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FRÜHMITTELALTERLICHE STUDIEN Jahrbuch des Instituts für Frühmittelalterforschung der Universität Münster in Zusammenarbeit mit Arnold Angenendt, Volker Honemann, Albrecht Jockenhövel, Ruth Schmidt-Wiegand, Nikolaus Staubach und Joachim Wollasch unter Mitwirkung von Karl Hauck herausgegeben von GERD ALTHOFF, HAGEN KELLER und CHRISTEL MEIER 38. Band w DE G 2004 WALTER DE GRUYTER BERLIN " NEW YORK

FRÜHMITTELALTERLICHE STUDIEN · 2011. 6. 1. · giunr relegi, rorsensi et subsrripsi ALPHONSE ROSEROT, Chartes inedites des Mc et X° siecles appartenant aux archives de la Haute-Marne

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FRÜHMITTELALTERLICHE STUDIEN

Jahrbuch des Instituts für Frühmittelalterforschung

der Universität Münster

in Zusammenarbeit mit

Arnold Angenendt, Volker Honemann, Albrecht Jockenhövel,

Ruth Schmidt-Wiegand, Nikolaus Staubach und Joachim Wollasch

unter Mitwirkung von

Karl Hauck

herausgegeben von

GERD ALTHOFF, HAGEN KELLER und CHRISTEL MEIER

38. Band

w DE

G 2004

WALTER DE GRUYTER BERLIN " NEW YORK

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BENOIT-MICHEL TOCK

La mise en scene des actes en France au Haut Moyen Age

1. La lecture, S. 288. - II. Les souscriptions autographes, S. 291. - III. Le depot de l'acte sur l'autel et toucher, S. 292. - IV. La mise en scene dans l'acte, S. 295. -V Conclusion, S. 296.

Dans leur travail d'etude des chartes medievales, les diplomatistes ont accorde beaucoup d'importance aux problemes d'authenticite, au fonctionnement des chancel- leries et ä la circulation des formules, au contenu politique et religieux des actes, ä leur

archivage et leur conservation. Recemment, et en bonne partie sous l'impulsion de Peter Rück, ils ont aussi travaille sur la symbolique des actes, en particulier sur les sym- boles graphiques. Il est tout de meme un aspect de la vie des chartes qu'ils ont presque totalement neglige jusqu'aujourd'hui: la promulgation. Comment 1'acte, une fois qu'il a ete ecrit et eventuellement scelle, est-il remis au beneficiaire? Est-ce au cours d'une ce- remonie solennelle, probablement la meme que celle de 1'action juridique? Et quelle est alors la place de 1'acte dans 1'action juridique? Ou 1'acte est-il remis discretement au be-

neficiaire, sans decorum ni solennite? ]I s'agit d'un moment important. L'acte est remis ä celui qui en a besoin et qui eventuellement en fera usage. Il devient donc reellement un acte. On pourrait parler, apres une gestation et avant une vie d'archive, de la nais- sance de 1'acte. Il serait interessant de savoir comment cette naissance se deroulait. Ou,

pour reprendre un terme utilise par Hagen Keller et Christoph Dartmann, de voir si cette naissance faisait l'objet dune mise en scene. La bibliographie sur le sujet est tres mincel. On va donc devoir utiliser les documents eux-memes, plus precisement les

chartes originales anterieures ä 1121 conservees en France, soit environ 5000 actes que Pon connait bien grace ä une base de donnees en cours de constitution ä 1'Artem, de Nancy2. Nous laisserons de cöte les diplömes et les bulles, qui posent des problemes specifiques, et nous nous concentrerons sur les autres actes.

Aucun de ces actes ne raconte en detail comment il a ete remis a son beneficiaire. Mais nombre d'entre eux evoquent une partie du moins de ce processus. 11 peut s'agir

I Le probleme est aborde de maniere sommaire par OLIVIER GUYOTJEANNIN - JACQUES PYCKE - BENOIT-MICHEL TOCK, Diplomatique medievale (: Atelier du Medieviste 2) Turnhout 1993,

p. 235-236. Rien dc systematique dans ARTHUR GIRY, Manuel de Diplomatique, Paris 1894; HARRY

BRESSI. AU, Handbuch der Urkundenlehre für Deutschland und Italien, Berlin - Leipzig 21915-1930;

ALAIN DE BOÜARD, Manuel de diplomatique francaise et pontificale, 2 vol., Paris 1929-1948.

2 Sur cette base de donnees, voir BENOIT-MICHEL TocK (dir. ), La diplomatique frangaise du Haut Moyen Age. Inventaire des chartes originales anterieures A 1121 conservees en France (ARTEM Atelier de re- cherches sur les textes medievaux) Turnhout 2001. La base de donnees propose une ventilation regio- nale selon les regions administratives francaises actuelles. C'est evidemment anachronique, mais le

caractere mobile des frontieres des principautes medievales contraint a se contenter de cc systeme. Les

acres tires dc cette base seront cites d'apres la meilleure edition ou la cote d'archives, et par Icur numero dans la base de donnees de l'Artem.

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288 Benoit-Michel Tock

de la lecture publique de 1'acte ecrit, qui suppose que celui-ci soit au centre de 1'atten-

tion de 1'assemblee. Mais aussi des souscriptions: si elles sont autographes, elles sup- posent la reunion autour de 1'acte ecrit, et meme sur 1'acte, des temoins. Le fait de de-

poser l'acte ecrit sur l'autel n'etait pas seulement une maniere de sacraliser en meme temps le parchemin et la transaction, mais aussi de les rendre visibles aux yeux de tous; tangibles aussi, puisque le toucher de 1'acte est parfois atteste, souvent probable. Ce

sont ces differents elements que nous allons evoquer ici.

