dans sa globalité eta été intégré sur l’atterrisseur InSightchez l’industriel Lockheed Martin. Lelancement c’est fait le 5 mai sur unefusée Atlas V depuis la base de Vanden-berg et l’atterrissage à lieur aujourd’hui26 novembre.

Après trois mois de déploiement du sis-momètre à la surface de Mars et de tests,les premières mesures des tremblementsde Mars pourront enfin avoir lieu: ce seraseulement 30 ans après les premiers tra-vaux sur le sismomètre Optimism! �

Le sismomètre SEIS estconstitué de 3 pendulesVBB (Very Broad Band) iciintégrées dans une sphèreen titane maintenue sousvide. © Sodern.

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L’ESSENTIEL DE LA MISSIONInSight (acronyme de l’anglais Interior Exploration using Seismic Investiga-tions, Geodesy and Heat Transport pour Exploration interne par les sondages sismiques, la géodésie et les �ux ther-miques), proposée par le Jet Propulsion Laboratory, est retenue en 2012 dans le cadre du programme Discovery initié par la Nasa. Il s’agit d’explorer à moindres frais le Système solaire avec des sondes robotisées et un objectif scienti�que pré-cis. C’est la raison pour laquelle InSight s’appuie sur la technologie développée et employée par Lockheed-Martin pour la mission martienne Phoenix en 2007.C’est l’étude de l’intérieur du globe mar-tien qui distingue la mission InSight de toutes celles déjà engagées sur la pla-nète rouge. Parmi les pays partenaires, notons la forte présence française avec la fourniture du sismomètre SEIS.La fenêtre de tir a été établie pour que la sonde consomme le minimum d’énergie durant son trajet vers Mars. Après un report en 2016, les condi-tions sont �nalement réunies le 5 mai dernier pour procéder au lancement d’InSight avec une fusée Atlas V 401. Une fois arrivée sur Mars, l’atterris-seur, d’un diamètre de 1,5 m et d’une hauteur d’environ 1 m, déploiera ses deux panneaux solaires pour atteindre une envergure de 6 m. La masse to-tale de l’atterrisseur est de 360 kg, dont une cinquantaine pour les instruments.

UN SCÉNARIO À ÉCRIREGrâce aux données recueillies, il sera possible de déterminer la taille et l’état (solide ou liquide) du noyau ; l’épaisseur de la croûte ; la composition du manteau ; le �ux de chaleur interne du globe... La grande sensibilité du sismomètre SEIS permettra de mesurer l’activité sismique et d’évaluer la fréquence et l’intensité des

impacts de météorites. Et pour la pre-mière fois, un magnétomètre enregistre-ra le champ magnétique local avec une grande précision. Grâce à ces informa-tions, les scienti�ques feront une avan-cée signi�cative en écrivant le scénario de la formation et de l’évolution de Mars.A noter que deux nanosatellites expéri-mentaux (MarCO-A et MarCO-B) ont

été largués après le lancement d’InSight pour suivre leur propre trajectoire vers Mars. Leur conception per-mettra de transmettre en temps réel les données d’InSight lors de son entrée, de sa descente et de son at-terrissage, contrairement à l’orbiteur MRO qui enverra les informations avec un décalage de plusieurs heures.

L’atmosphère martienne est très ténue. Au niveau du

sol, sa pression est de 600 millibars, soit environ 170 fois moins que celle de la Terre au niveau de la mer.

Elle est composée à 96 % de dioxyde de carbone (0,04 %

pour la Terre).

La croûte aurait une épaisseur estimée à 65 km, proche de celle de la Terre. Mais cette valeur est très imprécise. InSight devrait déterminer son épaisseur à 5 km près.

Le manteau semble présenter une composi-tion proche de celui de notre planète. Cepen-dant, de nombreuses incertitudes demeurent

sur son épaisseur, sa composition… Y a-t-il une discontinuité comme pour la Terre ?

Le noyau recèle bien des secrets. Est-il figé ou présente-t-il encore une partie liquide ? Son évolution est aussi liée à la nature du manteau avec lequel il a formé un champ magnétique global aujourd’hui disparu.

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ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | Alain SALLEZ | Société astronomique de France

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ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | Philippe LOGNONNÉ1 & W. Bruce BANERDT2

QUELS SONTLES ENJEUXSCIENTIFIQUES?

Les missions martiennes des vingt dernièresannées ont dressé de Mars l’image d’uneancienne, très ancienne, oasis de notreSystème solaire, la seconde après la Terre.

L'EXPÉRIENCE SEIS

Rivières, lacs et peut-êtreocéans y étaient présents, etune forte activité volcaniquey régnait, propice au déga-zage du manteau vers une at-mosphère beaucoup plusdense qu’aujourd’hui et com-patible avec la présence d’eau

liquide stable à la surface. Mais cet équili-bre s’est effondré il y a 3 à 4 milliards d’an-nées. L'eau s'est transformée en glace dansle pergélisol ou dans les calottes polaireset à la surface ne subsistent que des ri-vières asséchées, des dépôts de sulfates ou,pour les terrains les plus anciens, d'argiles.Le tout surplombant une croûte basal-tique qui garde encore la mémoire ma-gnétique de la dynamo martienne.Pourquoi Mars a-t-elle perdu son habi-

tabilité et quelles sont les raisons de l’ex-tinction de sa dynamo magnétique et del’affaiblissement du volcanisme? Com-ment s’est-elle formée et quelle quantitéd’énergie a-t-elle libérée lors de son ac-crétion et de sa différenciation ? Lacroûte basaltique de Mars recouvre-t-elle une croûte plus primitive extraited’un océan de magma? Mars est-elle au-jourd’hui encore tectoniquement active,comme le suggère la faible cratérisationdes plus petites caldeiras de certains vol-cans ou de quelques coulées de lave surces édifices?

Les réponses à ces questions sont ca-chées dans la structure interne de la pla-nète, et déterminer celle de Mars est undes enjeux majeurs de la planétologiecomparée.

La taille du noyau nous donnera eneffet l’état final de l’accrétion et de la diffé-renciation de Mars, et ce surtout pourune deuxième planète tellurique du Sys-tème solaire, après la Terre. Il sera alorspossible de comparer ce processus pourdeux planètes telluriques situées à desdistances différentes du Soleil et s’étantdonc formées à des températures diffé-rentes dans la nébuleuse protoplanétairede notre Système solaire. Cette comparai-son sera d’autant plus complète que nousavons déjà des échantillons de la croûtemartienne profonde avec les météoritesmartiennes trouvées sur Terre et dont lacomposition nous renseigne tout autant

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sur la compositiondes réservoirs magma-tiques du manteau mar-tien que sur la dynamique et lachronologie de la différenciation dunoyau. Le couplage de ces informationssismologiques, cosmochimiques et miné-ralogiques nous permettra alors d’estimerle rapport de masse entre fer et silicatesdans la nébuleuse protoplanétaire denotre Système solaire et de mieux com-parer les processus de formation desnoyaux planétaires, pour deux objets demasse et de gravité différentes.

Mars, comme toutes les planètes tellu-riques, a été à l’origine chauffée par sonaccrétion, il y a 4,5 milliards d’années,mais également par la suite par la désin-tégration des éléments radioactifs.Lorsqu’une planète ne peut pas évacuersa chaleur interne par conduction ther-mique, son manteau s’anime de mouve-ments lents, appelés courants deconvection. Localement, des réservoirsde magma peuvent alors apparaître par

fusion partielle du man-teau, alimentant des remon-

tées de magma à même detraverser la croûte vers la surface. La

croûte ainsi formée transfère non seule-ment la chaleur vers la surface, maisaussi les éléments radioactifs du man-teau, car ces derniers ont tendance à mi-grer vers le magma des réservoirs.L’épaisseur de la croûte et le flux de cha-leur à sa surface sont donc des paramè-tres clefs de l’évolution du volcanismeplanétaire et leurs mesures, des objectifsimportants d’InSight.

Enfin, le manteau, par sa structure etsa température, contrôle la vigueur de laconvection, avec le réchauffement ou lerefroidissement des courants de convec-tion lorsqu’ils traversent les discontinui-tés minéralogiques du manteau,associées à la transformation de la struc-ture cristallographique de l’olivine (unminéral vert présent dans certainesroches volcaniques et prédominant dansle manteau) en des phases plus com-

pactes, puis enfin de sa décompositionen deux phases distinctes. Le noyau, parsa taille, pourrait donc tout simplementempêcher cette dernière discontinuitéd’exister, car une pression d’au moins20GPa (soit 200000 bars) lui est néces-saire, ce qui implique des noyaux d’unrayon inférieur à 1750 km.

La détermination de la structure in-terne de Mars sera l’objectif de la missionInSight avec pour cela toute la panoplieou presque des instruments géophy-siques. L’instrument principal de la mis-sion s’appelle SEIS, initiales de latraduction anglaise d’« Expérience Sis-mique de la Structure Interne ». Il s’agitdonc logiquement d’un sismomètre trèslarge bande, qui permettra d’enregistrertout autant les ondes haute fréquence despetits séismes régionaux que les ondesde surface de 50 à 100 secondes de pé-riode, excitées par les séismes lointainsde plus grande magnitude. À l’image dela Terre, où la sismologie permit à Ri-chard D.Oldham de découvrir en 1906

Vue d’artiste de l’atterrisseur InSight surMars, après le déploiement desexpériences SEIS et HP3 par le brasrobotique de la mission. Les autrescapteurs, magnétomètres, capteursmétéorologiques et expérience degéodésie RISE sont fixés à l’atterrisseur etne sont pas déployés. Le sismomètre estrecouvert d’un bouclier éolien etthermique le protégeant des ventsmartiens. (NASA/JPL-Caltech)

1. Responsable scientifique de l’expérience SEIS, Institut de physique du globe de Paris, université Paris-Diderot, France.2. Bruce W. Banerdt, responsable scientifique de la mission InSight, Jet Propulsion Laboratory, California Institute of Technology, É.-U.

