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PIETA ROUMAINEET LES

TYPES DE LA VIERGE EN ROUMANIE

PAR

M. NICOLAS IORGAAncien President du Conseil de Roumanie

EXTRAI'1 DE LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS. AVRIL 1936

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ENTATION DE SAINT ANTOINE 229

Pro. 11. LUCAS CRANACH. -- LA TENTATION fl SAINT ANTOINE.

(Rome, Galerie Colonna)Pilot. Anderson.

contraire. Car la signification de l'ensenible ne fait pas difficulte : le peintre sup-pose une sorte d'indifference absolue entre tous les titres de tous les regnes. Lamultiplication des creatures irrationnelles qui en resulte est l'expression de l'empireuniversel du demon, et collabore avec les autres moyens employes par Bosch acette fin : suggestion d'universalite, sabbat... Enfin dans cette peinture du malsur la terre, se manifeste la vision du melancolique, dont on a un autre cele-bre ,exemple dans la gravure Melancolia I de Duren « Cogitatio de re noncogitanda, certificatio rei terribilis et timorosae et tamen non timendae, et sensusrei quae non est. » (Constantinus Africanus). L'ambiguite de l'ceuvre de Bosch setrouve traduite, pour ainsi dire, par cette definition de la melancolie.

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L'ICONOGRAPHIE populaire qu'on rencontre dans les pays post-byzan-tins et qui, en Roumanie seule, va jusqu'au folklore le plus caracterisepar la ligne, la couleur, et meme l'interpretation, peut etre de la plusgrande utilite pour reconnaitre, a travers un nombre infini de copies etd'adaptations, ce type byzantin premier, issu d'une synthese de l'inspira-

tion syrienne et egyptienne, qui est a la base de toute la typologie orthodoxe, etdont des exemplaires contemporains n'ont pas ete retrouves, meme apres la faillitede l'iconoclasme.

Dans ces quelques lignes, destinees a faire ressortir l'importance d'une imagemoldave, datant sans doute du xvii° siecle, it sera question de la representation dela Vierge dans ce domaine de l'art.

Les Roumains ont aime la Vierge de majeste, la reine, celle qui vient directe-ment de la conception d'une grande deesse paienne, Isis ou la Magna Mater. Lemodele a dil en etre une icone comme celle qui est conservee a Bistritza (Molda-vie), don de l'imperatrice Anne a la princesse, femme d'Alexandre-le-Bon, au com-mencement du xve siecle. Elle represente la Vierge enfant a cote de sainte Anne,toutes deux trOnant comme des imperatricesl. Du Mont Athos est venue sans doutela Vierge Eleousa, dont la sentimentalite n'a pas gagne cependant les cceurs d'unerace differente, bien qu'une reproduction portant l'inscription d'Odigetria, une tresbelle oeuvre, en soit conservee dans une petite eglise du district d'Arges. Elle a ete,

1. Voyez mes Arts minors era Roumanie, Bucarest, 1934, fig. 1 et 7.

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je crois, transportee de la magnifique fondation du prince Neagoe (commencementdu XVI° siecle) dans l'ancienne capitale carpathique de la Principautel.

,a representation la plus ancienne de la Vierge est celle qui la montre entre lesBleu}, arcivIng.es qui forment lunette, l'Enfant sur le bras'. Plus tard seulement ons'arrete aussi a celle de la reine couronnee, tronant entre les memes archanges, des-cendus pour l'entourer comme d'une garde : Jesus est figure de face, sur les genouxde is divine Mere, benissane.

Cette conception evolue pendant le xvme siecle et le commencement du xixe,sous le pinceau des peintres de village 4. Parfois Hs y ajoutent des invocations,

celle-ci : « 0 mere tres pure » 5.Tres rarement, entre les deux anges gardiens, reduits a des proportions plus

modestes, l'aureole recouvre seulement un long voile pareil a celui des martyrs, onA celui des femmes de la campagne, dont le type s'impose, comme celui des bellesMadrilenes aux madones de Murillo'.

