Saint Thomas d Aquin Et La Guerre

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  • 8/3/2019 Saint Thomas d Aquin Et La Guerre

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    R. P. Thomas PGUES, 0. P.Matre eu Thologie

    Membre de l'Acadmie romaine de Saint-Thomas d'Affilia

    Professeur de Saint Thomas au Collge anglique (Home)

    Saint Thomas d'AquinET LA GUERRE

    LA PAIX ET LA GUERRE

    LA GUE RRE JU ST E . LA GUE RRE SAGE .

    LA GUE RRE HO NNE TE . LA GUER RE SAI NTE .

    LA PAIX.

    PARIS

    PIERRE TQUI, LIBRAIRE-DITEUR

    82, R U E B O N A P A R T E , 82

    1916

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    Biblio!que Saint Librehttp://www.liberius.net

    Bibliothque Saint Libre 2008.

    Toute reproduction but non lucratif est autorise.

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    et la Guerre

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    Nihil obstat:

    r. Ceslas PBN-SECOND,

    des Freres-Prcheurs,Matre eu Sacre Thologie.

    Fr. Edouard HUGON,des Frercs-Prccheurs,

    Matre en Sacre Thologie.

    IMPRIMATUR

    3arisiis, die 24 aj>rilis 1 9 1 G .

    11. OUELIN, v. g.

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    AVANT-PROPOS

    Le litre du prsent travail suffit pour en dterminerVobjety le caractre et aussi l'opportunit. Parler dela guerre, en parler la lumire de saint Thomas, elle faire au moment o la guerre mondiale dchanedepuis prs de deux ans touche sa phase la plusaigu, devant bientt amener des solutions qui auront sur les destines des peuples des rpercussionsinfinies, ne peut qu'tre chose utile et du plus hau\tinti%t. Toutefois, notre pense n'est pas d'instituerici, mme par mode d'abrg, une sorte de trait pas-sant en revue toutes les questions qui se rattachent

    la guerre en gnral ou que soulve d'une manire, plus spciale la guerre que nous vivons. Nous voulons simplement rpondre au dsir qui nous ja tmanifest d'exposer brivement, en un relief auissnet et aussi accus que possible, la pense essentiellede saint Tliomas d'quin au sujet de la guerre, telle

    que le saint Docteur l\a donne dans sa Somme thologique et que nous l'avons nous-mm commente

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    VI

    dans notre dernier volume rcemment paru( i ) . Cetexpos fera connatre ou rappellera des principes

    qu'il faut sans cesse avoir devant les yeux pour ap

    prcier comme il convient le caractre de la guerre actuelle, ses responsabilits, les consquences qu'elle

    peut ou doit entraner; la paix qu'elle comporte. Il

    n'est pas, on le voit, de sujet plus actuel, ni^phts

    important, on qui soit plus de nature retenir et il

    captiver les esprits.

    (l) Commentaire franais latral la Sonune thologlqur ,lomc X q. 40, De la guerre, . 78i-802.

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    SAINT THOMAS D'AQUIN ET LA GUERRET

    CHAPITRE PREMIER

    La Paix et la Guerre

    Parlant de la paix (i) , saint Thomas en fait un actede vertu. C'est mme, pour lui, un acte de la plus

    grande des vertus, de la vertu de charit. Il a soin, dureste, d'en prciser la nature. La paix n'est pas seulement l'absence de lutte extrieure. Elle n'est mmepas simplement l'accord de deux volonts trangres.Elle est quelque chose de plus profond. Il la faut concevoir comme l'accord absolu de tous les mouve

    ments affectifs qui peuvent exister entre les diverstres ou dans un seul et mme tre. La paix, pourtre parfaite, pour tre vraiment la paix, demandeque des mouvements affectifs qui sont dans un mmosujet aucun ne soit contraire h l'autre, en supposant

    (!) 2a-2:e, q. 29.

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    d'ailleurs qu'ils sont chacun ce qu'ils doivent tre ettous proportionns la dignit de leur objet. C'estainsi que les mouvements affectifs d'ordre sensible

    devront tre subordonns aux mouvements affectifs-d'ordre rationnel; et que, mme dans cet ordre rationnel, les mouvements de la nature devront tre subordonns aux mouvements de la grce. D'un mot,l'amour de Dieu, au sens surnaturel de ces mots,primant tout autre amour, et tout autre amour, dansl'homme, tant subordonn cet amour, voil la premire condition, absolument essentielle et indispensable, de la vraie paix, de la paix parfaite. Toutefois,elle ne peut suffire assurer la paix dans toute sa plnitude et sa perfection. Une seconde condition est re

    quise. L'ordre des mouvements affectifs dans un*mme sujet assurera bien la paix de ce sujet en lui-mme. Mais pour que la paix de cet homme soit assure avec ceux du dehors, il faudra que le mme ordrergne en chacun de ceux qui traiteront avec lui etparmi tous ensemble. Alors vraiment on aura la paix,

    la paix parfaite, la paix absolue, l'exclusion de toutelutte, de tout combat, de toute guerre.

    Cette paix est-elle possible ici-bas?Non. Elle sera le propre de la Patrie, au ciel. Sur

    cette terre, l'homme aura toujours soutenir unecertaine lutte intestine entre les divers mouvements

    affectifs qui sont en lui. Il peut arriver tablir ceque nous appellerions une paix essentielle, assurantla suprmatie habituelle de l'amour surnaturel deDieu par rapport tout autre amour. Mais, dans ledtail de ses mouvements affectifs, la subordination

    absolue n'est point possible. Il lui faudra toujourssubir au moins de lgres rvoltes ou insubordina-

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    tions des mouvements infrieurs : mouvements affectifs sensibles, l'endroit des mouvements affectifsproprement rationnels; et, parmi ces derniers, mou

    vements de la nature l' endroit des mouvementsstrictement surnaturels ou propres la grce. Mmedans les plus grands saints, il reste toujours quelquechose de cette vie de combat.

    D'autre part , les grands saints et mme les justes,au sens pleinement surnaturel de ce mot, demeurentune exception au sein de l'humanit. Le trs grandnombre est sujet des luttes intimes plus fcheuseset qui trop souvent aboutissent de graves dfaites.L'ordre de la grce est sacrifi celui de la nature;et la raison elle-mme succombe sous l'effort des

    passions. Il n'est pas tmraire d'affirmer que parmiles hommes les passions rgnent plus que la raison.Comment s'tonner, ds lors, qu'une paix parfaite ouinaltrable ne puisse point exister parmi eux. Dansb domaine de la raison et sous son empire, il est possible de s'entendre avec les autres hommes et de vivre

    avec eux en bons termes, la raison tant faite de lumire et d'harmonie. Mais les passions sont aveugles.Chacune d'elles no connat que son intrt propre;et, dans leur diversit, elles ne peuvent point se trouver en contact sans qu'immdiatement se produisentdes causes ou des occasions d'innombrables conflits.

    De l vient que dans la mesure o les passions prennent le pas sur la raison parmi les hommes, danscette mesure-l se trouveront ncessairement compnmis parmi eux les intrts de la paix.

    Toutefois, un remde existe encore qui pourra pemettre d'obvier ces causes de conflit et de maintnir parmi les hommes une certaine paix, au moins

    i.

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    extrieure. Ce remde est Tordre mme de la socit.Dans toute socit ordonne il existe un pouvoir

    charg par office de veiller au bon ordre de cette so

    cit en maintenant la paix parmi ses divers membres. Si donc il s'lve parmi eux des causes de conflit, il y aura possibilit d'y remdier en recourant

    l'autorit charge de juger les diffrends. Les actes

    de violence seront des ucles d'anarchie; Ils seront n

    cessairement rares. Ils le seront mme d'autant plus

    que l'autorit sera plus vigilante et plus ferme; car

    il appartiendra cette autorit de les punir.

    Comme cependant l' autori t elle-mme peut se

    trouver en dfaut dans une socit, soit que les passions en rvolte remportent sur elle, soit qu'elle-

    mme devienne tyrannique et ncessite en quelquesorte une rsistance qui pouiTa aller jusqu' une lgitime violence, il demeure toujours possible que des

    luttes intestines se produisent au sein d'une menu*

    nation ou d'un mme peuple et que le bien de la paix

    soit troubl par ce mal si grand qu'est la guerre

    civile.Mais c'est surtout dans les rapports des peuples en

    tre eux ou des nations entre elles que la guerre au

    sens strict ou la guerre tout court demeure essentiel

    lement un mal possible ou mme ncessaire. Si le r

    gne des passions peut amener d'un homme l'autre,

    au sein d'une mme socit, des causes ou des occasions de conflit, la mme possibilit devra exister,

    porte seulement une puissance d' irri tation infini

    ment plus grande, quand il s'agira de peuples divers

    ou de nations diverses. 11 y aura mme cette diff

    rence que si les violences d'homme homme dansune mme socit sont toujours des actes rprhensi-

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    bles ou des actes d 'anarchie, et si les luttes intestinesdes citoyens se soulevant contre l'autorit de leurpays sont des actes de dplorable rvolte ou d'extrme

    ncessit qui par leur nature mme devraient tre ncessairement rares et presque impossibles, les causesde conflit pouvant amener des luttes main armede peuple peuple ou de nation nation rentrent,si l'on peut ainsi dire, dans le cours normal et fataldes choses humaines.

