MELANIE MILBURNE

Fiancéeà un séducteur

Fiancée à un séducteur

MELANIE MILBURNE

Traduction française deSYLVIE CALMELS-ROUFFET

HARPERCOLLINS FRANCE83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75646 PARIS CEDEX 13Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47

www.harlequin.fr

ISBN 978-2-2803-6880-3 — ISSN 0993-4448

Titre original :UNWRAPPING HIS CONVENIENT FIANCÉE

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Collection : Azur

© 2016, Melanie Milburne.© 2017, HarperCollins France pour la traduction française.

Ce livre est publié avec l’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A.

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sous quelque forme que ce soit.Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, des événements ou des lieux, serait une pure coïncidence.

Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :

Femme : © GETTY IMAGES/EYEEM/ROYALTY FREE

Tous droits réservés.

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1.

L’estomac noué, Violet regardait fixement le carton rouge et or. L’invitation qu’elle redoutait tant. La fête de Noël du bureau.

Cela faisait dix ans qu’elle y allait seule. Dix ans ! Et chaque année, c’était le même supplice — les regards en coin des collègues de travail et les « Alors, toujours pas de petit ami ? »

Mais il y avait plus angoissant encore : se retrouver dans une salle surpeuplée au milieu de corps se pressant autour d’elle au point qu’elle pourrait à peine respirer.

Des corps d’hommes.Des corps tellement plus grands, plus lourds et plus

forts que le sien. Surtout quand ils étaient ivres…Elle refoula ce souvenir. Ces derniers temps, elle pensait

rarement à cette soirée. Elle était presque arrivée à faire la paix avec elle-même, à se sentir moins coupable, même si la honte était toujours là, sombre et amère, tapie au fond de son cœur. À bientôt trente ans, il était temps de tourner la page, de laisser le passé derrière elle une bonne fois pour toutes et d’aller de l’avant. Alors cette année, elle irait à cette fichue fête de Noël sans trembler, la tête haute.

Le cabinet d’expertise comptable pour lequel elle travaillait était l’un des plus importants de la place finan-cière de Londres, et la fastueuse réception qu’il organisait à Noël constituait l’un des événements de l’année. La fête était costumée, un orchestre assurait  l’ambiance

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jusqu’à l’aube, et le champagne coulait à flots autour d’un somptueux buffet. Cette année, la soirée avait pour thème Stars de Hollywood. Thème que tous les membres du cabinet se devaient de respecter, histoire de manifester leur esprit d’équipe indéfectible. Violet allait donc devoir se dénicher une tenue glamour pour jouer les femmes fatales. Ce qui constituait déjà en soi un sérieux défi, car elle détestait attirer l’attention.

Avec un soupir, elle glissa le carton d’invitation entre les pages de son roman et balaya le café du regard.

Comme d’habitude, elle était la seule femme céli-bataire de la salle. Même à l’heure du déjeuner, toutes étaient accompagnées. Près de la baie vitrée, un couple d’octogénaires se tenait les mains. Ses parents dans une trentaine d’années, songea-t-elle tendrement. Aussi amou-reux qu’au premier jour. Comme l’étaient ses trois frères et sœurs avec leurs merveilleux conjoints, construisant leur avenir ensemble, fondant leurs propres familles.

Elle les avait vus tomber amoureux les uns après les autres et se marier. D’abord, le trépidant Fraser, puis l’énergique Rose et enfin la douce Lily. Elle avait été leur demoiselle d’honneur à tous. Trois fois ! Toujours au premier rang des spectateurs pour voir se dérouler une belle histoire d’amour, mais jamais sur scène.

Pourquoi, mais pourquoi ne trouvait-elle pas l’âme sœur ? C’était quoi, son problème ?

Il y avait bien des hommes qui l’invitaient de temps en temps à sortir, mais ça n’allait jamais au-delà de deux ou trois rendez-vous. Évidemment, sa timidité naturelle ne facilitait pas la conversation, et elle n’avait aucun talent pour le flirt. Enfin, si… Quand elle avait bu quelques verres. Mais ça, c’était une erreur qu’elle ne répéterait pas. Plus question de coucher avec le premier venu simplement parce qu’elle était trop soûle pour dire non ou parce que le moment était venu de perdre sa virginité. Ce qu’elle voulait, c’était être bouleversée, séduite par un homme. Frissonner sous ses caresses. Fondre sous son regard.

