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DEUX VARIANTES DE LA SCÈNE DE LA PSYCHOSTASIE (CHAPITRES 30 ET 125 DU LIVRE DES MORTS) 1 [PLANCHES I-II] PAR HANANE GABER Head Registrar Registration, Collections Management, and Documentation Department Egyptian Museum, Tahrir Square, Cairo – Egypt Wissenschaftliche Mitarbeiterin Seminar für Ägyptologie der Universität zu Köln – Deutschland Bien que la scène de la psychostasie soit largement diffusée et longuement commentée dans plusieurs ouvrages 2 , ses variantes ont jusqu’à ce jour suscité très peu d’intérêt. Nor- malement, le plateau le plus proche du défunt contient son cœur et le plateau du côté d’Osi- ris la déesse Maât (pl. I a). Mais il est des cas où l’ordre est inversé. Parfois, un œil-oud- jat 3 ou un poids 4 apparaît sur le plateau à la place de la plume ou de l'effigie de Maât. La balance peut également recevoir, d’un côté, deux cœurs qui sont ceux du couple défunt et de l’autre, deux plumes 5 . La présente recherche est consacrée à deux de ces nombreuses variantes de la pesée du cœur dont l’interprétation demeure obscure. Je propose de les étudier en parallèle car ces deux scènes disposent d’un élément commun – la figure du défunt présente sur un des pla- teaux –, ce qui invite à les associer. 1 J’ai discuté des idées de cet article avec Claude Traunecker et Françoise Labrique ∞; qu’ils soient cordialement remer- ciés pour leur soutien. 2 E. Schott, Die Ägyptischen Sünden. Kapitel 125 und Kapitel 30 des ägyptischen Totenbuches übersetzt und kommen- tiert, 1992∞∞; J. Assmann, Mort et au-delà dans l’Égypte ancienne (trad. N. Baum), 2003, p. 131-140 ∞; idem, Maât. L’Égypte pharaonique et l’idée de justice sociale, 1989. p. 77-82 ∞; Chr. Seeber, Untersuchungen zur Darstellung des Totengerichts im Alten Ägypten (MÄS 35), 1976 (abrégé par la suite en Totengerichts) ∞; R. Grieshammer, Das Jenseitsgericht in den Sarg- texten (ÄA 20), 1970 ∞; J. Yoyotte, « ∞Le jugement des morts dans l’Égypte ancienne ∞», dans ∞: Le jugement des morts (Sources Orientales IV), 1961, p. 15-80 ∞; Ch. Maystre, Les déclarations d’innocence (Livre des Morts, chapitre 125) (RAPH 8), 1937 ∞; J. Spiegel, Die Idee des Totengerichts in der ägyptischen Religion (LÄS 2), 1935, p. 61-66 ∞; J.J. Clère, « ∞Un passage de la Stèle du Général Antef ∞», BIFAO 30 (1931), p. 425-447. 3 La présence de cet œil à la place de Maât a été élucidée par Ph. Derchain, « ∞L’Œil, Gardien de la Justice ∞», ZÄS 83 (1958), p. 75-76. 4 Th.M. Davis, The Funeral Papyrus of Iouiya, 2000 (1 ère édition ∞: 1908), pl. 22, p. 17 ∞; N. de G. Davies, Two Rames- side Tombs at Thebes (Publications of the MMA. Robb de Peyster Tytus. Memorial Series V), 1927, p. 28, n. 1∞∞; Chr. See- ber, Totengerichts, p. 161. 5 M. Baud – É. Drioton, Le tombeau de Roy (n o 255) (MIFAO 57/1), 1928, p. 16, fig. 11. Revue d’Égyptologie 60, 1-16. doi ∞: 10.2143/RE.60.0.2049271 Tous droits réservés © Revue d’Égyptologie, 2009.

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DEUX VARIANTES DE LA SCÈNE DE LA PSYCHOSTASIE(CHAPITRES 30 ET 125 DU LIVRE DES MORTS)1

[PLANCHES I-II]

PAR

HANANE GABER

Head RegistrarRegistration, Collections Management, and Documentation Department

Egyptian Museum, Tahrir Square, Cairo – Egypt

Wissenschaftliche MitarbeiterinSeminar für Ägyptologie der Universität zu Köln – Deutschland

Bien que la scène de la psychostasie soit largement diffusée et longuement commentéedans plusieurs ouvrages2, ses variantes ont jusqu’à ce jour suscité très peu d’intérêt. Nor-malement, le plateau le plus proche du défunt contient son cœur et le plateau du côté d’Osi-ris la déesse Maât (pl. I a). Mais il est des cas où l’ordre est inversé. Parfois, un œil-oud-jat3 ou un poids4 apparaît sur le plateau à la place de la plume ou de l'effigie de Maât. Labalance peut également recevoir, d’un côté, deux cœurs qui sont ceux du couple défunt etde l’autre, deux plumes5.

La présente recherche est consacrée à deux de ces nombreuses variantes de la pesée ducœur dont l’interprétation demeure obscure. Je propose de les étudier en parallèle car cesdeux scènes disposent d’un élément commun – la figure du défunt présente sur un des pla-teaux –, ce qui invite à les associer.

1 J’ai discuté des idées de cet article avec Claude Traunecker et Françoise Labrique∞∞; qu’ils soient cordialement remer-ciés pour leur soutien.