    C'est qu'en effet, tandis que dans cette mme socit que constitue un peuple ou une nation, il existenormalement une certaine autorit qui a qualit etpouvoir pour connatre des causes de conflit et enfaire disparatre ou en empcher les effets violents,

    dans la socit internationale ou universelle que forment les divers peuples et les diverses nations, iln'existe, dans Tordre purement politique et humain,rien de semblable. S'il tait un pouvoir politique international qui aurait autorit pour juger en dernierressort les couses de conflit entre les divers peuples

    ou les diverses nations , et la force ncessaire pourimposer tous sa sentence, nous pourrions alors raisonner sur le genre humain tout entier comme nousl'avons fait pour la socit particulire et dtermineque forme telle nation ou tel peuple. Dans ce cas, ilserait possible de concevoir un tat de paix univer

    selle qui serait normalement stable et qui ne pourrait tre troubl que dans les conditions d'extraordinaire dsordre dont nous avons parl au sujet de lapolitique intrieure des diverses nations. Mais ce pouvoir international n'existe pas. Et, conu dans la ri

    gueur que nous venons de dire, il est permis d'affirmer qu'il n'existera jamais parmi les hommes.

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    Ce fut, on le sait , le rve grandiose du gnie deDante (i) d 'imaginer et de souhaiter la constitution,dans le monde, d'un Empire universel, qui serait au

    point de vue temporel ce qu'est l'Eglise catholique aupoint de vue spirituel. Et, de mme que pour les fidles du monde entier il existe un Pouvoir spirituel unique, apte, par sa nature, fixer ou dirimer toutesles questions d'ordre spirituel qui peuvent tre souleves parmi eux, de mme le grand Florentin voulaitqu'il y et, pour tous les hommes, un Pouvoir temporel unique ayant pour office de terminer pacifiquement tous leurs conflits. C'tait un rve magnifique;mais ce n'tait qu'un rve.

    De nos jours, nous avons assist un essai de paci

    fication universelle moins absolue et qui, sembla it -i l,aurait d pouvoir aboutir tre ralise en quelquemanire. C'tait la constitution d'un tribunal international accept et organis d'un commun consentement par les diverses nations, du moins par les plusconsidrables et les plus puissantes, l'effet de pr

    venir ou de terminer pacifiquement les causes deconflit entre les divers peuples. On ne saurait dire quela constitution de ce tribunal ait t inutile. Mais sil'on avait espr assurer par l d'une manire absoluela paix universelle, il faudrait reconnatre que les vnements ont tromp cet espoir. C'est prcisment en

    tre les puissances ou les nations runies en confrences pacifiques dans ce tribunal qu'a clat la plus effroyable des guerres que le monde ait jamais connues.

    il y aurait un autre moyen d'arrter les causes de

    (1) De monarchla

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    conflit parmi les divers peuples et de maintenir entreeux une paix peu prs constante. Ce serait de recourir la seule autorit vraiment internationale, dont

    la nature mme garantit l 'indpendance et l ' impartialit l'endroit de tous les peuples et de toutes les nations de la terre. Cette autorit est celle du SouverainPontife. Mais ici encore, et quelque lgitime ou raisonnable que demeure un tel recours, on se heurteprat iquement l'obstacle des passions humaines.Outre que les peuples qui sont, comme tels, trangers l'Eglise catholique, si tant est que parfois ilsne lui soient pas nettement hostiles, auront toujoursquelque peine accepter son arbitrage, il y a encoreque les intrts privs, quand ils ont pour les servir

    la puissance matrielle, se rendront difficilement une sentence dont la justice mme serait leurs yeuxune sorte de ruine ou d'abandon.

    Le fait brutal, indestructible, demeure donc. C'estqu'il n'est point, parmi les hommes, d'autorit politique internationale, pouvant s'imposer tous, l'ef-

    fet de terminer pacifiquement les questions irritantesqui s'lvent entre eux, de peuple peuple, de nation nation. Ds lors il n'y a plus qu'une voie qui soit mme d'y mettre un terme, quand d'un ct ou del'autre, sinon des deux la fois, la raison le cde la passion aveugle : c'est la voie des armes. La guerre

    est donc une ncessit inluctable dans l'ordre deschoses humaines. Tant qu'il y aura diversit d'Etatsparmi les hommes, et que, d'homme homme, lapassion pourra l 'emporter sur la raison, la guerrepourra se produire. Et non seulement elle pourra seproduire, mais il faudra mme, en certains cas, souspeine de dchance plus encore morale que mat-

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    CHAPITRE SECOND

    La Guerre juste

    La gucnv, on son sens strict le plus prcis, ou laguerre telle qu'on l'entend quand on prononce ce motsans rien qui le restreigne, ce qu'on veut signifierquand on dit simplement la guerre, c'est une intervention main arme d'Etat Etat. De tous les actesqui peuvent maner des tres humains, il n 'en est

    point, dans l'ordre temporel, qui soit plus grave etaux consquences plus formidables. Ici, ce n'est passeulement la tranquillit des hommes qui est en causeet la paisible jouissance des biens de la vie, ce sont tousces biens eux-mmes sans exception, et leur conditionla plus essentielle, la vie, sans laquelle tous ces biens

    ne sont rien, et non pas seulement la vie d 'un hommeou de quelques hommes, mais la vie d'une multitudeinnombrable d'hommes : toute guerre entrane avecelle ncessairement, bien qu' des degrs divers, tousces maux,mme pour la nation ou le peuple qui l'emportent dans le combat et qui ont le bnfice de lavictoire. Quant l'Etat qui est vaincu, la guerre peut

    rielle, qu'elle se produise. C'est le cas de la guerrejuste.

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    amener jusqu' sa transformation radicale. Et s'il estvrai que la vie corporelle d'un homme est un si grandbien, parce qu'elle est le fondement ou la condition

    essentielle de tous ses autres biens en ce monde, detelle sorte que sa perte est le pire des maux, la vieou l'tre d'un Etat comme tel sera, dans l'ordre temporel, un tel bien que sa perte devra tre tenue, parceux qui lui appartiennent, comme le mal suprme,dans cet ordre-l, comme la somme de tout mal.

    Saint Thomas, voulant montrer la grandeur et la lgitimit de l'acte qui a pour objet le salut de l'Etat,condense sa pense en cette admirable formule, que le salut de l'Etat ou sa permanence dans l'tre etla vie qui sont les siens, empche le meurtre d'ungrand nombre et des maux innombrables soit spirituels soit temporels .

    Aussitt une question se pose : la guerre, qui, ncessairement, entrane avec elle de tels maux, et qui,parfois, amne jusqu' la ruine de l'Etat comme tel,n'est-elle pas essentiellement chose mauvaise; pourra-

    t-ellc jamais tre chose bonne ou qui puisse tredirectement voulue?

    Nous avons dit que la guerre est une intervention main arme d'Etat Etat. Il suit de l immdiatement que jamais un particulier comme tel n'a le droitd'organiser ou de faire la guerre. Toute intervention

    main arme, qui se ferait par les citoyens d'un Etatquelconque au sein d'un autre Etat, si elle est due toute autre initiative que celle de l'Etat lui-mme auquel ces citoyens appartiennent, est essentiellementinjuste. Il faudra donc toujours, comme premirecondition d'une guerre juste, qu'elle soit vraimentd'Etat Etat, c'est--dire qu'elle se fasse sous la res-

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    ponsabilit consciente des deux pouvoirs souverainstraitant de l'un l 'autre.

    Il est ais de voir, du mme coup, que l'attaque

    brusque, au sens absolu de ce mot, sera toujours unacte injuste; car la gravit exceptionnelle de l'actequ'est la guerre demande que toutes les voies ou tousles moyens pacifiques aient t puiss avant de recourir une telle extrmit. 11 faudra que s'il y a descauses de litige entre les deux Etats, ces causes aientt examines ci. discutes ensemble entre les deuxpouvoirs souverains et qu'on ne recoure la voie desarmes que s'il est impossible d'aboutir, par une autrevoie, la solution du conflit.

