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Levieils_Contra_Christianos._La_critique.pdf

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  • Xavier LevieilsContra Christianos

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  • Beihefte zur Zeitschrift fr dieneutestamentliche Wissenschaft

    und die Kunde der lteren Kirche

    Herausgegeben von

    James D. G. Dunn Carl R. HolladayHermann Lichtenberger Jens SchrterGregory E. Sterling Michael Wolter

    Band 146

    Walter de Gruyter Berlin New York

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  • Xavier Levieils

    Contra Christianos

    La critique sociale et religieusedu christianisme des origenes au concile de Nicee

    (45-325)

    Walter de Gruyter Berlin New York

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  • Gedruckt auf surefreiem Papier,das die US-ANSI-Norm ber Haltbarkeit erfllt.

    ISSN 0171-6441

    ISBN 978-3-11-019554-5

    Library of Congress Cataloging-in-Publication Data

    A CIP catalogue record for this book is available from the Library of Congress.

    Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek

    Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der DeutschenNationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet

    ber http://dnb.d-nb.de abrufbar.

    Copyright 2007 by Walter de Gruyter GmbH & Co. KG, D-10785 BerlinDieses Werk einschlielich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschtzt. Jede Verwertungauerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlagesunzulssig und strafbar. Das gilt insbesondere fr Vervielfltigungen, bersetzungen, Mikro-

    verfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen.

    Printed in Germany

    Umschlaggestaltung: Christopher Schneider, Berlin

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  • Ce travail est le rsultat de recherches menes dans le cadre de la prparation dune thse de doctorat soutenue lUniversit de Paris IV-Sorbonne en dcembre 2003.

    Je remercie M. le Professeur Pierre Maraval qui a dirig mes travaux, ainsi que les membres du jury, MM. Les Professeurs Alain Le Boulluec, Bernard Pouderon et Jean Riaud, pour leurs judicieuses remarques.

    Je remercie galement M. Ando Rasoamanana pour laide quil ma apporte la mise en forme du manuscrit.

    Ce travail est ddi mon pouse, Sandrine, et mes deux enfants, Silien et Flavie. Il est aussi le fruit de leur soutien et de leur patience.

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  • Prface

    Les chrtiens au lion ! . Tertullien, dans son Apologtique, rapporte que ce cri slevait, Carthage, chaque fois que survenait quelque malheur public. Cette manifestation dhostilit nest pas un cas isol : un des premiers textes paens qui mentionne les chrtiens, celui de lhistorien Tacite, lorsquil rapporte le massacre de chrtiens sous Nron, rapporte quon les accusait de haine du genre humain . De trs nombreux textes chrtiens des trois premiers sicles tmoignent aussi loquemment de lhostilit populaire suscite par la nouvelle religion. A lvidence, les chrtiens avaient trs mauvaise rputation, ce qui explique les perscutions dont ils ont t plusieurs fois lobjet. Aprs dautres, mais avec un grand souci dexhaustivit, Xavier Levieils a voulu expliciter et comprendre les raisons de ce regard hostile port sur les premiers chrtiens par les populations de lempire romain parmi lesquelles ils se rpandaient. Lenqute mene par Pierre de Labriolle, voici plus de soixante-dix ans, tudiait avant tout la polmique anti-chrtienne des lettrs de cette poque, analysant successivement, dans leur ordre chronologique, les textes hostiles aux chrtiens. Celle du prsent ouvrage veut donner une vue plus globale des accusations contre les chrtiens, non seulement chez les lettrs, mais dans lopinion publique, et surtout comprendre les raisons de leur apparition et leur dveloppement, eu gard la mentalit du monde grco-romain de cette poque.

    Le grief de haine du genre humain rapport par Tacite rcapitule un ensemble de motifs que Xavier Levieils a regroups sous quatre grands thmes. Le premier trouve son origine dans lorigine juive du christianisme. Le judasme, lui non plus, navait pas bonne presse : bon nombre de ses pratiques lui valaient un hostilit dclare ou un solide mpris. Or nombre des premires communauts chrtiennes taient constitues de juifs, ou bien en comptaient une forte proportion, et le christianisme, par ailleurs, conservait de lhritage juif ses livres saints et bon nombre de croyances, voire de pratiques. Il nest donc pas tonnant que des accusations portes contre les juifs se soient reportes sur les chrtiens. Un des mrites de la prsente tude, dans le parcours quelle propose des diverses rgions o sest implant le christianisme, le plus souvent partir de communauts juives, est davoir bien mis en valeur cet aspect. Lexemple dAlexandrie, parmi dautres, est clairant, o la violence des perscutions antijuives a sans doute nourri celle des perscutions contre les chrtiens. Dautre part, la critique des intellectuels

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  • Prface viii

    eux-mmes, de plus en plus consciemment, sen prendra dans le christianisme lhritage juif, comme on le voit chez Celse et Porphyre.

    Comme le judasme prcisment, le christianisme a t considr par les Romains comme une superstition, sopposant la religion telle quils la concevaient. Celle-ci, institution publique, rglait, par des rites traditionnels scrupuleusement accomplis, les rapports de lhomme et du divin ; celle-l, croyance individuelle, tait le fruit dune crainte irraisonne de Dieu, dun sentiment de culpabilit, et recourait des pratiques expiatoires trangres la pit vritable. De surcrot, la superstition chrtienne tait dorigine trangre, donc suspecte aux dfenseurs du modle classique de la religion romaine, gage de la prosprit et de la stabilit de lempire. Suspicion aggrave par la nouveaut, car nouveaut, dans le monde traditionnel de lAntiquit, signifiait subversion, en loccurrence subversion de lunit religieuse, mais aussi politique, de lempire. Le recrutement des chrtiens, nombreux dans les classes les plus humbles de la socit, accentuait la mfiance dans les milieux cultivs, qui ne pouvaient admettre quune doctrine professe par des ignorants prtende se substituer lhritage culturel qui accompagnait la religion traditionnelle. Aussi, parce qutrangers, voire opposs aux valeurs romaines, les chrtiens ne pouvaient que prter le flanc aux accusations les plus graves, celles que suscitent frquemment des groupes sectaires, mais qui provenaient aussi dune mauvaise interprtation de leurs pratiques cultuelles magie, licence sexuelle pousse jusqu linceste, anthropophagie, meurtre rituel. Dautres accusations leur attribuaient des croyances qui suscitaient simplement la moquerie. Tous ces aspects sont soigneusement et longuement analyss dans louvrage, qui nous fournit sur eux des dossiers trs complets, ainsi en ce qui concerne laccusation donoltrie ladoration dun ne , aussi bien partir des textes accusateurs des paens que des rponses des chrtiens.

    Parce que rputs superstitieux, les chrtiens taient aussi accuss dtre des athes, des impies, des sacrilges. Ils prtaient le flanc cette critique en refusant de sassocier au culte des dieux, de frquenter les temples, de participer aux ftes, aux manifestations publiques entaches leurs yeux didoltrie ; ils critiquaient les pratiques de la religion traditionnelle, les images, les sacrifices. Bien plus, ils ne cessaient de critiquer les dieux eux-mmes, de nier leur existence, sappliquant les dmystifier ou les dmoniser au moyen dune critique rationnelle, reprenant souvent leur compte les arguments de philosophes paens que leurs critiques avaient fait considrer comme des athes. Or lathe constituait un danger pour la socit, car honorer les dieux permettait dviter les malheurs, alors que les ngliger provoquait leur colre. Aussi, en sabstenant de leur rendre un culte, les chrtiens couraient le risque dtre des boucs missaires tout trouvs en cas de malheurs publics. Lauteur montre bien que plusieurs pisodes de perscution qui nous

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  • Prface ix

    sont connus font suite des catastrophes naturelles, des pidmies, des sditions, dont les chrtiens furent tenus pour responsables.

    Haine du genre humain enfin. Cette accusation peut paratre curieuse, adresse une religion qui prnait lamour du prochain. Elle sexplique pourtant trs bien : les chrtiens se voulaient trangers ce monde, non seulement ses ftes, mais quantit dlments de son mode de vie. Leur mpris de la vie leur faisait accepter, parfois rechercher le martyre, ce qui, loin de susciter ladmiration, tait tenu pour totalement dpourvu de raison. Leur foi pouvait diviser les familles, en particulier lorsque femme, enfants, esclaves y adhraient sans laccord du pre de famille or la famille constituait la base de la communaut civique. Leur dsintrt pour lengagement politique les faisait apparatre comme de mauvais citoyens, leur refus des formes du culte imprial provoquait laccusation de navoir nul souci du salut des Csars, cest--dire de lempire, voire du monde entier. Sajoutant cela, la critique faite par certains chrtiens du pouvoir imprial (malgr lattitude modre des responsables) explique laccusation de conjuration chrtienne et les ractions violentes de ltat romain, que pouvaient aussi effrayer lorganisation et la force croissante de lglise.

    La bibliographie sur les problmes abords dans cet ouvrage tant les textes anciens que les tudes des modernes est considrable. Grce la connaissance approfondie quil a de ce dossier, grce aussi son talent danalyse et de confrontation des tmoignages, de mise en perspective historique, de synthse, Xavier Levieils nous offre non seulement un ouvrage dune grande richesse documentaire, mais, en bon historien, il aide comprendre les causes de lhostilit, du rejet que les premiers chrtiens ont suscits de la part de la socit romaine.

    Pierre Maraval Professeur mrite de Paris IV-Sorbonne

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  • Table des matires

    Prface. vii Table des matires... xi Introduction..1

    Chapitre 1 : La perception de la relation judasme-christianisme... 15 1.1 La conversion des Juifs 16 1.2 Mission et influences judo-chrtiennes..20

    1.2.1 Lidentit nationale dIsral et le dcret apostolique.. 20 1.2.2 La mission judo-chrtienne... 21 1.2.3 Pque et les influences judo-chrtiennes...29

    1.3. La conversion des craignant-Dieu.. 34 1.4. Approches rgionales de la perception... 48

    1.4.1 La Syrie... 48 1.4.2 LAsie.. 75 1.4.3 La Macdoine et lAchae... 83 1.4.4 LEgypte.. 90 1.4.5 Rome... 101 1.4.6 LAfrique. 117

    1.5. La porte intellectuelle de la perception. 121 1.5.1 Le christianisme, foi juive : approche ethnique.. 121

    1.5.1.1 Tacite 121 1.5.1.2 Sutone. 124 1.5.1.3 Epictte. 126

    1.5.2 Le christianisme, foi juive : approche gographique.. 131 1.5.2.1 Lucien de Samosate.. 131 1.5.2.2 Alius Aristide.. 132 1.5.2.3 Epictte. 134

    1.5.3 Critique de lhritage juif du christianisme.144 1.5.3.1 Celse. 144 1.5.3.2 Porphyre151

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  • Table des matires xii

    Chapitre 2 : Le christianisme superstition... 165 2.1 Laspect psychologique de la superstition... 167