Novembre 2018 - L’Astronomie 13Édition spéciale MARS INSIGHT

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l en o y a uliquide, puis àAndrija Mo-horovicic demettre aujour la dis-c o n t i n u i t éentre la croûteet le manteau en1910, l’objectif dessismologues sera deretrouver dans les signauxsismiques enregistrés les ondes réflé-chies par ces discontinuités ou bien demettre en évidence dans le train desondes de surface le ralentissement de cesdernières lorsque leur longueur d’ondeles confine dans la croûte. Mais d’autresinstruments géophysiques accompagne-ront SEIS. Le premier, HP3, est une tauperobotique à même de s’enfoncer dans lesol pour y déployer sur 5 mètres de lon-gueur une succession de capteurs detempérature permettant de mesurer leflux de chaleur s’échappant de la planète.Une mesure jamais réalisée sur Mars etqui permettra non seulement de connaî-tre le taux de refroidissement de la pla-nète, mais aussi de prédire la profondeuroù l’eau pourrait devenir liquide. RISE(initiales de la traduction anglaised’« Expérience de Rotation et de Struc-ture Interne ») déterminera avec préci-sion la vitesse de précession et lavariation de la durée du jour martien, etcherchera dans la rotation de Mars une

petite nutation associée à la différencede rotation entre le noyau liquide et lemanteau solide de la planète, et dontl’amplitude permettra une seconde déter-mination de la taille du noyau. Enfin, ledernier instrument fonctionnera de pairavec une des meilleures centrales météo-rologiques jamais déployées sur Mars etle magnétomètre 3 axes IFG, qui utiliserale champ magnétique externe de l’iono-sphère martienne pour sonder la pla-nète.Il sera ainsi possible de mesurer lesvariations de la conductivité électrique dumanteau et de la croûte martienne,qu’elles soient associées à l’augmentationde température du manteau ou à la pré-sence d’eau liquide dans la croûte.

Toutes ces méthodes ont fait leurspreuves sur Terre, mais dans descontextes de réseaux géophysiques oumétéorologiques. Déployer un réseausur Mars fut donc, ces vingt dernièresannées, l’objectif de plusieurs projets, de-puis l’ambitieux réseau Nasa-Esa Mesur-Marsnet du début des années 1990, avec16 stations américaines et quatre stationseuropéennes jusqu’au projet franco-américain Netlander avec quatre sta-tions. Tous se heurtèrent tant au coûtqu’à la difficulté de lancer avec un seullanceur plusieurs stations martiennes…

La mission InSight, avec une seule sta-tion, peut donc surprendre, d’autant quela sismologie dans son principe consisteà mesurer la vitesse de propagation desondes. Pour cela, il faut tout autant me-surer les temps de propagation entredeux points que connaître la distanceentre ces deux points. Comment le faireavec une seule station sismique?

La première stratégie d’InSight serabasée sur la détection des ondes de sur-face. Ces dernières se propagent à la sur-face de la planète et sont, sur Terre, lesondes sismiques ayant les plus fortes am-plitudes. L’objectif d’InSight sera donc deles détecter lors de leur premier passage,puis une seconde fois, après qu’elles au-ront fait un tour complet à la surface dela planète, à une vitesse de l’ordre de3,5 km/s, soit donc environ 1 h 45 minplus tard. La mesure précise de leur vi-tesse pourra alors être faite et, avec letemps d’arrivée de l’onde de surface di-recte et indirecte, la position et le tempsdu séisme seront déterminés, permettant

ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | SEIS : QUELS ENJEUX SCIENTIFIQUES ?

1. La structure interne de Mars. De lasurface au centre, on distingue la croûte engris, le manteau rougeâtre et le noyau enjaune. Seul le noyau est liquide, constituéde fer enrichi en éléments légers. Un desobjectifs d’InSight est de déterminer laprofondeur des discontinuités entre lacroûte et le manteau (le « moho » martien)et entre le manteau et le noyau. (NASA)

La détermination de lastructure interne de

Mars sera l’objectif dela mission InSight,

avec, pour cela, toutela panoplie ou presque

des instrumentsgéophysiques.

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alors l’interprétation des temps d’arrivéedes ondes de volume P et S en termes demodèle interne. Simple dans le principe,cette approche est en fait un défi techno-logique de taille, en raison de la faible am-plitude de l’onde de surface : pour unséisme distant de 90° et après les 20000 kmde propagation du tour supplémentaire,l’accélération du sol générée par les ondesde surface d’un séisme de magnitude 4,5sera de quelques dixièmes… de milliar-dième de la gravité martienne…

Le sismomètre d’InSight doit donc êtretout à la fois très sensible et surtout très bieninstallé, et ce dans un environnement où lesvariations de température dépassent 60 °Centre le jour et la nuit et où des vents parfoisde plus de 50 km/h soufflent une grandepartie de la journée. Un premier pari tenupar les capteurs très large bande dont la sen-

sibilité entre 20 et50 secondes de période estde 2.10–10 m/s2, soit l’attraction gravi-tationnelle d’une personne de 70 kg sur unebalançoire à 5 mètres de l’instrument… Etun second pari gagné par tous les parte-naires de l’expérience, qui fournirent lecocon dans lequel ces capteurs furent inté-grés pour un maximum de protection puiscouplés à leur électronique de contrôle etd’acquisition. Sur les 29 kg de l’instrument,plus de 20 kg sont ainsi utilisés pour le ni-vellement au sol des capteurs sismiques, leurprotection thermique et éolienne et leur liai-son électrique avec l’atterrisseur.

Au total, plusieurs dizaines de séismessont espérés pendant les deux années ter-restres de la mission nominale, donc 5 à 10

séismes de magnitude supérieure à 4,5 etdonc potentiellement localisables par leursondes de surface. Quelques séismes par anpourraient dépasser une magnitude de 5,comme sur la Lune où le tiers des 27 séismestectoniques détectés par le réseau Apollo en7 ans dépassait cette magnitude 5. La locali-sation des séismes nous renseignera sur l’ac-tivité sismique contemporaine de la planète.Un refroidissement thermoélastique de la li-thosphère se traduira ainsi par une activitésismique diffuse et globalement répartie,

alors que touteaccumulation régionale dela sismicité trahira l’existence dezones encore actives tectoniquement.

Mais le soin dans la première installa-tion robotique d’un instrument sismolo-gique sur une planète permettra aussi àInSight de détecter les ondes sismiquesémises par des impacts de météorites,sources bien moins énergétiques que lesséismes, mais qui elles aussi pourront êtrelocalisées avec précision (figure ci-des-sus). Une dizaine uniquement pourraient

être détectés pendant la durée de vie no-minale d’InSight, soit de l’ordre de 5 paran. Mais tous ces impacts formeront descratères d’une dizaine, parfois dequelques dizaines de mètres, facilementdétectables par les imageurs des orbiteursde la Nasa ou par ceux de l’Esa. Leur dis-tance sera alors connue avec précision etles différences de temps d’arrivée entrel’onde P et les autres ondes sismiques per-mettront de déterminer la profondeur dumoho martien, cette discontinuité entre

croûte et manteau (fi-gure 1). Toute forte disconti-

nuité dans la croûte, en particuliercelle trahissant une ancienne croûte pri-maire, sera aussi détectée.

Décembre 2018 sera donc, pour tous lesgéophysiciens terrestres, le début de la dé-couverte sismologique et géophysiqued’une planète. Un beau cadeau pour le 60e

anniversaire de la fin de l’Année géophy-sique internationale et, avec les premiersrésultats en 2019, un plus beau encorepour le 50e anniversaire des débuts de lasismologie lunaire Apollo. �

Le cratère produit par l’impact seraalors recherché dans des nouvellesimages prises par un des orbiteursde la nasa. Une fois ce derniertrouvé, la distance sera alorsconnue avec précision et l’analysedes signaux sismique sera utiliséepour déterminer la structure desmilieux traversés.

MRO: Géolocalisation

MARS RECOnnAISSAnCEORBITER (MRO)

CRATèRED’IMPACTRéCEnT

OnDESSISMIqUES

IMPACT

SEIS

SEIS: détection de séisme

Principe de détection des impactsde météorites par InSight. Dans unpremier temps, les ondes sismiquesproduites par l’impact serontdétectées par SEIS, qui mesurera ladirection et estimera la distance àpartir de la différence des tempsd’arrivée entre les ondes decompression (dites P) et les ondesplus lentes de cisaillement (dites S).

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ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | INTERVIEW |

Le président du Cnes a ouvert sesportes à l’Astronomie. Il nouséclaire sur la mission Mars InSight.Des propos recueillis par notrespécialiste Gilles Dawidowicz.

