4
GYMNASTIQUE LA SITUATION DE RÉFÉRENCE PAR P. DURAND Le présent article a pour but de montrer ce que peut être une « situation de réfé- rence » en gymnastique et à quel mo- ment la proposer. Réalisé dans le cadre du projet EPS d'un établissement scolaire de Lyon, ce travail a donné lieu à une animation pédagogique lors de rencontres en sta- ges de formation. Cette conception de la gymnastique est en partie une réponse aux questions des enseignants qui souhaitent pouvoir déve- lopper, à travers l'ensemble des APS, une démarche « unitaire » de l'EPS. Dans cette perspective, il convient de remarquer en quoi la gymnastique sco- laire est le fruit de la transposition d'une culture sociale, et comment son exposition doit répondre à des normes scolaires. L'originalité de la démarche, issue des concepts de J. Leguet (cf. EPS n os 212, 217, 221) et de P. Goirand (cf. EPS n° 200), revient à redécouvrir la spécifi- cité des agrès, la tradition des enchaî- nements, dans un contexte renouvelé. DÉFINIR L'ACTIVITÉ « L'Ecole ne peut jamais offrir toute la ri- chesse et la diversité de la Culture, ni la faire vivre dans sa forme existentielle et contex- tualisée. L'identification d'un objet d'ensei- gnement repose sur des choix », comme le souligne très justement P. Arnaud (1). Selon nous, la gymnastique doit prendre en compte la spécificité des différents agrès. En effet, les formes produites aux anneaux ne peuvent indiquer une évolution com- mune avec la poutre, par exemple. Quels raccourcis peuvent assimiler l'activité à la barre fixe, avec celle aux arçons, à la poutre, au sol... ? L'évolution de la gymnastique sportive (mise en forme par le code de pointage) est différente selon l'agrès considéré : vers la force aux anneaux, vers l'acrobatie à la fixe, l'alternance entre l'acrobatie et les formes statiques ou en force au sol, etc. Ces remarques permettent de donner une nouvelle définition de l'activité : La gymnastique c'est, en termes « socio- culturels ». produire et/ou reproduire des formes corporelles aux différents agrès. Par ailleurs, la gymnastique s'exprime dans un enchaînement d'actions gymni- ques aux différents agrès qui, bien en- tendu, doivent avoir un sens pour l'enfant et non pas représenter une succession de savoir-faire. L'enchaînement est à la gym- nastique ce que sont les matches ou les situations d'opposition aux sports collec- tifs. C'est pourquoi, dès les premières séances du cycle proposé aux élèves de 6 e , nous abordons les enchaînements aux différents agrès mais de manière globale. LES 6 èmes DU COLLÈGE VENDÔME CONSTRUIRE ET PROPOSER UNE « SITUATION DE RÉFÉRENCE » EN GYMNASTIQUE La situation de référence se construit à partir : - des enjeux de formation, raisons essen- tielles pour la proposition de la gymnasti- que dans la programmation des activités de la classe ; - du problème fondamental posé à l'élève : prise de risques ou maîtrise des actions ; - de la définition de l'activité, telle que nous l'avons donnée précédemment. Distincte des enchaînements, elle ne peut être proposée immédiatement aux sixiè- mes. Elle nécessite auparavant une longue phase d'appropriation qui permettra, par la suite, de donner un sens aux apprentis- sages jusqu'au brevet. La phase d'appropriation Elle recouvre un premier cycle de six heures au cours duquel les élèves devront : - prendre connaissance des « règles de vie » de la gymnastique : organisation, sécurité, échauffement, matériel ; - découvrir les types d'actions gymniques aux différents agrès ; - stabiliser leurs comportements dans les enchaînements proposés ; - mémoriser ces enchaînements. Mise en place I Regroupés par huit, les élèves disposent de deux agrès (parmi : cheval, sol, fixe, asy- métriques, parallèles, poutre) qui leur sont attribués pour deux semaines consécutives, bénéficiant ainsi à leur guise d'un matériel plus important. La seule consigne à respec- ter est de passer sur les deux agrès durant une « quinzaine » (le choix et la répartition du matériel sont naturellement fonction des possibilités de l'établissement et de la proximité de deux agrès). EPS № 230 - JUILLET-AOUT 1991 39 Revue EP.S n°230 Juillet-Août 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