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Trembler de plaisir quand ses lèvres s’empareraient de sa bouche.

Non pas qu’elle eût une grande expérience dans l’art du baiser. Elle ne se rappelait même pas à quand remontait la dernière fois où un homme l’avait embrassée. Vraiment embrassée. Naturellement, les bises sur la joue de son père, de son frère ou de son grand-père ne comptaient pas.

En fait, elle était carrément nulle au jeu de la séduc-tion. Nulle, nulle et archinulle. À ce rythme-là, elle était partie pour finir vieille fille.

— Cette chaise est prise ?Violet releva la tête. Un léger frisson descendit le

long de son dos lorsqu’elle rencontra le regard d’un bleu intense du meilleur ami de son frère aîné.

— Cam ?Sa voix avait monté dans les aigus, une sorte de couine-

ment désagréable — fâcheuse habitude dont elle n’avait pu se défaire depuis sa première rencontre avec Cameron McKinnon. C’était l’été de ses seize ans, et Fraser avait invité son camarade d’université à Drummond Brae, leur propriété familiale dans les Highlands.

— Que fais-tu ici ? Comment vas-tu ? Fraser m’a dit que tu étais parti t’installer en Grèce pour superviser la construction du yacht d’un type richissime. Ça s’est bien passé ? Depuis quand es-tu rentré ?

Tais-toi ! Mais tais-toi donc !Dès qu’elle se trouvait avec Cameron McKinnon,

elle parlait trop. Elle se mettait à jacasser comme une godiche. Il n’était pourtant pas intimidant. Il était poli, un peu distant, certes, mais elle le connaissait depuis suffisamment longtemps pour ne pas se laisser troubler.

Pourtant, elle était bel et bien troublée !Quand il s’assit face à elle, leurs genoux se heurtèrent

sous la table. À ce simple contact, elle sentit une douce chaleur l’envahir et gagner une partie de son anatomie qui n’avait pas lieu de s’embraser ainsi ! Cameron McKinnon

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n’était pas pour elle. C’était une cause perdue. Elle le savait depuis longtemps.

— J’avais une réunion d’affaires dans le coin, expliqua-t-il. En passant devant le café, je me suis souvenu que tu me l’avais conseillé, alors je suis entré. Je suis de retour à Londres depuis quelques jours seulement. Pour assister au remariage de mon père.

— Encore ? s’exclama Violet, sidérée. C’est la troi-sième ou la quatrième fois ?

Cam grimaça.— La cinquième. Et il y a un bébé en route, ce qui

porte le nombre de mes demi-frères et sœurs à six. Sans compter mes sept frères et sœurs par alliance. Nous sommes quatorze en tout.

Avec seulement quatre neveux et nièces, Violet avait déjà du mal à gérer. Alors elle peinait à imaginer pareille famille !

— Comment fais-tu pour ne pas rater leurs anni-versaires ?

— J’ai mis en place un système de virements auto-matiques.

— Bonne idée, fit-elle en riant. Je devrais peut-être en faire autant.

Baissant les yeux sur son café sans sucre, elle s’affaira à le remuer avec application, pour se donner une contenance.

Dès qu’elle était avec Cam — ce qui arrivait rarement — elle se sentait empruntée. Sans le vouloir, son regard dériva vers sa bouche — autre habitude fâcheuse dont elle n’avait toujours pas réussi à se débarrasser. Elle avait beau s’en défendre, ses lèvres tout à la fois viriles et sensuelles l’amenaient systématiquement à fantasmer sur des baisers langoureux.

Ils ne s’étaient pourtant jamais embrassés. Rien d’éton-nant. Les gars comme lui n’embrassaient pas les filles comme elle. Elle était trop normale. Tout le contraire des femmes avec lesquelles Cam avait l’habitude de sortir

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— des femmes splendides, sophistiquées et sexy, qui ne viraient pas à l’écarlate dès qu’on leur adressait la parole.

— Et toi, Violet, comment vas-tu ?— Hum… Bien, marmonna-t-elle avec une conscience

aiguë de la chaleur qui lui montait aux joues.Faisait-il partie des gens qui, en la voyant, pensaient

au vieil adage : « Trois fois demoiselle d’honneur, vieille fille à jamais » ?