Jean-Yves Le Gall« On sait que Marsa été habitable. La

question maintenant,c’est de savoir si

Mars a été habitée. »l’Astronomie : Pour commencer, quelle est la situation de lasonde InSight à quelques heures de son arrivée sur Mars ?J.-Y. Le Gall: La sonde est prête à se poser. Après un magnifiquedécollage de nuit depuis la base spatiale de Vandenberg (Californie) le5 mai dernier et une croisière nominale de près de 7 mois, tous lesinstruments scientifiques à bord sont prêts à fonctionner. Le rôle del’industrie française, et notamment de la société Sodern - une PMEsituée en région parisienne - a été prépondérant dans cetteréalisation. Maintenant, la sonde se prépare à entrer dansl'atmosphère de Mars à la vitesse prodigieuse de 5,9 km/s.

C’est une grande fierté pour le Cnes de fournir l'instrumentprincipal de la mission, le sismomètre SEIS. Bien que le défitechnologique ait été énorme et que les diverses équipesimpliquées aient finalement réussi à résoudre des problèmestrès complexes, avec le recul quel est votre regard sur ceprogramme audacieux dont l’origine date de 2010?C’est en effet une grande fierté. La sonde InSight est la seule sondepartie vers Mars sur le créneau de 2018! Le fait que SEIS soit aucœur de la mission est une grande responsabilité pour nous.Concernant les problèmes passés, il faut comprendre que sur Mars,on a besoin de faire le vide absolu pour que cet instrumentfonctionne. L’atmosphère de Mars a en effet deux particularités: elleest très ténue et elle est très agitée. Ce qui fait que les vents peuventperturber le fonctionnement d’un sismomètre comme cela s’estproduit à l’époque des sondes Viking, qui mesurèrent les courants

d’air au lieu d’une éventuelle activité sismique. Il a donc falluréaliser une sorte de cloche à fromage pour InSight, pour

mettre l’instrument SEIS à l’abri du vent.

Comment le Cnes a-t-il défini cette mission, sesobjectifs?Cette mission est très intéressante au point de vue de lascience, car il faut tenter de comprendre pourquoi Mars aperdu son eau et la majeure partie de son atmosphère. De

fil en aiguille, il convient donc de déterminer si le cœur deMars est aujourd’hui solide ou encore liquide. Ces objectifs

scientifiques considérables ont conduit à traiter des sujetsindustriels et technologiques innovants, tant les instruments

requièrent de la sophistication et des mesures de précision.

Quel est le coût de la mission, côté français?Le coût est un peu inférieur à 100 millions d’euros. Cela valide notrestratégie de « niche » où l’on apporte des instruments d’exceptiongrâce à l’excellence de notre communauté scientifique, au très hautCn

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niveau de technicité de noslaboratoires et à notre savoir-faireindustriel de pointe. Seule la Franceen est capable actuellement. On peutdonc espérer avoir des résultatsscientifiques à un coût moindre que sil’on développait la sonde tout entièrepar nous-mêmes.

Etiez-vous à Vandenberg le 5 maidernier pour le lancement?Oui, bien sûr. InSight a fait partie deslancements d’importance pour cetteannée et c’est la première fois quel’on a lancé une sonde vers Marsdepuis cette base spatiale.

Vous attendez-vous à un succèsmédiatique équivalent ou supérieurà celui de la mission Rosetta?Je ne sais pas, mais le noyau de lacomète Churyumov-Gerasimenko étaittellement spectaculaire qu’il a suscitéun engouement exceptionnel quepersonne n’imaginait. Il est clair quepour InSight, ce sera un peu différent.

Avez-vous déjà vécu « de près » deprécédentes missions martiennes?Si oui, lesquelles et quelssouvenirs en tirez-vous?Oui, j’étais au lancement de MarsExpress le 2 juin 2003 à Baïkonour.J’étais alors président de Starsem etd’Arianespace. J’en garde un souvenirextrêmement ému. À l’époque, onparlait assez peu de cette missioneuropéenne. Et pourtant, quel succès!J’ai suivi de près durant deux ans lessujets de mécanique céleste, carl’étage Frégat avait été développéspécialement pour ce tir vers Mars.L’injection vers la trajectoire martiennefut un moment très très fort.Plus récemment, il y a eu égalementl'atterrissage de Curiosity à la surfacede Mars, le 6 août 2012, dans lecratère Gale.

Le Cnes poursuit sa forteimplication dans l’explorationautomatique de Mars,particulièrement aux côtés desAméricains. Est-ce qu’InSight est unprolongement logique de la missionCuriosity, toujours en cours, et danslaquelle les équipes du Cnes àToulouse sont particulièrementimpliquées?Oui, mais c’est surtout la missionMars 2020 qui est un prolongementlogique de Curiosity. C’est même sonfrère jumeau, mais très nettement

amélioré. Et en ce qui nous concerne,SuperCam va succéder à ChemCam.Il y aura peut-être aussi la possibilitéd’embarquer à bord un drone pourvoler dans l’atmosphère de Mars. Unemission spectaculaire!

À propos des Américains, ce sont euxqui ont rencontré le plus de succèssur Mars. Comment expliquer queles autres nations aient tant dedifficultés à atteindre Mars?Il n’est pas simple de se mettre enorbite autour de Mars et c’estégalement très difficile de s’y poser. Ily a à ce jour seulement troispuissances spatiales qui ont réussi às’y mettre correctement en orbite: lesAméricains, les Européens et lesIndiens. Les Russes et les Chinoisn’ont pas eu les succès escomptés.Quant aux atterrissages, seuls lesAméricains ont réussi la majeurepartie de leurs entreprises malgréquelques échecs aussi, carl’atmosphère de Mars est trèspiégeuse, avec des zones nonhomogènes. L’Europe quant à elle,durant la descente de Schiaparelli le19 octobre 2016, a accumulébeaucoup de données sur la structurede l’atmosphère, même si la fin de ladescente s’est mal passée… Maisbeaucoup de progrès ont été faits,notamment sur les technologiesd’atterrissage, des rétrofusées auxairbags en passant par la grue volantede Curiosity, très sophistiquée.

La planète rouge fascine toujoursautant. Peut-être même de plus enplus, au point de reparler demissions habitées d’ici à 2025-2030. Est-ce que le Cnes entendjouer un rôle majeur dans cetteaventure historique?Bien sûr. Le Cnes possèdeaujourd’hui une expertise scientifiquesur Mars unique en Europe: nousavons été les artisans de MarsExpress, et dans le cadre decoopérations bilatérales avec lesAméricains et même avec les Indienset les Japonais, nous avons de quoitravailler conjointement. Et le Cnespossède aussi de fortes compétencesdans les vols habités, grâce auxprogrammes liés à la Station spatialeinternationale et à l’ATV. Mais 2025-2030 me paraît un peu ambitieux: jevois plutôt la décennie 2030 pour lesvols habités vers Mars.

Que pensez-vous des ambitionsmartiennes des pays tels que laChine, l’Inde ou lesÉmirats arabes unis?Cela montre que Mars, c’est là où ilfaut être. Je suis frappé de voir qu’en2020 il n’y aura pas moins de cinqmissions vers la planète rouge!ExoMars pour l’Europe et la Russie,Mars 2020 avec les États-Unis, unemission chinoise présentée auprésident Macron le 9 janvier dernier,la mission indienne Mangalyaan-2 etla mission émiratie Hope.

Mais pourquoi cet engouement?On sait que Mars a été habitable. Laquestion maintenant, c’est de savoir siMars a été habitée. Mars est enquelque sorte le Graal desastronomes et des exobiologistes quiiront en 2020 jusqu’à forer son sous-sol pour y chercher des traces de vie…

Une très grande missioninternationale vous semble-t-elleutopique?Cela peut se faire aussi, comme on l’avu à la dernière réunion de l’ISEF(International Space ExplorationForum). Il y a un travail d’importanceà l’échelle internationale qui se meten place et la France est très bienplacée. Aujourd’hui, le Cnes a nouédes coopérations avec le mondeentier et se positionne pour être laplateforme fédératrice des initiativesmartiennes. Depuis quelques années,nous avons posé des jalons un peupartout dans ce sens. Pour le climat,nous sommes aujourd’hui l’agencespatiale de référence dans le monde.Il faut trouver des sujets où l’on peutêtre numéro un. On ne peut pas secontenter de regarder les autres fairela une des journaux. Dans l’exploration,il y a beaucoup à faire. C’est un enjeuessentiel pour la France et l’Europe. �

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ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | Fabienne CASOLI1 & Philippe LAUDET2

QUELLE AVENTURE!SEIS

1. Observatoire de Paris – 2. Cnes

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Quinze mois de suspense etde travail acharné plustard, en août 2012, appeltéléphonique de la Nasa : ilne restait plus qu’un projet,et c’était le nôtre ! Ce projet,qui a été rebaptisé Insight,pour Interior Exploration

using Seismic Investigations, Geodesyand Heat Transport, est maintenant prêtà se poser sur Mars. Entre mai 2011 etnovembre 2018, entre la première sélec-tion et l’arrivée, nous aurons donc vécudurant sept ans une extraordinaireaventure aussi bien technologiquequ’humaine.