    2.1.1 La crainte du divin.. 167 2.1.2 Expiation et pnitence. 174

    2.2. Superstition et religion trangre 177 2.2.1 Rome et les religions trangres. 177 2.2.2 Les prjugs lgard des religions trangres...186 2.2.3 Lapplication au christianisme 197

    2.2.3.1 Les racines juives..197 2.2.3.2 La diffusion du christianisme dans le monde grco-romain.199

    2.2.4 La nouveaut du christianisme 204 2.2.5 Pit vritable et protection divine..222 2.2.6 Crises et lutte contre la superstition 232

    2.3 Religion, philosophie et superstition populaire... 250 2.3.1 Elitisme social et religieux.. 250 2.3.2 Dfiance lgard des cultes populaires. 256 2.3.3 La faiblesse intellectuelle des chrtiens.. 261 2.3.4 La folie des chrtiens 269

    2.4. Le contenu de la superstition chrtienne.274 2.4.1 Les pratiques magiques... 274

    2.4.1.1 Sutone. 276 2.4.1.2 Celse. 279 2.4.1.3 La Passion de Perptue et de Flicit . 281 2.4.1.4 Tertullien.. 282 2.4.1.5 Porphyre284 2.4.1.6 Hirocls... 285 2.4.1.7 Lactance 285 2.4.1.8 Les Actes de Taraque, Probus et Andronicus...286 2.4.1.9 Les raisons de lassimilation la magie... 288

    2.4.2 Festins de Thyeste et incestes ddipe...291 2.4.2.1 Lanthropophagie..292 2.4.2.2 Limmoralit sexuelle... 300

    2.4.3 La christoltrie 310 2.4.4 Lhlioltrie. 316 2.4.5 Lonoltrie... 321

    Chapitre 3 : Athisme et impit. 331 3.1 Athisme, impit et sacrilge. 332

    3.1.1 Lquivalence des termes et la signification du crime 332 3.1.2 Le prcdent juif. 339

    3.2 Athisme pratique 342 3.2.1 Labstentionnisme religieux des chrtiens.. 342

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  • Table des matires xiii

    3.2.2 Laccusation populaire et ses rpercussions344 3.3 Athisme thorique.. 348

    3.3.1 La critique chrtienne des formes de la religion traditionnelle...348 3.3.2 La critique chrtienne du fond de la religion traditionnelle354

    3.4 La colre des dieux.. 368 3.4.1 Les calamits publiques.. 368 3.4.2 Le silence des oracles.. 380

    Chapitre 4 : La haine du genre humain 393 4.1 Ftes religieuses et activits professionnelles..394

    4.1.1 Le chrtien citoyen du ciel.. 394 4.1.2 Les coutumes... 396 4.1.3 La slection des activits professionnelles.. 406

    4.2 Le martyre 412 4.2.1 Le mpris de la vie affich par les chrtiens... 412 4.2.2 Le soutien et les honneurs accords aux martyrs 419

    4.3 La division des familles... 433 4.3.1 Familia, domus et ordre social 433 4.3.2 Lmancipation chrtienne des femmes.. 446 4.3.3 Lmancipation chrtienne des esclaves. 457

    4.4 La conjuration chrtienne 464 4.4.1 Les dsordres publics.. 4644.4.2 Un tat desprit hostile 471 4.4.3 Le refus du culte imprial... 473 4.4.4 LEglise, socit mystrieuse.. 481 4.4.5 Esprances eschatologiques et rvolution politique488

    Conclusion gnrale.505 Documents... 511 Abrviations. 513 Bibliographie... 517

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  • Introduction

    Le glissement de lEvangile du monde juif vers le monde grec fut une tape fondamentale de lhistoire du christianisme. Le succs grandissant de la prdication chrtienne auprs des nations et la redfinition identitaire du judasme par les rabbis de Yavn, qui ne permettait gure aux Juifs convertis de sintgrer dans la Synagogue, conduisirent lEglise se dsolidariser du contexte culturel qui lavait vu natre. La nouvelle foi tait appele voluer dans un univers radicalement diffrent, marqu par le polythisme et la rflexion philosophique. La culture grco-romaine faisait beaucoup plus difficilement office de prparation spirituelle au message vanglique que la Loi et les Prophtes et les populations polythistes, influences par un imposant hritage religieux et intellectuel, devaient invitablement lui offrir quelque rsistance.

    Ltude des rapports entre le christianisme et son environnement culturel est troitement lie lhistoire mme du christianisme. Cette histoire ne serait pas vraiment complte si lon ne tenait pas compte du contexte social et politique hostile de lempire romain dans lequel sest opre la croissance de lEglise. Or il est important de relever que ce qui a constitu lopposition au christianisme sest dabord manifest au niveau populaire. Bien que lEvangile sadresst tous, la majorit des conversions eurent lieu, surtout en milieu urbain, parmi les petites gens qui composaient la part la plus importante du tissu social. Et cest la conversion de ces gens qui provoqua linquitude de leur famille, de leurs collgues, de leurs voisins. On ne peut pas parler de pense antichrtienne avant Celse qui rdigea vers 178 son Discours vritable, premier ouvrage dopposition systmatique au christianisme. Ce platonicien se documenta sur lorigine et lexpression de la foi chrtienne et les confronta, pour signifier la faiblesse de la doctrine, aux valeurs de la civilisation grecque. Il ouvrait ainsi la voie une tradition antichrtienne de nature intellectuelle dans laquelle Porphyre, Hirocls et Julien sinscrivirent. Mais avant Celse, les mentions du christianisme que lon trouve dans les crits grecs et romains sont plutt lapidaires. Il nest considr quen priphrie de lintrt principal des ouvrages dans lesquels il est cit : par exemple, Pline ne sintresse au christianisme quen raison des dsordres administratifs quil cause et Lucien de Samosate parce que Prgrinus, au cours de son priple religieux et intellectuel, a rejoint une communaut chrtienne dans laquelle il a momentanment prospr. Les traces de la critique antichrtienne apparaissent invitablement dans les sources crites, rdiges par des gens de culture, et

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  • Introduction 2

    sont, par consquent, significatives de ce que pensaient les lites intellectuelles et sociales. Alors que, concrtement, il ne subsiste pratiquement rien de lanimosit populaire (les petites gens navaient ni le temps ni les moyens de mettre leurs impressions par crit), celle-ci a bien exist et joua un rle tout aussi important que celle exprime par les intellectuels, sinon plus important car les milieux dont elle manait constituaient lenvironnement immdiat de la majorit des chrtiens.

    Les apologistes chrtiens mettent principalement en cause lopinion publique pour expliquer linimiti dont taient victimes leurs coreligionnaires. Justin se plaint des prjugs, des fausses accusations et des calomnies qui circulent leur propos, ainsi que de la violente opposition dresse par ceux qui se laissent guider par lopinion de la foule1. Athnagore srige contre le monceau daccusations que la rumeur publique attribue aux chrtiens2. Thophile dAntioche met sur le compte dune rumeur dominante les dbauches sexuelles et lanthropophagie imputes aux chrtiens3. Clment dAlexandrie exhorte ceux qui viennent au salut ne plus se soucier de ce que disent [deux] quelques gens de la populace qui trane sur les places publiques 4. Tertullien ragit lui aussi contre la haine publique et les rumeurs qui touchent les chrtiens ; il juge avec svrit que les paens ne manifestent pas assez de zle pour mieux se renseigner leur propos5. Le Carthaginois consacre un beau passage du premier livre de lAd nationes, repris dans lApologeticum, dcrire le rle nfaste jou par la renomme dans le faonnage de la mauvaise rputation des chrtiens : cest cette terrible fama qui, forge par la rumeur, a rpandu de faux bruits que le temps a fortifi jusqu en faire une opinion gnrale 6. Le Ccilius de lOctavius, porte-parole du paganisme dans le dialogue de Minucius Felix, estime que si des accusations aussi graves et varies, quon ne saurait reproduire sans en avoir

    1 Justin, 1Apol. 2, 3 ; 10, 6 ; 23, 3 ; 57, 1 ; 2Apol. 12, 4 ; 13, 1 ; 14, 1. 2 Athnagore, Legatio 1, 2-4 ; 2, 6 ; voir 4, 2 et 31, 1-2.3 Thophile, Ad Autol. III, 4.4 Clment, Protr. 96, 4.5 Tertullien, Ad nat. I, 1, 3-4 (voir 4, 2-3. 9-10) ; 2, 10 ; voir aussi 10, 1 ; Apol. 4, 1. Notons

    que le mot paen , lorsquil est employ dans cette tude sans rfrence aux citations des auteurs chrtiens, ne revt aucune signification pjorative. Il doit tre compris ici dans un sens proche de celui que les premiers chrtiens, la suite des Juifs, donnaient aux termes dr et nationes et dsigne ainsi commodment les non-chrtiens, principalement les Grecs et les Romains, considrs comme des lments attaches des ralits culturelles (sociales, philosophiques, religieuses) auxquelles les chrtiens, du fait de leurs propres acquis spirituels, nadhraient pas. Le terme polythistes est peut-tre plus objectif, car dnu de rfrence au judasme et au christianisme, mais parat avant tout faire rfrence au facteur religieux, aux dpens des autres phnomnes quimpliquent la culture grco-romaine. Sur les problmes poss par lusage des mots paen et paganisme , voir F. Blanchetire, Les premiers chrtiens taient-ils missionnaires ? (30-135), Paris, 2002, p. 167-174.

    6 Tertullien, Ad nat. I, 7, 1-7 ; Apol. 7, 8-14.

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  • Introduction 3

    demand la permission, ne reposaient pas sur un fond de vrit, la renomme au flair subtil ne les rpandrait pas . Le chrtien Octavius sinsurge contre un tel manque de sens critique et considre plutt que la rumeur publique tire sa force de lignorance et du mensonge7. Lexistence de cette rumeur et de cette renomme implique que le peuple tait le principal vecteur de la haine antichrtienne. La rumeur, crit le sociologue J.-N. Kapferer, est le plus souvent une production sociale spontane, sans dessein ni stratgie 8. On sait que lune des caractristiques fondamentales de la rumeur est limposibilit de dterminer sa source. Mais la vrification de la source savre en ralit sans intrt pour la collectivit qui reoit la rumeur car [c]e qui fait en effet la rumeur, ce nest pas la source, cest le groupe qui, un moment donn, sest empar de ce signal ou de ce message parce quils revtaient pour lui une profonde signification 9. La socit antique a peru le christianisme au travers des valeurs et des repres qui faisaient sa force. Or il apparat que ce phnomne de perception a eu lieu lchelle des populations de lEmpire qui ont vu dans le christianisme une puissante force de dstabilisation morale et religieuse. Pour bien comprendre la nature de ce conflit, il faut convenablement cerner les reproches adresss aux chrtiens et les replacer dans le contexte psychologique de lpoque dans laquelle ils voluaient.