2 E. Schott, Die Ägyptischen Sünden. Kapitel 125 und Kapitel 30 des ägyptischen Totenbuches übersetzt und kommen-tiert, 1992∞∞; J. Assmann, Mort et au-delà dans l’Égypte ancienne (trad. N. Baum), 2003, p. 131-140∞∞; idem, Maât. L’Égyptepharaonique et l’idée de justice sociale, 1989. p. 77-82∞∞; Chr. Seeber, Untersuchungen zur Darstellung des Totengerichtsim Alten Ägypten (MÄS 35), 1976 (abrégé par la suite en Totengerichts)∞∞; R. Grieshammer, Das Jenseitsgericht in den Sarg-texten (ÄA 20), 1970∞∞; J. Yoyotte, «∞∞Le jugement des morts dans l’Égypte ancienne∞∞», dans∞∞: Le jugement des morts(Sources Orientales IV), 1961, p. 15-80∞∞; Ch. Maystre, Les déclarations d’innocence (Livre des Morts, chapitre 125)(RAPH 8), 1937∞∞; J. Spiegel, Die Idee des Totengerichts in der ägyptischen Religion (LÄS 2), 1935, p. 61-66∞∞; J.J. Clère,«∞∞Un passage de la Stèle du Général Antef∞∞», BIFAO 30 (1931), p. 425-447.

3 La présence de cet œil à la place de Maât a été élucidée par Ph. Derchain, «∞∞L’Œil, Gardien de la Justice∞∞», ZÄS 83(1958), p. 75-76.

4 Th.M. Davis, The Funeral Papyrus of Iouiya, 2000 (1ère édition∞∞: 1908), pl. 22, p. 17∞∞; N. de G. Davies, Two Rames-side Tombs at Thebes (Publications of the MMA. Robb de Peyster Tytus. Memorial Series V), 1927, p. 28, n. 1∞∞; Chr. See-ber, Totengerichts, p. 161.

5 M. Baud – É. Drioton, Le tombeau de Roy (no 255) (MIFAO 57/1), 1928, p. 16, fig. 11.

Revue d’Égyptologie 60, 1-16. doi∞∞: 10.2143/RE.60.0.2049271Tous droits réservés © Revue d’Égyptologie, 2009.

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Illustrant souvent les chapitres 30 ou 125 du Livre des Morts, la première des variantesprésente sur l’un des plateaux de la balance un personnage (tableau 1, no 1-6, 8-12, pl. I b)ou son ombre (tableau 1, no 7, 13-14) et sur l’autre, un cœur. Dans cette scène, le défuntsurmonté de son nom6 se substitue donc à Maât. La particularité de cette variante n'a guèreattiré l'attention, car on a souvent pris l’effigie du personnage pour celle de la déesse de lavérité7. Si certains savants ont identifié le mort8, d’autres ont même expliqué la représenta-tion de l’homme, à la place dévolue à Maât, par une étourderie de scribe9. Un exemple decette scène assez fréquente10 avait attiré l’attention de Jean Yoyotte∞∞: «∞∞S’agit-il d’uncontrôle de la sincérité du mort∞∞?∞∞»11.

Afin de mieux appréhender cette figuration, une série de questions s’impose∞∞: qui pèse-t-on, le mort ou son cœur∞∞? Quel sont le statut de l’homme sur la balance et sa relation avecMaât∞∞? Quel est l’écart entre cette représentation et la scène «∞∞classique∞∞» illustrant le cha-pitre 125, où le cœur du défunt est pesé en face de la déesse de la vérité (pl. I a)∞∞?

Aussi peu connue que la première variante, la seconde montre l’effigie du mort et Maât,chacun posé sur un plateau (pl. II a). Cette représentation insolite, dans laquelle le cœur estabsent et sa place occupée par le défunt lui-même, mérite qu'on s'y attarde.

Faisant pendant au cœur (pl. I b) ou à Maât (pl. II a), l’effigie du défunt est ainsi attes-tée dans chacune des deux variantes. Y assume-t-elle pour autant la même fonction∞∞?L’étude parallèle des différentes scènes, en prenant comme point de départ cet élémentcommun, pourrait permettre d’en déduire la signification.

Au préalable seront présentées les sources où figurent les représentations du mort devantson cœur ou devant Maât ainsi que la répartition des documents dans le temps et l’espace.La scène canonique de la psychostasie et ses deux variantes seront dorénavant désignéescomme suit∞∞:

2 H. GABER

6 E. Naville, Das aegyptische Todtenbuch der XVIII. bis XX. Dynastie aus verschiedenen Urkunden, I, 1886, pl. 43, Ae(P. BM EA 9964) et Aa (P. BM EA 9900)∞∞; P. Le Page Renouf, The Life-Work of Sir Peter Le Page Renouf. IV. The Bookof the Dead, 1907, pl. 38 (P. BM 9900) et pl. 39 (P. BM 9964)∞∞; I. Myer, Oldest Books in the World. An Account of theReligion, Wisdom, Philosophy, Ethics, Psychology, Manners, Proverbs, Sayings, Refinement, etc., of the Ancient Egyptians,1900, pl. 10 (P. BM EA 9900) et 11 (P. BM EA 9964).

7 I. Myer, op. cit., p. 419, 421 (P. BM EA 9900, P. BM EA 9964, P. Leyde T 2)∞∞; C. Leemans, Description raisonnéedes monuments égyptiens du Musée d’Antiquités des Pays-Bas à Leide, 1840, p. 228 (P. Leyde T 2).

8 J. Yoyotte, op. cit., p. 74, n. 75. R. Grieshammer, op. cit., p. 54∞∞; J.-P. Corteggiani décrit ceux qui sont représentés surla balance faisant partie du p. CG 24095 par «∞∞le personnage et son cœur∞∞», dans L’Égypte des pharaons au Musée duCaire, 1986, p. 94∞∞; B. Bruyère signale la présence de l’ombre du défunt et de son cœur dans la chapelle de Nebenmaât (TT 219), dans Rapport sur les fouilles de Deir el Médineh (1927) (FIFAO V), 1928, p. 72.