— Seulement bien, Violet ?Il la regardait avec gravité, l’air attentif, comme si en

cet instant elle seule comptait. C’était une qualité qu’elle appréciait chez lui — parmi des milliers d’autres —, il savait écouter. Elle se disait parfois que sa vie aurait pu tourner autrement, si elle avait pu se confier à lui après cette malheureuse fête d’étudiants lors de sa première année d’université.

Elle se força à afficher son habituel sourire tout-baigne-pour-moi.

— Je vais très bien. Juste un peu bousculée, entre le travail et les courses de Noël. Comme toi, j’imagine. Je dois penser aux cadeaux de mes neveux. Sais-tu que Lily et Cooper attendent un bébé ? Tu as reçu l’invitation de maman à venir fêter Noël avec nous à Drummond Brae ? Les médecins pensent que c’est le dernier Noël de grand-père, alors nous nous sommes tous arrangés pour être là-bas avec lui.

Cam esquissa un sourire triste.— Malheureusement, mon père n’a rien trouvé de

mieux que de choisir la veille de Noël pour se marier.— Ça se passe où ?— Ici, à Londres.— Tu pourrais nous rejoindre après. À moins que tu

n’aies d’autres engagements.Avec une petite amie, par exemple.Il en avait sûrement une. Les gars comme lui avaient

toutes les filles à leurs pieds. Il était trop beau, trop riche, trop intelligent, trop sexy. Trop tout. Cela dit,  il était

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extrêmement secret concernant sa vie privée. Si secret que Violet se demandait parfois s’il n’avait pas une amante cachée quelque part.

— Je verrai, dit-il avec un léger haussement d’épaules. Ma mère va peut-être me demander de passer chez elle, maintenant qu’elle est seule. Son troisième mari l’a quittée.

— Mince ! Je croyais qu’elle était folle de lui. Elle doit être très malheureuse.

Cam lâcha un soupir.— Pas vraiment. Il buvait. Beaucoup. Mais je ne

m’inquiète pas. D’ici quelques mois, elle se sera déniché un nouvel époux.

— Oh !L’histoire familiale des McKinnon était une véritable

épopée. Cam avait six ans quand ses parents avaient divorcé avec fracas. Ils s’étaient ensuite remariés à plusieurs reprises, chacun de leur côté. Ballotté d’une nouvelle famille à l’autre, il avait été envoyé en internat dès l’âge de huit ans. Violet l’imaginait sans peine, petit garçon studieux, calme et observateur, ne faisant jamais d’histoires. Il était encore ainsi. Lors des mariages, baptêmes et autres rassemblements familiaux, il restait en retrait, un verre à la main qu’il buvait lentement, observant la scène de ses yeux d’un bleu aussi sombre que le saphir.

Une serveuse s’approcha pour prendre sa commande avec un sourire qui ne disait pas seulement : « Bonjour monsieur, qu’est-ce que je vous sers ? » Mais aussi : « Je vous donne mon numéro de téléphone ? »

Violet s’efforça d’ignorer la pointe de jalousie qui la traversait, totalement injustifiée. Cam pouvait bien flirter avec qui il voulait et décrocher un rencard avec la serveuse, ça ne la regardait pas. Même s’il y avait des années qu’elle venait ici et que jamais personne ne lui avait demandé son numéro de téléphone.

— Un autre café pour toi ? demanda Cam en se tournant vers elle.

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— Non merci. J’ai terminé.— Alors, ce sera juste un expresso, dit-il à l’adresse

de la serveuse avec un sourire poli.Comme la jeune femme s’éloignait, Violet ne put

s’empêcher de rire.— Craa… ac.— Pardon ? fit Cam en fronçant les sourcils.— Tu n’as pas entendu le cœur de cette fille se briser ?Il parut perplexe, l’espace d’un instant, puis légèrement

contrarié.— Ce n’est pas mon type.— C’est quoi, ton type ?Bon sang ! Mais pourquoi lui demandait-elle un truc

pareil ?Le pli entre les sourcils bruns de Cam se creusa.— J’ai été bien trop occupé ces derniers temps pour

m’intéresser à qui que ce soit.Son téléphone portable posé sur la table bipa, signa-

lant l’arrivée d’un texto. Il y jeta un coup d’œil avant de l’éteindre, les mâchoires crispées.