UNE AVENTURE TECHNOLOGIQUEPour étudier l’intérieur d’une planète,tous les scientifiques en sont d’accord :un réseau de sismomètres, c’est vraimentl’idéal. Si l’on n’a pas les moyens de dé-ployer un réseau, on peut déjà apprendre

énormément de choses avec un seul sis-momètre, à condition qu’il soit très sen-sible, comme SEIS, qui est capable dedétecter des déplacements de la tailled’un atome. Mais du point de vue d’uningénieur spatial, c’est un défi. Aucunsismomètre terrestre avec de telles per-formances ne survivra jamais à un tirdans l’espace, ni aux conditions de fonc-tionnement sur Mars. Des vibrationsdestructrices pendant le décollage, unvoyage de plus de six mois avec des tem-pératures variant du glacial au torride (–35 °C à +40 °C) des chocs de milliersde g pendant la phase d’atterrissage, puisune fois sur Mars deux ans au moinsd’écoute sismique qui verront la tempé-rature de l’instrument varier de –60 °C à–5 °C. À ces températures, les graisses etlubrifiants durcissent, les mécanismes segrippent, les composants électroniquesne sont pas garantis par leurs construc-teurs. Quiconque a déjà essayé d’utiliser

un appareil de haute technologie pargrand froid le sait bien : les téléobjectifsdes appareils photo se grippent, lessmartphones s’arrêtent au bout dequelques minutes… Il faut donc sélec-tionner des composants spéciaux et lessoumettre à toutes sortes de tests pourles pousser dans leurs retranchements. Ilfaut construire des séries de maquettesde plus en plus réalistes pour tester tousles éléments de l’instrument, puis l’ins-trument complet, et ainsi vérifier qu’ilpeut survivre à ces violents traitements.

Ce n’est pas tout, car les trois « axes »,les sismomètres individuels, qui sont aucœur de l’instrument SEIS doivent êtreprotégés des conditions martiennes etsont donc placés, on pourrait même diretrès tassés, dans une sphère composée dedeux demi-coques en titane dans la-quelle on fait un vide inférieur à 10–5 mbar, équivalent à la pression des

L’aventure, on ne sait jamais quand elle va voustomber dessus ! Pour nous, elle a commencé enmai 2011, quand la Nasa a choisi 3 projets parmi les29 propositions de petites missions planétairessoumises à l’appel à idées Discovery 12. Parmi lesélues pour entrer dans une phase d’étude compétitive,GEMS, pour Geophysical Monitoring Station, unemission martienne proposée par Bruce Banerdt du JetPropulsion Laboratory en Californie, avec commeinstrument principal le sismomètre SEIS fourni par laFrance sous la responsabilité du Cnes, et conçu par uneéquipe pilotée par Philippe Lognonné de l’Institut dephysique du globe de Paris.

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hautes couches de l’ionosphère à 120 kmd’altitude sur Terre. Mais pour alimenteret piloter les détecteurs, ainsi que pourrecevoir les mesures, il faut bien avoirdes passages à travers la sphère : dansnotre cas, trois connecteurs de la tailled’une pièce de 20 centimes d’euro, avecchacun pas moins de 37 fils électriquesqui traversent plusieurs matériaux diffé-rents, et qui réagissent donc de manièredifférente aux variations de température.D’où d’innombrables problèmes d’étan-chéité et de fuites, apparaissant essentiel-lement à froid, et qu’il a fallu résoudre.Car dans l’espace, si on ne prend pas demesures adéquates, tout ce qui peut cas-ser ou fuiter casse ou fuite à un momentou un autre.

Pour pimenter l’affaire, comme lestrois axes sont très sensibles à la présencede la moindre particule de poussière,

ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | SEIS : QUELLE AVENTURE !

Test de déploiement de l’instrument SEIS.

La sphère…

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l’instrument doit être assemblé dans unesalle spéciale, ultra-propre, garantissantmoins de 10000 particules de taille su-périeure à 5 micromètres par mètrecube, soit vingt fois moins que l’épaisseurd’un cheveu.

Enfin, poser un instrument sur le solde Mars implique de suivre des règlesspécifiques dites de protection plané-taire, pour limiter la pollution de la pla-nète par des germes et bactériesterrestres. Cela implique en particulierdes nettoyages et des prélèvements régu-liers sur toutes les surfaces de l’instru-ment pour garder sous contrôle le niveaude contamination microbiologique.

Et tout cela dans un planning trèstendu. La date de tir ne recule jamais. Eneffet, avec les fusées actuelles, on ne peutpartir de la Terre vers Mars que dans cer-taines configurations plus favorables, quise produisent tous les 26 mois et durentquelques semaines : ce sont les créneauxde lancement. Si on rate le créneau, celacoûte extrêmement cher de reporter letir au créneau suivant. La mission avaitété sélectionnée sur la base d’un lance-ment en mars 2016, qui s’est avéré inte-nable  et auquel il a fallu renoncer en

décembre 2015. Quoi qu’il en soit, dèsqu’une difficulté survient, il faut la résou-dre, si possible sans prendre de retard.Or, les questions qui se posent chaquejour concernent un système totalementnouveau, jamais réalisé auparavant, et lesréponses ne sont jamais simples. Cha-cune peut avoir des conséquences in-soupçonnées, qui ne se révéleront queplus tard, tant les interfaces entre tous lessous-systèmes et les partenaires sontriches et complexes. Avec en finalité uneperformance scientifique qui doit êtrepréservée à tout prix ! Chaque jour, desdécisions difficiles remontaient au chefde projet. Il avait au maximum quelquesheures pour consulter les experts et fairele bon choix, et ensuite assumer la res-ponsabilité de la prise de risque imman-quablement associée. 

UNE AVENTURE HUMAINECinq pays, quatre monnaies, quatrelangues… Il faut se comprendre entreTerriens avant d'espérer aller sur Mars !Des milliers de mails, des centaines deconférences téléphoniques et de vidéo-conférences, des gigaoctets de comptesrendus et de documents… Mais en réa-lité, rien ne remplace les rencontres,

surtout quand on n’a pas le droit à l’er-reur parce que le temps est compté. Onn’a pas le temps de mal se comprendre !Les différences de cultures pimententles discussions et les approches quandon élabore une stratégie devant une dif-ficulté à surmonter, et le décalage de9 heures avec la Californie n’arrangerien : 17 h à Toulouse, c’est 8 h du matinau JPL. D’où de très nombreux voyagesnon seulement en Europe, mais aussi enCalifornie, au Jet Propulsion Labora-tory à Pasadena, et à Denver dans leColorado, où l’industriel LockheedMartin, responsable de la constructiond’Insight, est basé…

Entre contributeurs au projet, tout sebase sur la confiance, car chacun réalisesa partie sur les financements de sonpays : il n’y a pas d’échange de fonds. Leboîtier électronique a donc été financépar les contribuables suisses et réalisé àNeuchâtel, le sismomètre basse fré-quence, cœur de l’instrument, par lesFrançais à Limeil-Brévannes et Paris, lesismomètre haute fréquence par les An-glais à Oxford et Londres, le câble quirelie l’instrument à l’atterrisseur a étéconfié aux Américains à Pasadena, lesystème qui permet de poser SEIS à plat

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… et l’intérieur.

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sur le sol de Mars aux Allemands à Göttingen… Cha-cun fournit donc un élément de l’instrument et c’est auCnes, maître d’œuvre de SEIS et responsable du bonfonctionnement de l’instrument vis-à-vis de la Nasa,de faire vivre ce consortium complexe, d’assembler lepuzzle en temps et en heure, et enfin de le tester. Unrôle qui implique souvent de rappeler aux partenairesqu’il faut tenir le calendrier… fermement mais cour-toisement.

Côté France, SEIS est le fruit d’une collaboration entrel’agence spatiale nationale, le Cnes, le laboratoire scien-tifique IPGP (Institut de physique du globe de Paris) quidépend du CNRS et de l’université Sorbonne-Paris-Cité, et des industriels au premier rang desquels la so-ciété Sodern, filiale d’Ariane Group et spécialisée dansl’optronique et la neutronique. Se sont ainsi confrontées,parfois vigoureusement, la vision des chercheurs et celledes ingénieurs : car si l’IPGP savait tout des sismomètresterrestres, il avait peu l’expérience du spatial et de sescontraintes ; à l’inverse, le Cnes n’avait aucune expé-rience de ce type d’instrument. Ce sont là aussi desmodes de fonctionnement et des approches complé-mentaires avec lesquels il a fallu composer.

Au plus fort de l’activité, pas loin de 200 personnestravaillaient en France sur ce projet, dont 120 au Cnes,avec une vaste palette de compétences et d’expériences :

management de projet, mécanique, électro-nique, thermique, avionique, spécialistes dela qualité qui contrôlent la bonne mise enœuvre des procédures.

Une telle pression du planning pour un teldéfi technologique a mis les femmes et leshommes à rude épreuve sans discontinuerpendant sept années. Les familles des mem-bres du projet se souviendront longtempsdes hauts et des bas de SEIS, «  bas  » quiavaient une forte tendance à se produire auxalentours des fêtes de fin d’année! Au-delàdes équations, de la technologie, des pro-blèmes budgétaires, ce sont les hommes etles femmes qui ont transformé ce projet enréalité.