9 M. Mosher, The Papyrus of Hor (BM EA 10479) with Papyrus MacGregor∞∞: The Late Period Tradition at Akhmim,Catalogue of the Books of Dead in the British Museum, II, 2001, p. 103∞∞; N. de G. Davies, op. cit., p. 27-28.

10 Chr. Seeber, Totengerichts, p. 74, n. 269∞∞; quatre des documents où cette variante est attestée ont été aussi signaléspar I. Munro, Die Totenbuch-Handschriften der 18. Dynastie im Ägyptischen Museum Cairo. Text und Tafelband (ÄA 54),1994, p. 243, n. 40∞∞; idem, Untersuchungen zu den Totenbuch-Papyri der 18. Dynastie, 1987, p. 110.

11 J. Yoyotte, op. cit., p. 74, n. 75.

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– modèle 1 (C-M) (pl. I a)∞∞: la balance oppose le cœur (C) à Maât (M) (scène cano-nique).

– modèle 2 (C-D) (pl. I b)∞∞: la balance oppose le cœur (C) à l’effigie du défunt (D) ou àson ombre12.

– modèle 3 (D-M) (pl. II a)∞∞: la balance oppose le défunt (D) ou son ombre à Maât (M).

1. Présentation des documents

1.1. Le cœur et le défunt∞∞: modèle 2 (C-D)

Dans son ouvrage sur les représentations du jugement des morts13, Christine Seeber aréuni un ensemble de papyrus et de scènes de tombes où le défunt apparaît sur l’un des pla-teaux de la balance alors que son cœur occupe l’autre (modèle 2 [C-D]). Le tableau suivantajoute à cette liste trois documents (no 12, 13, 14) publiés récemment∞∞:

DEUX VARIANTES DE LA SCENE DE LA PSYCHOSTASIE (LdM 30 ET 125) 3

12 L’ombre du mort peut désigner sa momie, B. George, Zu den altägyptischen Vorstellungen vom Schatten als Seele(Habelts Dissertationsdrucke. Reihe Klassische Philologie 7), 1970, p. 100-103.

13 Chr. Seeber, Totengerichts.14 St.G.J. Quirke, Owners of Funerary Papyri in the British Museum (British Museum Occasional Paper 92), 1993,

p. 15, 47, no 124.

DOCUMENT DATATION LDM PUBLICATION

1 P. CG 24095 18e dynastie Chap. 30 – I. Munro, Die Totenbuch-Handschriften der(Thèbes) (Amenhotep II – 18. Dynastie im Ägyptischen Museum Cairo.

Thoutmosis IV) Text und Tafelband (ÄA 54), 1994, p. 180, pl. 57.

2 P. BM EA 9900 18e dynastie Chap. 30 – Photographs of the Papyrus of Nebseni in the(Memphis14) British Museum, 1876, pl. 4∞∞;

– E. Naville, Das aegyptische Todtenbuch der XVIII. bis XX. Dynastie aus verschiedenenUrkunden, I, 1886, pl. 137, Aa.

3 P. BM EA 9964 18e dynastie Chap. 30 – E. Naville, Todtenbuch, I, pl. 43, Ae.(Thèbes)

4 P. CG 2512 18e dynastie Chap. 125 – I. Munro, Die Totenbuch-Handschriften, p. 243,(provenance∞∞?) pl. 79.

5 Ouserhat (TT 51) 19e dynastie – – N. de G. Davies, Two Ramesside Tombs atThebes, Publications of the MMA. Robb dePeyster Tytus. Memorial Series V, 1927, pl. 13∞∞;– Chr. Seeber, Totengerichts, fig. 9.

6 Amennakht 19e dynastie Chap. 125 – B. Bruyère, Rapport sur les fouilles de Deir(TT 218) (Séthy Ier – el Médineh (1927) (FIFAO V), 1928, p. 59∞∞;

Ramsès II) – Photographie inédite de l’Ifao, no 73/2421.

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Tableau 1. Modèle 2 (C–D)

Trois des vignettes les plus anciennes, datées de la 18e dynastie, illustrent le chapitre 30du Livre des Morts (no 1-2-3), alors qu’une seule de cette époque est jointe au chapitre 125(no 4). À partir de la 19e dynastie, les représentations ne sont plus systématiquementaccompagnées par l’une des deux formules du Livre des Morts.

Il semble que la nature du support ait présidé au choix du décor. Les papyrus (no 1-4, 12)reproduisent ainsi fidèlement les chapitres 30 et 125. En revanche, dans quelques tombesthébaines (no 6-8), le scribe a privilégié les légendes que prononcent les dieux mettant envaleur le résultat bénéfique de la pesée. Dans d’autres cas, comme sur les cercueils et car-tonnages romains (no 13-14), les représentations sont dépourvues des deux formules.

4 H. GABER

15 M.J. Raven, De dodencultus van het Oude Egypte. Rijksmuseum van Oudheden, 1992, p. 36.

DOCUMENT DATATION LDM PUBLICATION

7 Nebenmaât 19e dynastie Chap. 125 – B. Bruyère, op. cit., p. 72∞∞;(TT 219) (Ramsès II) – Photographie inédite de l’Ifao, no 73/2416.

8 Qaha (TT 360) 19e dynastie Chap. 125 – B. Bruyère, Rapport sur les fouilles de Deir(Ramsès II) el Médineh (1930) (FIFAO VIII), 1933, pl. 29.

9 Amenmes (TT 9) 19e dynastie (détruit) – A. Wiedemann, «∞∞Tombs of the Nineteenth(Ramsès II) Dynasty at Dêr el-Medinet (Thebes)», PSBA 8

(1886), p. 229-230.