I. LA LECTURE

Quelques rares actes indiquent explicitement qu'ils ont ete lus en public au mo- ment oü ils etaient delivres. On en trouve un exemple dans une charte de donation en faveur de Saint-Arnoul de Metz, datee de 958: Deprecor etiam lit hr jus facti scriptural in pleuo

mallo legatur et a comite, scabiniis aliisque Deum timentibus firraletur3.11 ya eu lecture de 1'acte,

et cela en presence du mallum comtal. C'est donc bien, ä un moment au moins de la

seance du mallum, 1'acte ecrit qui est au centre de 1'attention generale, et pas la seule action juridique4. On relevera aussi le lien entre la lecture de 1'acte et sa firmatio: c'est la lecture de 1'acte qui permet aux comte, echevins et autres de savoir exactement ce qui s'est passe, qu'ils vont confirmer et dont ils seront temoins.

Vers 1093 Aimeric IV, vicomte de Thouars, donnait 1'eglise de Saint-Jean du Chä- teau et divers biens et droits ä 1'abbaye Saint-Florent de Saumur. Il n'indique pas le

nombre des temoins, mais precise bien comment la charte a ete corroboree et promul- guee: Ut auterar donationes et concessions isle perennem optineant firmitatem, eas litteris annotari precepi, et annotatas in audientia plurimorurar relegi, et relectas signo rareo auctoriý, avi, et a fratribus filiisque meis coram testibus feci auctori. Zari5. Apres la transaction elle-meme, le vicomte de Thouars fait ecrire la charte, la fait lire aux nombreuses personnes qui etaient presen- tes, la souscrit, puis la fait souscrire. C'est dire que dans le processus de donation de

3 Histoire de Metz par des religieux benedictins de la congregation de Saint-Maur, 6 vol., Metz 1769-1790, au t. 3, Preuves, p. 71-73 (Artem 212).

4 En sens contraire, voir une charte donnee en 1095 par Hugues II, comte de Saint-Pol, transformant en prieure benedictin, dependant de 1'abbaye de Itiolesme, le petit chapitre de chanoines de Lucheux. 11 y cut explication de la reforme du prieure, excommunication des eventuels opposants, mais pas, apparem- ment, de lecture: Et ne aliquando htjtu tenor donationis in aliquapredictarum rerum forte peraliquem in reliqurun cassaretur, aut aligua fraude retractaretur sea minueretur, domrau LamberturAttrebatentit episcopus statim in presen- tia comitis et todus multitudinis semel et bis requisivit an aliguit in his quicquam calumniaretur, sed Hullo contradicente, illico omnes illos qui contra bec instituta postmodum venire et alicuju. r violentie hjuria vel itjuttide pravitate sen doli nia- /ignitate infringere, diripere vel minuere seu calumniari temptaverint, episcopali auctoritate exconmmnicavit et districto

anathearate toque ad sati fattionem innodavit, omnibus qui aderant laudantibru et FIAT! FIAT! ter acclamantibus Et quia interdunr repeticio dici solet confirmatio, idenr domnus Lambertus episcopus de eadem causa in mastino sernJOrrem fait ad poptdum qui ad jus predicationem de crrcumquaque copiosus confluerat, et preterite diei excomnnmicationem in

audientia todus populi itentm recensuit, turba itenuu clamante FIAT! FIAT! Hanc itaquepremissanmr rentm dona-

tionem presenti intuitu viderunt et presenti attestatione audientnt et clerici et laid (ROGER DUBOIS, Prieure de Lucheux et prevöte de Gros-Tison. Cartulaire factice, in: Memoires de la Societe des antiquaires de Pi-

cardie 47,1936, p. 111-517, n° 2, p. 159-162).

5 PAUL MARCHEGAY, Cartulaires du Bas-Poitou (Departement de la Vendee), Les Roches-Baritaud 1877, p. 9-11, n° 2; Artem 3410.

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La mise en scene des actes en France au Haut Dloyen Age 289

1'eglise Saint-Jean du Chateau, la charte d'Aimeric occupait une place centrale. Elle a sans doute ete donnee au milieu d'un certain tumulte, d'une certaine agitation. Mais cette agitation n'est pas un probleme. Au contraire, elle se fait autour de l'acte, dont elle renforce ainsi 1'importance. D'une certaine maniere, elle le met en scene, parce qu'elle lui donne des protagonistes, un but, une raison d'etre ... L'acte est donc mis en scene, parce qu'il occupe une place centrale dans une ceremonie.

D'autres textes suggerent une relecture des actes. La donation de Vuademir et Er-

camberta ä diverses eglises en 690-691 a ete lue avant d'etre souscrite par les donateurs

et les temoins: Ego in Dei uomine, Urtademiris, baac epistola, a me facta, religi et subscripsi6. L'eveque de Chartres Ageradus en fit de meme en 696 au bas de la charte qu'il donnait ä I'abbaye de Notre-Dame, la plus ancienne charte episcopale conservee en original en France: In Christo nomine, Ageradus, acsi peccatur episcopus, hoc previlegium a me factum relige et subscripsi7. On peut aussi citer un echange de biens entre Vualdromarus, abbe de Saint- Germain-des-Pres, et Adalric en 697: Urtaldromarus, hacsi peccatur, abba, hanc cunmotacio- nenr a me factam religi et subscripsi8. D'autres actes, des VIIIe et IXe siecles, livrent eux aussi, mais plus rarement, quelques mentions de relecture. Mais que valent ces men- tions de relecture? Elles indiquent peut-etre, non une lecture publique, solennelle, mais une lecture personnelle. C'est possible pour les souscriptions d'auteur citees ci-dessus. C'est certain pour les quelques souscriptions de temoins9. Quant aux souscriptions de

6 Chartae latinae antiquiores 13,6d. HARTMUT ATSMA -JEAN VEZIN - ROBERT MARICHAL, Dietikon-Zu-

rich 1981, p. 94-99, n° 571 (Artem 4494). Voir aussi 1'acte des memes pour Saint-Germain-des-Pres

en 682, connu par une copie du IX'° siecle: Chartae latinae antiquiores 14, Ed. HARTMUT ATSMA -JEAN VEZIN - ROBERT MARICHAL, Dietikon-Zurich 1982, p. 83-86, no 594 (Artem 4496).