    Dans celle discussion pralable, la condition requise

    par-dessus tout sera la droiture d' intention et la bonnefoi. Si, en effet, on engageait les pourparlers d'Etat Elal avec l'intention secrte, pralablement arrte,d'aboutir une lutte anne, et que les griefs soulevs ne fussent que des prtextes, il est vident quedans ce cas on voudrait la guerre pour elle-mme et

    non pour une cause juste. Or, il n'est qu'une raisonqui puisse lgitimer la guerre ou l'intervention armed'un Etat par rapport un autre Etat: c'est une cause

    juste.Mais que faut-il entendre par ces mots : une cause

    juste? Suffira-t-il, par exemple, qu'un Etat se consi

    dre comme ayant des besoins ou des droits nouveauxen raison du nombre de ses sujets ou de leurs qualitssoit individuelles soit collectives, de telle sorte quesi les autres Etats refusent d'accder ses prtentions, il puisse immdiatement, sinon mme avanttoute requte, envahir leur territoire ou leurs possessions, el s 'en emparer, afin de substituer sa propre

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    vie, rpute suprieure, la leur, dclare infrieure?Une telle doctrine est la destruction de tout droit etde toute morale dans Tordre social. Si la

    vie d'un individu humain et ce qui lui appartient sont choses sacres qui doivent tre respectespar tous, combien plus la vie d'un Etat, quel quesoit d'ailleurs cet Etat, et les biens qui sont lui doivent s' imposer de la faon la plus absolue au respect de tous. Et de mme que pour l'individuhumain, il n'y a qu'une raison de faute de sa part quipuisse lgitimer un acte de rigueur son endroi t,qu'il s'agisse de sa personne, ou qu'il s'agisse de sesbiens; de mme l'intervention main arme, pourtre justifie l'endroi t d 'un Etat quelconque, de

    mandera, de toute ncessit, qu'une faute proportionne, de la part de cet Etat, Tait rendue indispensable.Et voil donc Tunique raison qui pourra lgitimer

    une guerre et la rendre juste, du ct de son motifou de la cause qui la fait entreprendre : une fautedont l'Etat qu'il s'agit de combattre est responsable

    et qu'il refuse injustement de rparer. Saint Thomasest formel l-dessus. Pour qu'une guerre soit juste,dclare-t-il, une cause juste est requise; c'est--direque ceux contre qui Ton engage la lutte mri tentqu'on engage cette lutte contre eux en raison d'unecertaine faute : requiritur causa justa; ut scilicet illi

    qui impugnantur, propter aliquam culpam impugna-tionem mereantur (i). Et le saint Docteur expliqueavec saint Augustin ce qu'il faut entendre ici quandnous parlons de faute commise, savoir : a si une nation ou une cit ont nglig de venger ce qui a t

    (1) 2a-2se, cj. 40, art. 1.

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    fait d'inique par quelques-uns des leurs ou de rendrece qui a t enlev injustement ; ou si elle levaitsur quelque point essentiel des prtentions injustes.

    C'est donc une faute contre la justice, imputable l'Etat dont il s'agit, et qu 'il t e fuse soit de reconnatresoit de rparer. En dchoxvs de ce motif ou de cette raison, tout autre motif ou toute autre raison fait de laguerre un acte essentiellement injuste.

    11 suit de l qu'une guerre purement de conquteou d'expansion ou mme de proslytisme, quelquetitre ou sous quelque couleur que ce proslytismese prsente : religion, civilisation, culture, est uneguerre injuste et doit tre absolument rprouve.Outre que ce serait ouvrir les voies l'arbitraire le

    plus dangereux, un principe souverain ici commandetout; et c'est qu'on ne doit jamais faire ce qui estmal, mme pour promouvoir le bien. Or, toute agression est de soi un mal, si elle n'est justifie par unefaute qui la ncessite.

    Une guerre offensive ne peut donc tre juste que si

    elle est motive par une faute contre le droit, commise par l'Etat qu'on attaque. Mais ds que cette raison existe, la guerre, mme offensive, devient chose

    juste. Elle pourra mme tre chose ncessaire. Telserait le cas d'une faute qui compromett ra it gravement l'honneur de l'Etat offens, ou son bien, qu'il

    s'agisse de son bien comme Etat ou du bien des personnes qui lui appart iennent. C'est qu 'en effet, unEtat qui laisserait un autre Etat commettre contre luiimpunment telles injustices qu'il lui plairait, s'acheminerait, fatalement, la diminution, l'effacement,

    la ruine; ce serait un mal, dans l'ordre du prestiged'abord, et mme dans l'ordre matriel, plus grand

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    que tous les maux physiques, si redoutables soient-ils,que la guerre peut entraner aprs elle. Il y a certainsmaux, d'ordre physique, qu'un Etat non moins que

    l'individu, ne doit pas hsiter affronter ou subir,en vue de biens essentiels qu'il n'a pas le droit d'abandonner.

    Cette mme raison, en ce qu'elle a de suprieuret de plus excellent, expliquera qu'un Etat, dans lamesure o vivent chez lui les sentiments ou les traditions de gnrosit et de noblesse, soit prt accepter les maux de la guerre pour soutenir et dfendrele droit d'autres nations, surtout s'il s agissait denations plus faibles, injustement traites par desElats sans scrupule qui abuseraient contre elles de

    leur puissance. S'il est, en effet, pour tout Etat, ungosme sacr parfaitement lgitime, il ne faudraitpas cependant entendre cette formule dans un senstrop matriel et exclure systmatiquement toute possibilit d'intervention main arme en dehors du caso cette intervention doit assurer des avantages pure

    ment conomiques ou territoriaux l'Etat qui intervient. Il n'y a pas que ces sortes de biens qui concourent la grandeur, la prosprit ou au bien puret simple d'un Etat. Les biens d'ordre spirituel oumoral y ont aussi leur part; et Tordre parfait demandemme que cette part y soit prpondrante.

    La guerre offensive peut donc tre juste et mmencessaire, dans les conditions que nous avons marques ou en raison d'une cause juste telle que nousl'avons explique. Mais, s'il s'agit d'une guerre dfensive, aurons-nous encore besoin d'en appeler une

    cause juste pour justifier la guerre elle-mme; oudevrons-nous,d'une faon pure et simple,dclarer que

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    lk

    toute guerre dfensive porte avec elle-mme sa raisonde justice?

    La guerre dfensive, comme le mot mme l'indi

    que, consiste, de la part d'un Etat qui est attaqu, se dfendre contre celui qui l'attaque. Or, nousl'avons dit, toute attaque d'un Etat l'endroit d'unautre n'est point par elle-mme et ncessairementinjuste. 11 se peut mme, nous l'avons vu, que cetteattaque soit chose ncessaire. Ds lors, la solution dupoint qui nous occupe s'impose. Si la guerre est justedu ct do l'Etat qui attaque, il ne se pourra pasqu'elle soit, en mme temps, juste du ct de l'Etatqui est attaqu. Les contraires, en effet, ne sauraientcoexister simultanment dans un mme sujet. Or, le

    sujet du droit, ici, est l'intervention rnain armeentre deux Etals. Cette intervention ne peut pas enmme temps tre juste et injuste. Et elle le serait sicelui qui combat avec justice parce qu'il attaque taitcombattu avec justice pour le mme motif. De toutencessit, si son intervention main arme est juste,

    l'intervention main arme qui lui rpond ne le serapas.

    Mais, dira-t-on, re sont deux droits distincts et quine s'opposent pas l'un l'autre. Celui qui attaque,en effet, venge l'injure qui lui a t faite et qu'onn'a pas voulu rparer; tandis que celui qui se dfend

    cherche h conserver son tre mme attaqu par l'autre : or tout tre garde toujours le droit et a mmele devoir de dfendre son tre contre tout ennemi quil'attaque; la seule raison d'ennemi cause ici la justice.

    Ce raisonnement ne vaut pas. 11 n'est pas vrai quetout tre garde toujours le droit de se dfendre quand

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    il est menac ou attaqu dans son tre et dans sa vie.Cela peut tre vrai dans Tordre des agents physiquesou naturels, parce qu'il n'y a aucune raison de mora

    lit ou de justice qui prside leurs rapports mutuels;mais dans l'ordre des agents moraux o la responsabilit du sujet est en cause, il en va tout autrement.Dans cet ordre-l, en effet, si le sujet a mrit, par safaute, un chtiment, il est tenu en justice de subir cechtiment quand il lui est inflig selon les rgles du

    droit; y rsister constitue de sa part un acte injuste.Saint Thomas est formel sur ce point. Mme s'il s'agitd'une condamnation mort, quand la condamnationest juste, il n'est point permis au condamn de se dfendre : le juge, en effet, a le droit de le frapper;d'o il suit que, de son ct, quand il rsiste, c'estune guerre injuste; et donc il pche sans aucun doute:relinquiiur qaod ex parte ejus sit bellum injustum;unde indubitanter peccat (i) .