10 Nebounenef 19e dynastie (inédit) – Chr. Seeber, Totengerichts, p. 205.(TT 157) (Ramsès II)

11 P. Leyde T 2 19e dynastie – – C. Leemans, Aegyptische Hieroglyphische Lijk-(Thèbes15) papyrus (T 2) van het Nederlemdsche Museum

van Oudheden te Leyden, 1882, pl. 6-7, 21-22.

12 P. BM Époque Chap. 125, – M. Mosher, The Papyrus of Hor (BM EA 10479/6 ptolémaïque chap. 30 EA 10479) with Papyrus MacGregor∞∞: The Late(Akhmîm) Period Tradition at Akhmim, Catalogue of the

Books of Dead in the British Museum, II, 2001, pl. 2∞∞;– E.R. Russmann (éd.), Eternal Egypt. Master-works of Ancient Art from the British Museum,2001, p. 202-203, no cat. 105.

13 Cercueil de Époque – – D. Kurth, Der Sarg der Teüris. Eine StudieDidyme romaine zum Totenglauben im römerzeitlichen Ägypten(Zawyet el-Meïtin) (Aeg. Trev. 6), 1990, p. 33-34, pl. 5.

14 Cartonnage Époque – – Kl. Parlasca – H. Seemann (éd.), Augenblicke,(Meir) romaine Mumienporträts und ägyptische Grabkunst aus

römischer Zeit, 1999, p. 312, no cat. 206e.

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1.2. Le défunt et Maât∞∞: modèle 3 (D-M)

Plusieurs documents rassemblés par Chr. Seeber comprennent une variante de la peséeoù le défunt est examiné par rapport à Maât. Un exemple supplémentaire a été ajouté à cecorpus (no 6).

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16 Chr. Seeber, Totengerichts, p. 210∞∞; PM I/2, 662, no 1.17 Lors de sa description de ce papyrus, C. Leemans, Description raisonnée des monuments égyptiens du Musée d’Anti-

quités des Pays-Bas à Leide, 1840, p. 224-228, n’a pas indiqué sa provenance.18 PM I/2, p. 674, no 4.

DOCUMENT DATATION LDM PUBLICATION

1 Amenemipet 19e dynastie – – J. Assmann, Das Grab des Amenemope (TT 41)(TT 41) (Ramsès II) (Theben III), 1991, pl. 40, LVa.

2 Amenhotep 19e dynastie Chap. 125 – J.S. Karig, «∞∞Die Kultkammer des Amenhotep(Assiout) (Ramsès II) aus Deir Durunka∞∞», ZÄS 95 (1969), p. 31, fig. 2∞∞;

– Ägyptisches Museum Berlin, 1967, p. 75-76,no cat. 805, ill.∞∞;– A. Kamal, «∞∞Fouilles à Deir Dronka et à Assiout(1913-1914)∞∞», ASAE 16 (1916), p. 90-91.

3 Tjanéfer (TT 158) 20e dynastie Chap. 125 – K.C. Seele, The Tomb of Tjanefer at Thebes(Ramsès III) (OIP 86), 1959, pl. 31.

4 Pahemnétjer 19-20e –∞∞? – Chr. Seeber, Totengerichts, p. 208, no 36.dynastie (inédit)

5 P. BM EA 10541 21e dynastie –∞∞? – P. Le Page Renouf, «∞∞Book of the Dead. Chap-et P. Louvre Pq (inédit) ter CXXV∞∞», PSBA 17 (1895), p. 216-219, pl. 31∞∞;(Thèbes16) – Chr. Seeber, Totengerichts, p. 75, fig. 22∞∞;

– E.A.W. Budge, A Guide to the Egyptian Col-lections in the British Museum, 1909, pl. 1.

6 P. Leyde 7 21e dynastie Chap. 125 – A. Niwinski, Studies on the Illustrated Theban(Thèbes) Funerary Papyri of the 11th and 10th Centuries

B.C. (OBO 86), 1989, pl. 9b.

7 P. Leyde T 1 Époque – – P. Le Page Renouf, The Life-Work of Sir Peter (provenance∞∞?)17 ptolémaïque Le Page Renouf. Volume IV. The Book of the

Dead, 1907, pl. 35, fig. 14∞∞;– I. Myer, Oldest Books in the World. An Accountof the Religion, Wisdom, Philosophy, Ethics, Psy-chology, Manners, Proverbs, Sayings, Refine-ment, etc., of the Ancient Egyptians, 1900, pl. 19.

8 Sarcophage BM Époque – – V. Schmidt, Sarkofager, Mumiekister og mu-EA 6705 romaine miehylstre i det Gamle Ægypten. Typologisk (Thèbes18) Atlas, 1919, p. 229, fig. 1319∞∞;

– E.A.W. Budge, Guide to the First and SecondEgyptian Rooms, British Museum, 1904, pl. 25.

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1.3. Répartition spatio-temporelle des variantes

Le tableau suivant résume la chronologie des différentes attestations des variantes∞∞:

6 H. GABER

DOCUMENT DATATION LDM PUBLICATION

9 Sarcophage Berlin Époque –∞∞? – S. Morenz, «∞∞Anubis mit dem Schlüssel∞∞»,12442 romaine (inédit) Wissenschaftliche Zeitschrift der Karl-Marx-(provenance∞∞?) Universität Leipzig, Gesellschafts- und Sprach

wissenschaftliche Reihe 3/1 (1953-54), p. 127,fig. 1.

10 Tombe d’Akhmîm Époque – – Fr.W. Fr. von Bissing, «∞∞Tombeaux d’époqueromaine romaine à Akhmîm∞∞», ASAE 50 (1950), p. 547-

576, pl. 1.