— Un problème ?— Non, rien d’important.Comme le téléphone bipait de nouveau, il le mit en

mode silencieux et le glissa dans la poche intérieure de sa veste, tandis que la serveuse posait un café devant lui en tentant un dernier sourire charmeur. Sans succès.

Il attendit qu’elle se soit éloignée pour reprendre la parole :

— Alors, comment ça se passe au boulot, Violet ?Elle baissa les yeux sur le carton d’invitation qui

dépassait de son livre. Était-ce un effet de son imagination ou bien était-il aussi voyant qu’un phare en pleine nuit ?

Subrepticement, elle le repoussa entre les pages.— Bien…Cam avait suivi son regard.— Qu’est-ce que c’est ?— Oh ! rien… Une invitation.

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— Une invitation à ?Violet aurait juré que ses joues étaient aussi rouges

que les enluminures sur le carton.— La soirée de Noël du bureau.— Tu y vas ?N’osant croiser le regard de Cam, elle opta pour

l’examen du sucrier. Incroyable, la variété de sucres artificiels sur le marché !

— Je suis plus ou moins obligée. Pour la cohésion de l’entreprise, l’esprit d’équipe, ce genre de trucs.

— Tu n’as pas l’air emballée.Elle haussa les épaules.— Oh ! moi, tu sais, faire la fête… Je ne suis pas

très douée pour ça.Sa première et unique tentative s’était achevée dans

un brouillard de culpabilité et de honte qui la hantait encore, après toutes ces années.

— J’imagine que c’est une soirée sélecte, observa Cam. Budget illimité, champagne à gogo, c’est ça ?

Violet confirma d’un hochement de tête.— Le comble pour une boîte de comptables, ne put-elle

s’empêcher d’ironiser.— Une boîte de comptables qui a plutôt bien réussi.

Tu as bien fait d’y entrer.Elle s’abstint de relever. Pas question d’avouer que ce

job était loin d’être celui de ses rêves. À dix-huit ans, après avoir prématurément quitté l’université, ce poste d’assistante administrative dans un gros cabinet d’expertise financière lui avait semblé le moyen idéal pour se fondre dans le décor et mener une existence discrète. Mais à l’approche de la trentaine, elle ne pouvait museler la petite voix intérieure qui lui soufflait qu’elle pourrait tout de même faire autre chose de sa vie. S’épanouir. Exploiter son potentiel au lieu de s’autocensurer. Malheureusement, depuis cette maudite soirée étudiante, c’était comme si son existence avait été stoppée net dans son élan pour rester bloquée au point mort.

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Le téléphone de Cam vibra, attirant le regard de Violet sur la poche intérieure de sa veste. Enfin, pas seulement sur la poche, mais plutôt sur son torse en général.

Cam était bâti comme un athlète adepte des sports d’endurance. Grand et mince, avec des muscles là où un homme se doit d’en avoir et là où une femme aime à les admirer. Au moins de ce point de vue, Violet ne faisait pas exception à la règle. Elle était comme toutes les femmes : ses hormones n’étaient pas insensibles à un beau corps d’homme.

— Tu ne décroches pas ?— Ça peut attendre.— Le boulot ou la famille ?— Ni l’un ni l’autre.Violet haussa un sourcil curieux.— Une femme ?Cam sortit son téléphone et l’éteignit, l’air déterminé.— Exact. De celles qui ne comprennent pas qu’on

leur dise non.— Combien de temps es-tu sorti avec elle ?— Je ne suis pas sorti avec elle. C’est l’épouse d’un

client. Un client important.— Aïe ! C’est délicat.— Très. Un problème délicat à quarante millions

de livres.Quarante millions ?Violet avait beau être issue d’un milieu aisé, elle avait

du mal à imaginer qu’on puisse dépenser de telles sommes pour un bateau utilisé une à deux semaines par an. Cam concevait des yachts pour les plus fortunés, de véritables palaces flottants avec salles de bains en marbre, piscine et parfois même un héliport.

— Sans blague ! Tu es payé quarante millions de livres pour concevoir un yacht ?

— Non. C’est le coût du bateau une fois construit. Cela dit, je suis plutôt bien rémunéré pour en dessiner les plans.