7 Chartac latinae antiquiores 14 (v. n. 6) p. 26-31, n° 580 (Artem 4475). 8 Chartae latinae antiquiores 14 (v. n. 6) p. 36-37, n° 582 (Artem 4477). 9 Un des souscripteurs de 1'acte par lequel \Vanilo, archevEque de Sens, confirmait le transfert de 1'abbaye

Saint-Remi dc Sens A Vareilles en 846. Altheus, eveque d'Autun, souscrit de is maniere suivante: Althers

prevenientegratiaDeiAugustudunensisepircopus relegi et. rubscripti. Comme il est Ie seul a utiliser le mot relegi, on peut supposer qu'il s'agit d'une relecture personelle, d'aillcurs peut-Etre fictive: MAURICE PROD, Le transfert de 1'abbaye de Saint-Remy de Sens a Vareilles, in: Bulletin de la societe archeologique de

Sens 28,1913, p. 254-321, p. 307-311, n° 3 (Artem 1780). 11 en va de meme pour Is souscription d'Enee, eveque de Paris, au has de la confirmation, par le concile de Soissons de 862, du partage des

biens de l'abbaye de Saint-Denis en mense abbatiale et mense conventuelle. La souscription est: Relegens,

ego ipse Aeneas Parish episcopus subscripsi. JULES TARDIF, Monuments historiques, Paris 1866, p. 120-122,

n° 187 (Artem 3020). Il faut cependant relever ici qu'Enee a souscrit apres la promulgation de l'acte, de

sorte que sa relecture etait forcement personelle. Le dernier cas est celui du synode de Chalon de 887,

oü la souscription de 1'evEque de Langres est Geylo, sanctae Lingonensis ecclesiae bunrilis episcopus, hocprivile-

giunr relegi, rorsensi et subsrripsi ALPHONSE ROSEROT, Chartes inedites des Mc et X° siecles appartenant aux archives de la Haute-Marne (851-973), in: Bulletin de la societe des sciences historiques et naturel- les de I'Yonne, 1897, p. 161-208, aux p. 192-194, n° 19 (Artem 146). Sur cc document, voir ROBERT- HENRI BAUTIER, Les diplbmes royaux pour 1'eglise de Langres et l'origine des droits comtaux de l'eve-

que, in: Les Cahiers haut-marnais 1986, p. 145-177, reimpr. ID., Chartes, sceaux et chancelleries. Etudes de diplomatique et dc sigillographic medievales 1 (Memoires et documents de 1'Ecole des Chartes 34) Paris 1990, p. 209-242, aux p. 163-164. Mais ici, le seul souscripteur qui utilise le mot relegi est aussi le

principal bencficiaire, et le premier souscripteur peut-Etre a-t-ii relu pour tous les assistants? Voir aussi deux actes relatifs aupagmsdeVienne en 882 et 891: AUGUSTE BERNARD - ALEXANDRE BRUEL (ed. ), Re-

cued des chartes de l'abbaye dc Cluny, 6 vol., Paris 1886-1903, au t. 1, p. 31-32, n° 26 et p. 49-50, n° 42 (Artem 1792 et 1800).

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290 Benoit-Michel Tock

scribes, elles peuvent avoir ete publiques, mais peuvent aussi etre la verification de la

qualite du travail accompli o. La relectio disparait presque entierement entre le milieu du Xe siecle et le dernier

tiers du XIe siecle 11. Elle revient donc dans les annees 1070. Mais plus que le verbe relegi, dont on a vu 1'ambiguite, cc qui nous interesse ici est 1'apparition du verbe recitare. Le proces-verbal de 1'election de Pierre, abbe de Saint-Victor de Marseille, en 1047,

a ete recite par le scribe: Ego Petrus Syrus, jubente Domno Pontio sepedicte urbis Massiliensis

episcopo, scripsi et recitavi12. Evidemment, le contexte ici est particulier: 1'acte a ete relu devant toute la communaute monastique (et donc lettree), directement impliquee par 1'election.

Entre 1073 et 1081, dans une charte de donation de 1'eveque du Mans Arnaud

pour Marmoutier, acte donne d'abord au Mans, ensuite a Marmoutier, on trouve pour la premiere fois recitare dans le cadre d'un document promulgue a deux reprises, devant

deux assemblees differentes: Feci autem hujusmodi auctoramentum in urbe Cenomannis, in domo mea, rogatu venerabilis Bartholomei abbatis predicti monasterii, anno incarnationis domini

MLXVIII°° presentibus et audientibus isti. r. " Guandelberto, Hugone Bicola, Odone, Hoello, Gui-

cherio, Grentone, Lamberto. Postea recitatum est hoc auctoramentum in capitulo Majoris Morra-

sterii13. Un autre exemple se trouve aussi avec le simple sens de lire dans d'autres actes, par exemple une charte de donation de Gerard II, eveque de Cambrai, pour Anchin en 1089: Hanc autem kartam sicut illas de libertate predictf aecclesif et de his grr f illi tam a me quails ab aliis frdelibus attrzbuta sunt, coram me et abbatibus mihi suffragarreis et archidiacoriis, preserrtibrrs

, gone decano sanctr Mariae et canonicis et quampluribus alüs in syaodo Carneraci habita etianr Hu

anno ab irrcarnatione Domini Im°LXXXm°VIIII, indictione XII, recitari feci14. Au total, c'est une trentaine d'actes, souvent des actes episcopaux, qui ont ainsi beneficie d'une reci- tatio, d'une lecture solennelle.