    Paradoxalement, les sources chrtiennes contiennent souvent des tmoignages de cette hostilit populaire. Les Actes des Aptres, par exemple, dcrivent quelques actions tumultueuses de la foule contre la prdication vanglique. Plusieurs documents insrs dans lHistoire ecclsiastiquedEusbe de Csare fournissent des lments similaires. Les Actes des martyrs, sources quil faut videmment manier avec beaucoup de prcaution, nous livrent galement quelques traits pris sur le vif o la confrontation des deux mentalits se trouve particulirement mise en vidence10. Lhostilit populaire se livre aussi pour une grande part au travers du dcryptage des uvres apologtiques dont le but tait justement de rpondre aux accusations profres contre les chrtiens par lopinion publique. La confrontation des donnes de ces diffrentes sources chrtiennes les unes aux autres et, mieux encore, aux mentions du christianisme qui nous sont restes chez les auteurs

    7 Minucius Felix, Oct. 9, 3 ; 28, 1-6.8 J.-N. Kapferer, Rumeurs. Le plus vieux mdia du monde, Paris, 1987, p. 33. 9 Ibid., p. 34 et 57. 10 Les actes runis par H. Musurillo, The Acts of the Christian Martyrs, Oxford, 1972 prsentent

    dans lensemble un contenu historique fiable. Ont galement t exploits pour cette tude des documents hagiographiques comme les Actes de Saturnin, les Actes de Saturninus et Dativus, le Martyre de Pierre Balsamos, (texte des Acta Sanctorum), le Martyre de Taraque, Probus et Andronicus (d. J. Gaume, Actes choisis des saints martyrs, Paris, 1853) ou bien encore les actes vraisemblablement authentiques contenus dans la Passion (lgendaire) dAthnogne (sur ces actes, voir P. Maraval, La Passion indite de S. Athnogne de Pdachtho en Cappadoce (BHG 197b), Bruxelles, 1990, p. 7-9).

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  • Introduction 4

    grecs et latins ou aux sources tmoignant du contexte social, politique et religieux de lEmpire des trois premiers sicles est susceptible dapporter un clairage sur les raisons profondes de cette hostilit chronique.

    Mme si les sentiments antichrtiens sont apparus et se sont dvelopps dans les milieux populaires, il est toutefois impossible de parvenir leur comprhension globale sans recourir aux impressions ngatives que lon trouve sous la plume des intellectuels. Cela nest pas forcment contradictoire, car y regarder de plus prs, on saperoit quil existe des liens entre la critique antichrtienne dorigine populaire et celle formule par les gens de culture. Ces derniers ont t des observateurs attentifs du monde dans lequel ils vivaient ; ils ont pris conscience des ides contraires la civilisation grco-romaine que la nouvelle foi vhiculait et ont ragi partir du fonds commun des valeurs quils partageaient avec le reste de la population.

    Nous possdons plusieurs tmoignages de ces rapports entre les deux niveaux de critique. Ainsi voyons-nous Justin sen prendre un philosophe cynique nomm Crescens avec lequel il avait dbattu. La controverse ne stait vraisemblablement pas droule sur un ton aimable car lapologiste dit sattendre tre dnonc comme chrtien par Crescens. Il lui reproche surtout de ne pas stre assez inform sur la doctrine chrtienne et de stre laiss dominer par une opinion ignorante et draisonnable . Justin napprciait pas que Crescens, par complaisance pour la multitude, ait rutilis lors du dbat des griefs communment adresss aux chrtiens11.

    Nous savons galement que le fameux rhteur M. Cornlius Fronton, la plus grande gloire littraire de son poque, une rputation qui lui avait valu denseigner la rhtorique Marc Aurle, stait fait le relais, sans doute dans un discours officiel, de laccusation de dbauche collective et incestueuse perptre par les chrtiens lors de leurs banquets12. Fronton est certainement le meilleur exemple dun membre de llite intellectuelle et politique (il tait snateur) qui nhsita pas rutiliser lun des pires griefs antichrtiens pour ragir contre la menace que reprsentait le christianisme.

    Celse, bien que nayant gure destime pour les ides partages par le commun, dveloppa certains points de sa polmique partir de thmes fournis

    11 Justin, 2Apol. 3, 1- 4.12 P. Frassinetti, Lorazione di Frontone contro i christiani , GIF 2 (1949), p. 238-254 et C.

    Bammel, Die erste lateinische Rede gegen die Christen , ZK 104 (1993), p. 295-311 ont tent, alors que seul Minucius Felix fait allusion ces propos tenus par Fronton (Oct. 9, 6 ; 31, 2), de reconstituer le contenu de ce discours. Selon P. Frassinetti, Lorazione , p. 244-245, ce discours aurait t prononc vers 162-164 dans le cadre de la restauration religieuse entreprise par Marc Aurle ; M. Consuelo Cristofori, L"oratio" di Frontone contro i cristiani e la persecuzione di Marco Aurelio , RSCI 32 (1978), p. 136-139 propose une date plus proche de 175, en relation avec une accentuation de la perscution ; voir aussi les remarques de G. W. Clarke, Four Passages in Minucius Felix dans Kyriakon. Festschrift J. Quasten, T2. Ed. P. Granfield & J. A. Jungmann, Mnster, 1970, p. 502-504.

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  • Introduction 5

    par la critique populaire. On le voit par exemple sinquiter de ce que les chrtiens noffrent pas aux dieux les honneurs qui leur reviennent et il juge quune telle attitude risque dentraner leur colre13.

    Le noplatonicien Porphyre, grce aux puissantes ressources de sa culture philologique, philosophique et historique, dnona dans les quinze livres de son Contre les chrtiens (rdig vers 270)14 les incohrences historiques et doctrinales du christianisme15. Bien qutant un minent reprsentant de llite philosophique (il succda Plotin la tte de lcole noplatonicienne de Rome), Porphyre continuait de manifester son intrt pour la religiosit populaire. Il essaya certes de justifier le contenu grossier des cultes

    13 Origne, CC VIII, 35.14 A. Cameron, The Date of Porphyrys , CQ 17 (1967), p. 382-384

    suggre la date de 271. T. D. Barnes, Porphyry Against the Christians : Date and the Attribution of Fragments , JTS 24 (1973), p. 433-437, place sa composition au dbut du IVe

    sicle. Les conclusions de T. D. Barnes sont contestes par B. Croke, The Era of Porphyrys Anti-Christian Polemic , JRH 13 (1984), p. 1-14 qui replace le Contre les chrtiens en 271/272.

    15 Il ne reste que des fragments de cet imposant travail dont la destruction fut ordonne par Constantin (Socrate, HE I, 9, 30), Thodose II et Valentinien III (Code Thod. XV, 5, 66 ; Code Just. I, 1, 3). Ces fragments ont t colligs et rpertoris par A. von Harnack, Porphyrius Gegen die Christen , 15 Bcher. Zeugnisse und Referate, Berlin, 1916. A. Harnack pensait que la critique antichrtienne contenue dans lApokritikos de Macaire de Magnsie tait entirement dorigine porphyrienne, mais les travaux de T. D. Barnes, Porphyry Against the Christians , p. 428-430 et de R. Goulet, Makarios Magns. Monogns (Apocriticus). Introduction gnrale, dition, traduction et commentaire du livre IV ainsi que des fragments des livres IV et V, Paris I, 1974 (thse dactylographie), p. 139-181 et 275-316 ; Porphyre et Macaire de Magnsie , SP 15 (1984), p. 448-452 ; Macarios de Magnsie, Le Monogns. Edition critique et traduction franaise, T1 : Introduction gnrale, Paris, 2003, p. 127-136 ont infirm cette conclusion. Le corpus des fragments sest toutefois enrichi depuis Harnack ; voir A. Benot, Le "Contra Christianos" de Porphyre : o en est la collecte des fragments ? dans Paganisme, Judasme, Christianisme. Influences et affrontements dans le monde antique. Mlanges offerts Marcel Simon, Paris, 1978, p. 261-275. La recherche des fragments continue : J. G. Cook, A Possible Fragment of Porphyrys Contra Christianos from Michael the Syrian , ZAC 2 (1998), p. 113-122 ; M. Nebes, Zum sprachlichen Verstndnis des Fragmentes aus Porphyrios "Gegen die Christen" bei Michael dem Syrer , ZAC 2 (1998), p. 268-273. P. F. Beatrice, Le trait de Porphyre contre les Chrtiens. Ltat de la question , Kernos 4 (1991), p. 119-138 donne une vision densemble de la recherche sur cet ouvrage. Ce mme auteur annonce une nouvelle dition des fragments sur la base dune nouvelle identification du Contre les chrtiens avec La philosophie des oracles ; voir id., Quosdam Platonicorum libros. The Platonic Readings of Augustine in Milan , VCh 43 (1989), p. 248-281 ; Towards a New Edition of Porphyrys Fragments Against the Christians dans . Chercheurs de sagesse . Hommage Jean Ppin. Publi s. d. de M.-O. Goulet-Caz, G. Madec, D. O Brien, Paris, 1992, p. 347-355 ; On the Title of Porphyrys Treatise Against the Christians dans . Studi storico-religiosi in onore di Ugo Bianchi. Ed. G. Sfameni Gasparro, Rome, 1994, p. 221-235. Mais la reconstitution envisage par P. F. Beatrice repose sur un regroupement de divers fragments difficile justifier. Voir la critique de R. Goulet, Hypothses rcentes sur le trait de Porphyre Contre les chrtiens dans Hellnisme et christianisme. Ed. M. Narcy et E. Rebillard, Villeneuve dAscq, 2004, p. 61-104.

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  • Introduction 6

    polythistes en leur accordant une valeur spirituelle plus profonde laide de lexgse allgorique, mais il admettait galement que le commun du peuple, priv des moyens de parvenir la contemplation que seule lascse philosophique pouvait fournir, pouvait nanmoins exprimenter la proximit du divin laide des procds cultuels classiques. La philosophie un peu dsincarne de Porphyre, qui appelait lme tendre vers lUn, ne lempchait pas de croire que le plus grand fruit de la pit [tait d] honorer la divinit selon les traditions ancestrales 16. Dans sa pense, la dfense de lhellnisme contre les chrtiens passait aussi par la promotion des cultes populaires. Aussi nest-il pas tonnant de voir Porphyre se plaindre son tour que les dieux soient dlaisss et considrer que ce manque de pit tait la cause de lpidmie qui touchait Rome au moment o il crivait contre les chrtiens17. Le noplatonicien ne sest visiblement pas content de parler ses pairs. Il a galement manifest le souci de toucher le peuple en le mettant en garde contre la propagande dltre des chrtiens. Sa virulente prise de position contre les chrtiens a peut-tre conduit Porphyre prendre une part active, au moins sur le plan idologique, dans la prparation de la raction antichrtienne dcide par Diocltien18. Ce voyage nigmatique qui le conduisit quitter temporairement sa femme, aprs seulement dix mois de vie commune, et dont le but tait de rpondre au besoin des Hellnes auxquels les dieux joignaient leurs instances, prcise le philosophe19 peut bien avoir pris place dans le cadre de la rflexion qui prcda la dcision officielle de proscrire les chrtiens. Il est possible que ce soit dans ce contexte que Porphyre rdigea la Philosophie des oracles, dfense vibrante de la religion traditionnelle (prononce une poque o les oracles taient redevenus populaires20), dont le but tait de concilier les traditions religieuses du monde antique avec la religion philosophique du Dieu-Un tout en rfutant le christianisme. Pour le philosophe, les oracles taient une source laquelle on pouvait puiser ses esprances de salut, dans la mesure o lactivit prophtique livrait la connaissance des hommes des lments de la vrit divine qui saccordaient avec lenseignement philosophique et savraient utiles pour la contemplation et la purification21. Lactance parle sans le nommer dun pontife de la philosophie qui crivit trois livres pour convaincre les hommes de revenir au culte des dieux et fit lecture de ses travaux Nicomdie22. Si cet individu

    16 Porphyre, Ad Marc. 18.17 Eusbe, PE V, 1, 10 (d. Harnack, fgt 80). 18 Sur cette influence de Porphyre, voir W. H. C. Frend, Prelude to the Great Persecution :

    The Propaganda War , JEH 38 (1987), p. 10-13. 19 Porphyre, Ad Marc. 4.20 Diocltien consulta loracle de Milet avant de dclencher la Grande perscution ; voir

    Lactance, De mort. Pers. 11, 7.21 Eusbe, PE IV, 7, 1-2 (extrait du livre I de la Philosophie des oracles). 22 Id., Div. inst. V, 2, 3-11 ; 4, 1.