DÉFINIR L'ACTIVITÉ LA SITUATION DE RÉFÉRENCEuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70230...PHOTO : AUTEUR (1) Arnau (P.)d L.a Revu EPeS e l'innovatiot n pédago gique

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: DÉFINIR L'ACTIVITÉ LA SITUATION DE RÉFÉRENCEuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70230...PHOTO : AUTEUR (1) Arnau (P.)d L.a Revu EPeS e l'innovatiot n pédago gique

GYMNASTIQUE

LA SITUATION DE RÉFÉRENCE

PAR P. DURAND

Le présent article a pour but de montrer ce que peut être une « situation de réfé­rence » en gymnastique et à quel mo­ment la proposer.

Réalisé dans le cadre du projet EPS d'un établissement scolaire de Lyon, ce travail a donné lieu à une animation pédagogique lors de rencontres en sta­ges de formation. Cette conception de la gymnastique est en partie une réponse aux questions des enseignants qui souhaitent pouvoir déve­lopper, à travers l'ensemble des APS, une démarche « unitaire » de l'EPS.

Dans cette perspective, il convient de remarquer en quoi la gymnastique sco­laire est le fruit de la transposition d'une culture sociale, et comment son exposition doit répondre à des normes scolaires.

L'originalité de la démarche, issue des concepts de J. Leguet (cf. EPS nos 212, 217, 221) et de P. Goirand (cf. EPS n° 200), revient à redécouvrir la spécifi­cité des agrès, la tradition des enchaî­nements, dans un contexte renouvelé.

DÉFINIR L'ACTIVITÉ

« L'Ecole ne peut jamais offrir toute la ri­chesse et la diversité de la Culture, ni la faire vivre dans sa forme existentielle et contex-tualisée. L'identification d'un objet d'ensei­gnement repose sur des choix », comme le souligne très justement P. Arnaud (1). Selon nous, la gymnastique doit prendre en compte la spécificité des différents agrès. En effet, les formes produites aux anneaux ne peuvent indiquer une évolution com­mune avec la poutre, par exemple. Quels raccourcis peuvent assimiler l'activité à la barre fixe, avec celle aux arçons, à la poutre, au sol... ? L'évolution de la gymnastique sportive (mise en forme par le code de pointage) est différente selon l'agrès considéré : vers la force aux anneaux, vers l'acrobatie à la fixe, l'alternance entre l'acrobatie et les formes statiques ou en force au sol, etc. Ces remarques permettent de donner une nouvelle définition de l'activité : La gymnastique c'est, en termes « socio­culturels ». produire et/ou reproduire des formes corporelles aux différents agrès. Par ailleurs, la gymnastique s'exprime dans un enchaînement d'actions gymni­ques aux différents agrès qui, bien en­tendu, doivent avoir un sens pour l'enfant et non pas représenter une succession de savoir-faire. L'enchaînement est à la gym­nastique ce que sont les matches ou les situations d'opposition aux sports collec­tifs. C'est pourquoi, dès les premières séances du cycle proposé aux élèves de 6 e, nous abordons les enchaînements aux différents agrès mais de manière globale.

LES 6èmes DU COLLÈGE VENDÔME CONSTRUIRE ET PROPOSER UNE « SITUATION DE RÉFÉRENCE » EN GYMNASTIQUE

La situation de référence se construit à partir : - des enjeux de formation, raisons essen­tielles pour la proposition de la gymnasti­que dans la programmation des activités de la classe ; - du problème fondamental posé à l'élève : prise de risques ou maîtrise des actions ; - de la définition de l'activité, telle que nous l'avons donnée précédemment. Distincte des enchaînements, elle ne peut être proposée immédiatement aux sixiè­mes. Elle nécessite auparavant une longue phase d'appropriation qui permettra, par la suite, de donner un sens aux apprentis­sages jusqu'au brevet.

La phase d'appropriation

Elle recouvre un premier cycle de six

heures au cours duquel les élèves devront : - prendre connaissance des « règles de vie » de la gymnastique : organisation, sécurité, échauffement, matériel ; - découvrir les types d'actions gymniques aux différents agrès ; - stabiliser leurs comportements dans les enchaînements proposés ; - mémoriser ces enchaînements.