10 Le cas se presente seulement dans la donation de Dadila pour l'abbaye de Psalmodi (813), avec la sou- scription Aldenrarus clericus a suprascripto hails paginaar testamenti scripsi et relegi, sub die et anno quo supra; CL. DEVIL - J. VAISSETTE, Histoire generale du Languedoc 2, Toulouse 1875, preuve , n° 24, col. 81-84 (Artem 982).

11 Entre un aste du comte Grifon et de son neveu 1'eveque Rostaing pour Montmajour en 955 (J. H. AL-

DANES - ULYSSE CHEVALIER, Gallia Christiana novissima 1, Montbeliard 1899, Instr., col. 130. EDMOND

Du RoURE, Histoire de l'abbaye de Montmajour publiee par dom Chantelou, in: Revue d'histoire de Pro-

vence 1,1891, p. 1-32,65-96 et 129-152, aux p. 30-31; Artem 4077) et un aste de Geoffroi, eveque de

Paris, pour Saint-Germain-des-Pres en 1070 (MAURICE PROD, Recueil des acres de Philippe I", roi de France (1059-1108), Paris 1908, p. 130-132, n° 48; Artem 2920), on ne trouve de mention de relecture que dans un aste d'Aubri, abbe de Saint-Germain-des-Pres, date de 995: TARDIF (v n. 9) p. 150, n° 239 et RENE POUPARDIN, Recueil des chartes de l'abbaye de Saint-Germain-des-Pres des origines au debut du XIII° siecle, 2 vol., Paris 1909-1930, au t. 1, p. 75-76, n° 46 (Artem 2054).

12 Ego (Petrus) Syru, jubente Domno Pantio sepedictre urb[is Massiliensis episcoJpo, scripsi et recitavi (PAUL AMAR- GIER, Chartes inedites (XI' siecle) du fonds Saint-Victor de Marseille (Arch. dep. Bouches-du-Rhone 1 H), Aix-en-Provence 1969 (these dact. ), n° 19; Artem 4398).

13 ETIENNE BALUZE, Miscellanea, 21 ed., 4 vol., Lucques 1761-1764, au t. 3, p. 50 (Artem 2625). 14 Lille, Arch. dep. Nord, 1H 34 n° 377; Artem 411. Cet aste sera prochainement edite par Jean-Pierre

Gerzaguet, qui prepare ! 'edition des chartes de l'abbaye d'Anchin.

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La mise en scene des acres en France an Haut Moyen Age 291

II. LES SOUSCRIPTIONS AUTOGRAPHES

On a dejä signale la question des souscriptions autographes. Celles-ci ont ete ap- posees, sauf exception, au cours d'une ceremonie solennelle 15. Frequentes au VIIe sie- cle, les souscriptions autographes sont de plus en plus rares ä partir du VIIIe, surtout chez les laics. Chez les ecclesiastiques, et principalement les eveques, on en rencontre encore jusqu'ä la fin du Xe siecle, puis, surtout chez les eveques, au debut du XIIe siecle. L'autographie de la souscription peut etre remplacee, au cours du Xe siecle, et plus en- core au XIe, par 1'autographie de la croix 16. On la trouve surtout dans les actes princiers et episcopaux, bien qu'au fil des annees le niveau social des souscripteurs ait tendance ä baisser. Mais il ne faut pas exagerer l'importance de cette pratique: le nombre d'actes

concernes n'a jamais atteint les 10 %. Si certains actes n'ont regu qu'une souscription autographe, d'autres en ont

compte plusieurs, voire plusieurs dizaines. Il faut bien comprendre comment ces sou- scriptions sont apposees. On a parfois pretendu qu'elles etaient deposees dans un ordre strict, respectant une hierarchie, episcopale par exemple, ou plus largement sociale. En realite, cela ne semble pas avoir ete le cas. Les souscriptions des actes synodaux du IXe siecle, par exemple, ne respectent pas toujours le meme ordre. Il faut donc imagi-

ner comment les choses devaient se passer: plusieurs dizaines d'eveques et d'abbes reu- nis dans une eglise, discutant de points de discipline, de politique, peut-etre de doc-

trine. Plusieurs decisions sont prises, confirmant les biens de telle abbaye, ou le partage des menses de telle autre. Les actes sont etablis et ensuite, dans un certain desordre, les

prelats viennent tracer leur nom et leur souscription. S'il est possible, voire probable, que cela se faisait dans une certaine dissipation, comme de nos jours la signature des re- gistres de bapteme ou de mariage ä la fin d'une ceremonie, il n'en reste pas moins que durant ce temps c'est bien 1'acte qui est au centre de l'agitation.

La souscription prend parfois simplement la forme d'un `Vollziehungsstrich', un petit trait, eventuellement seulement un point, qu'un souscripteur ajoute personnelle- ment ä sa souscription allographe. ll s'agit de marquer publiquement, pendant la cere- monie solennelle de promulgation de 1'acte, l'accord personnel et effectif du souscrip- teur. On sait que ce signe apparait dans certains diplömes royaux17, et dans certains actes prives en Espagnet$ et en Italie19. En France, le phenomene se rencontre sur le

15 11 faut tenir compte cependant du probleme, plus important qu'on ne le croit souvent, des pseudo-au- tographies. D'une maniere generale sur les souscriptions, voir BENOIT-MICHEL ToCK, Les souscriptions dans les actes prives en France au Haut Moyen Age, th. d'habilitation, univ. Paris-I 2001, a paraitre.