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Violet lui aurait volontiers demandé combien, mais cela n’aurait pas été poli.

— Que vas-tu faire ? se contenta-t-elle de demander. Continuer à ignorer ses messages ?

Il laissa échapper un soupir.— D’une façon ou d’une autre, je vais devoir lui faire

comprendre que je ne fréquente pas les femmes mariées.Sa bouche se tordit en un sourire cynique.— Ce genre d’aventure, c’est bon pour mon père,

ajouta-t-il.— Si elle te voit en compagnie d’une autre, le message

sera peut-être plus clair, observa Violet en portant à ses lèvres sa tasse de café quasi vide. Tu as quelqu’un dans ta vie ?

Arrgh ! Pourquoi je lui demande ça ?Croisant son regard par-dessus le bord de sa tasse,

elle sentit son cœur s’emballer. Bon sang, cela aurait dû être interdit par la loi : un homme avec des yeux pareils ! Des yeux d’un bleu hypnotique, frangés de longs cils noirs pour lesquels n’importe quelle fille aurait tué.

— Non, répondit-il. Et toi ?Elle lâcha un petit rire gêné.— Tu ne vas pas t’y mettre aussi ! J’en ai assez, entre

ma famille, mes amis et même mes colocs qui cherchent à tout prix à me caser…

Cam lui décocha un sourire en coin.— Je me demande ce qui cloche chez les gars de la

City. Comment se fait-il qu’aucun ne t’aie encore mis le grappin dessus ?

Il y eut un silence.Violet fixait sa tasse, comme s’il n’existait rien de

plus fascinant au monde. Et compte tenu de sa maudite propension à rougir pour un oui ou pour un non, le patron du café pourrait bientôt faire griller des toasts directe-ment sur ses joues et réduire ainsi de façon drastique ses dépenses d’électricité.

Bon sang ! Pourquoi avait-elle mis ce maudit sujet sur

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le tapis ? C’était idiot de sa part. Combien de temps allait durer cet intermède silencieux ? Peut-être devrait-elle dire quelque chose.

Mais quoi ?Elle n’en avait aucune idée. En fait, elle n’était pas

douée pour faire la causette. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle se sentait si mal à l’aise en société, contrairement à ses frères et sœurs capables de discuter de tout en toutes circonstances. Étant la plus jeune de la fratrie et d’un naturel timide, elle avait pris l’habitude dès l’enfance de se tenir en retrait pour laisser les autres parler.

— C’est quand, ta soirée de Noël ?Elle cilla et releva les yeux vers Cam.— Hum… Demain.— Je peux t’y accompagner, si tu veux.Elle sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine.— Pourquoi ferais-tu ça ?Il haussa les épaules.— Ce sera peut-être moins pénible pour toi, si tu as

un cavalier.— Tu veux bien sortir avec moi, parce que je te fais

pitié ? fit-elle, incrédule.— Il ne s’agit pas de sortir avec toi, rectifia Cam d’un

ton si catégorique que c’en était presque blessant. Juste de te rendre service en tant qu’ami.

Violet posa sur lui un regard vexé.Elle avait suffisamment d’amis ! Ce qu’elle voulait,

c’était sortir avec un petit ami. Pas avec un homme en mission humanitaire. La considérait-il donc comme un cas à ce point désespéré ? Une pauvre fille incapable de se trouver un prince charmant pour l’emmener au bal ? De toute façon, elle n’avait aucune envie d’aller au bal. Aucune envie de se mêler à tous ces gens qui s’enivraient et se goinfraient en se trémoussant jusqu’au petit matin sur une musique trop bruyante !

— Merci pour ton aide, mais ça ira.

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Sur ces mots, elle poussa sa tasse de côté, prit son livre et se leva.

— Je ne voulais pas te contrarier, fit Cam en posant une main sur son bras.

— Je ne suis pas contrariée, répliqua-t-elle, consciente que son ton démentait ses paroles.