18E DYNASTIE 19E–20E 21E DYNASTIE 22E–30E ÉPOQUE

DYNASTIES DYNASTIES PTOLÉMAIQUE

ET ROMAINE

Cœur / Maât modèle 1 (C-M) X X X X X

Cœur / défunt modèle 2 (C-D) X X – – X

Défunt (+ cœur) / Maâtmodèle 3 (D-M) – X X – X

Si la scène classique montrant l’évaluation du cœur (modèle 1) est attestée de manièrecontinue, les autres représentations (modèles 2 et 3) ont été particulièrement privilégiéesà une époque déterminée. À partir de la 18e dynastie, la pesée traditionnelle (modèle 1) etla confrontation entre le défunt et son cœur (modèle 2) apparaissent côte à côte. Pendantles 19e et 20e dynasties, une deuxième variante (modèle 3) enrichit le répertoire des scènesde psychostasie. Les trois types de représentations sont attestés à l’époque ptolémaïque etromaine.

De la 18e à la 21e dynastie, la majorité des scènes (modèles 2 et 3) provient de la régionthébaine. Le reste de la documentation témoigne toutefois de leur diffusion au-delà deThèbes∞∞: Memphis, Assiout.

Tableau 2. Modèle 3 (D–M)

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2. Première variante∞∞: le monologue du défunt (D) face à son cœur (C)

Les exemples les plus anciens de cette version illustrent le chapitre 30 du Livre desMorts (tableau 1, no 1-3) qui comprend un monologue du trépassé19. L’examen de la for-mule permettrait de mieux comprendre ce cas de figure opposant le mort à son cœur.

2.1. Qui pèse-t-on, le mort ou son cœur∞∞?

Dans la mesure où Maât disparaît de la balance (pl. I b), on peut s’interroger sur l’objetde la pesée∞∞: s’agit-il du défunt ou de son cœur∞∞? Selon Chr. Seeber, c'est l’homme quiserait pesé et le cœur assumerait en l'occurrence la fonction de Maât, indiquant ainsi lasituation du défunt par rapport à la norme éthique20.

Il me paraît toutefois difficile d’admettre cette suggestion qui assimile le cœur à Maâttout en reconnaissant l’individu comme l’objet de la pesée. Si l’homme était évalué sur labalance, il ne réciterait pas la «∞∞Formule pour empêcher que le cœur de N ne s’oppose à luidans la nécropole∞∞»21 (tableau 1, no 1-3, pl. I b). Cette requête du défunt ne se justifie guèreque par la pesée de son cœur.

L'analyse du chapitre 30B (tableau 1, no 3) repose notamment sur une phrase dontl’interprétation a été très discutée pour tenter de comprendre concrètement le procédé de l’examen du cœur face à l’homme. On proposera d’emblée une nouvelle lecture decette formule dans laquelle le mort s’adresse à son cœur∞∞: m ír rqw=k r=í m-bÌ íry mÌ.t(pl. II b).

Un long débat a porté sur la signification exacte du terme rqw. Comme ce mot est déter-miné par un ennemi, il a été traduit par «∞∞hostilité, opposition∞∞»22. A. Piankoff avait com-pris l’ensemble comme suit∞∞: «∞∞Ne te montre pas hostile à moi par devant le préposé de labalance∞∞»23. Plusieurs égyptologues ont à leur tour adopté cette traduction24.

D’un autre côté, se référant à l’évolution étymologique du terme copte rike / riki

«∞∞pencher, courber, tourner∞∞», A.H. Gardiner avait traduit rqw par «∞∞s’incliner∞∞» et toute laphrase du chapitre 30B par∞∞: «∞∞do not weigh heavy (lit. make thy inclination) against me in

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19 Par exemple, E. Naville, Todtenbuch, I, pl. 43, Ae (P. BM EA 9964)∞∞; traduction dans P. Barguet, Le Livre des Mortsdes anciens Égyptiens (LAPO 1), 1967, p. 75-76.

20 Chr. Seeber, Totengerichts, p. 81.21 E. Naville, op. cit., I, pl. 137, Aa.22 Wb. II, 156, 22-24∞∞; D. Meeks, AnLex 2, no 78.2448.23 A. Piankoff, Le «∞∞cœur∞∞» dans les textes égyptiens depuis l’Ancien jusqu’à la fin du Nouvel Empire, 1930, p. 81.24 C. Geisen, Die Totentexte des verschollenen Sarges der Königin Mentuhotep aus der 13. Dynastie. Ein Textzeuge aus

der Übergangszeit von den Sargtexten zum Totenbuch (SAT 8), 2004, p. 137∞∞; J. Assmann, op. cit., p. 167∞∞; B. Mathieu,«∞∞Le dialogue d’un homme avec son âme. Un débat d’idées dans l’Égypte ancienne∞∞», Égypte, Afrique & Orient 19 (2000),p. 21∞∞; M. Malaise, Les scarabées de cœur dans l’Égypte ancienne (MRE 4), 1978, p. 23-24, n. i∞∞; P. Barguet, op. cit., p. 76∞∞; A. Erman, La religion des Égyptiens (trad. de Henri Wild), 1937, p. 320-321∞∞; E.A.W. Budge, The Book of theDead. The Papyrus of Ani in the British Museum, 1967 [1ère éd., 1895], p. 258, 309.

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presence of the keeper of the scales∞∞»25. Cette interprétation a été retenue par d’autressavants26.