Ce n'est que bien tard qu'on releve des innovations, du reste disgracieuses : laVierge au voile penchant la tete, comme dans l'Occident medieval, vers l'Enfantqui porte le sceptre et le globe, avec quatre anges aux angles de l'icone fas-tueuse Le grand peintre Nicolas Grigorescu, qui a debute en travaillant pour les

eglises, preferera la Vierge seule entre des putti italiens, couronnee par le Pere etle Fils, d'apres une tradition qui n'est guere conforme aux coutumes du culteorientals.

J'en viens maintenant a la penetration, tres faible, du type de la Pieta.On le connaissait depuis longtemps par une magnifique icone, reliee a un poi-

gnant souvenir de douleur maternelle. La veuve de Neagoe, le fondateur de la splen-dide eglise d'Arges, a fait peindre la Vierge pleurant le Christ etendu raide sur sesbras. Une femme essuie les pieds du Dieu crucifie, et l'apotre Jean montre la dou-leur que lui inspire le Maitre. Dans un angle de la composition, la donatrice s'estfait representer elle-meme pleurant son fils, Theodose, eleve dans le souvenir desempereurs de Byzance pour finir encore adolescent dans l'exil, a Constantinople ;un long voile noir, un vetement noir la recouvrent, alors que le jeune prince est vetude brocart d'or et de pourpre, la couronne a cinq fleurons sur sa mince tete auxlongs cheveux.

La despina Militza etait une Serbe, de la dynastic des Brancovitch. Elle venaitd'un pays influence par la Dalmatie, qui elle-meme tirait son inspiration de l'Occidentet de Venise. L'expression des figures, la liberte des mouvements, le caractere de la

i. Ibid., fig. 14.2. Ibid., fig. i8 (le plus bel exemplaire du xvIii siecle).3. Ibid., fig. 24.4. Aussi sur des icones d'un autre type : e rose qui jamais ne se fletrit » ; fig. 36.5. Ibid., fig. 49.6. Ibid., fig. 31.7. Ibid., fig. 47.8. Ibid., fig. 49.9. Ibid., p1. II.

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234 GAZETTE DES BEAUX-ARTS

croix du fond, de menus details de paysage rappellent l'art latin. L'inscripti on grec-N,que, d'autres en slavon, n'ont rien a voir avec l'idee dominante.

Mais le gout des peintres de Cour et d'Eglise, et moins encore celui de 11,eu r simitateurs ruraux, ne s'est point arrete a cet emprunt.

Un hasard heureux m'a fait decouvrir, cependant, it y a une dizaine d'annees,l'icone conservee aujourd'hui clans le petit musee de l'Ecole Roumaine en France, aFontenay-aux-Roses, que je presente ici.

Le type de la Pieta y est plus strict que dans l'image due a la despina. LaVierge, severe et triste, tient sur ses bras le corps rudement schematise du Christ.Deux anges, dans les nuages, lui font une garde. Au fond, une croix estompee rap-pelle le sacrifice divin. Un cri de douleur s'echappe des levres serrees de la Mere :« 0 fiiul mien celu pre dulce », « 0 mon fils tres doux. »

L'orthographe de l'article, avec un u entier a la fin (celu pour cel), atteste bienle debut du XVIIe siecle, peut-titre meme une époque plus ancienne. Le pre au lieude Area revele une origine moldave.

Sans parler de sa rarete, cette icone tire une haute valeur de l'harmonie descouleurs; a part le vert sur les genoux de la Mere et sur ce qu'on apercoit de l'habitrecouvert par le manteau, a part un soupcon de rouge fondu dans l'ensemble, letout se tient dans les nuances d'un bran lumineux et chaud, ou it y a de la tristesseet de l'apotheosel.

NICOLAS IORGA.

I. Le revetement d'argent dont nous donnons une photographic reproduit, a la fagon du xviii° siecle, d'unefacon banale et rude, les lignes de cette si belle icone.

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