    Ce qui est dit de l'individu humain pour la dfensede sa vie s'applique plus forte raison l'tre moral

    ou collectif qu'est l'Etat. Un Etat, quand il a commis contre un autre Etat une faute qui rend lgitimede la part de celui-ci, ou mme ncessaire, l'intervention main arme, n'a pas le droit de rpondre cette intervention par une intervention identique : iln'a qu' subir les justes conditions qui lui sont im

    poses. S'il rsiste, sa guerre est essentiellement injuste.

    Il n'est qu'une hypothse o sa -guerre pourraitdevenir une guerre juste : ce serait, si, dans la guerre

    juste qui lui est faite, son ennemi voulait, dans la

    (1) 2n-2, q. 69, art. 4.

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    rpression, dpasser les limites de la faute commise,et profiter de cette faute pour l'affaiblir ou l'accabler injustement. Mais, dans ce cas, la guerre offen

    sive, qui tait juste dans son premier motif, est rendue injuste par le moiif nouveau qui s'y ajoute : ensorte qu'a partir de l les rles sont intervertis : c'estla guerre offensive qui devient injuste et la guerredfensive qui devient juste.

    C'est donc toujours et uniquement la raison d'in justice ou de faute commise qui peut rendre juste, l'endroit d'un autre Etat, l'intervention main arme. Si cette raison de faute n'existe' pas, rien nopeut lgitimer une guerre, non pas mme le motif dese dfendre. 11 faut d'ailleurs remarquer qu'il pourra

    y avoir des fautes telles commises par un Etat qu'aucune rpression main arme, si radicale soit-elledans son but et irait-elle jusqu' se proposer la transformation de l'Ktat coupable comme tel, ne pourra

    jamais tre considre comme injuste ou comme disproportionne avec la faute commise. C'est ainsi que

    pour l'individu humain il est aussi des fautes tellesqu'aucun chtiment, y compris la perte mme de lavie, ne sera excessif ou injuste. Dans ce cas, demme que l'individu humain condamn mort n'apas le droit de rsister quand on lui inflige sa peine,de mme aussi un Etat sera tenu de subir les con

    ditions mrites par son crime. 11 n'aura pas le droitde recourir aux armes et de continuer s'en servirpour chapper au sort qu'il a mrit; et s'il lo fait, ilaura la responsabilit nouvelle de tout le mal occasionn par sa rsistance injuste. Combien plus cetteresponsabilit dans la continuation de la guerre existerait-elle pour un Etat, si lui-mme avait t l'agres-

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    l i

    seur injuste et dans des conditions telles qu'aucunerpression, si radicale qu'on la suppose l'endroitde cet Etat comme tel, ne pt galer l'normit de la

    faille.

    CHAPITRE TROISIME

    La Guerre sage

    La guerre demeure toujours possible dans Tordredes choses humaines. Elle est la consquence fatalede la diversit des Etats et de la lutte des passions oudes intrts l'emportant sur la saine et tranquille raison. Des causes de litige intervenant parmi les hommes, d'Etat Etat, il est des cas o ces causes de

    litige amnent ncessairement des interventions main arme. Ces interventions pourront quelquefoisrire justes de part et d'autre, non d'une faon matrielle ou en soi, car la raison de justice ne peut setrouver que d'un ct, mais parce que la difficultmme de trancher le dbat expliquera que de part et

    d'autre on puisse tre dans la bonne foi. Mais il estd'autres cas o, d'un ct, l'intervention est manifestement injuste, du moins pour la conscience de ceuxqui engagent la guerre, sinon toujours aux yeux deceux qui doivent y prendre part. Si elle tait manifestement injuste mme aux yeux de ceux-ci, il leur serait interdit en conscience d'y prendre aucune part.

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    Mas quand la guerre est juste et qu'on a Je droitsoit de l'engager, soit d'y prendre part, commentpeut-on concevoir qu'il serait bon de l'organiser en

    vue de la fin qui la justifie?La fin qui la justifie, nous l'avons dit, ce n'est

    point une fin de conqute; c'est seulement une fin de juste rparation, ou encore de solution de conflitquand la saine et tranquille raison n'arrive point se l'aire entendre et rgner par elle-mme.

    11 suit de l que le principe d'armement outrance,ou encore de nations entires visant un dveloppement de force qui permette de tout dominer autourde soi a quelque chose d'excessif ou d'irrationnel, sinon mme de suspect et de dangereux. Pourquoi exi

    ger d'une nation et, par voie de consquence, de toutes les autres nations, un tel dploiement de forces,si l'on n'avait pour but, parmi les nations, que d'tre mme de dirimer par la voie des armes les conflitsque la raison est impuissante rsoudre par elle-mme? Ne pourrait-on point mesurer ses forces,

    d'Etat Etat, sans se condamner, de part et d'autre, engager dans la lutte tous les hommes valides de lanation? N'est-il pas prvoir, au contraire, que sitoute la nation est en armes, dans la mesure o unenation sera nombreuse et o ses armes seront de plusen plus perfectionnes, ou bien pourra intervenir le

    cas du vertige de l'ambition et de l'orgueil poussanttelle nation se ruer sur les autres de faon toutbroyer autour d'elle, ce qui sera la guerre la pluseffroyablement injuste, ou bien, mme dans le casd'une guerre juste, soit d'un seul ct, soit plus

    forte raison des deux cts quand il y a la bonne foi,on aura des guerres entranant aprs elles des maux

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    incalculables et menaant jusque dans ses derniresprofondeurs la vie de nations entires?

    Oh! sans doute, mme dans ce mal extrme, ct

    du mal se trouve un certain bien. Il y aura trs spcialement le bien de retremper toute une nation dansl'hrosme des vertus guerrires. Mais cet avantage oud'autres semblables devraient-ils entrer dans les vuesdes hommes d'Etat vraiment sages, quand il s'agit d'organiser l'instrument de guerre qui s'appelle l'arme?

    Ne serait-il pas plus digne de la sagesse des nationsqu'il y et entre elles une sorte d'entente internationale fixant un certain nombre dtermin leur instrument de guerre respectif? Il va de soi que ce nombre serait proportionn aux populations elles-mmes.Des lors, les justes avantages respectifs des diversesnations ou des divers Etats seraient sauvegards; etTon n'aurait cependant ni porter, en temps de paix,le poids crasant d'armements sans limite, ni subir,en temps de guerre, les pertes effroyables qui ruinentet dsolent les nations.

    Cette limitation de l'instrument de guerre aurait,en outre, de lui rendre son vrai caractre dans l'organisme du corps social. Le corps social peut trecompar au corps physique des tres vivants. Cescorps forment un tout dont les parties sont essentiellement htrognes. Et le corps vivant ne peut tre, ne

    peut vivre, qu' la condition d'avoir toutes ses parties bien distinctes, remplissant chacune ses fonctions dtermines pour le bien de l'ensemble. Il enest de mme dans le corps social. Vouloir, au nomd'une galit absolue et contre nature, que toutes ses

    parties soient identiques dans leur rle et leur fonction, c'est transformer le corps social en un simple2

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    agrgat qui n'a plus rien de l'tre vivant. La vie ducorps social sera donc ce qu'elle doit tre, non pasquand tous les individus humains y seront astreints

    au mme office, mas quand les divers offices y seront distribus selon les gots, les aptitudes et les besoins.

    Et, par exemple, en ce qui est cle l'instrument deguerre, n'aurait-on pas un instrument plus en harmonie avec la nature du corps social, si cet instrumenttait compos d'lments, qui, loin d'absorber tousles lments vitaux de la nation, seraient eux-mmesdes lments spciaux, prpars par leurs gots enmme temps que par leurs aptitudes la fin de leuroffice et dont toute la vie serait ordonne celte fin?

    Des avantages matriels el. moraux, proportionns la noblesse de leur l'onction, leur seraient assurs, entelle sorte qu'il pourrait rgner une parfaite mulation dans le pays, l'effet d'tre admis dans ce corpsd'lite. On aurait alors, pour l'arme tout entire, cequ'on a dj e! qu'on n'aura jamais trop pour le

    corps des officiers, pour h corps de la magistrature,pour Je corps du clerg, pour tous les autres corpsessentiels la vie d'un Etat organis.

    Les fonctions tant ainsi parfaitement distribues,celle qui aurait pour objet la guerre accomplirait sonoffice sans que les autres en soient troubles dans

    leur organisme essentiel. Des lors, mme quand laguerre se dclarerait, la Aie de la nation pourrait continuer sans tre bouleverse ou menace jusqu'en sesfondements. Et Ion n'aurait point le spectacle si attristant d'hommes de Joutes conditions ou de tousoffices, mme les plus indispensables la vie du pays,arrachs leurs fonctions et jets dans une fournaise

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    qui consume les plus magnifiques rserves de la nation.