Évidemment qu’elle était contrariée ! Qui ne le serait pas ? Quoi de plus humiliant qu’un homme qui propose de vous accompagner à une soirée parce qu’il a pitié de vous ! Fraser lui avait-il parlé ? À moins que ce ne fût l’une de ses sœurs ? Ou ses parents ? Voire son grand-père ? Bon sang, pourquoi se mêlaient-ils tous de ses affaires ? Ils ne réussissaient qu’à lui mettre la pression. Elle en avait marre d’entendre des réflexions du genre : « Ce type est formidable, pourquoi ne sors-tu pas avec lui ? Tu es trop difficile. » Ou bien, pis que tout : « Tu as bientôt trente ans, ne traîne pas trop. Après, ce sera trop tard. »

Insupportable.Elle crut sentir la chaleur des doigts de Cam sur son

bras s’insinuer à travers l’épais lainage de son manteau d’hiver.

— Hé ! dit-il. Tu fais la tête ?Violet n’avait plus boudé depuis l’âge de six ans, mais

là tout de suite elle boudait. Elle était tout à fait capable de se trouver un chevalier servant. Absolument. Il lui suffirait de s’inscrire sur l’un de ces sites de rencontre du web pour en décrocher une centaine. Si elle s’y mettait vraiment, elle pourrait même se fiancer avant Noël. Bon, là, elle poussait peut-être un peu.

— Si je veux, je peux dénicher un gars qui ne deman-dera pas mieux que de m’accompagner à cette fichue soirée, d’accord ?

Cam relâcha son bras.— Bien sûr. Excuse-moi, c’était une mauvaise idée.

Une très mauvaise idée.Pourquoi était-ce une mauvaise idée ? Et pourquoi

très mauvaise ?

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Violet pressa son livre contre son cœur qui battait trop vite — pas assez pour nécessiter un défibrillateur, mais pas loin. Comment le contact d’une simple main pouvait-il avoir eu un tel effet sur elle ? Tous ses sens étaient soudain éveillés, en alerte. Cam l’avait-il jamais touchée avant ? Elle essaya de réfléchir… De temps en temps, par le passé, il l’avait embrassée sur la joue, chas-tement. Mais dernièrement… Depuis Pâques, en fait… il n’y avait plus eu le moindre contact physique entre eux. Plus du tout. Comme si Cam avait volontairement gardé ses distances.

Ce dernier week-end passé à Drummond Brae, il était entré dans le salon pour en ressortir aussitôt en marmon-nant une excuse bidon quand il l’avait trouvée lovée sur le canapé en train de broder un minuscule bonnet pour bébé. Pourquoi avait-il réagi ainsi ? Qu’avait-elle donc de si déplaisant pour qu’il ne puisse supporter de rester seul avec elle ?

Violet enroula son écharpe autour de son cou.— Je dois retourner travailler. J’espère que le mariage

de ton père se passera bien.— Ça devrait aller. Il est bien entraîné.Cam but son café d’un trait et se leva.— Je te raccompagne jusqu’à ton bureau. C’est sur

mon chemin.Posant une main au creux de ses reins, il la guida vers

la sortie. Aussitôt, la chaleur de ses doigts parcourut le corps de Violet, jusqu’entre ses cuisses.

Ressaisis-toi !C’était le problème quand on était désespérément chaste

et que votre vie sentimentale ressemblait à un désert. Il suffisait qu’une main virile vous effleure pour éveiller des désirs que l’on ne soupçonnait même pas.

Cela dit, ce n’était pas n’importe quelle main… C’était celle de Cam. Une main qui la faisait rêver à de folles nuits d’amour.

Non qu’elle eût là aussi une quelconque expérience

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dans ce domaine. En réalité, elle n’avait qu’un vague souvenir de la seule fois où elle avait eu un rapport sexuel. Un souvenir fait de flash-back — deux ou trois visages d’hommes la surplombant ; ils parlaient d’elle, mais sans s’adresser à elle. Aux antipodes de la scène romantique dont rêvent les filles en atteignant la puberté.

Ses frère et sœurs avaient pourtant réussi à circuler sans problème à travers le champ truffé de mines des flirts, des rendez-vous amoureux, et tous avaient trouvé l’âme sœur. Était-elle trop difficile ? Trop inhibée ? Cette terrible nuit à l’université avait-elle totalement détruit son estime d’elle et sa confiance au point qu’elle était incapable aujourd’hui d’avoir une relation normale avec un homme ?

Quand ils sortirent sur le trottoir, un crachin glacial les accueillit. Violet ouvrit son parapluie et sourit en voyant Cam se plier en deux pour pouvoir s’abriter. Il lui prit le parapluie des mains et le tint au-dessus de leurs têtes.