La sélection d’InSight en 2011 n’était doncque le début d’une aventure de sept ans. Unvrai clianger, avec crises, coups d’adréna-

line, revers de fortune, situations qui semblent sansissue, et un happy end à la fin. Mais pour InSight et SEISet les équipes de chercheurs et d’ingénieurs, le happyend est le début d’une nouvelle « saison » : l’aventurecontinue. D’abord, un lancement et quelque 485 mil-lions de kilomètres à parcourir. Et puis deux ans au mi-nimum d’opérations sur Mars… pour enfin prendre lepouls de la planète rouge. �

DATES CLÉS6 mai 2011:

présélection de GEMS20 août 2012 :

sélection d’InSight5 mai 2018:lancement

26 novembre 2018:atterrissage sur Mars

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Isabelle Savin de Larclause, responsable VBB (CNES)Je suis arrivée sur la mission InSight en mai 2016 pour suivre le développement dessismomètres et les activités de la sphère chez Sodern, et le tout sans phase d’acclimatation !J’ai découvert un univers où tout m’était nouveau : la thématique, les équipes, ce mode defonctionnement en équipe intégrée et multiculturelle et le train allait vite, très vite ! Passées cesquelques semaines d’apnée, un équilibre et un rythme se sont établis. Lundi matin, réveil à4h40 , petit-déjeuner à l’aéroport, croiser à nouveau ces mêmes visages, congénères esseulésde transhumance hebdomadaire, embarquement à 6 h, 1 h 15 de prolongation de nuit, etarrivée à 7 h 45. Il fait décidément froid là-haut habillée en sudiste, j’ai oublié ce décalageclimatique. 40 minutes d’A86 à rêvasser d’un monde un peu moins gris, 8 h 45, « bonjourSodern », c’est parti pour trois à cinq jours. Humainement, j’ai énormément appris, l’intérêt dumulticulturalisme, l’art de la médiation, l’importance de la solidarité, mais aussi la résilienceface aux échecs, la persévérance, car le stress, le doute m’ont souvent accompagnée.

Michel Nonon, architecte spatial système sol (CNES)Mi 2012, la mission InSight et le projet de sismomètre SEIS sont sélectionnés par la Nasa ; jerejoins l’équipe du Cnes pour une aventure humaine et technique mouvementée etpassionnante. Pendant six années, je vais accomplir ce travail d’ingénieur qui m’est cher :définition, tests de la commande et du contrôle de l’instrument SEIS, essais du systèmecomplet (instrument, atterrisseur, centre de mission, centres d’analyse des données…) etpréparation des opérations. Le planning de cette coopération internationale est serré et rythmépar de nombreuses missions en Europe, aux États-Unis et des téléconférences hebdomadairesen fin de journée pour se mettre au rythme des Américains du centre de Denver au Coloradoou de la côte ouest à Pasadena en Californie. Lorsqu’enfin SEIS est achevé et livré, je vis alorsl’un de mes meilleurs moments sur ce projet. Je me retrouve à côté de SEIS et d’InSight quisont connectés dans la salle blanche d’assemblage et de tests à Denver et je réalise que c’estla dernière fois que je les vois et qu’ils vont se poser sur Mars. Je suis très ému !

Sylvain Tillier, ingénieur mécanicien en instrumentation scientifique spatiale (CNRS)Je suis impliqué sur InSight depuis le tout début, en 2010, et même avant, étant donné que lesprojets précédents, conduits dans notre laboratoire (équipe de planétologie de sciences spatialesde l’IPGP), ont servi de tremplin à cette mission. Mon rôle a été d’une part de concevoir et dedévelopper des sous-systèmes mécaniques pour les capteurs sismiques VBB (très large bande),comme le dispositif qui leur permet d’être très peu sensibles aux variations thermiques parasitesrencontrées sur Mars et, d’autre part, de garantir la conformité de ces oscillateurs mécaniquesultra-sensibles vis-à-vis des performances attendues pour satisfaire les objectifs de la mission.Mon métier me permet de satisfaire un vif intérêt, ainsi qu’un émerveillement profond, pour lesmissions d’exploration spatiale qui bousculent sans cesse l’imagination. Le décollage de la fusée aété pour moi un moment fort, qui a marqué l’aboutissement de longues années de travailpassionnées. Ce fut aussi la satisfaction de voir qu’à force de persévérance, les nombreusesdifficultés et échecs rencontrés, notamment la fuite de 2015 qui a entraîné le report de la mission,ont finalement pu être surmontés.

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Catherine Delelis, Responsable technique (Sodern)De 2014 jusqu’à la livraison du cœur du sismomètre au Cnes en 2017, je fus la responsabletechnique du projet SEIS chez Sodern. Mon rôle était de garantir le respect des exigencesinhérentes à la mission. Pour moi, ce fut l’aboutissement d’années de travail sur différentsmodèles de sismomètres spatiaux, et je suis très fière d’avoir contribué à la mission InSight !Mon meilleur souvenir remonte à 2017. Nous venions de sceller la sphère étanche danslaquelle se trouvent les trois capteurs sismiques : une opération critique, car à ce stade, nousavions atteint un point de non-retour : si cette opération avait échoué, tout aurait été à refaire.Nous avons donc réalisé un test avec l’Institut de physique du globe de Paris afin de vérifier queles signaux émis par les capteurs étaient toujours nominaux. Dès qu’il est apparu que tout étaitnormal, ce fut un immense soulagement pour toute l’équipe, et le couronnement d’années detravail en commun !

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David Demazeux, câbleur-intégrateur (Sodern)J’ai rejoint le projet SEIS chez Sodern en 2014 en tant que câbleur-intégrateur. Le cœur des capteurssismiques est constitué de pivots qui convertissent les vibrations détectées en signaux électriques,lesquels constituent le signal utilisé pour la mesure. Ces signaux électriques empruntent des fils decuivre émaillé dont le diamètre est à peine supérieur à celui d’un cheveu humain. Mon rôle était debraser ces fils à 280 °C sur le cœur du sismomètre. Comme le cuivre se déforme à la chaleur, jedevais souder chaque fil en moins d’une seconde, ce qui était un vrai challenge puisque le câblagedevait être parfait pour garantir une tenue mécanique suffisante lors du transfert spatial. Aprèschaque brasure, nous retirions la moindre particule parasite, au micromètre près. Je garde enparticulier un excellent souvenir de ma collaboration avec un ingénieur du Jet Propulsion Laboratory(centre de recherche de la Nasa), qui était totalement passionné par cette aventure, au point detravailler tous les week-ends. Son engouement était communicatif !

Mélanie Drilleau, ingénieure de recherche (CNRS)Depuis déjà quatre ans, je travaille sur la mission InSight. Mon activité principale consiste àdévelopper des algorithmes pour contraindre la structure interne de Mars à partir des donnéesenregistrées par le sismomètre SEIS. Je me suis toujours posé beaucoup de questions sur laformation de l’Univers, des planètes, de nos origines… Et aujourd’hui, mon orientationprofessionnelle me paraît évidente. Pourtant, j’avoue avoir longtemps hésité entre des étudesscientifiques et littéraires. Jusqu’à présent, pour moi, le moment le plus émouvant de lamission a été la confirmation du succès du lancement le 5 mai 2018. Toute l’équipe, réunie pourl’occasion sur la base spatiale de Vandenberg en Californie, était extrêmement émue de voirtous nos efforts se concrétiser enfin. Aujourd’hui, j’avoue être très impatiente de pouvoiranalyser les premières données sismologiques martiennes et de découvrir ce que nouspourrons en déduire concernant la structure interne de Mars.

Lucile Fayon, ingénieure de recherche (IPGP)Je travaille sur InSight depuis quatre ans, dont trois dans le cadre de ma thèse de doctorat.Mon travail de thèse a consisté à développer un modèle numérique et mécanique dusismomètre SEIS pour modéliser les résonances du système de nivellement. Ce modèlepermettra d’identifier les signaux parasites et de contraindre les propriétés de la surface et dusous-sol martien. J’ai aussi commencé à développer un nouveau type de capteur dedéplacement ultra-sensible pour de futurs sismomètres planétaires. L’espace m’a toujourspassionnée et tout au long de mes études, j’ai tenté de rejoindre ce domaine. La recherche estune évidence pour moi, puisqu’elle permet d’améliorer les connaissances de l’humanité sur lemonde qui nous entoure. Je n’ai pas trouvé de métier qui me paraissait plus noble que celui-ci.Mon travail sur InSight m’a déjà procuré plusieurs moments marquants comme les nuitspassées à tester les capteurs, le stress engendré par le report de la mission, ou encore lelancement. Mais je pense cependant que le plus beau reste à venir : l’atterrissage, le réveil deSEIS et l’acquisition des premières données venant de Mars, sur lesquelles je pourrai travailler.

Clément Perrin, sismo-tectonicien (IPGP)Chercheur postdoctoral à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), j’ai eu l’opportunité d’êtreintégré au projet InSight il y a un peu plus d’un an pour étudier les sources sismiques potentiellesgénérées par les failles martiennes. Pour cela, j’utilise l’imagerie satellitaire exceptionnelledisponible sur Mars afin de cartographier ces structures majeures. Je combinerai par la suite cesdonnées avec les signaux enregistrés par le sismomètre SEIS afin de mieux caractériser l’activitésismique de la planète. Arrivé récemment dans les sciences spatiales, j’ai d’abord reçu uneformation universitaire en géologie et géophysique. InSight est pour moi une occasion unique departiciper à une mission spatiale, mais aussi d’élargir mon champ d’étude sur les mécanismes dedéformation de la partie la plus superficielle des planètes telluriques. Mon souvenir le plusmarquant a été le lancement de la fusée, en particulier pour ce moment de partage et d’émotionentre toutes les personnes ayant contribué au projet.

chercheurs et techniciens, ces « petites mains invisibles », ont relevé des défis techniques, parfois affronté deséchecs avant de connaître la joie immense du succès comme le montre ces huit témoignages empreints d'émotion.