    Parmi tous les corps ncessaires la vie d'une na

    tion et qui devraient pouvoir toujours continuer leuroffice, sans en tre dtourns par rien, il en est unqui occupe la premire place par la saintet et la su*blimit de ses fonctions. C'est le corps du clerg. UnPouvoir sage devrait veiller par-dessus tout ce que

    h corps du clerg, dans la nation, demeurt toujourset absolument inviol. Plus encore en temps deguerre qu'en temps de paix, son rle propre est indispensable. Car si la puissance matrielle en hommes eten armements est alors requise, cette puissance demande elle-mme d'tre soutenue et dcuple par le

    moral du pays et le moral des troupes. Or, c'est prcisment au clerg qu'il appartient de maintenir oud'lever le niveau moral soit des troupes, soit du pays;en telle sorte que loin de retirer des paroisses ou duservice religieux de l'arme les membres du clerg,pour leur attribuer un autre rle ou d'autres fonc

    tions, il faudrait, au contraire, multiplier les titulaires chargs de ce double office dans l'Etat.

    C'est cette raison du bien de la socit qu'invoquesaint Thomas pour que soient maintenus, inviolablc-ment, dans leur office propre les membres du clerg.L'office propre des clercs, dans la socit, est de vaquer la contemplation des choses divines, lalouange de Dieu, la prire pour le peuple. Et, assurment, il ne saurait y avoir, dans la socit, d'officeplus noble, plus excellent, ou plus ncessaire. Il s'ensuit que cet office doit tre maintenu, par un Pou

    voir sage, avec le soin le plus jaloux. Surtout, Tin-compatibilit de ces sublimes fonctions avec le ma-

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    niement des armes devrait faire tenir loign de cemaniement des armes tout membre du clerg. A cetteraison gnrale s'en jo in t une autre plus spciale et

    qui montre plus encore l'incompatibilit absolue ducaractre des clercs avec la fonction des hommes deguerre. Ceux-ci, en effet, sont appels par tat verser le sang, quand ils doivent combattre les ennemis.Or, les clercs ont pour mission tout fait spciale devaquer au service de l'autel o se trouve remise sousnos yeux, dans son tat sacramentel, la Passion duChrist, ne versant point le sang des autres, mais, aucontraire, donnant le sien propre pour le salut dumonde. Les clercs doivent, par tat, imiter ce mystreque leur fonction sacre est de renouveler chaque

    jour. Comment, ds lors, sans profanation sacrilge,les obliger remplir l'office des hommes d'armes (i)?

    CHAPITRE QUATRIME

    La Guerre honnte

    Un Etat peut avoir de justes raisons de faire laguerre ; et il a le droit, le devoir mme de travail ler,en vue de celle ventualit possible, prparer un instrument de combat qui y soit parfaitement adapt.

    (1) 2a-2a\ (j. 40, art. 2.

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    Mais si la redoutable ventualit se produit, si laguerre devient une ncessit, quelles devront trealors pour un Etat et pour ceux qui combattent en

    son nom les rgles de conduite? Il ne s'agit ici, bienentendu, que des rgles morales, non des rgles techniques qui appartiennent en propre aux spcialistesde l'arme.

    Or, pour ce qui concerne les rgles morales, serait-il vrai, comme plusieurs l'ont rig en doctrine afinde pouvoir le pratiquer sans scrupule, que du jour ola guerre est dclare entre deux Etats, toutes les rgles ordinaires de la morale se trouvent suspenduespour les belligrants? Serait-il vrai que la fin de lavictoire obtenir ou la ncessit de vaincre justifie

    tout? Suffirait-il, pour tout, excuser, de rpondre parces simples mots fatidiques : c'est la guerre? Pourrait-on, sans avoir en rendre compte au tribunalde la raison morale et plus tard au tribunal mmede Dieu, dchirer et tenir pour nuls les traitsles plus solennels, violer ses propres serments, user de

    tous les moyens possibles ou a sa porte pour frapper,dtruire, anantir tout ce qui n'est point de la nation laquelle on appartient ou pour laquelle on combat? Aurait-on le droit de prendre, d'exiger, de s'approprier tout ce qui appartient aux autres, notamment l'ennemi, et qui peut rpondre aux besoins,

    ou aux gots, ou simplement aux caprices du plusfort?

    Il semblerait que poser de telles questions devraittre les rsoudre du mme coup. Et cependant, lesfaits les plus certains comme aussi les plus doulou

    reux sont l pour tmoigner qu'il est des hommesqui peuvent, non pas seulement d'une manire isole2.

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    et titre d'exception, mais par voie de persuasioncollective, se donner comme les tenants d'une doctrine qu'ils proclament la seule vraie, la seule con

    forme au concept de la guerre, et dont ils se fontgloire comme du dernier mot de la raison perfectionne par la culture. Il est des hommes pour qui, entemps de guerre, ni la vrit, ni la justice, ni les sentiments d'humanit et de pudeur, ne doivent plus

    jouir d'aucune considration, d'aucune autorit,d'aucun droit. Un seul droit existe pour eux: la force;un seul devoir : abattre son ennemi et en triompher,par tous les moyens, au sens le plus absolu de cesmots, sans rserve et sans distinction aucune.

    Comment expliquer de telles affirmations et une

    telle doctrine? Elles tiennent, scmble-t-il, la conception mme de la guerre, telle que se la formentde tels hommes. Pour eux, la guerre est l'acte d'unEtat se jetant sur un autre Etat l'effet de le traiter,lui et tout ce qui est lui, comme on traite unepice de gibier ou un fam qu'on trouve sur son che

    min, et qu'on tue, qu'on massacre au besoin, pourensuite s'emparer de sa dpouille. En pareil cas, onn'a pas parler de justice, ou de toute autre vertu; ouplutt la seule vertu qui ait s'exercer ici est la vertude la force physique ou technique venant h bout del'obstacle et l'utilisant ensuite de son mieux. Comme,

    d'autre part, l'Etat qui a cette force physique ou technique est tenu pour l'Etat idal, l'Etat parfait, quisa perfection mme donne le droit de considrercomme d'une autre espce, par rapport lui, tout cequi n'est pas lui, cet Etat n'a qu' se rgler sur lui-mme pour agir. Il ne doit avoir qu'un but : russir.Toute occasion propice fera son droit. Et le rsultat

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    seul, bon ou mauvais, sera pour lui toute la raison debien et toute la raison de mal.

    Une telle conception de ce qu'on pourrait appeler

    l'Etat-monstre ressemble aux thories de l'affreuxcyclope Polyphmc, lequel, adjur par Ulysse de respecter les dieux et de se montrer hospitalier, rpondait avec un cur farouche : Tu es insens, Etranger, et tu viens de loin, toi qui m'ordonnes decraindre les dieux et de me soumettre eux. Les cy-clopes ne se soucient point de Zeus temptueux, nides dieux heureux, car nous sommes plus forts qu'eux.Pour viter la colre de Zeus, je n'pargnerai ni toi,ni tes compagnons, moins que mon me ne mel'ordonne (i) . Evidemment, et pour l'honneur de

    l'humanit, de tels excs de doctrine demeurent uneexception. S'il est un Etat qui les professe, il se metdu mme coup au ban des autres Etats.

    La vrit est, comme dj nous avons pu nous enconvaincre, qu'il n'est aucun Etat, quelque parfaitqu'il se suppose ou quelque puissant et quelque dve

    lopp qu'il existe, qui ait l'tre, l'indpendance etau respect plus de droit qu'aucun autre, si minimeque soit cet autre, mais qui vit de sa vie propre et nelse les droits de personne. 11 en est des Etats commedes individus. Le plus faible a autant de droits quele plus fort, ds l que tous deux sont indpendants,

    vivant chacun de sa vie propre et non subordonnsentre eux au point de vue social. De mme pour lesdivers Etats. Aucune raison de force, ou de prosprit, ou d'tendue, ou de ncessit d'expansion, oude soi-disant supriorit de culture, ne lgitimera ja-

    (i) Odysse, ch. ix. Traduction Lcconte de Liste.

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    mais l'acte d 'un Etat l 'endroit d 'un autre Etat,ayant pour but de se l'approprier ou de l 'absorber son profit. Il doit traiter avec lui d'gal gal, au

    point de vue du droit; et un acte quelconque d'intervention, surtout d'intervention main arme, n'estlicite, son gard, que s'il a lui-mme, auparavant,mrit cette intervention par quelque infraction la

    justice ou la saintet du droit.C'est l, nous l'avons dit, l'unique raison juste de

    faire la guerre. Ds lots, le mode de faire la guerredevra ncessairement se .mesurer cette fin et se rgler d'aprs elle.