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  • Introduction 7

    devait tre identifi avec Porphyre, ce qui nest pas impossible (la Philosophie des oracles comprend effectivement trois livres et certains points du portrait polmique que Lactance fait du personnage peuvent correspondre la situation des dernires annes du Tyrien), nous verrions alors le philosophe recourir lautorit des oracles pour convaincre ses contemporains de sopposer ou de renoncer au christianisme23.

    Le mme genre de relation existe entre la critique populaire et llite sociale au sein de laquelle tait recrut le personnel administratif de lEmpire. Cyprien adressa un trait un certain Dmtrianus, inconnu par ailleurs, mais dont les hautes responsabilits (tait-il proconsul dAfrique ?) lavaient conduit violemment svir contre les chrtiens24. Il se trouve que ce Dmtrianus avait lui aussi mobilis les esprits contre les fidles en leur imputant la responsabilit des maux qui frappaient lEmpire. Le gouverneur Sossianus Hirocls tmoigne galement de cette interaction entre critique populaire et intellectuelle. Membre de lordre questre, ce personnage fut vicaire dun diocse (certainement celui dOrient), gouverneur de Palmyre et de Bithynie puis prfet dEgypte25. Il joua un rle actif dans la perscution organise par Diocltien. Lactance le prsente comme lun des tous premiers responsables du dclenchement de la perscution et mme comme linstigateur et le conseiller de la perscution 26. Il appliqua avec zle les dits impriaux lorsquil tait dans lexercice de ses fonctions en Bithynie et en Egypte27. Mais Hirocls ne se contenta pas de lutter contre le christianisme avec le fer. Il prit aussi la plume (peut-tre avant le dbut de la perscution) et crivit un ouvrage en deux volumes, intitul Lami de la vrit (), adress aux chrtiens pour les persuader de renoncer leur foi. Lactance dit quil esprait ainsi passer pour un conseiller plein dhumanit et de bont 28. Bien quil empruntt beaucoup la mthode exgtique de Porphyre en cherchant mettre en vidence les contradictions de lEcriture29, il seffora paralllement

    23 Lidentification est dfendue par R. L. Wilken, Pagan Criticism of Christianity : Greek

    Religion and Christian Faith dans Early Christian Literature and the Classical Intellectual Tradition. In honorem R. M. Grant. Ed. W. R. Schoedel and R. L. Wilken, Paris, 1977, p.117-134, P. F. Beatrice, Antistes Philosophiae. Ein christenfeindlicher Propagandist am Hofe Diokletians nach dem Zeugnis des Laktanz , Aug 33 (1993), p. 31-47 et E. DePalma Digeser, Lactantius, Porphyry, and the Debate over Religious Toleration , JRS 88 (1998), p. 129-146. R. Goulet (Monogns, T1, p. 115-120), bien que rserv, ne juge pas lidentification impossible. Il est plus critique dans Hypothses rcentes , p. 100-104.

    24 Cyprien, Ad Dem. 12.25 T. D. Barnes, Sossianus Hierocles and the Antecedents of the Great Persecution , HSCP

    80 (1976), p. 243-245. 26 Lactance, Div. inst. V, 2, 12 ; De mort. Pers. 16, 4.27 Ibid. ; Eusbe, Mart. Pal. 5, 3.28 Lactance, Div. inst. V, 2, 13.29 Ibid. V, 2, 13-16. E. DePalma Digeser, Porphyry, Julian, or Hierokles ? The Anonymous

    Hellene in Makarios Magns Apokritikos , JTS 53 (2002), p. 466-502 attribue la polmique

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  • Introduction 8

    de dprcier limage du Christ en ractualisant la vieille accusation de sorcellerie qui courait son propos, en faisant de lui un chef de brigands et en le comparant, son dsavantage, la grande figure du paganisme que reprsentait Apollonius de Tyane qui, soulignait-il, tait ador comme un dieu, notamment Ephse sous les traits dHercule Alexicacus30. Le mme souci de canaliser lopinion publique contre les chrtiens se retrouve au plus haut chelon de la hirarchie impriale avec le ttrarque Maximin Daa qui considra avec intrt les campagnes de ptition, organises par les autorits locales, rclamant lexpulsion des chrtiens des cits dOrient31. De plus, lempereur autorisa laffichage dans les campagnes et dans les villes de faux actes de Pilate exposant, sous le couvert dun document apparemment officiel, les justes raisons du jugement et de la condamnation de Jsus. Ils devaient aussi tre enseigns dans les coles32. Ce document reprenait son compte les vieux griefs populaires faisant de Jsus un enfant illgitime, un magicien et un usurpateur33.

    Ltude des sentiments conus lgard du christianisme na souvent t aborde quau travers de la vision des intellectuels, mme sous langle dune prsentation gnrale du choc culturel cr par la pntration du christianisme dans le monde grco-romain34. A ce titre, Celse et Porphyre, les principaux protagonistes de la polmique antichrtienne de la priode ant-nicenne, ont fait lobjet des principales tudes sur ce sujet35. La critique ne se limitait

    antichrtienne contenue dans lApokritikos de Macaire de Magnsie louvrage de Hirocls. Cette hypothse avait dj t mise par L. Duchesne, De Macario Magnete et scriptis eius, Paris, 1877 et T. W. Crafer, Macarius Magnes. A Neglected Apologist , JTS 8 (1907), p. 401-423 et 546-571.

    30 Lactance, Div. inst. V, 3, 7-21 ; Eusbe, CHier. 1-4. Eusbe de Csare a consacr lessentiel de son Contre Hirocls contester cette comparaison entre Apollonius et le Christ ; sur ce point, voir A. Mendelson, Eusebius and the Posthumous Career of Apollonius of Tyana dans Eusebius, Christianity and Judaism. Ed. H. W. Attridge & G. Hata, Londres-New York-Cologne, 1992, p. 510-522.

    31 Eusbe, HE IX, 2-3 ; 4, 1-2 ; 7, 3-14 ; 9a, 4-6 ; Lactance, De mort. pers. 36, 3.32 Eusbe, HE IX, 5, 1.33 Sur ces Actes de Pilate et leur contenu, voir J.-D. Dubois, Les "Actes de Pilate" au

    quatrime sicle , Apocr 2 (1991), p. 85-93 ; X. Levieils, La polmique anti-chrtienne des Actes de Pilate , RHPR 79 (1999), p. 291-314.

    34 A. H. Armstrong et R. A. Markus, Christian Faith and Greek Philosophy, Londres, 1960 ; M. Simon, Christianisme antique et pense paenne : rencontres et conflits , BFLS 38 (1960), p. 309-323 (=Scripta Varia, T1, p. 245-259) ; H. Chadwick, Early Christian Thought and the Classicial Tradition, New York-Oxford, 1966 ; W. Jaeger, Le Christianisme ancien et la Paideia grecque, Metz, 1980 ; M. Sordi, Cristianesimo e Cultura nellimpero romano , VetChr 18 (1981), p. 129-142.

    35 Par exemple, parmi les tudes les plus rcentes : R. M. Grant, Porphyry among the Early Christians dans Romanitas et Christianitas. Studia I. H. Waszink. Ed. W. Den Boer, P. G. Van Der Nat, C. M. J. Sicking, J. C. M. Van Winden, Amsterdam, 1973, p. 181-187 ; W. Den Boer, A Pagan Historian and His Enemies : Porphyry Against the Christians , CPh 69 (1974), p. 198-208 ; La polmique anti-chrtienne du IIe sicle : "La Doctrine de Vrit" de

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  • Introduction 9

    videmment pas ces deux auteurs. Louvrage de rfrence que constitue La Raction paenne de P. de Labriolle36 propose une approche systmatique de tous les textes grecs et latins qui parlent du christianisme et des chrtiens. Cette tude a dj pour but de mettre en valeur la facette intellectuelle de la lutte entreprise par les nations contre le christianisme, lauteur considrant que le fer et le feu ne furent pas les seules armes employes pour enrayer la progression de la nouvelle foi37. Louvrage offre certainement la vision la plus large et la plus dtaille de la critique antichrtienne telle quelle tait formule dans le monde antique38. S. Benko39, employant la mme mthode que P. de

    Celse , Ath 54 (1976), p. 300-318 ; C. T. H. R. Ehrhardt, Eusebius and Celsus , JAC 22 (1979), p. 40-49 ; D. Letocha, Laffrontement entre le christianisme et le paganisme dans le Contre Celse dOrigne , Dialogue 19 (1980), p. 373-395 ; M. Borret, LEcriture daprs le paen Celse dans Le monde grec ancien et la Bible. S. d. C. Mondsert, Paris, 1984, p. 171-193 ; G. T. Burke, Celsus on the Old Testament , VetTest 36 (1986), p. 241-245 ; L. Padovese, La polemica anticristiana nei secoli II/IV : alcuni cenni illustrativi , EstFr 89 (1988), p. 279-299 ; G. Rinaldi, Sognatori e visionari 'biblici' nei polemisti anticristiani , Aug 29 (1989)=Sogni, visioni e profezie nell antico cristianesimo. XVIII Incontro di studioso dell antichit cristiana (Roma, 5-7 maggio 1988), p. 7-30 ; Giudei e pagani alla vigilia della persecuzione di Diocleziano : Porfirio e il popolo dIsraele , VetChr 29 (1992), p. 113-136 ; P. Sellew, Achilles or Christ ? Porphyry and Didymus in Debate over Allegorical Interpretation , HTR 82 (1989), p. 79-100 ; M. J. Hollerich, Myth and History in Eusebiuss De Vita Constantini : Vit. Const. 1. 12 in its Contemporary Setting , HTR 82 (1989), p. 421-445 ; T. D. Barnes, Scholarship or Propaganda ? Porphyry Against the Christians and its Historical Setting , BICSUL 39 (1994), p. 53-65 ; A. Carlini, La polemica di Porfirio contro lesegesi "tipoligica" dei cristiani , SCO 46 (1996), p. 385-394 ; M. Frede, Celsus Attack on the Christians dans Philosophia Togata, T2 : Plato and Aristotle at Rome. Ed. J. Barnes and M. T. Griffin, Oxford, 1997, p. 218-240 ; D. Briquel, Cration dAdam et mythe dautochtonie (un paen du IIe sicle face la Gense) , Helm50 (1999), p. 85-96 ; M. B. Simmons, The Eschatological Aspects of Porphyrys Anti-Christian Polemics in a Chaldean-Neoplatonic Context , C&M 52 (2001), p. 193-215. Dautres travaux sont cits dans le corps de cette tude et dans la bibliographie. Voir aussi les bibliographies de S. Benko et A. Meredith (cits infra n. 39 et 40).