Pressée contre lui pour éviter de se mouiller et se frayer un chemin à travers la foule venue faire ses achats de Noël, Violet respirait son odeur à peine épicée par une eau de toilette au parfum boisé. Vu de l’extérieur, ils avaient l’air d’un couple d’amoureux blottis sous le même parapluie.

Arrivés au pied du bâtiment victorien abritant les locaux du cabinet d’expertise comptable, ils étaient sur le point de se séparer quand Lorna, une employée, sortit de l’immeuble.

La jeune femme à la chevelure rousse flamboyante descendit l’escalier tout en détaillant d’un regard appré-ciateur la haute silhouette de Cam.

— Eh bien, eh bien, Violet ! minauda-t-elle. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer.

Violet encaissa le coup en serrant les dents. Ce n’était pas la première fois qu’elle était la cible des remarques perfides de Lorna. Sa collègue de bureau était une mani-pulatrice née qui prenait un malin plaisir à cancaner pour semer la zizanie. Et elle était d’autant plus dangereuse

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qu’il était de notoriété publique que le patron la gardait uniquement parce qu’ils avaient une liaison.

— Tu sors déjeuner ? dit-elle, ignorant la pique.Lorna hocha la tête, puis, arborant un sourire digne

d’une publicité pour dentifrice, elle battit des cils à l’adresse de Cam.

— Aurons-nous le plaisir de vous voir à notre soirée de Noël ?

— Bien sûr, répondit-il aussi sec en enlaçant Violet par la taille. Nous y serons.

Nous y serons ?Violet attendit que Lorna soit partie pour lever les

yeux vers le visage impassible de Cam.— Pourquoi as-tu dit ça ? Il n’est pas question que tu…— J’ai un marché à te proposer, l’interrompit-il. Je

t’accompagne à ta fête de Noël si tu acceptes de m’accom-pagner au dîner organisé ce soir par mon client.

— Celui dont l’épouse te harcèle ?— Oui. J’ai réfléchi à ce que tu m’as dit au café. Le

meilleur moyen de faire comprendre à cette croqueuse d’hommes que je ne suis pas intéressé, c’est de lui montrer que je fréquente quelqu’un.

— Mais nous ne…Violet s’interrompit avant d’achever d’une petite voix :— … sortons pas ensemble.— Personne n’a besoin de le savoir.— Justement…, fit-elle en se mordillant la lèvre.

Comment allons-nous faire pour que personne ne le sache ?— Tu veux parler de ta famille ?Avec un soupir, Violet hocha la tête.— Tu sais comment est ma mère. S’il y a la moindre

rumeur laissant soupçonner que nous sortons ensemble, elle enverra des faire-part de mariage plus vite que tu ne pourras répondre au curé : « Oui, je le veux ».

Un ange passa.Oui, je le veux ?

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Bon sang, avait-elle perdu la tête ? Dire ça à l’homme qui fuyait le mariage comme la peste !

Quelque chose changea dans l’expression de Cam — un léger clignement de paupière, le tressaillement d’un muscle sur sa joue, un semblant de sourire qui n’atteignit pas ses yeux.

— Chaque chose en son temps, Violet. Nous aviserons si nécessaire.

Si nécessaire ?Il n’y avait pas de « si » qui tienne. Violet connaissait

sa famille. Ils étaient à l’affût du moindre indice d’un potentiel amoureux. Sa mère et ses sœurs, en particulier, n’avaient rien à envier aux services secrets britanniques. Elles pourraient même leur apprendre quelques tech-niques d’investigation. D’une façon ou d’une autre, elles découvriraient qu’elle était sortie dîner avec Cameron McKinnon, et Violet imaginait déjà le déluge de questions.

— Tu es certain que ça ne va pas nous attirer des ennuis ?

— Allons, Violet. Nous n’allons pas braquer une banque.

— Je sais, mais…— D’accord. Si tu ne veux pas m’accompagner à ce

dîner, je peux toujours trouver quelqu’un d’autre…— Non, le coupa-t-elle, n’osant même pas penser à

ce « quelqu’un d’autre ». C’est bon, je viendrai. Ça me fait plaisir. Il y a une éternité que je ne suis pas allée au restaurant.