En fait, ces deux interprétations de rqw ne sont pas contradictoires mais plutôt complé-mentaires. Puisque le cas idéal de la justification du défunt implique l’équivalence entre lecœur et un étalon incarnant la justice, l’écart des deux plateaux de la balance pourrait êtreconçu comme un acte belliqueux∞∞; dans cette perspective, on suggérerait de traduire laphrase par «∞∞ne t’incline pas (hostilement) contre moi en présence du gardien de la balance(litt.∞∞: ne fais pas ton inclinaison / écart (hostile)∞∞».

Dans un exemple de la psychostasie (tableau 1, no 3) (pl. II b), c'est cette proposition quia été choisie pour introduire le chapitre 30, contrairement aux autres documents qui com-mencent traditionnellement par r n ∞∞: «∞∞Formule pour …∞∞». Elle y apparaît ainsi juste au-dessous de la vignette où le défunt et son cœur sont sur la balance (modèle 2). La présencede cette phrase à proximité de la représentation met en valeur le but de la scène∞∞: le souhaitdu mort adressé à son cœur afin que celui-ci ne provoque pas un «∞∞écart (hostile)∞∞» contre lui.

2.2. Quel est le rapport du défunt avec Maât∞∞?

Étant donné que, dans le modèle 2 (C-D), le cœur est pesé face à l’homme assis surl’autre plateau de la balance, l’effigie du défunt jouerait, comme on l’a montré plus haut, lerôle du poids étalon habituellement dévolu à Maât, à l’œil-oudjat27 ou à un simple poids,comme c’est le cas dans les papyrus de Iouya28 ou de Pennesettaouy29. Toutefois, on ignorela raison pour laquelle l’image du défunt s’est substituée à celle de la déesse de la justiceainsi que le rapport du mort avec cette divinité. Comme la vignette où sont figurés le défuntet son cœur illustre les chapitres 30 et 125 du Livre des Morts, l’examen de ceux-ci pour-rait fournir quelques éléments de réponse à ces questions.

La formule 30 suggère que les paroles du cœur doivent être en accord30 avec celles dumort, sans aucune référence à Maât qui n’est d’ailleurs nulle part mentionnée au cours du

8 H. GABER

25 A.H. Gardiner, Egyptian Grammar being an introduction to the study of hieroglyphs (Third edition, revised), 1969,p. 269, 578.

26 R. Grieshammer, Jenseitsgericht, p. 54-55∞∞; J.J. Clère, BIFAO 30 (1931), p. 432-433∞∞; G. Nagel, «∞∞Un papyrus funé-raire de la fin du Nouvel Empire [Louvre 3292 (Inv.)]∞∞», BIFAO 29 (1929), p. 33, n. 3∞∞; E. Hornung, Das Totenbuch derÄgypter, 1979, p. 96∞∞; T.G. Allen, The Book of the Dead or Going Forth by Day (SAOC 37), 1974, p. 40∞∞; H. Junker, Pyra-midenzeit. Das Wesen der altägyptischen Religion, 1949, p. 100∞∞; J.-L. de Cenival, Le Livre pour sortir le jour. Le Livre desMorts des anciens Égyptiens, 1992, p. 47∞∞; P. Montet, La vie quotidienne au temps des Ramsès, 1946, p. 305∞∞; Z.I. Fabian,«∞∞Heart-Chapters in the context of the Book of the Dead∞∞», dans∞∞: S. Schoske (éd.), Akten des vierten internationalen Ägyp-tologen Kongress München 1985 (SAK Beihefte 3), 1989, p. 258∞∞; E. Brunner-Traut, ∞∞»∞∞Der Skarabäus∞∞», Antaios 6 (1965),p. 571.

27 Ph. Derchain, loc. cit.28 Th.M. Davis, loc. cit.29 Chr. Seeber, Totengerichts, p. 161, fig. 60.30 Selon ibid., p. 76-77, dans un cas de jugement idéal, l’homme, son cœur et Maât sont en harmonie.

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monologue du défunt. Dans le chapitre 125, deux passages toutefois permettent d’expliquerle rapport entre le défunt et Maât.

Texte 131

En s’adressant à Osiris, le défunt dit∞∞:

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31 E.A.W. Budge, The Book of the Dead. The Chapters of Coming Forth by Day, 1898, p. 249 (P. Nou). 32 J. Spiegel, op. cit., p. 63, n. 1.33 Ibid., p. 63-66 et spéc. p. 66∞∞: «∞∞Das Bild, das in der Vignette zum 30. Kap. sonst dadurch vereinfacht ist, daß der

Tote mit dem Symbol der Gerechtigkeit verschmolzen und auf der Wage seinem Herzen unmittelbar gegenübergesetztwird, …∞∞».

34 Je tiens ici à remercier vivement Marc Gabolde pour ses notes, qu’il m’a communiquées avant la parution de sonarticle, «∞∞Une interprétation alternative de la “pesée du cœur” du Livre des Morts∞∞», Égypte, Afrique & Orient 43 (2006),p. 19.

35 A. Piankoff, op. cit., p. 82, estime que le texte suivant véhicule une idée de pureté morale et physique. 36 E.A.W. Budge, op. cit., p. 262 (P. Nou).37 Ph. Derchain, «∞∞Anthropologie. Égypte pharaonique∞∞», dans∞∞: Dictionnaire des mythologies et des sociétés tradition-

nelles et du monde antique, 1981, p. 47.

ín~n=í n=k M¨.t «∞∞Je t’ai apporté Maât,dr~n=í n=k ísf.t j’ai chassé pour toi l’iniquité∞∞».

D’après ce texte et la confession négative32 du défunt, ce dernier intervient pendant lejugement en tant que représentant universel de sa communauté et de Maât33, se faisant ainsison propre juge34.