    36 P. de Labriolle, La Raction paenne. Etude sur la polmique antichrtienne du Ier au VIe

    sicle, Paris, 1948 (1re dition : 1934). 37 Ibid., p. 7. 38 Lanalyse historique a affin des points sur lesquels P. de Labriolle ne stait prononc

    quavec prudence. Le passage dApule, Met. IX, 14 a t interprt dans un sens favorable une identification chrtienne ; voir M. Simon, Apule et le christianisme dans Mlanges dhistoire des religions offerts Henri-Charles Puech, Paris, 1974, p. 299-305 (=Scripta Varia, T2, p. 581-587) ; B. Baldwin, Apuleius, Tacitus, and Christians , Emerita 52 (1984), p. 1-3 ; V. Schmidt, Reaktionen auf das Christentum in den Metamorphosen des Apuleuis , VCh 51 (1997), p. 51-71. M.-J. Lagrange, dans la recension de la RB 44 (1935), p. 607, critiquait dj lindcision de P. de Labriolle. Lidentification chrtienne a t retenue pour Alius Aristide, Oratio III, 666-672 par C. A. Behr, The Complete Works of Aelius Aristide, T1, Leyde, 1986, p. 477, n. 745. Les travaux de R. Syme, Emperors and Biography. Studies in the Historia Augusta, Oxford, 1971, p. 17-29 ont justifi les rserves de P. de Labriolle au sujet de la lettre dHadrien Servianus (Hist. Aug., Quadrige des tyrans 8, 1-10).

    39 S. Benko, Pagan Criticism of Christianity During the First Two Centuries , ANRW II. 23. 2 (1980), p. 1054-1118.

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  • Introduction 10

    Labriolle, a repris tous les tmoignages littraires du christianisme qui apparaissent dans les sources grecques et latines du IIe sicle (de Tacite Celse) tandis que A. Meredith40 sest occup dtudier, pour le IIIe sicle, la polmique antichrtienne de Porphyre. R. L. Wilken41 a prolong les efforts de P. de Labriolle en soumettant les textes les plus significatifs (surtout ceux de Pline, Galien, Celse, Porphyre et Julien) une analyse prenant en compte les avances de la recherche, tant pour ltude du contexte que pour la psychologie des auteurs, ce qui a pour effet de mettre ces derniers en phase avec les influences culturelles quils subissaient. F. Ruggiero42 relve dans la plupart de ces mmes textes la profonde antinomie intellectuelle entre christianisme et tradition classique qui faisait considrer les chrtiens comme des individus hors-normes sur lesquels pesaient les pithtes de fous et de stupides en raison du manque de logique et de rationalit de leur foi. J. G. Cook43, quant lui, mesure la crdibilit du message vanglique auprs des intellectuels (Celse, Galien, lanonyme de lApokritikos, Ammonios Sakkas, Amelius Gentilianus, Hirocls, Porphyre, Julien). J. W. Hargis44 a concentr son tude sur les textes de Celse, Porphyre et Julien pour examiner le phnomne de la raction antichrtienne, surtout analyse en fonction de lexclusivisme profess par les chrtiens. Toutes ces tudes, on le voit, font la part belle la raction intellectuelle contre le christianisme et mettent en valeur les points de polmique abords par chacun des auteurs traits. Peu dtudes se sont intresses la perception collective du christianisme. Relevons celle de G. E. M. de Ste Croix45, qui, en sinterrogeant sur les raisons des perscutions antichrtiennes, en est venu considrer limportance du sentiment populaire dans le processus qui conduisait les autorits romaines svir contre les chrtiens. Notons aussi les contributions importantes de deux historiens dj cits. Celle de R. L. Wilken46, qui a propos une approche diffrente des textes grecs et latins en les questionnant sur la faon dont ils comprenaient lidentit chrtienne. Et surtout celle de S. Benko47, qui se penche sur les mmes textes pour saisir le portrait dun christianisme dress au travers du prisme de la

    40 A. Meredith, Porphyry and Julian Against the Christians , ibid., p. 1123-1137. 41 R. L. Wilken, The Christians as the Romans Saw Them, New Haven-Londres, 1984. 42 F. Ruggiero, La follia dei cristiani. Su un aspetto della reazione pagana tra I e V secolo,

    Milan, 1992. 43 J. G. Cook, Some Hellenistic Responses to the Gospels and Gospel Traditions , ZNW 84

    (1993), p. 233-254. 44 J. W. Hargis, Against the Christians. The Rise of Early Anti-Christian Polemic, New York,

    1999. 45 G. E. M. de Ste Croix, Why Were the Early Christians Persecuted? , P&P 26 (1963), p. 6-

    38. 46 R. L. Wilken, The Christians as the Romans (and Greeks) Saw Them dans Jewish and

    Christian Self-Definition. T1: The Shaping of Christianity in the Second and Third Centuries.Ed. E. P. Sanders, Philadelphie, 1980, p. 100-125.

    47 S. Benko, Pagan Rome and the Early Christians, Bloomington-Indianapolis, 1986.

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  • Introduction 11

    mentalit grco-romaine, apportant ainsi des clairages aux reproches constamment adresss aux chrtiens durant les deux premiers sicles (comme le rejet du nom chrtien, limmoralit et le cannibalisme). Elle offre des perspectives dans lesquelles lexamen de la critique antichrtienne doit galement sinscrire.

    Ce que disent tous les auteurs grecs et romains sur les chrtiens et le christianisme ne peut pas tre dissoci de ce qui se pensait propos de lEglise et de sa doctrine sur un plan gnral. Les propos des polmistes taient influencs par des prjugs dordre culturel qui dpassaient de loin les cercles clairs. Considrant que la polmique contre le christianisme tait en fait inspire par un sentiment antichrtien largement partag, il sagit dtablir ici quelles furent la nature, les origines et les formes de lopposition morale dresse contre le christianisme et den mesurer les consquences sur linsertion des chrtiens dans le monde romain.

    Bien que les reproches adresss aux chrtiens dans le monde antique soient en gnral correctement prsents, il faut admettre quils sont souvent brosss grands traits. Cela est peut-tre d au fait que la critique antichrtienne a fait depuis longtemps lobjet de recherches et que ses principaux aspects constituent une partie du fonds commun des connaissances amasses sur le christianisme des trois premiers sicles. C. Kortholt48 fit paratre la premire grande tude sur ce thme Cologne en 1698. Lauteur sy proposait de faire linventaire des accusations portes contre le christianisme durant toute lAntiquit et en a mthodiquement dress le catalogue partir des sources anciennes disponibles son poque. C. Kortholt a eu le mrite de montrer que la critique antichrtienne reprsentait une donne srieuse de lhistoire du christianisme si bien quen 1749, T. M. Mamachi a consacr toute une section de son tude historique sur le christianisme primitif aux griefs formuls contre les chrtiens49. Il puise principalement dans le Contre CelsedOrigne, sans rien apporter doriginal aprs C. Kortholt. A vrai dire, rien ne viendra complter le travail majeur de cet auteur. J.-A. Martigny pour larticle Calomnies diriges contre les premiers chrtiens de son Dictionnaire des antiquits chrtiennes50, et plus rcemment encore, H. Leclercq dans le Dictionnaire dArchologie Chrtienne et de Liturgie, se rfrent ouvertement lui sans gure apporter de prcisions supplmentaires sur le sujet51. On peut donc penser que les grands thmes de la critique antichrtienne sont passs, grce lautorit dj ancienne de C. Kortholt, dans les lieux communs du savoir historique et ceci malgr le caractre nettement apologtique de son

    48 C. Kortholt, Paganus obtrectator. Sive de calumniis gentilium in veteres christianos,

    Cologne, 1698. 49 T. M. Mamachi, Originum et antiquitatum christianarum, T1, Rome, 1749, p. 110-185. 50 J.-A. Martigny, Dictionnaire des antiquits chrtiennes, Paris, 21877, p. 107-111. 51 H. Leclercq, Accusations contre les chrtiens , DACL I. 1 (1907), col. 265-307.

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  • Introduction 12

    ouvrage qui cherche tout autant exposer les accusations profres contre les chrtiens qu dmontrer leur fausset, la plupart du temps partir des rponses formules par les apologistes et les thologiens chrtiens de lAntiquit. Les mmes proccupations sont visibles chez T. M. Mamachi et mme sous la plume dH. Leclercq qui manifeste encore le souci de dfendre lintgrit morale et le loyalisme des premiers chrtiens face aux critiques dont ils taient lobjet. Les Lumires et le positivisme ont videmment contribu prenniser un angle dapproche qui nest plus valable aujourdhui. Au moins lhistorien est-il dsormais appel tenir compte de ces divers propos tenus contre les chrtiens52.

    Lorsquil sagit de caractriser les sentiments hostiles nourris lgard des chrtiens des trois premiers sicles, on se rfre presque automatiquement au fameux texte de Tacite qui rend les fidles coupables de haine pour le genre humain 53. Une fois ce texte cit, il semble que lon ait tout dit ce sujet. H. Lietzmann explique ainsi que les charges dinceste ou de cannibalisme pesant sur les chrtiens sont les effets dune hostilit cause par leur fundamental hatred of mankind , sans estimer ncessaire de renvoyer le lecteur Tacite54. Dune faon gnrale, cette expression de Tacite est prsente comme le rsum de ce que les populations de lempire romain ressentaient pour les chrtiens. Elle permet de qualifier le particularisme assum par les chrtiens et la volont disolement quils manifestaient au sein de la cit antique55. Dans la plupart des cas, elle sert aussi de point de dpart pour exposer les griefs populaires formuls contre les fidles (identifis aux flagitia du texte de Tacite : infanticide rituel, anthropophagie, dbauches incestueuses, adoration dune tte dne)56, au sujet desquels on se contente souvent de renvoyer

    52 Ce que fait C. Munier, LEglise dans lempire romain (IIe-IIIe sicles). Eglise et Cit, Paris,

    1979, p. 129-143, distinguant entre accusations communes et controverse savante . 53 Tacite, Ann. XV, 44, 4.54 H. Lietzmann dans The Cambridge Ancient History, T12 : The Imperial Crisis and Recovery

    A. D. 193-324, Cambridge, 1971, p. 516. 55 J. Zeiller dans Histoire de lEglise, T1 : LEglise primitive, Paris, 1934, p. 289-290 ; C.