16 MICHEL PARISSE, Croix autographes de souscription dans l'Ouest de la France au XIe siecle, in: PETER RUCK (ed. ), Graphische Symbole in mittelalterlichen Urkunden. Beiträge zur diplomatischen Semiotik (Historische Hilfswissenschaften 3) Sigmaringen 1996, p. 143-155.

17 GEORGES TESSIER, Diplomatique royale francaise, Paris 1962, p. 111; RODERT-HENRI BAUTIER, La

chancellerie et les actes royaux dans les royaumes carolingiens, in: Bibliotheque de 1'Ecole des Chartes 142,1984, p. 5-80 [reimpr. Id., Chartes, sceaux (s: n. 9), au t. 2, p. 461-536], ä la p. 47.

is MARIA CARMEN DEL CAMINO MARTiNEZ, Notas sobre la escritura en Pallars en el siglo XI, in: Actas del Congreso Internacional `Historia de los Pireneos', Cervera, 1988, ed. EDUARDO RIPOLL PERELLÖ - MANUEL F. LADERO QUESADA, 2 vol., Madrid 1991,1, p. 85-94,6 lap. 92.

19 PAOLA SUPINO MARTINI, I. e sottoscrizioni testimoniali al documento italiano del secolo VIII: le carte di Lucca, in: Bullettino dell'Istituto storico italiano per il medio evo e archivio muratoriano 98,1992, p. 87-108, ä la p. 89, explique qu'ä Lucques au VIIIe siecle, contrairement ä ce qui se passe en general en Italie, il n'y a pas beaucoup de croix autographes dans les sign.

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292 Benoit-Michel Tock

littoral mediterraneen. On le trouve en Languedoc, particulierement ä l'abbaye de La Grasse. Dans les actes de cette abbaye, chaque signum est interrompu par une croix (sous la forme rig+num), cantonnee de trois ou quatre points. Quand il ya quatre points, le coin inferieur droit (c'est-ä-dire celui qui manque dans les croix cantonnees de trois points) est plus gros, et souvent aussi plus empäte, que les trois autres: peut- etre faut-il y voir, effectivement, un `Vollziehungsstrich', ou plutöt d'ailleurs un `Voll-

ziehungspunkt'. Cela se retrouve dans d'autres actes de La Grasse: 1'acte de Pierre Flotard au sujet d'un accord avec Guila en 1078, la notice d'un accord avec Isarn

en 1086-1108, la charte de donation d'Arnaud Geoffroi en 1108 ...

20 La meme chose ä propos de points qui encadrent des abreviations `S' pour sigurm, dans la charte de donation de Galengarde en 1086-110821. On trouve aussi ce `Vollziehungspunkt' en Midi-Pyrenees, avec la charte de donation d'Argentelz, epouse de Deusde Petroni de Mondrat, pour Moissac vers 110522, et surtout en Provence, dans le fonds de Saint- Victor de Marseille24, par exemple dans une charte par laquelle Bernard, comte de Be-

salu, donnait en 1070 le monastere de Ripoll A Saint-Victor de Marseille, tient ä la fois de la Catalogne et de la Provence, et a des points visiblement autographes25. Au total, l'usage du `Vollziehungspunkt' semble probable dans certains actes mediterraneens jusqu'au debut du XIIc siecle.

III. LE DEPOT DE L'ACTE SUR L'AUTEL ET TOUCHER

L'acte est souvent depose sur 1'autel, comme A. Angenendt 1'a recemment rap- pele26. L'acte est parfois au centre meme de la donation. Tres claire est la notice relative ä la renonciation, en 1039-1060, par Adelaide et son mari Renaud aus querelles qu'ils elevaient contre Marmoutier ä propos de donations effectuees par leur frere et beau- frere Rathier27. Le passage est un peu long, mais merite d'etre cite en entier: Uenertart itaque ambo Majus Monasteriung et ipso sacratissimo sabbato paschf vigilia resurrectionis dominicf,

sub prfsentia domni abbatis Alberti, in conventu omnium fratrum, accepto loci benefrcio, grricquid domnus. Ratheriru sancto Martino dederat, absolutissimo se auctoranrento et Clara voce non senrel tan- tum, sed iterum atque iterum confirmare testati sunt, nee sermone tantrrm audibilenr sed intrritrr etiam visibilem et tactu quodam modo pa pabilem assensum suum Nunc fecenrnt, quandoquidem cartam in

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ELISABETH MAGNOU-NORTIER-ANNE MARIE MAGNOU, Recueil des chartes de l'abbaye de La Grasse 1: 779-1119, Paris 1996, n° 120, p. 173-174; n° 131, p. 186; n° 180, p. 240-241 (Artem 3809,3793,3824).

MAGNOU-NORTIER - MAGNOU (v n. 20) n° 132, p. 187 (Artem 3813).

CLOVIS BRUNEL, Les plus anciennes chartes en langue provenrale. Recueil des pieces originales ante- rieures au XIII° siecle, Paris 1926, n° 12, p. 15-16 (Artem 2440). DE BOÜARD (vm, n. 1) au t. 2, p. 83, relevant le phenomene, le restreignait donc trop etroitement A la Gothic. Voir aussi OLIVIER GUILLOT, Le comte d'Anjou et son entourage au XI° siecle, 2 vol., Paris 1972, au t. 2, p. 9, qui ne connait pas d'exemple de cc genre dans les actes des comtes d'Anjou du XIe siecle. Charte de donation de 1'eveque de Marseille Pons II en 1060: AMARGIER (v n. 12) n° 49 (Artem 4217). BENJAMIN GUI? RARD, Cartulaire de l'abbayc dc Saint-Victor de Marseille, 2 vol., Paris 1857, n° 819, t. 2, p. 171-172 (Artem 4252). Cette charte comportc aussi la souscription autographe de 1'eveque d'Elne. ARNOLD ANGENENDT, Cartam offerre super altare. Zur Liturgisierung von Rechtsvorgängen, in: Früh- mittelalterliche Studien 36,2002, p. 133-158. E. MABILLE, Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, Chäteaudun 1874, n° 106, p. 109-111 (Artem 3205).

