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Georg Lukács Préface à l’édition italienne de "Contributions à l’histoire de l’Esthétique" Traduction de Jean-Pierre Morbois Ce texte est la traduction du texte de Georg Lukács : Vorwort zur italienischen Ausgabe der Beiträge zur Geschichte der Ästhetik. Il occupe les pages 643 à 645 du recueil Schriften zur Ideologie und Politik [Écrits sur l’idéologie et la politique] (Luchterhand, Neuwied und Berlin, 1967). Il a été publié pour la première fois en italien sous le titre Prefazione, in Contributi alla storia dell’estetica, Milan, Feltrinelli, 1957. Le texte publié par Luchterhand est celui de la version allemande fournie par Lukacs. Il était jusqu’à présent inédit en français. Depuis 1954, date de parution de ce livre en langue allemande et hongroise, il s’est passé beaucoup de choses, y compris dans le monde de la théorie marxiste 1 . Si l’auteur avait été d’avis que ces évènements affectaient ses développements, il n’aurait pas proposé son livre au public italien ; tout au moins pas sous une forme inchangée. En ce qui concerne le mode d’exposition, il faut assurément dire qu’un auteur marxiste dans les époques passées devait consentir à maints compromis pour pouvoir publier en général 1 Lukács fait allusion au XX e congrès du PCUS du 14 au 25 février 1956. NdT.

Georg Lukács. Préface à l'Édition Italienne de Contributions à l'Histoire de l'Esthétique

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Ce texte est la traduction du texte de Georg Lukács : Vorwort zur italienischen Ausgabe der Beiträge zur Geschichte der Ästhetik.Il occupe les pages 643 à 645 du recueil Schriften zur Ideologie und Politik [Écrits sur l’idéologie et la politique] (Luchterhand, Neuwied und Berlin, 1967).

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  • Georg Lukcs

    Prface ldition italienne de "Contributions lhistoire de lEsthtique"

    Traduction de Jean-Pierre Morbois

    Ce texte est la traduction du texte de Georg Lukcs : Vorwort zur italienischen Ausgabe der Beitrge zur Geschichte der sthetik. Il occupe les pages 643 645 du recueil Schriften zur Ideologie und Politik [crits sur lidologie et la politique] (Luchterhand, Neuwied und Berlin, 1967). Il a t publi pour la premire fois en italien sous le titre Prefazione, in Contributi alla storia dellestetica, Milan, Feltrinelli, 1957. Le texte publi par Luchterhand est celui de la version allemande fournie par Lukacs. Il tait jusqu prsent indit en franais.

    Depuis 1954, date de parution de ce livre en langue allemande et hongroise, il sest pass beaucoup de choses, y compris dans le monde de la thorie marxiste 1. Si lauteur avait t davis que ces vnements affectaient ses dveloppements, il naurait pas propos son livre au public italien ; tout au moins pas sous une forme inchange. En ce qui concerne le mode dexposition, il faut assurment dire quun auteur marxiste dans les poques passes devait consentir maints compromis pour pouvoir publier en gnral