    Lepelley, Lempire romain et le christianisme, Paris, 1969, p. 9 et 39 ; M. Meslin, Le christianisme dans lempire romain, Paris, 1970, p. 66-71 et 75 ; P. Maraval, Les Perscutions durant les premiers sicles du christianisme, Paris, 1992, p. 11-13.

    56 Outre H. Lietzmann et J. Zeiller aux pages cites dans les notes prcdentes, voir E. Griffe, Les perscutions contre les chrtiens aux Ier et IIe sicles, Paris, 1967, p. 9-10 ; M. Meslin, Le christianisme, p. 31-32 ; M. Simon, La civilisation de lAntiquit et le christianisme, Paris, 1972, p. 125-129 ; R. Minnerath, Les chrtiens et le monde (Ier-IIe sicles), Paris, 1973, p. 189-192 ; J. Danilou, LEglise des premiers temps. Des origines la fin du IIIe sicle, Paris, 1985, p. 91 ; P. Maraval, Les Perscutions, p. 9-11 ; C. Lepelley dans Histoire du christianisme, T1 : Le Nouveau Peuple (des origines 250), Paris, 2000, p. 246-248 (qui ouvre et ferme la partie intitule La haine populaire sur la citation de Tacite) ; H. Mnard, Maintenir lordre Rome (IIe-IVe sicles ap. J.-C.), Paris, 2004, p. 138-141.

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  • Introduction 13

    Minucius Felix57. Cet odium humani generis, calque latin de la misanthropiagrecque (dj dirige contre les Juifs), traduit en effet la suspicion qui pesait dans le monde romain sur les communauts rgies par leurs propres rgles, lide de murs trangres facilitant le passage celle de murs barbares et inhumaines58. Le sens quil faut donner cette expression est sans doute exact. Toutefois, comme toute connaissance historique, elle ncessite dtre taye en recourant aux documents susceptibles de lclairer. Or ce travail de confrontation documentaire destin tablir lexistence de la critique antichrtienne, qui dpasse de loin le simple examen des textes grecs et latins mentionnant le christianisme, na gure t renouvel depuis le XVIIe sicle. Lobjet de la prsente tude est daller au-del des propos qui permettent de cerner globalement les accusations antichrtiennes et de comprendre les raisons de leur apparition et de leur dveloppement en lien avec la mentalit du monde dans lequel les chrtiens vivaient. Elle sarticule autour de quatre thmes directeurs susceptibles de donner la vision la plus complte possible des sentiments qui gnraient lhostilit des nations contre les chrtiens. Grecs et Romains savaient que le christianisme ntait pas le fruit dune gnration spontane mais quil tait troitement apparent au judasme : quelles taient les implications de cette proximit religieuse dans les rapports avec les non-chrtiens ? Le christianisme tait peru comme une superstition : mais que signifie ce terme et que suppose-t-il ? On reprochait aux chrtiens leur athisme : quel sens donner cette accusation ? Par quels biais parvenait-on au constat de cet athisme chrtien ? Quelles furent les consquences dun tel grief ? La haine du genre humain attribue aux chrtiens sopposait la philanthropia et lhumanitas, qui constituaient le socle des valeurs dont se rclamaient les membres de lEmpire : quelles taient les attitudes, inscrites dans lexprience sociale et religieuse des chrtiens, qui conduisirent les Grecs et les Romains ressentir cette aversion de leur part ? Les rponses ces questions permettront de saisir plus prcisment les causes du conflit qui opposa de manire quasi-permanente les populations polythistes aux chrtiens durant la priode ant-nicenne et de mieux comprendre linterprtation du christianisme par des consciences soumises linfluence de la culture grco-romaine. Nous verrons que le christianisme sest violemment heurt un ensemble de phnomnes matriels et idologiques toujours soutenus par

    57 J. Lebreton dans Histoire de lEglise, T1, p. 420 ; C. Lepelley, Lempire romain, p. 92-93 ;

    M. Meslin, Le christianisme, p. 68-69 ; M. Simon, La civilisation de lAntiquit, p. 127 ; P. Maraval, Les Perscutions, p. 10. Ltude de W. Speyer, Zu den Vorwrfen der Heiden gegen die Christen , JAC 6 (1963), p. 129-135 sappuie uniquement sur la polmique reflte dans lOctavius de Minucius Felix.

    58 H. Fuchs, Tacitus ber die Christen , VCh 4 (1950), p. 65-93 ; J. B. Bauer, Tacitus und die Christen Gymnasium 69 (1957), p. 495-503. On peut carter lexplication trop restrictive dH. Leclercq, Accusations , col. 266-269 qui assimile la haine du genre humain laccusation de magie.

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  • Introduction 14

    linstinct communautaire quavait engendr lidal de la Cit, mme une poque o la domination romaine stendait sur tout le pourtour mditerranen.

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  • Chapitre 1

    La perception de la relation judasme-christianisme

    Les rapports historiques liant le christianisme primitif au judasme taient si profonds que les paens mirent quelques temps avant de pouvoir convenablement faire la diffrence entre les Juifs et les chrtiens. La nouvelle foi restait imbrique dans le judasme, tant elle voulait tre laboutissement logique de ce quelle appela trs vite lAncienne Alliance1. Il ntait pas question pour les chrtiens de tirer un trait dfinitif sur les prceptes divins contenus dans les livres sacrs sur lesquels tait base la foi des Juifs, mais plutt de les vivre dans leur ralit et leur vritable signification spirituelle, ceux-ci ayant t ports en pleine lumire par la rvlation du Christ, Jsus de Nazareth.

    Au dbut de son existence, le christianisme ne pouvait pas faire autrement, lorsquil rflchissait sur lui-mme, que demployer les schmas de pense de la religion juive. Les disciples de Jsus et tous ceux qui se runirent autour deux vcurent leur foi, autant que cela tait possible, dans les structures mises en place dans le monde juif et se reprsentrent lunivers de la mme faon quun Juif de la mme poque se le reprsentait. Le mode de vie des convertis juifs, qui formaient lessentiel des premiers chrtiens, tait celui quavaient respect leurs pres et que respectaient leurs frres rests fidles la religion dIsral. Lorsque lEglise dborda les limites du monde juif, elle ne se dbarrassa pas de ses acquis originels et, au contraire, intgra plusieurs lments hrits de sa matrice religieuse2.

    Le christianisme, bien loin de paratre autonome ds son apparition et ses premiers dveloppements, volua en relations troites plus ou moins conflictuelles selon les circonstances avec le judasme dont il ne se dtacha formellement quau tournant des Ier et IIe sicles3. Mme si les paens furent

    1 He 8, 13 ; voir aussi 2 Co 3, 14. 2 F. Gavin, The Jewish Antecedents of the Christian Sacrements, Londres, 21933 ; C. W.

    Dugmore, The Influence of the Synagogue upon the Divine Office, Oxford, 1944 ; J. Danilou, Thologie du Judo-christianisme, Paris, 21991, p. 407-473.

    3 Sur la marche commune du christianisme primitif avec le judasme et leur sparation progressive, voir J. D. G. Dunn, The Partings of the Ways between Christianity and Judaism and their Significance for the Character of Christianity, Londres-Philadelphie, 1991 ; S. G.

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  • La perception de la relation judasme-christianisme16

    progressivement aptes faire la diffrence entre les deux religions, lhritage juif tait devenu un lment essentiel de lidentit chrtienne, tant dans le domaine de la foi que dans celui de la pratique cultuelle4. Le regard pos par les Grecs et les Romains sur les chrtiens devait rester orient par cette parent qui ne relevait pas seulement de lanalyse intellectuelle, mais qui tait aussi une ralit sur le plan sociologique.

    1.1 La conversion des Juifs

    Le christianisme apparaissait avant tout, dans les premiers temps de son existence, comme une nouvelle mouvance voluant auprs de celles qui existaient dj au sein du judasme. Les chrtiens taient, sur le plan culturel et historique, des Juifs, tout comme les pharisiens ou les essniens en taient eux-mmes, tant le judasme de cette poque apparat bien plus soucieux dorthopraxie que dorthodoxie. Le salut vient des Juifs 5 et comme tel, il sinscrivait dans un contexte spirituel particulier et snonait avec des termes qui en taient issus : la Nouvelle Alliance, lorigine de la rgnration dIsral, tait conclue en la personne et en luvre de Jsus de Nazareth, reconnu comme le Messie. Cest ce qui prcisment distinguait la mouvance chrtienne au sein du peuple dIsral6. Pour lobservateur extrieur qutait le Romain, lalliance que les Juifs chrtiens prnaient avec le Dieu de la nation dIsral pouvait aisment se confondre avec celle que respectaient pharisiens, sadducens ou bien essniens. Les diffrences doctrinales, facilement perceptibles pour lIsralite, ntaient que des dtails pour le Romain qui apprhendait dabord le monde juif comme une ralit ethnique. Il fallait dailleurs tre un esprit curieux pour remarquer que la religion juive se divisait

    Wilson, Related Strangers. Jews and Christians 70-170 C. E., Minneapolis, 1995, p. 1-81 ; F. Blanchetire, Comment le mme est-il devenu lautre ? ou comment Juifs et Nazorens se sont-ils spars ? , RevSR 71 (1997), p. 9-32 ; Enqute sur les racines juives du mouvement chrtien (30-135), Paris, 2001, p. 243-294 ; D. Marguerat dans Histoire du christianisme, T1, p. 189-224.

    4 Suite la constatation que lEglise sest dveloppe sur les mmes bases gographiques et organisationnelles que la synagogue hellnistique, W. H. C. Frend relve que la vie et les structures communautaires du christianisme primitif ne peuvent bien se comprendre quen rapport avec le judasme hellnistique. Cest ce qui conduit lauteur (The Rise of Christianity, Philadelphie, 1984, p. 120-151) qualifier lEglise de synagogue chrtienne (Christian synagogue) pour la priode qui stale entre les deux grandes rvoltes juives (70-135).

    5 Jn 4, 22. 6 Sur cette situation, voir G. Dix, Jew and Greek. A Study in the Primitive Church,

    Westminster, 1953, p. 28-29 et L. Goppelt, Les origines de lEglise. Christianisme et Judasme aux deux premiers sicles, Paris, 1961, p. 79. Sur le rle de la christologie dans le clivage entre christianisme et judasme, voir D. Flusser, The Jewish-Christian Schism (part I) , Immanuel 16 (1983), p. 34-40.