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La mise en scene des actes en France au Haut Afoyen Age 293

qua donatio rem. - illarrull scripta erat, manibus annuendo contrectanuat, et auctori. 7'ationis sup do-

num snpersanctill fartinni altareposuenutt. Le consentement ä 1'acte se fait donc bien au tou- cher (tactus), de maniere palpable (palpabilis), en utilisant la main (manus), le tout etant

resume par le verbe contrectare. Un autre acte tres eloquent est celui par lequel l'abbe Hugues de Saint-Pere de

Chartres raconte avant 1080 ]a donation faite ä son abbaye par Hersende, puis par sa files Apes28. Le texte dit clairement le role joue par 1'autel: Acta est hec cartula Car-

notis VIII k1. octobris, et posita super altare sancti Petri etprinra cnrx facta a Gauslino supradicto, Alberico clerico de (AledannJta castro et Nirardo filio Hugonis secunr habente.

II est particulierement interessant de noter que dans certains cas les croix auto- graphes sont tracees sur un parchemin vierge, sur lequel le scribe ecrira par la suite, im-

mediatement ou dans les jours qui viennent, on suppose, le texte de 1'acte29. Cela se re- marque quand les croix arrivent, si on ose dire, comme un cheveu dans la soupe, ä un endroit on elles ne paraissent ni prevues, ni annoncees. On en trouve tres rarement trace. Mais cela peut se produire, comme par exemple dans 1'acte d'affranchissement donne en 1093 par Gui Segreitcr. les croix figurent bien en haut et en bas de 1'acte. Et ä chaque fois, elles etaient lä avant le texte, obligeant le scribe ä certaines contorsions3o, Ces actes entierement vierges lots de leur depot sur 1'autel different donc des actes scelles en blanc, comme un acte scelle par le margrave de Brandebourg Otton (1266-1309) conserve aux archives de Hanovre31: il peut s'agir d'actes transportes par des hommes de confiance de 1'auteur, autorises ä en faire I'usage qui leur semblera bon.

D'autres actes, au nombre de 19, disent avoir ete touches32. On prendra comme exemple la notice de l'accord conclu entre 1'abbaye de la Bonne Nouvelle d'Orleans et Gui, fils de Geoffroi, vers 103733. Le comte de Blois Thibaud a souscrit 1'acte d'une

croix autographe, tandis que ses chevaliers touchaient le document: Etuthocscriptum fzr-

mius existeret, Tetbaldus conies brmc subpositam crncem propria nnanu composuit, et nnilites qui ade- rant ibi, istanr carfanf tetigennit manibus suis. L'acte le plus ancien qui mentionne cet attou- chement est la notice d'une confirmation des biens d'une abbaye non identifiee par le duc d'Aquitaine Guillaume le Pieux et date de 91634: litteranui istanrm conscriptionenn fieri

28 BENJAMIN GUERARD, Cartulaire de I'abbaye de Saint-Pere de Chartres, 2 vol., Paris 1840, au t. 1,

p. 133-134 (Artem 3113). 29 La letatio carlae du tres Haut Moyen Age se faisait a l'aide d'un parchemin vierge (OSWALD REDLICH, Ge-

schäftsurkunde und Beweisurkunde, in: Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsfor-

schung, Ergänzungsband 6,1901, p. 1-16, a la p. 6; HENRICH FICHTENAU, ̀Carta' et ̀ Notitia' en Baviere du VIII' au X' siecle, in: Ix Moyen Age 69,1963, p. 105-120, ä la p. 106). On peut aussi relever que sur les brouillons des actes de Saint-Gall figurent les noms des temoins avec des croix: l'essentiel etait donc

que le temoin souscrivit, et peu importait que cc fist sur cc que nous appellerions un'original' (FICHTE-

NAU, p. 112, n. 27). 30 Bibl. nat. de France, ms. n. a. l. 1295 (Artem 2638). 31 Orro PossE, Die Lehre der Privaturkunden, Leipzig 1887, p. 94, n. 2 et ill. XXVII. 32 GIRY (v n. l) p. 599, n. 2, ä la suite dc Mabillon, considere que �les souscripteurs paraissent avoir dü tou-

cher de leur main le signunr que Pon tracait pour eux". Rien ne permet de soutenir cc point de vue: c'est sans doute le parchemin en general qui etait touche.

33 CHARLES DE VASSAL DE MONTVIEL, Recherches sur le monastCre de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle (Memoires de la societe royale des sciences, belles-lettres et arts d'Orleans 4) Orleans 1842, p. 221-223 (Artem 2797).

34 Bibl. nat. de France, ms. lat. 11829, n° 2a (Artem 1814).

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destinavit et suo nomine roboravit, fideliumque suorzrm nranibus contrectandanr prfbuit, ut ubicsrnr- que subvenire potuerint, in amministrandis seu sustentandis solacüs jus auctoritate fulciantur. C'est donc bien I'attouchement, dans cette perspective, qui est createur d'obligations pour les proches du duc. Contrairement cependant ä cc qui est pretendu et ä cc qui s'est fait dans 1'acte du meme Guillaume pour la fondation de Cluny, cet acte-ci na pas requ son nom autographe. Un autre acte montre bien cette valeur de 1'attouchement. 11 s'agit d'un accord entre Saint-Florent de Saumur et Saint-Nicolas d'Angers, date de 109335. Une phrase montre bien comment la charte a ete touchee par tous: Ad extinguendam au- tem vel dirimendam omnem omnino inter utrosque super hac re controversiaru, sn festivitate transla tionis sancti Benedicti delata est h fc carta in capitulum Sancti Nicholai, a nronachis Sancti Florentii,