    1 Lukcs fait allusion au XXe congrs du PCUS du 14 au 25 fvrier 1956. NdT.

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    et exercer son activit. (Je ne parle absolument pas de ceux qui ont fait des concessions sur des questions concrtes.) De tels compromis tournent autour de la personne et de luvre de Staline. La dernire tude de ce livre traite de lessai de Staline sur la linguistique 2 . Le lecteur attentif remarquera aisment que mon rapport 3 contredit directement ou tout au moins corrige de manire dcisive les dveloppements de Staline sur deux points importants. Selon Staline, la superstructure ne peut jamais tre appuye que sur une base dtermine ; mes dveloppements partent en revanche de ce quune superstructure peut aussi attaquer la base existante, quelle peut mme tendre la dcomposer, la dmolir. Staline dit deuximement quavec la disparition de la base, cest toute la superstructure qui doit aussi disparatre ; je cherche en revanche dmontrer que le destin danantissement ne concerne pas du tout lensemble de la superstructure. Dans les circonstances dans lesquelles ce rapport tait tenu et publi, cette polmique contre Staline ne pouvait tre exprime que sous la forme dune interprtation. Et je peux encore parler de chance que ma mascarade thorique impose par la ncessit ait russi, que la critique cache nait pas t dmasque comme telle. Sur les citations protocolaires de Staline, je ne veux pas perdre du temps par trop de paroles. Je me suis toujours efforc de les rduire au strict minimum ncessaire, et me limiter citer celles qui sont justes mme si elles taient souvent connues longtemps avant Staline (ainsi lhistoire du combat entre le neuf et lancien).

    2 J. Staline, le marxisme et les problmes de linguistique, Moscou, ditions et

    langues trangres, 1952. NdT. 3 Literatur und Kunst als berbau [Littrature et art comme superstructure],

    rapport tenu lacadmie hongroise des sciences le 29 juin 1951, in Beitrge zur Geschichte der sthetik, Berlin, Aufbau-Verlag, 1956, pp. 404-427. NdT.

  • PRFACE LDITION ITALIENNE DE CONTRIBUTIONS LHISTOIRE DE LESTHTIQUE

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    Maintenant, si je ne retranche pourtant pas ces passages de mes anciens essais ce qui ne serait pas trop difficile raliser je ne le fais pas dun ct parce quune telle ambiance historique fait partie des conditions de gense de ces essais et que je nai pas lobjectif de les moderniser . Dun autre ct, la discussion sur luvre et la place historique de Staline nest pas du tout close, et mme, en ce qui concerne les questions factuelles et mthodologiques, elle a de manire scientifique peine commenc. Cette prface nest naturellement pas le lieu dentamer un tant soit peu cette question importante pour ltape actuelle dvolution du marxisme. Je pense seulement de mon devoir de dire ouvertement que je ne peux, ni me dclarer daccord avec ceux qui voudraient faire de lactivit de Staline un roman policier sensation, afin, laide dune telle story , par une identification acritique de son uvre la doctrine des classiques du marxisme, compromettre cette doctrine, obtenir sa rvision, ni avec ceux qui pensent que le temps dune nouvelle canonisation de Staline, de sa pleine restauration lexception de quelques erreurs isoles serait revenu. Staline est sans conteste un des personnages les plus minents du mouvement ouvrier rvolutionnaire rcent ; sa personnalit, le systme de ses conceptions, de ses vertus et de ses dfauts, de ses dcouvertes et de ses erreurs, a pendant longtemps dtermin son volution pour le meilleur et pour le pire et le dtermine encore aujourdhui. Des phnomnes importants de ce type, le mouvement ouvrier rvolutionnaire en connat peu. Il suffit titre dexemple, non exhaustif de se rfrer Proudhon et Bakounine, Blanqui et Lassalle, Kautsky et Rosa Luxemburg. Naturellement, il sagit dans tous ces cas dcarts tout faits diffrents par rapport la mthode et la doctrine du vrai marxisme. Chaque cas doit donc tre tudi sparment. Le principe unificateur consiste simplement en ce

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    que tous ont t des personnalits importantes, influentes pendant de longues priodes. Ce nest que lorsque la recherche marxiste sera parvenue aussi, en ce qui concerne Staline, un jugement historique juste, ce nest que lorsque le systme de ses erreurs aura t dcouvert, surmont, rang au pass historique du marxisme actif, que lon pourra noncer une formulation pertinente sur ce quil y a de vivant et de mort dans son systme. Comme ceci ne sest pas produit jusqu prsent, je tiens pour prmatur de rlaborer mes anciens essais du point de vue de cet ensemble de problmes. Mais je me sens oblig de faire tout au moins part aux lecteurs, cette occasion, de lesquisse de mes vues.