Outre les déclarations du défunt destinées à prouver sa rectitude, celui-ci emploie unautre moyen, purement rituel35, qui sert le même but∞∞; dans la formule 125, le mort recon-naît ses membres, alternativement, comme «∞∞purs∞∞» et «∞∞justes∞∞»∞∞:

Texte 236∞∞:

ír~n=í M¨.t n nb M¨.t «∞∞Si j’ai accompli Maât, c'est pour le seigneur de Maât.íw=í w¨b=kwí Je suis pur,Ì.t=í m w¨b ma face est purifiée,pÌwy=í twr(=w) mon derrière est pur,Ìr-íb=í m sdy.t M¨.t mon torse est dans le domaine de Maât,nn ¨.t ím=í sw.t m M¨.t il n’y a pas en moi de membre exempt de Maât∞∞».

Dans la mesure où la figure du défunt sur le plateau de la balance accompagne parfois sondiscours (chapitre 125∞∞: tableau 1, no 4, 12) insistant sur sa soumission «∞∞morale∞∞» et«∞∞rituelle∞∞» aux principes de Maât, on peut admettre que l’effigie du mort traduit son imageidéale, conforme à la justice. Face à cette figure de l’individu, qui s’affiche dans «∞∞l’instant∞∞»,son cœur est pesé en tant que représentant de la «∞∞mémoire∞∞»37 et du vécu concret du trépassé.

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3. Deuxième variante (modèle 3)∞∞: la figure du mort (D) face à Maât (M)

3.1. Le défunt assume-t-il deux fonctions opposées selon sa position sur la balance faceà son cœur (modèle 2) ou à Maât (modèle 3)∞∞?

Si on reconnaît en «∞∞l’homme∞∞» son portrait idéal conforme à la justice, face auquel lecœur est pesé (modèle 2), on peut se demander pour quelle raison, dans d’autres scènes,l’effigie du défunt ou son ombre doit être examinée par rapport à l’emblème de Maât(modèle 3). Avant de répondre à cette question, on tentera d’abord de comprendre pourquoile cœur cède la place, sur le plateau de la balance, au défunt qui est évalué face à la déessede la justice.

Selon Chr. Seeber, la figuration de l’homme sur le plateau représente la personnalité del’homme examinée devant la norme universelle éthique de Maât38. Toutefois, l’objectifrecherché par la présence du défunt au détriment de son cœur demeure inexpliqué.

Éliminé de la balance, le cœur pourrait éventuellement être «∞∞incorporé∞∞» dans l’effigiedu défunt. L’image de l’homme se réfèrerait non seulement au corps, mais aussi au cœur,ce qui expliquerait l’absence de cet organe sur la balance. Dans une tombe d’Assiout(tableau 2, no 2), les inscriptions qui accompagnent la scène de psychostasie peuvent cor-roborer cette hypothèse∞∞; après que l’effigie d’Amenhotep a été évaluée face à Maât, Thots’adressant à Osiris ordonne qu’on rende son cœur au mort (pl. II c)∞∞:

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38 Chr. Seeber, Totengerichts, p. 77.39 À propos de cette expression, voir ibid., p. 111, n. 443, p. 170.40 Chr. Seeber, Totengerichts, p. 95, a traduit ce passage par «∞∞es werde ihm gegeben sein Herz von seiner Mutter her,

sein Herz von jeglicher Beschaffenheit∞∞». J.S. Karig, «∞∞Die Kultkammer des Amenhotep aus Deir Durunka∞∞», ZÄS 95 (1969),p. 32, avait suggéré une autre traduction «∞∞gegeben sei ihm sein Herz seiner Mutter, sein Herz von…∞∞». Des raisons diversesrendent la lecture de Chr. Seeber peu certaine. D’abord, sur le dessin de cette scène publié par J.S. Karig, op. cit., p. 31, fig.2 (voir pl. V), on voit wnn et wn∂w.t (wnn ne fait pas partie de wn∂w.t∞∞; cf. Wb. I, 326), qu’on peut traduire par «∞∞Beschaf-fenheit∞∞». Ensuite, ce n’est pas nb «∞∞jeglicher∞∞» qui suit wn∂w.t, mais le pronom suffixe =k. Enfin, la reproduction et la trans-cription de ce texte, respectivement par J.S. Karig et A. Kamal, diffèrent et sont par conséquent peu fiables. Sur le dessindonné par J.S. Karig, loc. cit., les groupes wnn et wn∂w.t semblent faire partie de l’inscription qui accompagne la psycho-stasie. En revanche, le même texte transcrit par A. Kamal, «∞∞Fouilles à Deir Dronka et à Assiout∞∞», ASAE 16 (1916), p. 90,semble servir de légende à la figure d’Osiris représentée sur le registre supérieur de la paroi, à côté de la pesée du cœur∞∞;l’égyptologue a ici choisi de considérer que l’inscription surmontant la psychostasie s’arrête à Ìty=f n, sans inclure lestermes wnn et wn∂w.t. Au contraire de la scène publiée par J.S. Karig où aucun signe disparu n'est signalé, la transcriptiondonnée par A. Kamal laisse apparaître deux cadrats détruits. L’incohérence de ces deux publications reproduisant pourtant lemême texte ne permet de connaître ni l’emplacement exact de wnn et wn∂w.t, ni leur état de conservation originel. Il est doncplus prudent de ne pas rattacher ces derniers termes à la scène de la psychostasie, comme l’a fait J.S. Karig, loc. cit.

∂d mdw ín ΔÌwty «∞∞Paroles à dire par Thot, nb mdw.t-n†r nb M¨.t le seigneur des paroles divines, le seigneur de Maât.¨m ísf.t ¨nÌ=f m M¨.t Le mal est englouti39, il vit de Maât.dí=tw n=f íb=f n mw.t=f Qu’on lui rende son cœur, (celui) de sa mère,Ìty=f n… son cœur de …40∞∞».