    La guerre tant une intervention main armed'Etal Etat pour diriiner, par la voie des armes,

    seule possible ici, quand la raison n'arrive plus tre coute ou entendue de part et d'autre, un conflit de droit et de justice survenu entre ces diversEtals, il s'ensuit que c'est la nature du conflit quedevra se proportionner le mode de l'intervention. Lalin obtenir, par celte intervention arme, est d'ame

    ner l'Etat qu'on estime rsister indment, accepter, de force, les conditions de justice qu'il n'a pasvoulu accepter de son plein gr. On a donc le droit deconduire la guerre en tel mode que cet Etat qui rsiste soit, dans la lutte, rdui t merci. Mais parcequ'il s'agit, non d'un acte de proie l'endroit d'un

    tre de race infrieure, ni mme , proprement , d' unacte de bourreau, excutant contre un coupable lamerci de la justice un jugement qui le condamne,mais plutt d'un acte de juste violence destin ramener la raison et la justice un gal qui refuse de

    se rendre, et qu'on n'a point d'autre moyen de contraindre, il faudra, par-dessus tout, que cet acte de

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    violence soit honnte et que, dans la lutte, on ne sedonne soi-mme aucun tort aux yeux de la saineraison.

    Par consquent, la lutte devra se conduire selon lesrgles mmes du combat. On n'aura le droit de frapper que ce qui fait partie de l'instrument de guerrechez l'adversaire. Ce qui est en dehors de cet instrument de guerre doit tre respect comme une chosesacre et sur laquelle on n'a aucun droit, sauf bienentendu le droit de requrir, selon les formes de la

    justice, tout ce dont on peut avoir besoin pour vivresur le territoire ennemi.

    Dans la lutte mme avec ce qui fait partie de l'instrument de guerre chez l'adversaire, il est des rgles

    de justice et de haute morale ou d'honntet imprescriptibles qui s'imposent toujours. C'est ainsi qu'onne pourra jamais frapper son ennemi s'il est lui-mme dsarm et qu'il demande grce; plus forteraison s'il est dj bless et hors de combat en raison de sa blessure; combien moins encore, s'il s'agit

    d'un non-combattant qui a pour office de porter secours aux blesss ou de recueillir les morts. Ce sontl des rgles de droit naturel, qu'aucun tre humainn'a le droit de violer sans se mettre hors de la raison et sans encourir les plus graves responsabilitsqui motiveront ensuite les plus terribles reprsailles.

    Pour ce qui est de l'armement lui-mme, la rgleindispensable d'honntet est qu'on s'en tienne scrupuleusement aux clauses dtermines par le droit desgens et qu'on ne fasse usage d'aucune arme que lesconventions internationales interdisent. Ici encore,manquer cette rgle est se mettre dans son tort dela faon la plus grave et motiver contre soi, pendant

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    la suite de la guerre, ou lors du rglement des comptes, de terribles et trop justes sanctions.

    Mais par-dessus tout, la rgle d'honntet la plus

    essentielle, au plus fort mme du combat, si acharnqu'il puisse tre, csl le respect de la vrit et de la parole donne. Ouaiul le bien de la vrit et de la paroledonne disparat du milieu des hommes, c'en est faitde toute vie humaine et de tout rapport humain deshommes entre eux. L'homme devient alors pire quela bte; car il use de l'instrument mme de la vritqu'il est le seul avoir pour tromper son semblable.

    Aussi bien est-ce ce seul point, comme s'il rsumait et condensait tous les autres, que saint Thomasramne sa considration de l'honntet dans les pro

    cds de la guerre (i). .Se demandant s'il est permisd'user d'embches ou de ruses pendant la guerre, ilrpond par une distinction aussi lumineuse qu'elleest importante. Toute ruse ou embche, en temps deguerre, a pour but de tromper l'ennemi, afin que,profilant de son erreur, on puisse plus facilement le

    \aincre. Or, c'est d'une double manire que notreennemi peut tre tromp a l'occasion de nos actes :ou bien parce que nos actes sont une feinte, masquant et ne dclarant point nos vritables desseins;ou bien parce que nos actes constituent un mensonge exprimant le contraire de ce qu'il est express

    ment convenu qu'ils doivent signifier. Le premiermode est parfaitement licite; car nous ne sommespoint toujours tenus, et moins encore avec unennemi, en temps de guerre, de manifester ce quenous pensons ou ce que nous nous proposons. Mais

    (J) Sa-iVe.

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    le second mode n'est jamais permis. Il constitue, eneffet, un acte intr insquement mauvais, c'est--direun acte de dloyaut, de perfidie, sinon mme quel

    quefois de parjure, et toujours un mensonge.On voit ds lors qu'il n'est rien de plus oppos

    riionnlet des procds toujours requise, mme entemps de guerre, que de transformer les signes con-

    \entionnels, dtermins d'un commun accord, en signes de tromperie. Et, par exemple, arborer le dra

    peau, ou les insignes, ou les signaux propres l'ennemi pour l'attirer dans un guet-apens; faire les signes convenus qui marquent l'intention de se rendre, et masquer de la sorte une attaque perfide; plusforte raison, user des insignes de la piti ou de lareligion pour abuser des sentiments les plus nobleset les plus saints ou les plus sacrs, l'effet de surprendre un ennemi trop loyal, sont choses qu'on nerprouvera jamais assez haut et qui constituent descrimes absolument infamants. En raison mme de salin, en raison aussi de son caractre toujours cruel par

    lui-mme, il faut que la guerre, pour rester quelquechose d'humain, conserve avec le soin le plus jalouxces conditions de loyaut et d'honntet qui seuleslui mriteront le beau titre dont on a pu la saluer :une cole d'honneur.

    http://entionnels/http://entionnels/http://entionnels/
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    CHAPITRE CINQUIME

    La Guerre sainte

    Suffira-t-il, pour que la guerre soit revtue de tou

    tes les conditions qui doivent tre les siennes, qu'ellesoit juste dans sa cause, sage dans sa prparation etson excution, honnte dans ses procds? Il le semblerait, ne la considrer que du point de vue civilou laque, si l'on peut ainsi s'exprimer. Mais il estun autre point de vue qu'on ne saurait ngliger quandil s'agit d'une chose aussi grave que la guerre et quientrane aprs elle tant de consquences. C'est lepoint de vue religieux.

    En se rsolvant faire la guerre, qu'il s'agissed'une guerre offensive ou d'une guerre dfensive, un

    Etat prend les plus graves responsabilits. Tous sesmembres en prouveront le contre-coup. Et ceux quiseront engags directement dans la lutte seront appels consentir les plus grands sacrifices, puisqu'onva leur demander le sacrifice mme de leur vie.Comme il s'agit non de simples machines qu'on meut

    du dehors ou mme d'animaux sans raison que l'instinct ou la menace suffisent a branler, mais d'tresraisonnables devant se mouvoir eux-mmes par conviction et par vertu; et comme, d'autre part, les intrts en jeu sont tout ce qu'il y a de plus grave, puis-qu'aussi bien c'est la vie mme de la nation qui peuttre en cause, il est vident qu'on ne saurait trop s'en-

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    3i

    tourer de toutes les garanties qui peuvent ou doiventassurer le succs dans l'effroyable lutte.

    Parmi ces garanties, la plus puissante assurment

    et la plus prcieuse, celle qui complte toutes les autres et pourrait mme, au besoin, ou en cas d'absoluencessit, suppler telles ou telles, c'est la protectiondu ciel. En parlant de la guerre sage, nous avons djdit de quel secours doit tre pour maintenir ou leverle moral du pays et le moral de l'arme le rle duclerg, et quelle faute contre la prudence il y aurait,de la part d'un Etat, diminuer ce rle ou le paralyser. Mais cela mme ne saurait suffire. Un autre devoir s'impose. C'est celui d'en appeler directement Dieu et d'at ti rer ses bndictions par l'hommage

    solennel que consti tue la reconnaissance du besoinqu'on a de Lui en des circonstances aussi graves.Il va sans dire que cet acte de religion destin

    sanctifier le grand acte de la guerre ne peut se faireque dans le cas d'une guerre juste ou qu'on estimetelle en parfaite bonne foi. Rien ne serait, en effet,

    plus dplac que d'en appeler au secours de Dieu et sa protection quand il s'agirait d'une agression in

    juste. L'inconvenance prendrait les proportions du sacrilge et du scandale, si Ton avait publiquementviol sa parole donne sous la foi mme du serment.Dans ce cas, au lieu de compter sur le secours de

    Dieu et d'y faire appel, on devrait plutt redouter sa juste colre et ne songer qu' se faire oublier de Luiou dtourner son courroux en rparant les tortsdont on s'est rendu coupable.

    Mais, supposer qu'il s'agisse d'une guerre juste,

    soit parce qu'on l'estime telle en parfaite bonne foi,soit parce qu'en effet la justice de sa cause est cla-3.