Le sourire qu’il lui décocha la fit vaciller légèrement.— Autre chose, Violet…Quoi ? Tu aimerais que nous sortions réellement

ensemble ? Tu es secrètement amoureux de moi depuis des années ?

Elle s’efforça de garder un visage impassible, tandis que les pensées les plus improbables se bousculaient dans son esprit.

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— Nous devrons nous comporter comme un vrai couple, précisa Cam. Nous tenir la main et… Tout le reste.

Tout le reste ? C’est-à-dire ?— Oui. Bien sûr. Il faut que ça fasse vrai, bredouilla-

t-elle. Il ne faudrait pas que quelqu’un puisse croire que… Enfin, bref, je comprends ce que tu veux dire.

Il se pencha pour l’embrasser sur la joue. Le contact de ses lèvres contre sa peau la fit frissonner.

— Je passerai te prendre ce soir, à 19 heures.Chamboulée, Violet essaya de se ressaisir. Comme elle

reculait pour regagner son bureau, elle trébucha mala-droitement sur la première marche de l’escalier et serait tombée si Cam ne l’avait rattrapée et plaquée contre lui.

— Ça va ?Il avait chuchoté, le souffle court.Alors, elle soutint son regard, un regard intense… Le

temps suspendit son cours. Inspirant profondément, elle ferma les yeux et les rouvrit, hypnotisée par sa bouche magnifique. Venait-il lui aussi de ressentir la même émotion ? Avait-il lui aussi envie de poser les lèvres sur les siennes ? Pas pour un baiser fraternel, mais pour un vrai baiser, le baiser d’un homme et d’une femme qui se désirent…

La bouche sèche, elle s’humecta les lèvres du bout de la langue.

— J’ai cru que tu allais m’embrasser, réussit-elle à plaisanter avec un petit rire.

Le regard de Cam rivé sur sa bouche s’assombrit, puis sa main relâcha brusquement son bras, comme si son contact l’avait brûlée.

— Restons-en là.Quoi ? Mais elle n’avait pas envie d’en rester là !Violet garda cependant le sourire, jusqu’à en avoir

des crampes à la mâchoire.— Tu as raison, fit-elle d’une voix altérée. D’accord

pour faire semblant d’être en couple, mais de là à

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s’embrasser pour de bon… Il ne faut pas exagérer ! Ce ne serait pas une bonne idée.

Un claquement de talons dans son dos la fit se retourner. Lorna était déjà de retour.

— Quelle étourdie je suis ! J’ai oublié mon téléphone, expliqua-t-elle avec un petit sourire 100 % hypocrite.

Puis elle adressa un clin d’œil à Cam.— Surtout, ne vous gênez pas pour moi, si vous voulez

l’embrasser avant de la laisser repartir travailler.Atrocement gênée, Violet baissa la tête. Mais c’était

compter sans l’esprit compétiteur de Cam. Souriant, l’air décontracté, il prit sa main pour l’attirer contre lui.

— C’est ce que j’allais faire.Violet supposa qu’il attendrait que Lorna se soit éloi-

gnée avant de la relâcher. Malheureusement, sa collègue ne semblait pas presser de les quitter. Perchée sur la troisième marche, elle les regardait avec une petite moue horripilante, comme pour les défier de passer à l’acte.

Alors, lui tournant ostensiblement le dos, Cam glissa la main dans les cheveux de Violet, enveloppa sa nuque de ses doigts brûlants…

— Tu n’es pas obligé de faire ça, chuchota-t-elle comme sa bouche se rapprochait de la sienne.

— Si.Et il l’embrassa.

MELANIE MILBURNE

Fiancéeà un séducteurUn arrangement entre amis  –  voilà ce à quoi auraient dû se résumer les fausses fi ançailles de Violet et Cam. Seulement, entre un baiser chaste et une étreinte brûlante, il n’y a parfois qu’un pas… Un pas qu’ils ont franchi, hélas ! Bouleversée, Violet ne sait plus comment gérer la situation troublante dans laquelle elle s’est mise. Car, si elle aime Cam depuis toujours, lui n’a guère l’intention de s’engager avec elle. Pourtant, Violet ne peut se résoudre à mettre un terme à cette aventure passionnée dont elle a tant rêvé…

2017

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