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  • La conversion des Juifs 17

    en plusieurs groupes. Ce ntait pas l une caractristique qui sautait aux yeux des Grecs et des Romains7. Seul un savant comme Pline lAncien tait assez rudit pour examiner la secte des essniens8, quil jugeait particulirement intressante pour ses performances asctiques. Cest le mme intrt qui poussa Porphyre de Tyr sattarder sur lessnisme9, mais il faut attendre le IIIe sicle pour que cet auteur numre pour la premire fois dans la littrature grecque les trois principales coles juives de la priode du Second Temple10, dont il a pris connaissance dans la Guerre juive de Flavius Josphe11.

    La confusion du christianisme et du judasme tait difficile viter dans les aires gographiques o la population juive tait importante et sur lesquelles la mission chrtienne sest focalise au dbut de son activit. LEvangile tait prsent comme le point de mire des esprances du peuple juif. Les premiers disciples taient anims du profond dsir de partager avec leurs frres de sang le message de vie quils avaient expriment. Les divers courants messianiques qui traversaient le peuple dIsral, en Palestine et dans la Diaspora, ne manquaient pas de disposer les Juifs aux discours qui annonaient un possible accomplissement de la dlivrance tant attendue. Les Juifs convertis proclamaient que Jsus de Nazareth tait le Messie, le prophte semblable Mose, le descendant du roi David, venu pour accomplir les promesses contenues dans la Loi et les Prophtes. Ces vrits pouvaient tre acceptes par les Juifs sans que leur foi dans lautorit des Ecritures et le respect de leur tradition nationale soient malmens. Les ventuelles difficults intellectuelles pouvaient tre surmontes grce aux diffrentes mthodes exgtiques, rabbinique et allgorique, qui avaient cours dans le judasme du dbut de notre re, ce dont font preuve plusieurs documents du Nouveau Testament.

    En Palestine, les premiers disciples ne constituaient quune hairesis de plus et leur comportement contribuait activement entretenir leur identit juive. A Jrusalem, les Juifs convertis, respectueux de la Loi, continuaient de frquenter le Temple12 et observaient toujours trs scrupuleusement les actes rituels devant les prserver de limpuret13. Ce respect des coutumes explique

    7 L. H. Feldman, Jew and Gentile in the Ancient World. Attitudes and Interactions from

    Alexander to Justinian, Princeton, 1993, p. 45-51. 8 Pline lAncien, Hist. nat. V, 73. Dion Chrysostome a aussi mentionn les essniens dans un

    discours perdu. La trace de cette mention nous est parvenue grce Synsios de Cyrne (IVe

    sicle), qui la intgre dans sa biographie de Dion (M. Stern, GLAJJ, T1, n 251 [p.539-540]).

    9 Porphyre, De abst. IV, 11-13. 10 Ibid. IV, 11.11 Josphe, BJ II, 119-166. 12 Lc 24, 53 ; Ac. 2, 46 ; 3, 1 ; 5, 12, 21 et 42 ; 21, 23-24 et 26 ; voir Mt 17, 24-27. 13 Ac 10, 14 ; 11, 2-3.

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  • La perception de la relation judasme-christianisme18

    lestime que la population de la ville portait aux disciples14. Le caractre sectaire du christianisme primitif apparat dans le fait que les disciples, tout en continuant de frquenter la synagogue15, sorganisaient en communauts spares, runies dans des maisons particulires, pour partager un repas commun au cours duquel ils commmoraient luvre salvatrice de leur Seigneur, et pour sadonner la louange et la prire16. Le livre des Actes prcise quil y avait Jrusalem des milliers de Juifs qui avaient cru, et tous zls pour la Loi 17. Il relate quau retour de son troisime voyage, Paul accepta la proposition des presbytres de lglise de Jrusalem de prendre en charge loffrande que quatre hommes devaient faire au Temple pour marquer le terme de leur nazirat18. Cet pisode du livre des Actes nous apprend que les disciples dorigine juive continuaient de respecter la Loi la lettre.

    Les partisans de ce christianisme attach la Loi, que lon appelait les nazorens19, ne se diffrenciaient des Juifs non-chrtiens que par leur foi messianique. Ils sintgraient parfaitement dans le paysage religieux de la Palestine et ils ntaient gure considrs autrement que comme des Juifs ce quils taient de toute manire par les lments grecs et romains de la population locale. Les dmls de Paul avec les autorits juives le dmontrent. Aprs avoir arrt Paul au Temple cause du tumulte dont il paraissait tre la cause, le tribun Claudius Lysias le dfra devant le Sanhdrin20, reconnaissant par cette procdure que la question chrtienne dpendait des instances juives. Il crivit ensuite au procurateur Antonius Flix, devant lequel Paul devait tre prsent, que laccusation portait sur des discussions relatives leur loi 21. Flix et Porcius Festus, son successeur, sabstinrent par la suite de se prononcer sur le cas de Paul, tous les deux jugeant galement quil relevait de la loi juive22. Le christianisme tait si bien compris comme une affaire interne au judasme que quelques annes plus tard, cest aprs comparution devant le Sanhdrin et sur ordre du grand prtre Hann II que Jacques, chef de file des nazorens, fut excut23. Cette condamnation entrana mme la protestation des pharisiens qui la considrrent injustifie au regard de la Loi24. Si lautorit

    14 Ibid. 2, 47 ; 5, 13. 15 Ibid. 6, 9-10. 16 Ibid. 1, 13-14 ; 2, 46-47 ; 4, 23-31 ; 12, 12. 17 Ibid. 21, 20. Voir 2, 41 ; 4, 32 ; 5, 14. 16 ; 6, 1. 7. 18 Ibid. 21, 20-26. 19 Ibid. 24, 5. 20 Ibid. 22, 30. 21 Ibid. 23, 29. 22 A. N. Sherwin White, Roman Society and Roman Law in the New Testament, Oxford, 1963,

    p. 49-50. 23 Josphe, AJ XX, 197-203. Selon R. J. Bauckham, For What Offence Was James Put to

    Death ? dans James the Just & Christian Origins. Ed. B. Chilton & C. A. Evans, Leyde, 1999, p. 199-232, Jacques fut accus de conduire le peuple lapostasie.

    24 P.-A. Bernheim, Jacques, frre de Jsus, Paris, 1996, p. 325-327.

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  • La conversion des Juifs 19

    romaine svit contre les nazorens de Palestine pendant le rgne de Domitien, ce fut dans le cadre des mesures de police destines prvenir tout risque de ferveur messianique, risque dont on avait mesur le danger depuis la guerre de 66-7425. La situation volua radicalement aprs la seconde rvolte juive (132-135), tant donn que lautorit de son leader, Simon Bar-Kosiba, reposait sur son charisme messianique26. Les nazorens refusrent videmment de le reconnatre comme Messie et ne sassocirent pas son combat. Cette prise de position contribua au rejet des nazorens qui furent impitoyablement perscuts par les partisans de Bar-Kosiba27. Dans le but de prvenir toute nouvelle aspiration nationale, Hadrien interdit laccs des Juifs Jrusalem qui, devenue ville grecque, fut rebaptise Aelia Capitolina. Cette disposition rendait impossible le sjour des nazorens dans la ville o la communaut des croyants devint grecque28. La seconde rvolte juive provoqua une transition qui dgagea le christianisme juden de son cadre ethnique et religieux primitif. Mais cette situation nouvelle ne correspondit pas la disparition rgionale du judo-christianisme qui put se rorganiser en dautres lieux que la Jude, comme en Galile ou dans la Syrie et le Transjordanie voisines.

    Dune faon gnrale, les Juifs de la Diaspora qui se convertissaient au christianisme ne se diffrenciaient pas plus aux yeux des paens que leurs coreligionnaires de Palestine. Si, dans le cadre de son uvre missionnaire, Paul nimposait pas la Loi aux non-Juifs, il ne cherchait pas, contrairement ce quon lui reprochait, en dtacher les Juifs convertis29. Ceux-ci continuaient de frquenter la synagogue, dobserver le sabbat, de se plier aux restrictions alimentaires, de circoncire leurs enfants, autant de pratiques visibles et connues dont loriginalit provoquait la moquerie des paens. La seule chose qui les distinguait des autres Juifs tait invisible, puisque du domaine de lesprit, savoir la foi en Jsus-Christ. Soumis aux rituels traditionnels, les Juifs convertis disperss dans lEmpire romain taient englobs dans le regard critique que les paens posaient sur les Juifs30.

    25 Eusbe, HE III, 12 et 20, 1-5.26 E. M. Smallwood, The Jews under Roman Rule from Pompey to Diocletian, Leyde, 1976, p.

    439-440. 27 Justin, 1Apol. 31, 6.28 Eusbe, HE IV, 6, 3-4.29 Rm 14, 1-23. 30 Les critiques populaires et intellectuelles formules contre le judasme sont traites par L. H.

    Feldman, Jew and Gentile, p. 84-176.

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  • La perception de la relation judasme-christianisme20

    1.2 Mission et influences judo-chrtiennes

    1.2.1 Lidentit nationale dIsral et le dcret apostolique

    La conversion de pharisiens31, qui se faisaient un point dhonneur de respecter lintgralit de la Loi de Mose, a videmment eu beaucoup dinfluence sur la communaut de Jrusalem, ainsi que sur les glises palestiniennes, syriennes et asiates en lien avec elle. Leur foncier attachement la Loi a trs largement contribu faonner le judo-christianisme primitif et les a mme conduit mettre de srieuses rserves sur lenseignement de Paul, jug trop libral32. Il ntait pas question pour eux de refuser la conversion des non-Juifs, mais lEglise tait dsormais le vritable Isral et en faire partie signifiait se plier au rite de la circoncision et lobservation de la loi de Mose33. Ce dbat autour de la Loi apparut en effet lorsque se posa le problme des critres de luniversalit de la foi et de lintgration des gentils dans lEglise. La position des pharisiens convertis semble autant dtermine par leur attachement viscral la rvlation divine contenue dans la Torah que par la pression grandissante du nationalisme en Jude, pression qui pouvait faire apparatre leurs agissements religieux comme dloyaux vis--vis de leur hritage34. A cet gard, le comportement de Pierre et de Barnabas Antioche face aux missaires de Jrusalem35, qui taient porteurs de ces inquitudes, peut sinterprter comme un rflexe didentit36.

    Le dcret apostolique de 49 reflte les proccupations de ces disciples juifs qui considraient quun minimum lgal devait tre impos aux disciples issus de la gentilit. Il convenait donc pour les non-juifs convertis de sabstenir des

    31 Ac 15, 5.32 Sur la dfinition du judo-christianisme ancien, voir M. Simon, Problmes du judo-

    christianisme dans Aspects du judo-christianisme. Colloque de Strasbourg 23-25 avril 1964, Paris, 1965, p. 1-17, repris dans M. Simon et A. Benot, Le Judasme et le Christianisme antique dAntiochus Epiphane Constantin, Paris, 41994, p. 258-274 ; J. D. Kaestli, O en est le dbat sur le judo-christianisme ? dans Le dchirement. Juifs et chrtiens au premier sicle. Ed. D. Marguerat, Genve, 1996, p. 243-272 ; S. C. Mimouni, Pour une dfinition nouvelle du judo-christianisme ancien , NTS 38 (1992), p. 161-186, repris dans Le judo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 39-72 ; voir aussi Les chrtiens dorigine juive dans lantiquit, Paris, 2004, p. 27-56.