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    3a

    tante, alors vraiment on a le droit de s'adresser Dieu avec confiance et de faire appel son secours.Nous avons mme dit que c 'est un devoir; et un de

    voir sacr. Il est vrai qu'ici une objection se pose.Comment en appeler Dieu et son secours, si l'on

    jae croit pas en Lui? Comment mme, en admettantqu'on a personnellement la croyance, en Dieu, faireacte public et extrieur de religion, si l'on vit dansune socit o cette croyance n'est pas universelle?

    Nous avouerons en toute simplicit que d'entendreformuler cette objection et d'avoir y rpondre estchose trs douloureuse. 11 semble qu'elle n'aurait jamais d tre possible dans une socit d'treshumains. Qu'un tre humain, en effet, dou de sa rai

    son, puisse nier ou rvoquer en doute la vrit la plusessentielle et que tout dmontre, c'est chose peineconcevable, et, tout le moins, profondment humiliante pour notre nature.

    Toutefois, cl puisque, malheureusement, il est deshommes qui formulent cette objection et qui prati

    quement rglent leur conduite sur elle, il faut bienmontrer son erreur et son ct pernicieux. On ditqu'un Etat, ou ceux qui le reprsentent, ne doit pasfaire acte extrieur de religion, mme et surtout dansles graves circonstances de la guerre, parce qu'il sepeut que le personnel de cet Etat n'a it aucune

    croyance religieuse et qu'en tout cas il doit respecterles convictions de ceux qui n'ont aucune foi. A cela,nous rpondrons par ces simples considrations. Quele personnel d'un Etat, dans sa partie dirigeante, ouque des membres de la nation laquelle cet Etat pr

    side, soient sans aucune croyance religieuse, cela nefait point que la vrit de la religion n'existe pas.

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    Dieu ne cesse pas d'exister et de gouverner le monde,parce qu'il est des hommes qui nient son existenceou qui mconnaissent l'action de son gouvernement.

    D'autre part, s'il est vrai comme la raison naturellele proclame, aux yeux des sages, et comme en toutcas l'Eglise catholique l'enseigne, que toute socitest tenue de rendre Dieu un culte public sous peined'irriter sa colre, comment oser prendre sur soi lesresponsabilits d'une abstention qui peut avoir tou

    jours de si redoutables consquences, mais plus spcialement dans les circonstances exceptionnelles ola vie d'une nation se joue sur les champs de bataille.S'il ne s'agissait que de soi, ce serait toujours tropde courir des risques si formidables sans avoir des

    certitudes mille fois tablies qui ne pourront jamais l'tre dans la grave question qui nous occupe; mais quand il y va des intrts vitaux de tout unpeuple, quand il y va de la possibilit de prolongerou d'abrger des preuves effroyables, ne vaudrait-ilpas mieux mille fois s'exposer se tromper dans un

    sens favorable plutt que de courir le plus lger risque contraire? Mais, dira-t-on, comment faire actede religion si l'on n'a personnellement aucunecroyance? Nous rpondrons : Comment accepter ougarder de si graves responsabilits, si l'on n'estimepas possible d'y parer? Il resterait toujours la res

    source de cder la place d'autres. moins qu'onne juge possible de poser au moins l'acte extrieurqui se fait alors non pas au nom du sujet comme personne prive, mais au nom de la socit que l'on reprsente titre de personnage public. Oui, maissi dans cette socit il en est qui ne croient pas? Faudra-t-il donc pour ne pas dplaire quelques es-

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    (l) 2a-2ae, q. 40. art. 4.

    prit, qui n'ont d'ailleurs aucun droit de se plain*dre, puisqu'aussi bien on ne les force pas eux-mmesde prier, courir le risque d'exposer toute la nation

    et ces esprits dissidents eux-mmes payer des plusterribles consquences une abstention que tant d'autres esprits dclarent dangereuse?

    Voil le point prcis de la question et qui ne permet absolument pas de rponse ngative. Aucun Etatn'a le droit d'engager une guerre, quand celte guerreest juste ou qu'il la croit telle de bonne foi, sans appeler publiquement et solennellement la protectiondu ciel sur la guerre qu'il entreprend. Il doit toutmettre on uvre pour attirer sur soi cl sur ses armesles bndictions de Dieu et ne rien faire qui puisse,

    en l'irritant, soit compromettre le succs final, soitrelarder ce succs et le rendre plus coteux.Saint Thomas se demande, ce sujet, s'il peut tre

    permis de combattre aux jours de fte ou de dimanche ( i ) . 11 ramne mme, ici encore, ecl uniquepoint, la question de la saintet de la guerre. Sa r

    ponse vaut d'tre cite textuellement. On y admirerace double caractre de largeur et de prudente fidlitqui se retrouve toujours dans ses rgles de morale. L'observation des ftes, dclarc-t-il, n'empchepoint ce qui est ordonn au salut des hommes, mmedans l'ordre corporel. Aussi bien, le Seigneur fait

    reproche aux Juifs, leur disant, dans saint Jean,ch. vu (v. 23) : Vous vous indignez contre moi parceque j'ai constitu sain Un homme tout entierf le jour

    du sabbat. Et de l vient que les mdecins peuvent licitement traiter leurs malades durant les jours de

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    fte. Or, poursuit le saint Docteur, le salut de la rpublique ordonn empcher le meurtre d'un grandnombre et des maux innombrables soit temporels

    soit spirituels mrite d'tre sauvegard beaucoup plusque le salut corporel d'un homme particulier. Il suitde l que pour la protection de la rpublique des fidles, il est permis de faire les guerres justes durant les

    jours de fte, pourvu toutefois que la ncessit le demande : si, en effet, quand la ncessit presse, onvoulait s'abstenir de faire la guerre, ce serait tenterDieu. Mais, quand la ncessit cesse, il n'est pointpermis de faire la guerre pendant les jours de fte.

    Et nous avons, dans ce dernier mot du saint Docteur, le rsum de tout ce qui concerne les devoirs

    d'un Etat ou d'un peuple au sujet de la guerre : laguerre doit tre juste, prpare et organise ou meneselon toutes les rgles de la prudence humaine, segardant bien de remett re tmrairement au secoursde Dieu ce qui dpend de notre action propre; maisaussi, et en mme temps, tre scrupuleusement atten

    tive ne rien faire qui puisse dplaire Dieu, s'appliquant, au contraire, en toutes choses, respectersa loi sainte pour attirer sur soi les secours et les bndictions de Celui qui est le Matre de la victoire.

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    CHAPITRE SIXIEME

    La Paix

    La guerre, mme juste, et sage, et honnte, etsainte, ne saurait tre une fin pour elle-mme. Ellen'est jamais qu'un moyen, moyen parfois ncessaire,bien que toujours dplorable en raison des terriblesmaux qu'il entrane, mais qui est destin une finautre que lui-mme, une fin pour laquelle seule il a

    droit d'tre pris. Cette fin, c'est la paix.Saint Thomas, dans sa question de la paix, a uneadmirable parole (i). Il dclare que mme ceux quifont la guerre ne font la guerre qu'en vue de la paixet pour la paix. Si, en effet, ils rompent la paix qu'ilsavaient jusque-l et font la guerre, c'est parce qu'ils

    estiment que leur premire paix n'tait point bonne.Ils la tenaient pour trop peu fructueuse, ou trop peusre, ou parfois aussi trop onreuse. C'est que toutepaix, nous l'avons dj dit, implique un rapport dedivers mouvements affectifs. Quand ces divers mouvements sont ordonns entre eux, en telle sorte quenul n'empite sur l'autre, mais demeure sa placeet, loin de nuire au voisin, l'aide plutt et le soutient,alors c'est la paix, la paix parfaite. Si, au contraire,tel mouvement affectif est gn par un autre, s'il estcomprim ou contrari par lui, supposer que la

    (1) 2a-2ae, q. 29, art, 2, ad 2um.

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    lutte n'clate pas entre eux, elle est pour ainsi dire l'tat latent et fatalement elle clatera la premireoccasion propice. Or, quand elle clatera, elle n'aura

    point d'autre but que de librer celui des deux mouvements qui s'estimait opprim, moins qu'elle n'aitaussi pour but, du ct adverse, d'ajouter encore larpression et de la rendre plus absolue l'effet de briser pour jamais toute possibilit de rsistance. Mais,on le voit, c'est toujours parce que quelque mouvement affectif se trouve insatisfait et pour le satisfaireplus pleinement que la lutte se produit.