Mise en place I

Regroupés par huit, les élèves disposent de deux agrès (parmi : cheval, sol, fixe, asy­métriques, parallèles, poutre) qui leur sont attribués pour deux semaines consécutives, bénéficiant ainsi à leur guise d'un matériel plus important. La seule consigne à respec­ter est de passer sur les deux agrès durant une « quinzaine » (le choix et la répartition du matériel sont naturellement fonction des possibilités de l'établissement et de la proximité de deux agrès).

EPS № 230 - JUILLET-AOUT 1991 39 Revue EP.S n°230 Juillet-Août 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Page 2: DÉFINIR L'ACTIVITÉ LA SITUATION DE RÉFÉRENCEuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70230...PHOTO : AUTEUR (1) Arnau (P.)d L.a Revu EPeS e l'innovatiot n pédago gique

Poutre

Idem 4 ( + possibilité d'exercices équivalents).

Sol

composition d'un mouvement « libre » par les élèves eux-mêmes.

avec au moins 1 élément pris dans chaque type d'action gymnique pour le sol.

40 Revue EP.S n°230 Juillet-Août 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Page 3: DÉFINIR L'ACTIVITÉ LA SITUATION DE RÉFÉRENCEuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70230...PHOTO : AUTEUR (1) Arnau (P.)d L.a Revu EPeS e l'innovatiot n pédago gique

Découverte et agrès n) 1 :

Outre les règles citées plus haut, cette première approche a pour objet essentiel de « faire vivre les types d'actions gymni­ques » aux différents agrès (cf. tableau 1), sous forme de questionnements relatifs aux actions des élèves et soulignant des compétences spécifiques. Exemples : - Qu'est-ce que « se recevoir » (au sol, aux barres, au saut, à la poutre...) ? - Qu'est-ce que « sauter » (sol, barres...) ? - Qu'est-ce que « tenir une attitude » ? et est-ce possible de le faire sur tous les agrès ? - Qu'est-ce que « se renverser » ? Est-il aussi facile de le faire au sol ou à la poutre ? Pourquoi ? Remarque : il faut toutefois souligner que les douze actions présentées ne sont pas aussi « signifiantes » pour les élèves. Selon la population scolaire, certaines méritent d'être explicitées ou supprimées. A partir de ce vécu, les élèves auront à interpréter, réaliser, comparer les enchaî­nements proposés (cf. encadrés : exemples d'enchaînement) et à les mémoriser de différentes manières. Les modalités évo­luent en fonction des rotations aux agrès.

Tableau 1 : Les - types d'actions gymniques-(Extrait d'un classement de J. Leguet). (*) Cercler : réaliser des cercles de jambe, utilisés en particulier aux arçons.

Saut de cheval

6e : A B C imposés 5e : A B C imposés 4e : Choix 2 sur 3 3e : Choix 1 sur 3

EPS № 230 JUILLET AOUT 1991 41

DES

SIN

S :

RO

NIQ

UE

SU

STR

AC

Revue EP.S n°230 Juillet-Août 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Page 4: DÉFINIR L'ACTIVITÉ LA SITUATION DE RÉFÉRENCEuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70230...PHOTO : AUTEUR (1) Arnau (P.)d L.a Revu EPeS e l'innovatiot n pédago gique

Agrès n° 2 : mémorisation par répéti­tion, apprentissages interac­

tifs, recueil des strategies. Agrès H" 3 :

mémorisation par planifica­tion analytique ou globale de

l'enchaînement et connaissance du résultat.

Agrès n° 4 : mémorisation à partir d'un questionnaire (cf. exemple

de fiche à la poutre) mettant en avant des profils cognitifs et les problèmes rencon­trés.

Agrès n") 5 et ° 6 : mémorisation à moyen terme des dif­

ficultés rencontrées, démonstration et re­présentation.

Un grand nombre de répétitions garantit la mémorisation progressive. Les enchaînements doivent être réalisés de manière globale sans s'attarder aux diffi­cultés qui feront, ultérieurement, l'objet d'apprentissage. On remarque qu'une seule répétition permet parfois de franchir les obstacles. De manière générale, cinq séances suffi­sent aux élèves pour mémoriser les enchaî­nements et stabiliser leurs comportements. Suite à cette phase, vient le moment de présenter la situation de référence dans laquelle sera mise en place une évaluation diagnostique en vue de : - définir les difficultés, - prévoir les thèmes d'étude propres à les surmonter.