et cum omnium assensu, omnium manibus pertractata. Simili vero modo et in capitsrlo Sancti Floren- tii, infestivitate dedicationis jusdem monasterii, domno IYýillebuo abbate, et dontno Natali abbate, necnon Gaufrido thesaurario et Willelmo archidiacono praesentibus, nronachis omnibus assentienti- bus et eandem cartam tangentibus, definite et inconcussepertractatsrm est. L'acte est donc bien lui- meme porte d'Angers ä Saumur, et ä chaque fois touche par tous les moines de l'abbaye

concernee. C'est d'ailleurs presque toujours d'un attouchement collectif qu'il est ques- tion: l'auteur ou un personnage important, souvent aussi ses proches, ses chanoines si c'est un eveque, ses vassaux si c'est un laic. La pratique apparait ensuite ä Marmoutier, ä six reprises entre 969 et 1060. On la trouve ensuite ä Orleans en 1037, ä Beauvais en 1058, ä Cluny en 1063, ä Saumur en 1070 et 1093, a Chartres en 1084, ä Paris entre 1098 et 1110, enfin ä Langres en 1115. Elle est donc geographiquement tres localisee dans la vallee de la Loire, avant d'entreprendre une marche vers 1'Est et le Nord.

Un autre argument montre bien que le geste est frequent. Si des verbes comme tangere ou pertractare (au sens de toucher) sont rares, il faut en revanche tenir compte des adjectifs verbaux comme roborandam ou confirmandam. Ainsi en 9351'eveque de Langres Heyric parle-t-il de donner la charte ä ses clercs ad con rrnrandanr. Ut autem hcecprestarra

omni tenrpore in Dei nomine optineat farmitatem, manus nostrae subscriptione roborandaru filionag

que ecclesif nostrae subscriptionibus confirmandam decrevimus3G. Ici, l'intervention des chanoi- nes n'est pas un simple attouchement, mais une souscription autographe. Mais que penser d'une charte d'un lointain successeur d'Heyric, 1'eveque Hugues, datee de 103437? L'annonce de la validation est desormais: ut inconvulsa baec redditio in perpetuum augeat manu propria firmo nostrisque fidelibus trado roborandanr. Mais surtout, il n'y a plus de souscription autographe. En 1'absence de cette derniere, que pouvaient faire de la charte les fideles de 1'eveque, sinon la toucher? Or il ya au total 119 actes qui portent une phrase de cc genre38. Ces actes sont disperses dans toute la France, mais on les trouve

35 PAUL MARCHEGAY, Chartes et autres titres du monastere de Saint-Florent pres Saumur concernant 1'Ile- de-France de 1070 ä 1220 environ, in: Memoires de la societe de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France 5,1878, p. 132-157, au n° 6, p. 139-140 (Artem 3417).

36 RoSEROT (v n. 9) n° 15 (Artem 158). 37 GEORGES CHEVRIER - MAURICE CHAUME, Chartes et documents de Saint-Benigne de Dijon, prieures et

dependances, des origines ä 1300 2: VIe siecle - 990, Dijon 1943, n° 314, p. 94-95 (Artem 169). 39 Encore avons-nous pris soin, par un scrupule sans doutc excessif, d'ecarter les formules qui n'utilisent

pas un verbe comme Iradere, mais un autre plus vague, comme par exemple manibus nortrisprapriis. rubter firmavinrus et aliorum bonorum hominum ad roborandum deeretvmus acte d'echange entre Hector et son epouse Aldegarde d'un cote, le comte Ermengaud et 1'eveque Acmar de Rodez d'autre part en 906, ANTOINE BONAL, Histoire des eveques de Rodez 1, Rodez 1935, n° 3, p. 509-510 (Ahem 3941).

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particulierement en Poitou (34 actes), mais aussi ä Cluny (14 actes), Langres (11 ac- tes), Paris (8 actes) et Urins (5 actes) et d'une maniere plus generale en Bourgogne, dans le Centre (mais pas tellement ä Marmoutier), en Anjou, en Normandie39 ... Le Sud de la France en general est en revanche pauvre ä cet egard: on ne trouve que huit

actes pour la Provence, deut pour le Languedoc, tandis que le Midi est totalement ab- sent, de meme d'ailleurs que l'Auvergne et le Limousin. Plus au Nord, sont pareille- ment absents la Picardie, le Nord/Pas-de-Calais, la Lorraine, I'Alsace, la Franche- Comte, la Champagne (sauf Langres). Quant ä la repartition chronologique, elle mon- tre un developpement du phenomene ä la fin du IXe siecle, un vif succes au Xe (32 ac- tes, soit 6,1 % des actes de cette periode) et dans la premiere moitie du Xle (35 acres, soit 7,1 %), puis une lente decroissance: 32 dann la deuxieme moitie (2,1 %), 18 pour le debut du XIIe siecle (1,8 %). Ce phenomene est donc fortement lie ä la periode com- prise entre 900 et 1050 environ, quand il n'y a plus de souscription autographe, pas encore de croix autographe ni de sceau, bref aucun moyen de validation tangible et visible. C'est en ce sens qu'il faut comprendre son absence, par exemple, en France du Nord, riche en chartes episcopales scellees. Le Sud ecarte l'usage sans doute par conservatisme, au contraire du Poitou, pourtant lui aussi conservateur. Quant A Mar-

moutier, sa diplomatique se developpe apres la phase d'expansion de cette expression, ce qui explique sans doute sa large abstention. Dans ce contexte, l'expression proprra

maim, ou propriis mamibut, dont on sait quelle ne correspondait pas fortement ä une in-

tervention personnelle ecrite, peut parfaitement correspondre ä un simple toucher. Reste, comme toujours, la question de l'importance reelle de la pratique: attestee

dans seulement une bonne centaine d'actes, etait-elle exceptionnelle ou courante? Bien

qu'aucune preuve ne permettre d'etayer cette position, on optera plus volontiers pour la deuxieme branche de l'alternative40. Parce qu'elle est largement attestee, füt-ce par de rares exceptions, elle montre qu'elle etait largement connue. Elle correspond par ail- leurs bien ä ce qu'on sait de l'importance du rite, du geste, du symbole, dans les proce- dures juridiques4l.