    S'il en est ainsi, il devient d'une importanceextrme, quand une guerre est dclare, qu'elle setermine comme il convient, c'est--dire une paix

    parfaite, harmonisant du mieux possible les volonts jusque-l opposes. Sans cela, elle ne serait pointfinie qu'on se prparerait la recommencer et le malse continuerait sans remde. Il est trs vrai, nousl'avons dit aussi, qu'il n'est point possible, dans lesconditions o l'humanit se trouve, d'aspirer une

    paix absolue et qui serait tout jamais dfinitive nedevant plus tre trouble par aucune guerre. Maisfaut-il, du moins, s'appliquer ne pas laisser subsister ou ne pas crer des causes de conflit, quand ils'agit de causes injmdiates et qu'il est en notre pouvoir de les dissiper. Or, c'est l le propre des traits de

    paix.Dans ces sortes de traits, il s'agit d'tablir ou de

    rtabl ir des conditions de vie, parmi les nations etentre les divers Etats, qui permettent aux volonts deces Etats ou de ces nations de se tenir pour satisfaites.

    Le problme est d'autant plus dlicat que si la guerrea eu lieu, c'tait prcisment parce que d'une part ou

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    de l'autre, sinon des deux la fois, on estimait, tort ou raison, avoir des motifs de se plaindre. Cesmotifs, semble-t-il, n'auront fait que s'accrotre, en

    raison mme des horreurs de la guerre. Comment,ds lors, ariver s'entendre?

    La solution, ici, dpendra ncessairement de latournure qu'auront prise les vnements au cours dela guerre qui s'est faite. Il est des droits de fait que lavictoire donne, alors mme que cette victoire ne seraitpas du ct du belligrant qui avait pour lui la justice. La fortune des armes s'tant prononce contrelui, il devra subir les conditions du plus fort. Maisc'est dans ce cas surtout qu'il importera que le plusfort n'abuse pas de son triomphe insolent. Il pourra

    mme, s'il a le sens de la mesure, compenser, par lamanire dont il usera de la victoire, ce qui manquaitd'abord a la justice de sa cause et incliner en sa faveur la volont de l'adversaire jusque-l trop justement irrite contre lui.

    Que si la victoire s'est prononce en faveur du

    droit, des conditions extrmement dlicates et de laplus haute importance pourront alors se poser. Ilfaudra, avant toutes choses, considrer la nature del'injustice qui a provoqu la guerre; puis, le modedont la guerre a t mene; enfin, les dispositions ou,si Ton peut ainsi dire, les conditions et l'tat d'Ame

    du vaincu. Si, par exemple, il s'agissait d'une guerrequi aurait dbut par une agression injuste, prmdite, prpare avec des moyens accusant l'intentionformelle de faire une guerre non seulement de conqute, mais de destruction autour de soi, ruinant et

    faisant disparatre ou absorbant son profit tout cequi serait un obstacle la ralisation de son propre

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    rve de domination universelle; si, de par ailleurs,une telle guerre avait, t mene en foulant aux piedstoutes les lois de l 'humanit, avec des procds ou

    des ressources d'organisation matrielle qui auraientfait courir aux autres nations un pril de mort; et si,enfin, l'Etat qui aurait fait cette guerre constituaitpar la manire dont il est form, par la mentalit quiest la sienne, par les ressources qu'il peut utiliser encore, une sorte de pril permanent contre les autresnations, et, aussi, vrai dire, contre lui-mme, parl'impossibilit o il est de subordonner la loi morale et au respect du droit des gens, les pousses deson ambition et de son orgueil, un devoir de haute

    justice et de haute police internationale s'imposerait

    aux nations victorieuses. Il faudrait d'abord que fussent punis comme ils l'auraient mr it, les crimescommis contre le genre humain au cours de cetteguerre. Il faudrait aussi que fussent rpars les dommages causs par cette mme guerre. Et, enfin, l'ondevrait prendre toutes les mesures ncessaires pour

    en empcher le retour.Ces mesures, assurment , ne seraient point faites

    pour plaire l'Etat vaincu. Mais sa volont, ou plutt la volont de la nation qui demeureraiL aprs latransformation de cet Etat, n aurait qu' se plier auxconditions que la conduite de cet Etat aurait renduesncessaires. Le vrai bien de cette nation s'en trouverait lui-mme assur en mme temps que e bien dugenre humain tout entier. Et l'effroyable guerrepourrait succder une longue priode de paix vritable parmi les nations.

    A l'effet d'obtenir ce rsultat quand une guerre estengage, on ne saurait trop rappeler que si la guerre

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    injuste, troublant du dehors la paix des cits et desnations, est le plus grave des pchs contre l'amourdu prochain, dans Tordre des biens temporels, la

    paix, au contraire, et la guerre juste qui par desmoyens honntes et proportionns ne vise qu' assurer de nouveau la paix injustement trouble, sont, auplus haut point, des actes d 'amour et, quand l'in-tention est surnaturelle, des actes de la plus divinedes vertus : la charit. Mme quand on use de

    juste et sainte rigueur envers son ennemi, c'estencore un acte d'amour, non seulement enverssoi et les siens que l'on dfend, mais aussi enverscet ennemi injuste que l'on empche, tout lemoins, de progresser dans la voie du mal. Une seulechose est requise ici : c'est qu'on ne hasse dans sonennemi que le mal; mais ce mal doit tre ha dans lamesure mme o nous voulons le bien (i).

    EPILOGUE

    Nous nous tions propos, sur la demande qui nous

    en avait t faite, de dtacher en quelques pages pourle grand public les enseignements de saint Thomasau sujet de la guerre. Ceux de nos lecteurs qui auront eu sous la main le texte latin du saint Docteur,dans la Secunda-Secund, ou le commentaire fran-

    (l) 2a-2ae, q. 34, art. 3, ad 3um.

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    4i

    ais que nous en avons donn rcemment, auront puse convaincre que les enseignements groups ici nefont que reproduire sous une nouvelle forme la pen

    se de l'Anglique Matre ou s'inspirer scrupuleusement de cette pense. Il n'en est pas de plus haute,ni de plus lumineuse, ni de plus fconde en applications de toute sorte l'heure actuelle. Chacun de noslecteurs pourra lui-mme faire ces applications. Nousavons vit avec le plus grand soin de les faire nous-

    mme ou de prononcer des noms propres, qu'il s'agt d'individus ou qu'il s'agt de nations, pour nepas troubler la srnit d'un expos doctrinal au-dessus de toutes les contingences. Mais l'on ne sauraittrop souhaiter que pour le prsent et pour l'avenir,soit les peuples soit les individus se pntrent d'unelumire si bien faite pour prvenir les conflits arms,pour les abrger et les rgler et les apaiser ou les rendre moins funestes, s'ils viennent se produire.

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    T A B L E D E S M A T I R E S

    A V A N T - P R O P O S V

    CHAPITRE I e r . La paix et la guerre 1

    CHAPITRE II. La guerre juste 8

    CHAPITRE III . La gu er re sa go 17

    CHAPITRE IV. La guerre honnrto 2 2

    CHAPITRE V. La guerre sainto 3 0

    CHAPITRE VI. La paix 3 6

    EPILOGUE 40

    IMP. P. TQTJI, 9 2 , RU E DE VUGIRARD, PARIS.

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    D U M M E A U T E U R

    Commentaire franais littral de la Somme tftologipDE SAINT THOMAS D AQUIN

    Cet ouvrage a pour but de mettre h la porte de tous les esprits cultivs, de faon pouvoir tre lu par eux dans l'int

    gr it m me de son tex te, le livre dont on a crit qu'il taitle chef-d'uvre de la pense humaine mise au service de lafoi et le plus beau livre sur la vins belle des sciences. Il a thonor d'un Bref de Sa Saintet le Pape Pie X, flicitant l'auteur d'avoir eu la pen se d'exposer dans la la ng ue et avec legnie de sa patrie qui excellent, au premier chef, par la clart,l'uvre qui est en thologie l'uvre Royale .

    Dix tomes ont dj paru. L'ouvrage complet aura environvingt volumes.

    DJ PARUS :

    Tome I. Trait de Dieu, 2 vol. , 842 p. (in-8 ra i s in) . . . . 12 Tome II. Trait de la Trinit, i vol. , 608 p 8 Tome III. Trait des Anges, 1 vol., 640 p 8 Tome IV. Trait de l'Homme, 1 vol. , 806 p 10 Tome V. Trait du Gouvernement divin, l vol. , 682 p. 8

    Ces cinq tomes forment la premire des trois grandes parties

    de la Somme.

    Tome VI. La Batitude cl les Actes humains, l v. , 655 p. 8 Tome VII. Les Passions et les Habitas, 1 vol. , 672 p 8 Tome VIII. Les Vertus et les Vices, l vol ., 832 p 10 Tome IX. La Loi et la Grdce, 1 vol. , 780 p 10 Tome X. La Foi, l'Esprance et la Charit, 1 vo l. , 905 p. 12

    POUR PARAITRE PROCHAINEMENT }

    Tome XL La Prudence et la Justice.Tome XII. La Religion et autres vertus annexes de la Justice.Tome XIII. La Force et la Temprance.Tome XIV. Les Etats.