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La mission InSight du pro-gramme Discovery de la Nasaest la première mission plané-taire à faire d'un sismomètre(SEIS, instrument français) soninstrument principal. InSightdoit explorer la structure et l'ac-tivité de l'intérieur de Mars,

dans l'espoir de reconstituer l'histoire desa formation et de découvrir son activitésismique actuelle. En apparence, étudierla météorologie de Mars n'est pas le butpremier de la mission InSight.

À la fin des années 1970, les atterris-seurs Viking se sont posés à la surface deMars et ont permis, grâce à leurs instru-ments météorologiques, de découvrir de-puis la surface l'activité de l'atmosphèrede Mars en deux endroits distincts de laplanète. Le but principal des missions Vi-king était d'explorer l'environnementmartien et son habitabilité. En complé-

ment, à titre purement expérimental, lessondes Viking embarquaient un sismo-mètre. L'analyse s'est révélée difficile : lessismomètres Viking ont surtout enregis-tré une forte contribution atmosphériqueau signal sismique.

ATMOSPHÈRE ET BRUIT SISMIQUECAPTURÉ PAR INSIGHTLes capteurs météorologiques sont enfait une composante essentielle au succèsde la mission InSight. Pourquoi? L'échecrelatif des mesures Viking nous ren-seigne par l'exemple. À moins d'enterrercomplètement un sismomètre dans lesous-sol martien, ce qui requerrait uneinstrumentation d'une masse bien supé-rieure à ce que l'on peut acheminer surMars à l'heure actuelle, toute expériencegéophysique sur Mars doit composeravec le signal sismique indésirable excitépar l'atmosphère. Les variations de tem-

pérature atmosphérique augmentent leniveau de bruit du sismomètre, le ventqui souffle fait vibrer la sonde InSight surla surface de Mars, causant des ondes sis-miques capturées par le sismomètre, etles variations de pression atmosphériqueexercent des forces qui déforment la sur-face, donc provoquent également desperturbations sismiques. Les variationsdues à la turbulence atmosphérique, quise développent sur des échelles de tempsinférieures à la minute, sont les plus àmême de causer du bruit sismique at-mosphérique.

La première stratégie d'InSight pour li-miter ces perturbations indésirables del'atmosphère est de recouvrir le sismo-mètre d'une cape rigide protectrice. Laseconde stratégie est de déterminer de lamanière la plus précise et complète pos-sible les variations de l'atmosphère afind'évaluer le bruit sismique qu'elles créent

ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | Aymeric SPIGA* | Chercheur LMD/IPSL

La mission InSight du programme Discovery de la Nasa doitavant tout explorer la structure interne de Mars, mais étudiersa météorologie est également au programme.

UNE VISION NOUVELLE DE

L'ATMOSPHÈREDE MARS

* Maître de conférences à Sorbonne Université (faculté des sciences) à Paris |chercheur au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD) / Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL).

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La vitesse du ventpeut varier très vitesur Mars, causant unsoulèvement de finesparticules à sa surface,

les dust devils.Vue d'artiste de la station InSight dans unenvironnement typique d'une matinéesur Mars, avec un dust devil passant àproximité. Reproduction d'un dessin originalde l'artiste Manchu, utilisé avec permission.(IPGP/Manchu/Bureau 21)

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et de nettoyer, autant que faire se peut, lesignal sismique mesuré à la surface deMars de l'indésirable signal atmosphé-rique. Cette technique porte le nom dedécorrélation de pression et nécessite desmesures de la pression atmosphérique define précision et haute fréquence (20 me-sures par seconde). Le capteur de pres-sion embarqué sur InSight possède doncdes caractéristiques inédites par rapportaux capteurs de pression précédemmentenvoyés sur Mars. Il est de plus associé àdeux capteurs de température et de vents(nommés TWINS) qui vont sonder l'ac-tivité atmosphérique en continu pourévaluer les périodes (au cours de la jour-née, au cours de l'année) pendant les-quelles il est opportun de réaliser lesmeilleures mesures sismiques.

InSight est donc autant une station géo-physique qu'une station météorologique.Pour faire des mesures sismiques révélantla structure et l'activité interne de Mars,il faut d'abord nettoyer ces mesures dubruit atmosphérique, comme l'on net-toierait une frise de cathédrale couvertede boue pour en apprécier tous les dé-tails. Est-ce là la seule utilité des capteursmétéorologiques d'InSight? Évidemment

non. On peut prendre la boue et en fairede l'or, comme disait Charles Baudelaire.

EXPLORER L'ATMOSPHÈREDE MARS AVEC INSIGHTPlusieurs capteurs météorologiques, me-surant pression, vents, température, ontété embarqués sur des robots à la surfacede Mars (Viking, Pathfinder, Phoenix, Cu-riosity) répartis dans plusieurs régions ca-ractéristiques de la planète rouge. Cesmesures météorologiques passées ont étéd'une importance capitale pour com-prendre à la fois le climat de Mars et soncycle des poussières, de l'eau et dudioxyde de carbone. L'analyse de la mé-téorologie depuis la surface est parfaite-ment complémentaire des observationsspatiales depuis l'orbite de Mars. Une sta-tion météorologique à la surface de Marsest une excellente méthode pour obtenirdes séries temporelles complètes de pres-sion, température, vents, ce dont les or-biteurs sont incapables. En contrepartie,les orbiteurs donnent un contexte globalet régional aux mesures d'un atterrisseurne donnant accès qu'à une seule régiontrès localisée de la planète.

Pour interpréter les mesures sismiques,il est nécessaire d'observer en continu l'at-mosphère, ce qui est un des grands atoutsd'InSight par rapport aux précédentes me-sures météorologiques à la surface deMars, qui avaient toutes des trous dans lacouverture temporelle pour des raisonsdiverses et variées. En pratique, InSight vadonc permettre de manière inédite de sui-

vre au cours des saisons les variations devent, température et pression créées par lescirculations à grande échelle dans l'atmo-sphère de Mars: cellules de Hadley (cou-rants lents faisant circuler chaleur etespèces chimiques d'un hémisphère à l'au-tre), ondes atmosphériques planétaires,cycle de condensation/sublimation duCO2 atmosphérique en des calottes sai-sonnières. À tout moment pendant la mis-sion, s’il survient un phénomèned'ampleur, telle une tempête de poussièretrès étendue, InSight pourra enregistrertous les soubresauts atmosphériques asso-ciés à ce phénomène. Équipé de camérascouleurs, l’atterrisseur InSight permettraégalement un suivi de l'activité dans l'at-mosphère dans la région de son site d'at-terrissage: charge en poussières dansl'atmosphère, présence de nuages de glaced'eau, brouillard matinal, évolution desdépôts de poussières à la surface sous l'ef-fet de l'érosion éolienne.

InSight sera en fait un complément trèsintéressant de la mission Curiosity, quipossède des capteurs de vents et de tem-pérature similaires à ceux d'InSight. Lerover Curiosity est situé à seulement400 km au sud du site d'atterrissage d'In-Sight, donc le contexte météorologiquede grande échelle est similaire entre lesdeux missions. En revanche, Curiosityfait des acquisitions météorologiques àl'intérieur du cratère Gale, où l'influencerégionale de la topographie sur les ventsest considérable. Comparer les mesuresdes deux missions permettra donc, via

ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | VISION DE L'ATMOSPHÈRE DE MARS

Plusieurs capteursmétéorologiques

ont été embarquéssur les robots

répartis à la surfacede Mars, dans

plusieurs régionsde la planète.

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InSight, de mieux évaluer le contexte at-mosphérique global dans lequel elles setrouvent toutes les deux; et, en négatif,d’expliquer les nombreux phénomènesmétéorologiques associés à la topogra-phie dans les mesures de Curiosity.

Une autre caractéristique intéressantedes mesures météorologiques d'InSightest l'acquisition haute fréquence. Le cap-teur de pression est de ce point de vueparticulièrement performant, et il en estégalement de même dans une moindremesure pour les capteurs de vent et detempérature. InSight sera donc particu-lièrement bien équipé pour évaluer lavariabilité rapide, turbulente de l'atmo-sphère proche de la surface de Mars. In-Sight pourra enregistrer avec précision lesnombreux tourbillons et cellules convec-tives qui passent au cours de la journée,lorsque le sol chauffé par le Soleil pro-voque des instabilités convectives àproximité de la surface. La vitesse du ventpeut y varier très vite, provoquant unsoulèvement des fines particules depoussière de la surface vers l'atmosphère.Lorsque ces poussières sont entraînéesdans un tourbillon convectif, cela donnenaissance aux dust devils (« diables depoussière »), fines colonnes de poussièrecaractéristiques observées dans les dé-serts terrestres et sur Mars. InSight seramême équipé, contrairement aux cam-pagnes précédentes, de capteurs d'unefréquence si haute qu'il sera potentielle-ment possible de décrire en détail com-ment l'énergie turbulente de l'atmosphèrese dissipe en de minuscules tourbillons.

Ce phénomène universel existe sur Terrecomme sur Mars, mais ses échelles carac-téristiques diffèrent dans l'atmosphèretrès ténue de Mars.

UN POINT DE VUE ORIGINALSUR L'ATMOSPHÈRE DE MARSLa combinaison de mesures sismiqueset de mesures météorologiques est unavantage indéniable d'InSight, qui rendsa façon d'étudier l'atmosphère de Marsparticulièrement originale.

Premier exemple, les dust devils précités(et, en fait, tous les tourbillons convectifs,qu'ils transportent de la poussière ou non)seront détectés par les capteurs météoro-logiques, mais également par le sismomè-tre car la chute abrupte de pression qu'ilsimpliquent déforme la surface du sol. Au-trement dit, les tourbillons convectifs at-mosphériques causent des microséismes.InSight sentira ainsi passer de tels phéno-mènes depuis beaucoup plus loin que s'ilavait été simplement une station météo-rologique. L'instrumentation d'InSightpeut donc permettre d'étudier une sur-face plus grande autour de l'atterrisseurque les missions précédentes.

Deuxième exemple, toute perturba-tion un peu soudaine dans l'atmosphère(par exemple, un impact de météoriteou, moins rarement, un vent soufflantsur une montagne ou un cratère), dejour ou de nuit, cause l'émission d'ondesde gravité dans l'atmosphère, analoguesaux ondes qui se forment quand on jetteun caillou dans une eau calme. Ces

ondes, qui révèlent la variation de tem-pérature et de vent suivant la verticale,ont une signature à la fois météorolo-gique et sismique. InSight pourra doncles détecter depuis la surface pour la pre-mière fois. Les impacts de météorite de-vraient d'ailleurs être plus directementrepérés par l'émission d'infrasons que lecapteur de pression d’InSight sera capa-ble de détecter.

En définitive, s’il n’est pas certain qu’In-Sight révolutionne la science atmosphé-rique martienne, la mission va procurerune vision nouvelle et originale des phé-nomènes atmosphériques martiens, avecune possibilité de découvertes inatten-dues, permises par des capteurs à la cou-verture temporelle et à la précisioninégalées. InSight est donc un jalon im-portant pour connaître l'environnementdans lequel évolueront les futures mis-sions martiennes, robotiques ou hu-maines. La mission InSight préfigured'ailleurs, très probablement, des cam-pagnes de mesure avec des réseaux demultiples stations météorologiques/géo-physiques à la surface de Mars. �

COAUTEURS : ■ DON BANFIELD, Senior Scientist àCornell University, USA ■ JOSÉ-ANTONIORODRIGUEZ-MANFREDI, chercheur au Centro deAstroBiologia (CAB), INTA, Espagne ■ FRANÇOISFORGET, directeur de recherche CNRS auLaboratoire de météorologie dynamique (LMD) /Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL) à Paris ■PHILIPPE LOGNONNÉ, directeur de recherche àl'Institut de physique du globe de Paris (IPGP).

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Novembre 2018 - L’Astronomie 29Édition spéciale MARS INSIGHT

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Pour cela, InSight emporte sur Mars un « gno-mon », appendice vertical surmontant une miredont l’ombre portée permet de déterminer la po-sition du Soleil localement, et par extension laposition et l’orientation de la sonde à la surface.L’ombre du gnomon sera transmise sur Terre via

la caméra qui équipe le bras manipulateur (fig. 1).

On se trouve a priori devant un problème « classique »d’astronomie de position : connaissant les coordonnéesgéographiques du lieu et l’heure UTC, déterminer l’azimutdu Soleil (fig. 2). En fait, le problème est un peu plus com-pliqué: d’une part, ce qui sert de gnomon est la tige de pré-hension du sismomètre, dont la forme géométrique n’estpas spécialement adaptée au repérage d’une ombre. D’au-tre part, il faut disposer d’une solution du mouvement duSoleil pour un observateur martien. Quant à la qualité desimages transmises, elle ne sera pas optimale.

Avec mes collègues A. Richard et M. Goutaudier, nousavons donc mis au point une méthodologie permettantde déterminer le nord géographique avec une précisioncomprise entre 0° et 5°. Pour cela, nous avons développéune théorie du mouvement du Soleil à partir de la théorieVSOP87 de P. Bretagnon, qui a été modifiée et rapportéeà l’équateur martien à l’aide des transformations issues deKonopliv et coll.*, basées sur les données de positionne-ment des missions Mars Global Surveyor, Mars Recon-naissance Orbiter ou encore MER Opportunity. On peutalors passer dans un repère local martien pour finalementobtenir la déclinaison du Soleil et son ascension droitedans un repère planétocentrique. Connaissant l’heure etles coordonnées géographiques de l’atterrisseur (en théo-rie 137° de longitude est, 4° de latitude nord), on calculealors les coordonnées horizontales du Soleil (azimut ethauteur) et l’instant de passage au méridien.

ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | Denis SAVOIE | Syrte, Obs. de Paris et SAF

La sonde InSight (Nasa) arrive sur Marsaujourd’hui. Elle embarque parmi sesinstruments le sismomètre SEIS (IPGP)qui sera déposé à la surface et recouvertà terme d’une cloche de protection. Afinde pouvoir traiter les données sismiques,il est nécessaire de déterminerl’orientation de l’instrument par rapportau nord géographique martien.

DÉTERMINERLE NORDGÉOGRAPHIQUEMARTIEN

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Le déploiement du sismomètre SEISest prévu entre le 12 et le 25 décembre2018: pendant cette période, la déclinai-son du Soleil variera d’un peu plus de 2°,passant de –20° 24' à –18° 15'. Le Soleilétant sous l’équateur martien, l’ombre dugnomon tournera dans le sens des ai-guilles d’une montre et sera orientée versle nord à midi solaire local (azimut nul).Bien que l’on soit tenté d’utiliser l’ombreméridienne pour orienter le sismomètre,il faut rappeler que la variation d’azimutdans une zone proche de l’équateur esttrès rapide au voisinage de la culminationet c’est donc à cet instant que l’on commetles plus grandes erreurs d’orientation.

C'est aussi le moment où l'ombre est laplus courte et en conséquence celui où laprécision d'une mesure d'angle sur lamire est la plus faible. Nous avons doncdéterminé quels étaient les instants lesplus favorables à la mesure de l’azimut duSoleil, en incluant des incertitudes sur lescoordonnées géographiques, un décalagede UTC dans la transmission des don-nées, et une non-verticalité du gnomon.On a ainsi obtenu des fenêtres horairesoptimales pendant la dizaine de jours oùla caméra permettra de visualiser le gno-mon (la caméra sera au nord de SEIS, caril ne faut en aucun cas que l’atterrisseurporte ombre sur l’instrument). Celui-ci

projettera une ombre sur unemire segmentée en trois an-

neaux; une des difficultés ma-jeures résidera justement dans la

lecture précise de la position dusommet de l’ombre circulaire.Pendant l’été 2017, des tests grandeur

réelle ont été effectués avec K. Hurst etD. Mimoun au Jet Propulsion Labora-tory : le sismomètre SEIS a été placé auSoleil sur un décor martien et, à partirdes photos de l’ombre du gnomon surla mire, il a été possible de l’orientercorrectement par rapport au nord géo-graphique terrestre (fig. 1).

Enfin, d’autres tests ont été effectuésdepuis à l’aide de POV-Ray, un logicielde « lancer de rayons » qui nous a per-mis de reconstituer le sommet du sis-momètre SEIS puis de simuler l’ombrequ’il porte sur la mire. La théorie duSoleil a été intégrée au logiciel en te-nant compte du diamètre apparent dece dernier (0° 22' en décembre 2018) etdonc des effets de pénombre. Lesimages ont ensuite été dégradéespour s’approcher au mieux de ce quiest attendu en pratique sur les prises devues de la caméra, l’objectif était de semettre en situation quasi réelle pourdéfinir une méthodologie et estimer laprécision attendue dans la détermina-tion des azimuts, hauteurs et directiondu nord (fig. 3).

Même si cette étape de l’orientation dusismomètre à l’aide d’un gnomon est trèsanecdotique dans cette importante mis-sion spatiale Insight, il est amusant – etd’un certain point de vue assez ironique –d’utiliser un instrument qui remonte auxBabyloniens pour orienter un concentréde sciences et de technologie. �

* « An improved JPL Mars gravity field and orien-tation from mars orbiter and lander trackingdata », Icarus, 274, 2016.

Novembre 2018 - L’Astronomie 31Édition spéciale MARS INSIGHT

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L e mot séisme est issu du grec an-cien seismos et signifie tremble-ment de terre, ébranlement,lui-même dérivé de serein, se-

couer, ébranler. Il fut introduit par le sis-mologue anglais John Milne, à la fin duXIXe siècle. La structure du mot évoquebien le concept : la syllabe « sé » nous faitplonger vers le bas tandis qu’« isme » pro-pulse et rebondit vers le haut. Pourtant,le mot fut l’objet de polémiques, au motifde n'avoir pas transcrit la diphtonguegrecque ei par i (sur le modèle leitourgia→ liturgie). C’est la raison pour laquelleses dérivés retenus par l’Académie fran-çaise sont sismique, sismologie, sismo-graphe, sismologue au lieu de séismique,séismologie, etc.

Au sens figuré, on parle d’un événementinattendu, mais bouleversant, littérale-ment d’un choc. On évoque volontiers unséisme politique et, en économie finan-

cière, le risque 6-SMIC serait bien suscep-tible d’effrayer le patronat* !

Un sismographe est équipé d'un capteurdes mouvements du sol, le sismomètre, quiles enregistre sur un support visuel ou nu-mérique: le sismogramme. Une secoussede l'écorce terrestre peut avoir des originesdiverses: humaine (explosion nucléaire) ounaturelle (volcanique ou tectonique).

Reconnaissons que les séismes n’ont ja-mais épargné les êtres vivants et sontconnus depuis la nuit des temps. Il y eut26 séismes notables de 92 à 126 aprèsJésus-Christ, en Chine. Ces séismes pro-voquèrent beaucoup de dégâts et firent denombreuses victimes, incitant le scienti-fique et philosophe chinois Zhang Heng(78-139 après Jésus-Christ, lors de la dy-nastie des Han) à inventer le système dusismographe. Cet instrument, décoré detortues, d’oiseaux, de dragons, de cra-pauds et d’autres représentations d’ani-

maux, ressemblait à une jarre d’environ1,80 m de diamètre (figure ci-contre). Àl'extérieur du vase, huit têtes de dragonsmarquaient les principales directions del’espace, à l’instar d’une rose des vents.Sous chaque tête se tenait un crapaud, sagueule grande ouverte vers le dragon.Lors d'un tremblement de terre, l'un deshuit dragons relâchait une balle en cuivredans la gueule du crapaud immédiate-ment situé en dessous. Dans le sismo-graphe se nichait un pendule en cuivremuni de 8 bras mobiles, un par unconnectés à un dragon. Lors du séisme, lependule bougeait vers l’un de ces bras mo-biles et poussait un levier qui libérait laballe. La direction du tremblement où setrouvait l’épicentre était déterminée par ledragon qui relâchait sa balle. Ce sismo-graphe chinois fut le premier et plus an-cien instrument capable de donner desinformations sur les séismes. Il est rap-

SéISME

ÉDITION SPÉCIALE MARS INSIGHT | Daniel KUNTH | Institut d'astrophysique de Paris

SéISMEET SéMANTIQUE

32 L’Astronomie – Novembre 2018

ET SéMANTIQUE

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porté que la sensibilité de l'instrumentpermettait de détecter un tremblement deterre distant de plus de 650 km.

Des sismographes similaires furent in-ventés dans la Perse ancienne plus de1 000 ans après ce sismographe chinois,tandis qu’en Europe, les premiers sismo-graphes n’apparurent que vers 1880.

Le mot séisme possède une connota-tion négative, mais puisque ce qui ne tuepas nous rend plus fort, nous avons su ou-vrir de nouveaux champs d’exploration etutiliser les ondes sismiques naturelles ouartificielles, comme puissants moyensd'investigation des propriétés élastiquesdes matériaux terrestres, puis lunaires etmaintenant martiens !

Car tout comme la Terre, Mars est sou-mise aux séismes. C'est ce qu’ont montréde récentes études portant sur des imageshaute résolution de la planète rouillée.Puisqu'une activité sismique est encore à

l'œuvre sur Mars, la mission InSighttrouve toute sa justification. Cette missiona pour but de déposer des instrumentsgéophysiques sur la planète afin d’en étu-dier la structure interne, son objectifprincipal étant de recueillir des informa-tions quant à l’histoire de la planète Marset à l’évolution des processus qui ont mar-qué sa formation. Par ailleurs, avec stu-peurs et tremblements, on pourraqualifier son activité sismique et détermi-ner si le noyau est solide ou liquide.

Le sismomètre SEIS déposé par InSight,n’aura rien à envier à son ancêtre chinois.Oubliés la bave du crapaud et les jets deflamme du saurien, au profit d’un capteurtrois axes large bande, et un capteur d’ac-célération microélectromécanique trèsrésolvant dans les fréquences hautes.Cette combinaison permettra d’atteindreun niveau de qualité bien supérieur au dé-tecteur de notre philosophe chinois.

Rubrique librement inspirée dulivre Les Mots du ciel, 2015,D. Kunth, CNRS éditions.Nouvelle édition poche Biblis.

Mars est un milieu hostile, aussi les capteurssont-ils reliés à l’atterrisseur par des câbles etsoigneusement protégés par un bouclier éo-lien et thermique.

Les scientifiques adorent les séismes. On lesdit conservateurs, en ce qu’ils freineraient desquatre fers dès qu’une idée nouvelle ou exo-tique se fait jour. Ce n’est évidemment pasexact. Chaque chercheur – quelle que soit sadiscipline – rêve de pouvoir dynamiter lesconcepts en vigueur, pourfendre le statu quo,mettre au jour un phénomène nouveau, voirefonder une discipline nouvelle. D’ailleurs, lesdécouvertes scientifiques ébranlent nos at-tentes les plus folles. Ce fut le cas de la remiseen cause du temps absolu, de la découverte dela quantification de la matière, ou du boson deHiggs et, plus près de nous encore, nous ve-nons d’éprouver le grand frisson, la secousseinattendue, violente et pourtant imperceptibledes ondes gravitationnelles ! Quant à savoir lanature exacte de l’énergie noire, gageons quecet épais mystère prépare d’autres branle-basdans le landernau scientifique ! �

* Paul Jorion, La Crise : Des subprimes au séismefinancier planétaire, Paris, Fayard, 2008.

Oubliés la bave ducrapaud et les jets

de flamme dusaurien, au profit

d’une combinaisond’instruments bienplus performants.

Kowloon

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34 L’Astronomie - Juillet/Aôut 2013 vol.128 | 71 | 34

L’institut de physique du globe de Paris, un institut dédié aux sciences de la Terre, des planètes et de l’environnementOrganisme de recherche en géosciences de renommée mondiale, l’institut de physique du globe de Paris (IPGP) étudie la Terre et les planètes, du noyau jusqu’aux enveloppes fluides les plus superficielles, à travers l’observation, l’expérimentation et la modélisation. Bientôt centenaire, il couvre toutes les disciplines des sciences de la Terre et conduit des études à toutes les échelles de temps et d'espace.

Principal acteur de l'observation des aléas telluriques en France, l’IPGP a la charge de services d’observation labellisés en volcanologie, sismologie, magnétisme, gravimétrie et érosion à travers ses observatoires permanents notamment sur les îles de Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion.

L’IPGP offre à ses étudiants des formations en géosciences qui associent observation, analyse quantitative et modélisation et qui reflètent la qualité, la richesse et la diversité thématique des recherches menées par les équipes de recherche de l’institut.

SEIS, un sismomètre conçu par l’IPGP pour dévoiler la structure interne de Mars

SYSTÈME TERRE

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INTÉRIEUR DE LA TERRE ET DES PLANÈTES

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www.ipgp.fr@IPGP_officiel

Chaîne IPGP

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ace.s sommes leNou

Depuis plus de 50 ans, nouation dans l’espaced’explor

ee expertise rtrâce à noGre, noientifiques de pointsc

es qui le comet des planèt

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es et les sondeellitons les sats oriente.

e d’instruments connue en matièrème systus contribuons à l’étude du s

posent

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e solaires qui le comet des planèt posent.

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À Paris Les Halles, les collaborateurs du Siège élaborent

la politique spatiale de la France etde l’Europe, bâtissent et coordonnent

les programmes du CNES, qu’ils soient conduits dans un cadre national,

européen ou international.

À Paris Daumesnil, la Direction des lanceurs (DLA),

qui développe depuis plus de 40 ansles lanceurs européens, est plus que jamais engagée au sein d’une équipe intégrée avec

l’Agence spatiale européenne.

Le Centre spatial de Toulouse (CST) est le plus grand centre technique et

opérationnel du CNES. Ses ingénieurs conçoivent, développent, réalisent, mettent à

poste, contrôlent et exploitent les systèmes orbitaux. Ils contribuent aussi à l’utilisation

des données spatiales pour le bénéfi ce de tous et imaginent le spatial de demain dans un

souci d’innovation et de créativité.

Les équipes du Centre spatialguyanais (CSG) réalisent

les lancements de la gamme des lanceurs européens. Idéalement situé à proximitéde l’équateur, le port spatial est un atoutmajeur du programme spatial européen.

L’ESPACE EN TETE

Le CNES, fort de ses 4 centres et 2 400 employés, est un acteur spatial européen et international majeur, par sa capacité d’innovation et son expertise technique.

Au carrefour de la recherche et de l’industrie, le CNES conçoit, développe et exploite les systèmes spatiaux du futur, pour le bénéfi ce des citoyens. Il soutient également l’industrie spatiale française, l’accompagnant notamment dans ses contrats à l’export.

Après avoir réalisé les premières générations de la famille Ariane, ses équipes rassemblent aujourd’hui l’Europe autour de di� érents pro-grammes scientifi ques et techniques et elles imaginent les grands projets qui permettront d’avoir toujours l’espace en tête.

L’action du CNES est structurée autour de cinq grands domaines d’intervention, menés dans un cadre de coopération à tous les niveaux, national, européen et international. ]

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Sciences

Observation

centresd’excellence4 Ariane

Télécommunications

Défense

Ariane © CNES/ESA/ill . D. DUCROS 2017 - Sciences © ESA/ATG MEDIALAB - Observation © CNES/ill./SATTLER Oliver, 2017 - Télécommunications © ESA–Pierre Carril , 2018 - Défense © CNES/Mira Productions/PAROT Rémy, 2016

cnes.fr

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