IV. LA DIISE EN SCENE DANS L'ACTE

Si 1'acte peut s'integrer dans une scene, il est aussi lui-meme une scene: le choix du format, de 1'ecriture, de la mise en page, ne relevent pas du hasard, mais d'une volonte

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Pour la Normandie, les chiffres scraient plus Cleves si nous n'avions ecarte tous les actes pour lesquels il

y cut souscription autographe, au moins par le biais d'une croix: cc n'est donc pas le toucher, mais la

croix qui valide l'acte. V. aussi JAN PRELL, Les souscriptions des chartes des comtes de Poitou, ducs d'Aquitaine (1030-1137), in: Bibliotheque de I'Ecole des Charles 155,1997, p. 207-219, aux p. 211-212; DOMINIQUE BARTHE- LEMY, La societe dans le Comte de Vendome de I'an mil au XIV° sibcle, Paris 1993, p. 60; GUILLOT (v n. 23) t. 2, p. 10. CARLO Gutpo MoR, Simbologia e simboli nella vita giuridica, in: Simboli e simbologia nell'alto Me- dioevo 1 (Settimane di studio del Centro Italiano di Studi sull'Alto Medioevo 23) Spolete 1976, p. 17-32, ä la p. 24. Luis CASADO DE OTAOLA, Per visibilia ad invisibilia: representaciones figurativas en documen-

tos altomedievales como simbolos de validaciön y autoria, in: Signo. Revista de Historia de la cultura escrita 4,1997, p. 39-56, aux p. 41 et 48.

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d'organiser le document, c'est-ä-dire d'une vraie mise en scene42. A qui cette mise en scene s'adresse-t-elle? Aux participants ä la ceremonie juridique, aux proprietaires et aux archivistes du document, aux participants ä une eventuelle assemblee judiciaire au cours de laquelle le document serait exhibe? Ce qui nous interesse en particulier est de

savoir si une attention particuliere ä cette mise en scene interne de 1'acte correspond ä

une mise en scene externe, dans le cadre d'une ceremonie. Les actes les plus soignes sont-ils ceux qui jouaient un role au cours de faction juridique? Il est malheureusement difficile de repondre ä cette question. On n'a pas encore fait 1'histoire de la mise en scene daps l'acte. La question est compliquee par le fait que de nombreux criteres sont ä prendre en compte (interligne, marges, decoration de 1'ecriture, espace avant les

souscriptions ... ) et qu'il est rare qu'ils soient tous presents ou tous absents. Il faudrait

de surcroit integrer d'autres parametres, comme celui de 1'auteur (personnage public ou non, par exemple). On ne peut donc ici que soulever le probleme, pas le resoudre. Et, tout de meme, inciter ä la prudence: des actes dont on sait, notamment par 1'usage du 'Vollziehungspunkt', qu'ils etaient utilises au cours de la ceremonie juridique peu- vent parfaitement etre des actes sans recherche particuliere.

V. CONCLUSION

Beaucoup d'indices autorisent ä penser que les actes prives du Haut Moyen Age etaient promulgues ä 1'occasion d'une veritable ceremonie, ce qui permettait de les mettre en scene, d'en faire 1'element central d'une action juridique43: les mentions de lecture, les souscriptions autographes, le depot sur l'autel, le toucher, la mice en scene de l'acte. Cette mise en scene montre le role joue par l'acte dans le droit du Haut Moyen Age: il est tellement au centre du droit que des mots comme donatio ou venditio desi- gnent aussi bien faction juridique que la charte de donation ou de vente. Cela est vrai non seulement pour des actes importants, donnes par des gens importants, comme les actes synodaux, les chartes episcopales ... Mais on trouve les memes caracteristiques, mntatis mnrtandis, dans les actes concernant de simples particuliers. Il serait cependant imprudent d'en conclure que les actes du Haut Dioyen Age etaient indispensables ä l'accomplissement de faction juridique, qu'ils etaient, pour reprendre le vocabulaire ju- ridique, des actes dispositifs. En realite, il faut admettre que nous connaissons encore tres mal les actes prives du Haut Moyen Age. Il semble que, jusqu'au Xc siecle, ils ont ete plus nombreux qu'on ne le pensait: ils etaient meme sans doute tres courants, y compris ä l'occasion de transactions entre particuliers. Etaient-ils pour autant indis- pensables? Rien, pour le moment, ne permet de 1'affirmer.

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Voir par exemple PETER RücK, Die Urkunde als Kunstwerk, in: Kaiserin Theophanu. Begegnung des Ostens und Westens um die Wende des ersten Jahrtausends, ed. ANTON VON Euw - PEER SCHREINER, 2 vol., Cologne 1991,2, p. 311-333; a sa suite, IRMGARD FEES, Die Matrix der abendländischen Herr- scherurkunde. Format und Layout der Merowingerdiplome, in: Mabillons Spur. Zweiundzwanzig Mis- zellen aus dem Fachgebiet für Historische Hilfswissenschaften der Philipps-Universität Marburg zum 80. Geburtstag von Walter Heinemeyer, ed. PETER RücK, Marbourg 1992, p. 213-229. On n'abordera pas ici, par prudence, la question du caractere dispositif ou probatoire de l'acte.