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Dans la sépulture d’Amenhotep, étant donné que ce discours surmonte une représentationqui oppose sur la balance l’«∞∞homme∞∞» à la déesse de la justice41 (modèle 3 [D-M]), onpeut déduire que le cœur de cette personne a été contrôlé conjointement à son corps quioccupe un des deux plateaux.

L’examen de l’image du défunt ou de sa momie42 – qui inclut son cœur –, par rapport à la déesse de la justice (modèle 3 [D-M]) pourrait être l’expression d’une idée élaborée à la18e dynastie et adoptée dans l’iconographie de la 21e dynastie. À partir de la 18e dynastie,après que cet organe a été confronté à Maât (modèle 1 [C-M]), on confère au mort la justifi-cation, non seulement du cœur, mais aussi de la bouche et des yeux43. Pendant la 21e dynas-tie, les nombreuses scènes représentant le cœur du mort, sa bouche et ses yeux superposés surun des plateaux et évalués en fonction de Maât44 (modèle 1 [C-M]), donnent plus d’étendueà l’examen qui, outre le cœur, englobe les autres membres du corps. Pendant la 19e dynastieet jusqu’à l’époque tardive, l’effigie du défunt ou son ombre (modèle 3 [D-M]), qui n’estautre que sa momie, pourrait donc évoquer le développement de l’évaluation du mort, donttous les membres sont alors rassemblés et contrôlés devant l’emblème de la justice.

En résumé, à partir de la 19e dynastie, la représentation sur l’un des plateaux de labalance des organes du défunt ou son corps tout entier (modèle 3 [D-M]), face à Maât figu-rée sur l’autre, constituerait deux modes d’expression d’une seule et même conception∞∞:l’extension du contrôle du mort, au-delà de son cœur mais sans exclure ce dernier, par lafiguration des différentes parties du corps, séparées ou réunies.

En conclusion, les deux scènes confrontées (modèles 2 [C-D] et 3 [D-M]) ont permisd’élucider la question initiale, à savoir le rôle joué par l’image du mort placée sur un pla-teau. Incarnant l’idéal de la justice lorsqu’elle est confrontée au cœur (modèle 2 [C-D]),l’effigie du défunt ne revêt pas la même signification dans son rapport à Maât (modèle 3[D-M]). Dans ce dernier cas, la figure du trépassé ou sa momie sont le support de son cœuret des parties de son corps, dont l’innocence est examinée devant l’emblème de la vérité.

Résumé / Abstract

La présente contribution est consacrée à deux variantes de la célèbre scène de la pesée du cœurdont il s’agit de déterminer la portée sémantique au sein des conceptions religieuses égyptiennes.Dans la première, l’effigie du défunt se substitue à Maât sur la balance, face au cœur du mort occu-pant l’autre plateau. La seconde montre, chacun sur un plateau, l’image du trépassé et Maât. La

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41 Chr. Seeber, Totengerichts, p. 93-96.42 Celle-ci est représentée comme une ombre noire, B. George, op. cit., p. 100-103.43 Chr. Seeber, Totengerichts, p. 79, no 294, p. 80, 111, no 447, 448.44 Ibid., p. 80.

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comparaison de ces deux vignettes avec certains passages des chapitres 125 et 30 du Livre desMorts permet d'élucider le jeu des variantes∞∞: l’image du mort ne revêt pas la même significationdans les deux cas. Dans la première scène, l’effigie du défunt, lorsqu’elle est confrontée au cœur,incarne l’idéal de la justice∞∞; dans la seconde variante, l’image du mort inclut son cœur et les autresmembres de son corps, l’ensemble étant évalué devant l’emblème de Maât.

This article focuses on two variants of the famous scene of the heart’s weighting and discussestheir significance in the Egyptian religious conceptions. In the first one, the image of the deceasedreplaces Maat in the balance, facing the deceased heart on the other side. The second variant showsthe image of the dead in front of Maat’s figure in the two pans. The comparison of the two variantswith some passages of chapters 125 and 30 of the Book of the Dead is instrumental in clarifying thesignificance of the two variants∞∞: the image of the deceased has not the same meaning in the twocases. The figure of the dead, confronted to the heart, represents the ideal of the justice in the firstvariant, whereas the image of the person in the second variant contains his heart and the other mem-bers of his body, which are assessed before Maat’s sign to know if the deceased performed the jus-tice principle (Maat) during his life.

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H. Gaber, Deux variantes de la scène de la psychostasie (LdM 30 et 125).

REVUE D'ÉGYPTOLOGIE t. 60 (2009) PL. I

a. Papyrus de Hounéfer (P. BM 9901). D’après Nefertari. Luce d’Egitto, cat. exp. Palazzo Ruspoli, Roma,6 oct. 1994 – 19 févr. 1995, Rome, 1994, p. 177, no cat. 45.

b. Papyrus de Nebsény (P. BM 9900). D’après E. Naville, Todtenbuch, I, pl. XLIII, Aa.

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H. Gaber, Deux variantes de la scène de la psychostasie (LdM 30 et 125).

REVUE D'ÉGYPTOLOGIE t. 60 (2009) PL. II

a. Amenemope (TT 41). D’aprèsChr. Seeber, Totengerichts, p. 141, fig. 51.

b. Papyrus de Nebamon (P. BM 9964), chapitre 30B.Représentation d’après E. Naville, Todtenbuch, I, pl. XLIII,

Ae∞∞; textes d’après ibid., II, pl. 98, Aa et Ae.

c. Tombe d’Amenhotep (Assiout). D’après J.S. Karig, ZÄS 95 (1969), p. 31, fig. 2.

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