    33 Ac 15, 5. 34 Sur le contexte, voir J. Danilou, LEglise des premiers temps. Des origines la fin du IIIe

    sicle, Paris, 21985, p. 37-40.35 Ga 2, 11-14. 36 J. D. G. Dunn, The Incident at Antioch (Gal. 2 : 11-18) , JSNT 18 (1983), p. 3-57 repris

    dans Jesus, Paul and the Law. Studies in Mark and Galatians, Londres, 1990, p. 129-182. B. Holmberg, Jewish versus Christian Identity in the Early Church ? , RB 105 (1998), p. 397-425, montre que pour les Juifs qui poussaient judaser, lidentit juive originelle devait prdominer sur lidentit chrtienne, mme si cette dernire rassemblait paens et Juifs.

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  • Mission et influences judo-chrtiennes 21

    viandes de sacrifices paens, du sang, des animaux touffs et de limmoralit 37, autant de rgles qui trouvaient leur origine dans la loi juive38

    et dont le respect devait invitablement amener les paens, mme en dehors de la Palestine, confondre leurs compatriotes convertis avec les Juifs39. Lors de la runion de Jrusalem, Jacques avait appel une tolrance mutuelle en signifiant que depuis des gnrations, Mose dispose de prdicateurs dans chaque ville, puisquon le lit tous les sabbats dans les synagogues 40. Il invitait ainsi son auditoire constater que les prescriptions du dcret taient fondes sur les Saintes Ecritures, comme pouvaient sen rendre compte tous ceux qui frquentaient rgulirement la synagogue, Jrusalem comme dans la Diaspora. Il dchargeait ainsi lEglise de la responsabilit denseigner aux disciples non-juifs la pratique de la Loi, dsormais cantonne aux prceptes du dcret, peut-tre en laissant la possibilit aux non-Juifs qui dsiraient en savoir plus sur la Loi de se rendre dans les synagogues rpandues dans tout lEmpire. Ces propos prservaient les gentils tout en cherchant calmer les apprhensions des pharisiens, pour lesquels le respect intgral de la Loi apparaissait si important. Dans les glises o le dcret tait strictement mis en application et les conseils de Jacques suivis, les chrtiens paraissaient mettre en pratique des observances (prescriptions alimentaires, abstention des viandes sacrifies et frquentation de la synagogue) qui dhabitude manifestaient socialement les Juifs.

    1.2.2 La mission judo-chrtienne

    Cette soumission la Loi, reprsentative dune appartenance nationale bien dfinie, demeura une constante des groupes judo-chrtiens qui saffirmrent partir du noyau originel de la communaut jrusalmite. Ces caractristiques taient celles des nazorens41 qui se considraient comme les hritiers de la

    37 Ac 15, 29. Ces dispositions ne peuvent tre assimiles aux prceptes noachiques (numrs

    en TB Sanh. 56a et Tos. AbZ 8, 4) imposs par les autorits rabbiniques aux sympathisants. Sur les principes halakhiques prexistant ltablissement du dcret, voir M. Bockmuehl, The Noachide Commandments and New Testament Ethics, With Special Reference to Acts 15 and Pauline Halakha , RB 102 (1995), p. 72-101.

    38 Les prescriptions du dcret sont fondes sur Lv 17-18. Voir aussi Ex 34, 15 (pour les idolothytes) ; Gn 9, 4 ; Lv 3, 17 ; 7, 26 (pour le sang).

    39 Sur le caractre identitaire du dcret apostolique, voir X. Levieils, Identit juive et foi chrtienne : la place de ltranger dans le peuple de Dieu (Ier-IVe s. dans Ltranger dans la Bible et ses lectures. Ed. J. Riaud, Paris, 2007, p. 227-232.

    40 Ac 15, 21.41 R. A. Pritz, Nazarene Jewish Christianity. From the End of the New Testament until its

    Disappearance in the Fourth Century, Jrusalem-Leyde, 1988 ; S. G. Wilson, Related Stangers, 155-157 ; S. C. Mimouni, Les nazorens. Recherche tymologique et

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    premire communaut de Jrusalem et dont la doctrine, notamment la reconnaissance de la divinit de Jsus, leur permit de conserver des relations convenables avec les glises de culture grecque. Cest la raison pour laquelle ils sont plutt considrs comme orthodoxes dans les crits patristiques. Ce ntait pas le cas des bionites42 qui, de tendance ouvertement antipaulinienne, se rclamaient galement de Jacques et de lglise de Jrusalem mais ne voyaient en Jsus quun matre de sagesse dont la conception avait t naturelle. Ce groupement judo-chrtien, cause de ces divergences doctrinales, resta plus proche de la Synagogue que les nazorens. Cette position de retrait par rapport lvolution qui devait mener la constitution dune foi chrtienne autonome appela sur eux lanathme des Grecs convertis, qui furent les principaux artisans de l orthodoxie . Ces croyants, pour la plupart dorigine juive, refusaient donc de se comprendre hors du judasme, quils vivaient comme le cadre naturel et exclusif de lpanouissement de la foi en Jsus-Christ. Ce type de christianisme au moins celui des nazorens ntait pas cantonn dans une impasse thologique o le voisinage des rites juifs et de la foi en Jsus laurait rapidement accul43.

    Ces judo-chrtiens, suivant le tmoignage de Justin, ntaient pas replis sur eux-mmes, mais faisaient connatre autour deux le message du Christ. Rpondant une question du Juif Tryphon sur le statut de ceux qui observent les institutions de Mose tout en croyant au Christ44, Justin mentionne deux groupes diffrents : le premier est compos de croyants juifs qui observent la loi de Mose, mais qui ne limposent pas aux non-Juifs qui se convertissent ; le second est constitu de croyants juifs qui observent galement la loi de Mose mais qui refusent tout contact avec les non-Juifs, mme convertis, nacceptant de les frquenter qu la condition quils se soumettent aux pratiques de la Loi45. Justin apporte ensuite quelques indications intressantes sur les comportements respectifs des paens qui adoptent la foi chrtienne lcoute de leur message :

    historique , RB 105 (1998), p. 208-262 ; judo-christianisme, p. 19-23, 82-86 et 207-230 ; F. Blanchetire, Enqute, p. 133-151.

    42 Ltude de H. J. Schoeps, Theologie und Geschichte des Judenchristentums, Tbingen, 1949 reste une rfren-ce, bien quil rduise lbionisme la ralit historique du judo-christianisme. S. Lgasse, La polmique antipaulinienne dans le judo-christianisme htrodoxe , BLE 90 (1989), p. 7-15 ; S. G. Wilson, Related Strangers, p. 148-152 ; J. D. Kaestli, dbat , p. 253-255 et 262-271 ; S. C. Mimouni, judo-christianisme, p. 87-89 et 257-286.

    43 Il est encore trs vivant au dbut du Ve sicle, comme en tmoigne la correspondance entre Augustin et Jrme ; voir S. C. Mimouni, judo-christianisme, p. 139-152. La prsence de chrtiens hbreux Nazareth est atteste au VIe sicle par lAnonyme de Plaisance ; ibid., p. 63-64 ; F. Manns, Le judo-christianisme, mmoire ou prophtie ?, Paris, 2000, p. 148. Sur la question de la survie du nazarisme , voir F. Blanchetire, Enqute, p. 260-266.

    44 Justin, Dial. 46, 1.45 Ibid. 47, 1-3.

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    Quant ceux qui se laissent persuader par eux de vivre suivant la loi, et qui en mme temps continuent confesser le Christ de Dieu, jadmets quils peuvent tre sauvs. Pour ceux encore qui, aprs avoir confess et reconnu que ce Jsus est le Christ, se mettent, pour une cause quelconque, vivre selon la loi et en viennent nier quil est le Christ, sils ne se repentent pas avant de mourir, je dclare quils ne seront pas sauvs du tout.46

    Le premier groupe a toutes les chances de correspondre aux nazorens. Quelques recoupements avec les sources les voquant plus clairement nous permettent de le penser. Epiphane de Salamine confirme que, malgr leur christologie orthodoxe, les nazorens restaient trs attachs au respect total de la Loi47. Jrme nous informe par lintermdiaire de lexgse nazorenne dEs 31, 6-7 que ceux-ci exeraient leur activit missionnaire en direction des Juifs48, mais aussi quils avaient accept les principes de la mission paulinienne et ses effets bnfiques pour le salut des nations49. Justin fait entendre quils respectaient ces principes en nimposant ni la circoncision, ni le sabbat, ni aucune autre des pratiques judaques aux paens qui se convertissent par leur entremise alors quils sy soumettent eux-mmes par faiblesse desprit ( c y )50. Justin apporte tout de mme une prcision intressante propos de cette pratique puisquil dit que certains convertis pouvaient nanmoins se laisser persuader de vivre selon la Loi51. Il tait donc possible que des croyants dorigine paenne finissent par adopter les pratiques juives en accdant la foi chrtienne par lintermdiaire des nazorens.

    Le second groupe, quant lui, correspond vraisemblablement aux bionites. Les donnes laconiques de Justin peuvent galement tre mises en parallle avec celles dautres sources plus prcises. Irne de Lyon indique quils pratiquaient la circoncision et les autres coutumes juives52. Epiphane atteste leur profonde identit juive en disant quEbion, le fondateur lgendaire de la secte, tait de lcole des nazorens 53, professait tre Juif54 et enseignait un attachement inconditionnel la Loi55. Les distances que les bionites prenaient avec les paens sont galement spcifies par Epiphane qui

    46 Ibid. 47, 4.47 Epiphane, Panarion 29, 7, 1-3.48 Jrme, In Isaiam X, 31, 6-9.49 Ibid. III, 9, 1-2.50 Justin, Dial. 47, 2.51 Ibid.52 Irne, Adv. haer. I, 26, 2. 53 Epiphane, Panarion 30, 1, 1. 54 Ibid. 30, 1, 5.55 Ibid. 30, 2, 1 ; voir 17, 5.

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    crit quil leur tait interdit dentrer en relation avec un gentil, tout contact ncessitant une purification immdiate qui ne pouvait tre pourvue que par immersion56. Lvangile quils utilisaient, inspir de celui de Matthieu57, enseignait que les douze Aptres avaient t runis par Jsus pour tmoigner auprs dIsral 58. Dautre part, la profonde hostilit quils manifestaient lgard de Paul, considr comme un adversaire acharn de la Loi59, en dit long sur les limites de leur volont douverture. Par consquent, ils continuaient de scrupuleusement respecter la sparation entre Juifs et non-Juifs pendant les repas60 initie Antioche aux temps apostoliques sous la pression des adeptes de lobservance totale de la Loi61. Un tel comporte