La situation de référence en gymnastique

Tirée au sort en fin de cycle, la situation de référence fait l'objet d'une fiche, établie pour chaque enchaînement (cf. exemple de fiche). Elle comporte trois profils corres­pondant à des réponses relevées à la vidéo et indiquant des niveaux de comporte­ments différents : • Le profil 1 montre un comportement haché, discret, prudent, fléchi, introverti, déprécié, peu anticipé... • Le profil 2 témoigne des efforts pour s'élever, coordonner, embellir... • Le profil 3 indique de l'aisance, de la maîtrise, de l'anticipation, du rythme, de l'émotion... La tenue de cette fiche est confiée aux trois élèves-jury qui observent leur « camarade gymnaste » et entourent les actions réali­sées à la fin du mouvement, correspondan­tes au profil défini. Cette coévaluation permet aux élèves, outre leur participation active, de mesurer leurs difficultés et d'ap­précier dans quel sens devront s'accomplir leurs progrès.

Ainsi, la situation de référence, proposée à l'issue des séances d'appropriation des enchaînements et de leur mémorisation, présente l'avantage de diagnostiquer les problèmes rencontrés et d'engager des thèmes d'étude personnalisés et spécifi­ques à chaque agrès.

Paul Durand Professeur d'EPS, Collège Vendôme, Lyon

PHOTO : AUTEUR

(1) Arnaud (P.). La Revue EPS et l'innovation pédago­gique. Revue EPS n° 198. p. 24.

La totalité des enchaînements et les profils comporte­mentaux associés ont été réalisés par l'auteur. Pour toute information, s'adresser à P. Durand, collège Vendôme. 69, rue Vendôme. 69006 Lyon.

Fiche de • mémorisation » à la poutre Nom : Raphaële Observée par : Naisja Classe : 6e 5

(1) Lire uniquement le texte et réaliser l'enchaînement. Lu et réalisé. @ Regarder les dessins et les essayer. Réalisé. (3) Comparer les différences. J'ai réalisé le va-et-vient que je n'avais pas su faire et regarder les dessins est plus facile souvent. (4) Réaliser l'enchaînement en tenant compte du texte et des dessins. Réalisé. (5) Réaliser l'enchaînement dix fois :

A - Dicté par un camarade et inversement. Réalisé. B - De mémoire, le camarade indiquant à la fin les erreurs. Réalisé. J'ai oublié une attitude. C - En comptant le nombre de fois où la tète est renversée Nombre de têtes en bas : 4.

D - En notant le nombre de fois où l'on est dans l'espace. Nombre d'espaces : 2. E - En notant le nombre d'arrêts. 1 arrêt. F - En essayant de supprimer les arrêts. J'ai supprimé l'interruption. G - En chronométrant la durée de l'enchaînement (compa­rer). 0'46"16 (plus court que Naisja) H - En notant le nombre de fois où les jambes sont écartées : Nombre de jambes écartées : 2 fois I - En notant les parties non réalisées ou les difficultés. Tout réalisé mais difficultés à l'équilibre et un peu au va-et-vient. J - En écrivant pourquoi tu n'y arrives pas ? Parce que j'ai peur.

Exemple d'une fiche d'observation pour la situation de référence :

Profil 1 - prise d'élan depuis le trampolino : le regard est dirigé vers la réception - après le renversement, il y a un contrôle quadrupédique avant de se relever ; le regard reste dirigé entre les mains : le redressement est exécuté par relèvement du buste

- le saut est discret et réalisé uniquement par élévation des genoux - le demi-tour accroupi est contrôlé par une main - la position assise est contrôlée par les mains et les cuisses - le retour sur la poutre exige un contrôle préalable des pieds - le saut de sortie est orienté vers le bas avec élévation des genoux.

Profil 2 - anticipation de la réception du saut par l'avancée d'une jambe - essai d'amplitude de la position de départ du renversement - renversement avec une jambe montée seulement, l'autre contrôlant - pas glissés avec un souci d'esthétique mais bras tirés vers le bas - le regard se détache de la poutre ; et le « culbuto » est possible mais sans montée du dos ; le retour est contrôlé par les mains, etc.

Profil 3 - seule la position couchée sur la poutre est notée en profil 3.

X = non réalisé. Poutre 6« Raphaëlle 6e5 Observateurs : Nicolas/Coralie/Mart.

42 Revue EP.S n°230 Juillet-Août 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé